Elias Canetti (1905-1994)
mercredi 21 mai 2025
mardi 20 mai 2025
Imprimerie
Rien
n’est plus destructeur qu’une
imprimerie ; elle
ébranle une maison jusque dans ses fondements. Les coups redoublés et
la
pesanteur d’une presse endommagent un plancher, si fort qu’il
soit : ce
qui fait que beaucoup de personnes ne se soucient pas, surtout à paris,
de
louer une maison à une imprimerie ; car il est prouvé qu’une
imprimerie
dans une maison neuve, la met au bout de dix ans au niveau d’une bâtie
trente
ans auparavant. N’est-ce point là une image de la force morale de l’imprimerie ? Elle ébranle les préjugés ; elle démolit le vieux temple de l’erreur ; elle abat les masures des siècles, leurs lois usées et impertinentes. On abuse sans doute de cet art utile ; mais de quoi n’abuse-t-on pas ? La boussole qui n’eût dû servir qu’à rapprocher les peuples, qu’à les lier ensemble, la boussole leur sert à promener leur fureur. La poudre à canon, au lieu de faire la guerre aux bêtes malfaisantes, sert à écraser les villes et à exterminer les hommes. Le temps du moins nous venge d’un sot livre ; et la raison reprenant tous ses droits, l’envoie du magasin chez l’épicier. Les rois sont devenus auteurs, et auteurs volumineux. Les édits, ordonnances, déclaration, etc., de Louis XIV et de Louis XV, forment plus de quarante volumes in-folio. Une seule feuille d’impression rapporte au souverain plusieurs millions, mais il ne dépense plus rien pour mettre sous presse. Le directeur de son imprimerie rend encore 15 000 livres par au trésor royal. Quand les rois impriment, leur imprimerie est bien gardée ; on ne leur vole pas leur feuilles pour les contrefaire ; rien n’échappe, rien ne transpire ; ordinairement les ouvriers ne sortent pas. Mais l’imprimerie a une telle tendance à la publicité qu’il arrive quelquefois qu’on connaît la nature de l’ouvrage royal, et que, malgré les doubles sentinelles et les barrières impénétrables, une feuille se glisse au-dehors, et une fois échappée, c’est assez pour remplir l’univers. L’imprimerie est comme le feu électrique qu’on ne peut enchaîner qu’un instant, et qui revole sans cesse dans l’espace. Béni soit l’inventeur des lettres et de l’écriture ! Mais béni soit surtout l’inventeur de l’imprimerie qui propage les grandes idées et les belles images ! Avant l’imprimerie, les livre sétaient plus rares et plus chers que les pierreries. Nos aïeux ne lisaient point ; aussi étaient-ils féroces et barbares. Aujourd’hui vous voyez une soubrette dans son entresol, et un laquais dans une antichambre, lisant une brochure. On lit dans presque toutes les classes, tant mieux ! Il faut lire encore davantage. La nation qui lit, porte en son sein une force heureuse et particulière, qui peut braver ou désoler le despotisme, parce que rien n’est si contraire, si opposé au despotisme, qu’une raison sage et éclairée. Hé ! le moyen qu’un homme instruit de sa grandeur et de ses droits, puisse jamais se résoudre à devenir un vil esclave ! Jadis les Hollandais, aujourd’hui les Suisses, vendent et impriment les disputes théologiques, politiques et littéraires de toute l’Europe, et s’embarrassent fort peu qu’elle opinion doit dominer. |
Louis-Sébastien Mercier : Tableau de Paris — Chapitre DCCLVI |
lundi 19 mai 2025
dimanche 18 mai 2025
L'affaire des truffes
[…] Si
François Coppée, qui était de petite santé, n’avait
pas un gros appétit, Catulle Mendès affirmait qu’on doit manger pour
vivre, et
qu’on doit vivre pour bien manger. Quand il m’arrive de songer à lui, c’est presque toujours à table que je le revois. Avec ses cheveux d’ancien blond envolés sur le col de son veston en boucles légères, sa cravate blanche négligemment nouée qui mettait sous sa barbe un flottement de papillon, avec sa belle tête lourde de vieux poète ou de vieux calife, toujours un rien débraillé comme les bohèmes qui préféraient les brasseries aux salons, magnifique à voir, il était de ces hommes qui président naturellement la table où ils sont assis. Il pouvait dire comme le seigneur Don Quichotte aux rustres : « Manants, le haut bous est celui où je suis toujours placé ! » Il était non seulement un convive plein d’autorité et de goût, mais il savait lui-même, aussi bien que le plus expert des cuisiniers, confectionner une carpe au bleu, des suprêmes de bécasses, un lièvre à la royale, et quel prodigieux connaisseur de vins ! Catulle Mendès avait l’invitation facile et l’on ne peut dire de lui que ce qu’on disait de Sainte-Beuve et d’Alfred de Vigny, à savoir que personne n’avait jamais vu la couleur de leur potage. J’ai vu autour de sa table, jeune poète ébloui, Sarah Bernhardt, et Antoine Mounet-Sully et Dujardin-Beaumetz, Georges Courteline et Léon Dierx et tant d’autres écrivains, auteurs dramatiques et artistes. Un jour, on servit des truffes sous la serviette. Il n’y en avait pas une pour chacun, parce qu’on les avait offertes à Mendès et que nous étions trop de convives. Il fut sublime. « Mas amis, dit-il, nous sommes neuf, il y a cinq truffes… Excusez-moi… On ne peut pas les partager, cela ne rimerait à rien, et puis… puis… je souffrirais trop de vous les voir manger !... » Sarah Bernhardt cria de sa belle voix qui, à cette époque, ne sonnait plus d’or pur, que c’était ignoble, et Catulle Mendès en mangeant seul l’assiette de truffes, lui dit : « Sarah, vous savez quelle admiration j’ai pour vous, mais vous n’entendez rien à la cuisine. Vous êtes capable de vous régaler avec des haricots verts de conserve, autour d’un bifsteack cuit sur un réchaud à pétrole !... » Je n’ai jamais oublié cela. |
Léo Larguier : Les écrivains à table (III) in : Grandgousier, revue de gastronomie médicale (nov.-déc. 1949) — (Le titre est du Tenancier). |
SERVIETTE
(À la).
— On désigne sous ce nom un genre de dressage de certains articles et,
notamment, celui des truffes. Ces truffes, bien que dites « à la
serviette »,
ne sont nullement cuites dans une serviette, mais simplement dressées
dans une
serviette, pliée en forme de poche. Ces truffes sont cuites dans du
Madère ou
dans tout autre vin de liqueur, dressées dans une timbale ou dans une
casserole
en argent et placées dans une serviette, pliée comme il est dit
ci-dessus.
On dresse aussi « en serviette » les truffes cuites sous la cendre, selon la mode ancienne. […]
Prosper Montagné : Larousse gastronomique (1938)
On dresse aussi « en serviette » les truffes cuites sous la cendre, selon la mode ancienne. […]
Prosper Montagné : Larousse gastronomique (1938)
samedi 17 mai 2025
Une historiette de Béatrice
vendredi 16 mai 2025
jeudi 15 mai 2025
mercredi 14 mai 2025
Être poète à ses heures
Je vous
mets au défi de trouver un Bourgeois qui ne soit pas
poète à ses heures. Ils le sont tous, sans exception. Le Bourgeois qui
ne
serait pas poète à ses heures serait indigne de la confrérie et devait
être
renvoyé ignominieusement aux artistes, à ces espèces d’esclaves qui
sont poètes
aux heures des autres.
Par exemple, il est un peu difficile de comprendre et d’expliquer ce que peut bien être cette poésie aux heures du Bourgeois. Supposer un instant que cet huissier se repose des fatigues de son ministère en taquinant la muse, qu’il se console du trop petit nombre de ses exploits en exécutant des cantates ou des élégies, serait évidemment se moquer de ce qui mérite le respect. Ce serait, si j’ose dire, une idée basse. Le Bourgeois n’est pas un imbécile, ni un voyou, et on sait que les vrais poètes, ceux qui ne sont que cela et qui le sont à toutes les heures, doivent être qualifiés ainsi. Lui est poète en la manière qui convient à un homme sérieux, c'est-à-dire quand il lui plaît, comme il lui plaît et sans y tenir le moins du monde. Il n’a même pas besoin d’y toucher. Il y a des domestiques pour ça. Inutile de lire, ni d’avoir lu, ni seulement d’être informé de quoi que ce soit. Il suffit à cet homme de s’exhaler. L’immensité de son âme fait craquer l’azur. Mais il y a des heures pour ça, des heures qui sont les siennes, celle de la digestion, entre autres. Quand sonne l’heure des affaires, qui est l’heure grave, les couillonnades sont immédiatement congédiées. — Être poète à ses heures, rien qu’à ses heures, voilà le secret de la grandeur des nations, me disait dans mon enfance, un bourgeois de la grande époque. |
Léon Bloy : Exégèse des lieux communs (1902) |
mardi 13 mai 2025
Tacatacatacatacatacatacatacatacatacatacatacatacatacatacatac (ter)
NPR Tiny Desk Concert 2023 Submission : Left Blank — Boston Typewriter Orchestra
lundi 12 mai 2025
dimanche 11 mai 2025
Tacatacatacatac...
NPR Tiny Desk Concert 2024 Submission : Selectric Funeral — Boston Typewriter Orchestra
samedi 10 mai 2025
Une historiette de Béatrice
vendredi 9 mai 2025
Pénurie
(Janvier
1945) Ce qui prouve aujourd’hui qu’un livre a du succès, c’est qu’il ne figure à aucun étalage. Par suite de tirages restreints, les libraires n’exposent en montre que les pannes et vendent les livres recherchés aux meilleurs de leurs clients, en douce, à l’intérieur. |
Jean Galtier-Boissière : Mon journal depuis la Libération (1945) |
jeudi 8 mai 2025
mercredi 7 mai 2025
Le Tenancier est un vieux
Dans notre manie d’accumuler les sources bibliographiques, quelques unes se révèlent inutiles ou insignifiantes pour ce qui concerne la pertinence des informations, souvent à cause de leur obsolescence. Reste le plaisir de relever quelques détails amusants, comme le fait de constater que, dans ce répertoire des auteurs publié en Grande Bretagne, Charteris, n’est pas loin de Chase et que ce dernier a créché à Neuilly sur Seine dans les années 1960, date de publication de cette quatrième édition. On y croise également Arthur C. Clarke, Somerset Maugham, Aldous Huxley, etc.
L’amusement s’étend également au récipiendaire de cet exemplaire, que le Tenancier découvrit bien après acquisition dans un lot, et à vrai dire assez à son corps défendant (et pour cause !), en découvrant la facture insérée à la fin du volume. Certes, le Tenancier ne passe pas ses dimanches entre les pages de cet ouvrage un peu sec du côté suspens. Néanmoins, sentant arriver son grand âge, et comme il me mentionna il y a peu, il se livre à cette habitude de vieux qui consiste à feuilleter les dictionnaires…
Quant à Michel Droit, je l'ai vu une seul fois, en coup de vent, à la libraire dans le XVIe où je travaillais, occasion pour mon patron de s'exclamer après coup : On a eu la visite du représentant le plus plus con de l'Académie française ! Pour ma part, je l'ignore, car j'ai peu croisé d'académiciens, deux ou trois seulement dans cette même librairie d'ailleurs, mais il faut reconnaître que l'échantillonnage n'était pas en faveur de celui-là, malgré le fait que...
lundi 5 mai 2025
Jeu
Notre ami George s'ennuie quand on
néglige un peu trop les intermèdes ludiques dans ce blogue. Comme on
n'est jamais mieux servi que par soi-même, il m'a envoyé la photo
ci-dessous, avec la question :
De quel film provient cette image volée à une époque plus heureuse que la nôtre, où les bouquinistes étaient tenus en plus haute estime qu'aujourd'hui ? (Le visage central est flouté pour corser un tantinet le jeu) ?
De quel film provient cette image volée à une époque plus heureuse que la nôtre, où les bouquinistes étaient tenus en plus haute estime qu'aujourd'hui ? (Le visage central est flouté pour corser un tantinet le jeu) ?
Comme le présent article a été programmé deux jours auparavant et que votre
Tenancier s'absente une partie de la journée, on espère que notre bon
George suppléera à nos lamentables carences en aidant nos lecteurs.
Merci George.
dimanche 4 mai 2025
Loueur de livres
Usés,
sales, déchirés, ces livres en cet état attestent qu’ils
sont les meilleurs de tous ; et le critique hautain qui s’épuise
en
réflexions superflues, devrait aller chez le loueur de
livres, et là voir les brochures que l’on demande, que l’on
emporte et auxquelles on revient de préférence. Il s’instruirait
beaucoup mieux
dans cette étroite boutique que dans les poétiques inutiles dont il
étaie les
frêles conceptions. Les ouvrages qui peignent les mœurs, qui sont simples, naïfs et touchants, qui n’ont ni apprêt, ni morgue, ni jargon académique, voilà ceux que l’on vient chercher de tous les quartiers de la ville, et de tous les étages des maisons. Mais dites à ce loueur de livres : Donnez-moi en lecture les œuvres de M. de La Harpe ; il se fera répéter deux fois la demande, puis vous enverra chez un marchand de musique, confondant (sous le vestibule même de l’Académie) l’auteur et l’instrument. Grands auteurs ! allez examiner furtivement si vos ouvrages ont été bien salis par les mains avides de la multitude ; si vous ne vous trouvez pas sur les ais de la boutique du loueur de livres ; ou si vous y trouvant, vous êtes encore bien propres, bien reliés, bien intacts, faits pour figurer dans une bibliothèque vierge, dites-vous à vous-même : J’ai trop de génie, ou je n’en ai pas assez. Il y a des ouvrages qui excitent une telle fermentation, que le bouquiniste est obligé de couper le volume en trois parts, afin de pouvoir fournir à l’empressement des nombreux lecteurs ; alors vous payez non par jour, mais par heure. À qui appartiennent de tels succès ? Ce n’est guère aux gens tenant le fauteuil académique. Ces loueurs de livres n’en connaissent que les dos et ils ressemblent en cela à plusieurs bibliothécaires et à quelques princes, qui ont une bibliothèque ordinairement assez utile aux autres. Une mère dit à sa fille, je ne veux point que vous lisiez. Le désir de lecture augmente en elle : son imagination dévore toutes les brochures qu’on lui dérobe ; elle sort furtivement, entre chez un libraire, lui demande la Nouvelle Héloïse, dont elle a entendu prononcer le nom : le garçon sourit ; elle paie, et va s’enfermer dans sa chambre. Quel est le résultat de cette jouissance clandestine ? Je dois mon cœur à mon amant : quand je serai mariée je serai toute à mon époux. |
Louis-Sébastien Mercier : Tableau de Paris — Chapitre CCCLXXVII |
samedi 3 mai 2025
Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 38
An 2000
L'an zéro de
Jésus-Christ
Angers — Éditions Deleatur, 1999
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en novembre 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques Millénaristes
Le Tenancier : L’on découvre ici les conséquences d’un oubli dans le comput des années qui nous séparent de la naissance du Christ. La lacune évoquée par un convive et ses conséquences trouvent un épilogue archéologique lors du réveillon de l’an 2000. On aurait aimé un plus long développement à cette histoire, qui aurait pu se transformer en un récit orgiaque amusant et de bonne humeur, comme le tenancier de Deleatur sait faire… D’ailleurs, est-ce de lui ?
Pierre Laurendeau : Hum… Tout cela est très loin et ma mémoire n’est plus aussi affûtée qu’elle le fut au tournant du « début du troisième millénaire », comme les journalistes (si je précise « incultes », cela frise la redondance ?) de l’époque en rebattaient les oreilles de leurs écoutants. Disons que ce texte est de moi, ce qui me crédite d’un énième pseudonyme !
L’idée, amusante, mais troublante : si un moine médiéval a escamoté une année par ignorance du zéro, qu’adviendra-t-il d’un monde qui confond l’an 2000 avec le début du troisième millénaire ?
Je ne sais pas si j’aurais eu l’énergie suffisante pour pousser la narration jusqu’à un volume romanesque « dystopique » comme on dit maintenant… J’avoue ne pas y avoir pensé.
Si l’idée tente le Tenancier, je lui prête volontiers Denys le Petit (le moine médiéval), Jonathan, Judith, Martha et les autres !
jeudi 1 mai 2025
Une historiette de Béatrice
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