[…] Je
libidine un brin ? Vous croyez ? Pourtant
je me contente de décrire. C’est mon métier, quoi ! Un grand
romancier qui
ne décrit pas, il est bonnard pour la casse. Tous les six mois on a la
commission de métaphore qui passe nous vérifier la prose. Vous avez pas
l’air
de vous en douter ! Ça ne plaisante pas, parole ! Demandez à
mes
collègues… On est là, bien tranquille à sa machine. On fait des
dialogues pour
remplir :
« Bonjour. « Salut. « Y’a longtemps qu’on s’est pas vu. « Oui, hein ? « Quoi de neuf ? « Pff, comme d’habitude… etc, etc… Et les messieurs contrôleurs vous tombent dessus ! L’air hargneux. — Service des épithètes, clichés et images ! (c’est le nom officiel), qu’ils annoncent, voulez-vous nous montrer votre livre en cours, s’il vous plaît ! J’en sais qu’ajoutent même pas « s’il vous plaît » ! Les v’là qui s’installent à votre burlingue, qui fument vos cigarettes et prennent l’heure à votre pendule. La manière qu’ils feuillettent votre ouvrage, mes pôvres ! « Dites donc, dites donc ! Qu’est-ce que c’est que ce travail ! Deux pages sans une comparaison ! Vous vous moquez du monde ! On va vous retirer votre licence d’écrivain ! Déjà que la fois d’avant vous avez eu un avertissement ! Vous serez rétrogradé, mon ami. On va vous flanquer au rewritinge ! Aux chiens écrasés, si ça ne suffit pas ! Voulez-vous que je vous dise ? Tel que c’est parti, vous ferez critique un jour ! On a beau pleurer, leur supplier qu’on fera bien attention, ils restent intraitables, les monstres ! Féroces ! Ah, il s’en est brisé des carrières, pour défaut de descriptions. Alors vous parlez que j’sus pas chaud si près de l’Académie Con-court, pour risquer la mise à pied. Vous m’objecterez, à propos de pied, que dans mon métier, beaucoup d’entre nous écrivent avec leurs panards. Je vous répondrai catégoriquement : « Peut-être, seulement moi je ne suis pas acrobate. » |
San Antonio : Ça mange pas de pain (1970)
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