« J’ai
remarqué, en observant ce soir la numérotation des
pages, que j’avais commencé à écrire sur le feuillet numéro treize — et
cela
m’inspire une vague insatisfaction. J’ai lu, au passage, un paragraphe
dans un
journal qui parle d’écrivains moitié fous. Zola, dit l’auteur, était
l’un
d’eux. On le considère comme moitié fou parce qu’il additionnait les
nombres à
l’arrière des fiacres qui passaient devant lui dans la rue.
Personnellement,
c’est une chose que je fais sans cesse — et je sais très bien que je le
fais
pour m’apaiser l’esprit. C’est une pratique narcotique, en quelque
sorte.
Johnson, nous le savons, touchait les poteaux de sa rue dans un certain
ordre : cela était encore une manière d’échapper à de tristes
pensées. Et
nous savons tous comment, étant enfants, nous avons obéi à l’injonction
mystérieuse nous intimant de marcher sur les lignes entre les pavés de
la rue…
Mais les enfants ont un avenir. Il est bon qu’ils rendent propice le
mystérieux
Tout-Puissant. En leur temps, Johnson et Zola avaient eux aussi un
avenir. Il
était bon que Johnson fît ses “touches” contre la malchance, que Zola
mît son
esprit à l’abri de nouveaux problèmes. Chez moi, c’est simplement le
fruit de
l’idiotie. Car je n’ai pas d’avenir. »
Joseph Conrad — Ford Madox Ford : La nature d’un crime (1909) (Trad : Maxime Rovere) |
jeudi 25 novembre 2021
Et toc
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