Je vous
mets au défi de trouver un Bourgeois qui ne soit pas
poète à ses heures. Ils le sont tous, sans exception. Le Bourgeois qui
ne
serait pas poète à ses heures serait indigne de la confrérie et devait
être
renvoyé ignominieusement aux artistes, à ces espèces d’esclaves qui
sont poètes
aux heures des autres.
Par exemple, il est un peu difficile de comprendre et d’expliquer ce que peut bien être cette poésie aux heures du Bourgeois. Supposer un instant que cet huissier se repose des fatigues de son ministère en taquinant la muse, qu’il se console du trop petit nombre de ses exploits en exécutant des cantates ou des élégies, serait évidemment se moquer de ce qui mérite le respect. Ce serait, si j’ose dire, une idée basse. Le Bourgeois n’est pas un imbécile, ni un voyou, et on sait que les vrais poètes, ceux qui ne sont que cela et qui le sont à toutes les heures, doivent être qualifiés ainsi. Lui est poète en la manière qui convient à un homme sérieux, c'est-à-dire quand il lui plaît, comme il lui plaît et sans y tenir le moins du monde. Il n’a même pas besoin d’y toucher. Il y a des domestiques pour ça. Inutile de lire, ni d’avoir lu, ni seulement d’être informé de quoi que ce soit. Il suffit à cet homme de s’exhaler. L’immensité de son âme fait craquer l’azur. Mais il y a des heures pour ça, des heures qui sont les siennes, celle de la digestion, entre autres. Quand sonne l’heure des affaires, qui est l’heure grave, les couillonnades sont immédiatement congédiées. — Être poète à ses heures, rien qu’à ses heures, voilà le secret de la grandeur des nations, me disait dans mon enfance, un bourgeois de la grande époque. |
Léon Bloy : Exégèse des lieux communs (1902) |
Il suffit à cet homme de *s’exalter*, pas de s'exhaler (je passais sur votre blog).
RépondreSupprimerMon cher Il Palazzo, merci pour votre remarque. J'ai été vérifier dans l'édition à ma disposition (Œuvres, au mercure de France, en 1968) puis dans le texte reproduit sur Gallica (Même éditeur, 1902) et il est bien écrit "s'exhaler". Cela peut très bien être une coquille de la part de Bloy, celle du prote de l'édition princeps, mais après tout, même si cela paraît étrange au premier abord, l'exhalaison semble plus appropriée en la circonstance.
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