Polope ! : Attention.
Géo
Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot
moderne (1953)
lundi 16 juin 2014
vendredi 13 juin 2014
jeudi 12 juin 2014
Une défense de Godard
J’avais soumis le texte de
Benayoun, reproduit ici,
à Jean-François Cassat, philosophe et amateur de Godard. Voici ses
brillants
commentaires que j’aurais beaucoup regretté de ne pouvoir reproduire.
J’ai eu
grand plaisir de lire cette contradiction…
Elle fait suite à une conversation et à la transmission de l'article de Positif
il y a quelques temps, il ne tient par conséquent pas compte de l’actualité et c'est tant mieux. J'ai respecté la typo de l'auteur pour
les titres et les noms.
Quelques remarques à propos de Godard et des Rhinocéros …
(à partir d’un texte de R. Benayoun paru dans la revue « Positif » en 1966).
J.F. CASSAT, Décembre 2013.
1959/1960 : « J’ai oublié ma brosse à dents », dit-elle. Quel début que cette phrase idiote en apparence dans la bouche d’une femme sibylline qui, à peine sortie de la voiture de son amant officiel, vient rendre visite à son fantôme de héros - que d’ailleurs elle a téléphoniquement livré à la Police. Premier Godard connu. Premier meurtre inaugural. Première allusion aux films dits de « série B ».
Parmi ceux que le cinéma concerne, cet énoncé presque terminal d’À bout de souffle, qui précède de peu, dans l’ordre du montage, l’assassinat bâclé qui conclut le film, sonne comme un consternant message prononcé par une Jean Seberg insaisissable à destination d’un Belmondo lippu fraîchement descendu de ses rings de boxe pour traîner sa dégaine dans les sphères du septième art. Volonté subversive ? Mise à l’épreuve de quelque vérité nouvelle ? Désacralisation d’un art capable d’élaborer le mystère dans l’alchimie de l’espace et du temps ? De quoi s’agissait-il donc dès le départ autour de ces silhouettes stériles à peine sorties des limbes : Marionnettes insalubres échappant à l’imagination d’un ethnologue introverti ? Ou bien figures démonstratives annonçant un new âge ? Ces questions pointent l’ambiguïté qui caractérisera toute l’œuvre ultérieure de Godard, qu’il serait pourtant impossible de réduire aux artifices d’une prétention savante, ou de résumer à un ésotérisme décidé.
En ces temps pas si lointains pour certains, une forte fièvre hantait les salles obscures : les règles de la narration évoluaient (montage syncopé, caméra à l’épaule etc.), se reformulaient (par allusions, litotes, citations), ou bien mutaient dans un bouleversement de langage, dont les exemples littéraires avaient ouvert la voie. Cette volonté délibérée de défaire les genres et d’estomper les références au nom de nouvelles exigences, Godard en témoignait d’emblée par sa prétention à réinscrire le cinéma dans le paysage émergeant où les drugstores et les voitures (américaines notamment) devenaient des références centrales de la civilisation urbaine. Dans le même temps, la crédibilité du héros s’étiolait ou s’évaporait.
Cette annonce de radicalité - factice selon les uns, opérante pour les autres - , explique en partie le retentissement considérable du film et sa notoriété qui se traduisait, dès sa sortie, dans l’alternance des panégyriques et des condamnations aux gémonies. Entre éloges et exécration, Godard n’était pas encore ce créateur d’arrière-cour et d’arrière-pensée qu’il deviendrait par la suite dans les cercles cinéphiles. C’était plutôt ce grand oiseau austère perché sur une patte comme en témoigne la photographie où il apparaît en compagnie de G. De Beauregard, son producteur, longtemps affichée dans un cinéma de Saint Germain des Près.
Il affirmait les droits d’une intellectualité conquérante, et l’on dénonçait déjà ici ou là sa pédanterie d’héritier. Surtout quand il citait Merleau-Ponty et Husserl, pour leurs recherches philosophiques sur le thème de la « foi perceptive ». Mais les snobs des cafés parisiens, pour agités qu’ils fussent, ne l’avaient pas encore transformé en saint, voire en martyre, de la modernité. Il est vrai qu’en dialogue avec les grands maîtres (en Europe : Bergman, Antonioni, Fellini), et avant l’essor médiatique d’aujourd’hui, le nouveau cinéma se développait dans les chapelles et les cryptes. Si bien que le partage esthétique demeurait religieux, tant en séparant qu’en rassemblant. Il y allait de ce que Merleau-Ponty avait, dès 1945, interrogé, entre peinture et cinéma : de la « chair des images » (pour reprendre le titre du récent travail de Mauro Carbone, qui en explore les enjeux ontologiques). Dans un petit monde complaisant à l’égard des sentences germanopratines, mais encore relativement avare d’images, sinon de signes, le cinéma cultivait l’imaginaire, lui donnait corps, et réaffirmait ce qu’il avait toujours été depuis au moins « l’Age d’or » et « Entracte »: un lieu d’exclusion ou de communion, comme l’avait été le théâtre pour la cité grecque. Dans ce contexte de polémique et d’assomption, la passion de Godard pour l’ethnographie (qu’il étudia, un temps, à la Sorbonne), était trop oubliée, ainsi que son intérêt pour D. Vertov ou Jean Rouch. A peu près seul, semble-t-il, Luc Moulet écrivait dans LES CAHIERS d’Avril 1960 : « A bout de souffle, c’est un peu « Moi, un blanc », ou l’histoire de deux «Maîtres fous ». Le travelling devenait-il pour autant une affaire de morale ? Ou bien ces images presque désincarnées et surchargées de références, enfermaient-elles dans un sépulcre intellectualiste le présent qu’elles prétendaient exprimer ?
1965 : Même ambiguïté, mêmes célébrations, mêmes anathèmes, pour « Pierrot le fou ». Voici qui nous reconduit à l’écrit de R. Benayoun, étincelante diatribe !
Même si ce texte, peu argumentatif, précipite les allusions et les métaphores, il semble se développer comme un feu d’artifices dont le bouquet final laisse un peu groggy. C’est un obus festif dont les gerbes partent à l’assaut du ciel noir de la bêtise. Toujours en face, la bêtise, sur le front opposé, et vive l’offensive ! et même l’avant-garde !
Offensive jubilatoire qui semble se développer sur deux lignes en même temps. D’une part, les cas pathologiques : Godard donc. Avec en filigrane pernicieux un certain Céline : maladie collabo. Aragon (le directeur des Lettres Françaises ayant adoubé le cinéaste) : maladie Staline. Plus le cas subliminal de Malraux que Benayoun déteste (sans l’avoir compris, mais peu importe).
Maladie : De Gaule. Sur ce point, le diagnostic médical est sévère, mais uniquement d’ordre politique. On attend l’ordonnance…
Cependant, et pour aller à l’essentiel, il y a plus encore, et de quoi retenir l’attention éparpillée par tant de brillantes allusions (le public décrié n’en peut mais) : Godard serait aussi atteint de la plus insidieuse de nos maladies morales, de la moins pardonnable de nos infections politiques : il serait sournoisement porteur du virus de l’ « anarchisme de droite »… Or, il ne s’agit pas seulement de contester cette catégorie étiologique, qui fait débat chez les historiens (peu enclins à l’accepter, si l’on en croit un P. Ory qui en a retracé la genèse)…Mais de savoir si possible de quoi on parle. Il se pourrait que l’erreur de diagnostic soit flagrante. Oui, docteur.
Il s’agirait en fait de tout autre chose : et notamment (aujourd’hui) de revenir aux étapes par lesquelles, avant 1968, puis dans les années immédiatement suivantes, Godard affirmera son projet de « faire politiquement du cinéma », ce qu’il avait d’ailleurs commencé dès le départ, mais sans fanfaronner. En effet, il n’a jamais cessé, au grand dam de ses pourfendeurs, de chercher à intégrer certains apports des sciences humaines dans sa dénonciation de la société marchande (et de la prostitution). Dès 1962 par exemple dans un long plan-séquence de Vivre sa Vie, le philosophe Brice Parain, traducteur de Platon, évoque, à demi-mots, dans la lumière oblique d’un bistrot, la problématique du « Sophiste », pour une Anna Karina aérienne et prostituée… Premier café philosophique, ou réduction de la pensée à des propos d’arrière salle ? Ambiguïté, toujours. Cependant cette allusion symptomatique range Godard du côté des sophistes ce qu’il est en effet, puisqu’il s’efforce de travailler sur une certaine lisière, celle des langages, et du côté de ceux qui scrutent la frontière incertaine des images, des signes, et du monde social. A partir de l’exemple précédent, on doit refuser l’hyperbole qui fait de la prostitution le « premier métier du monde », et le symbole de tout travail. C’est la sophistique de Godard. Mais on doit aussi reconnaître l’intelligence d’une démarche qui cherche à interroger autrement le politique, dans les sables mouvants de la relation sociale, du jeu des pouvoirs, l’éclat des gestes et l’essor des paroles, la lumière des visages ou le poids des attitudes. Il est d’abord question de cela chez le Godard cinéaste, monteur, metteur en scène. Ce qui n’est pour certains que parodie et bavardage, relève en fait d’une exploration sensible de la relation humaine et de l’artifice social. Et plus particulièrement, d’un soupçon sur le corps colonisé par le discours : l’art, fût-il simple montage, est une occasion privilégiée, qui nous invite à démonter tous les artifices, à aimer ou à décevoir l’illusion du monde imaginaire pour mieux appréhender notre condition. Ainsi, le langage, verbal et non verbal, désigne autant un destin qu’il qualifie une expérience : dans cette bifurcation signifiante où l’humain s’affirme, et parfois se dissout, la vérité, ne peut que se « mi dire » ( selon l’expression de J.Lacan).
Il serait donc, répétons- le, très faux de faire de Godard le Monsieur Jourdain assumant la prose d’un monde sans esprit, ou le faux prophète ouvrant des livres sans les comprendre (comme Michel Piccoli dans sa baignoire, lisant Elie Faure, cf : Le Mépris). Godard questionne le monde, les apparences, le temps, celui qu’il fait dans les rapports humains, celui qui passe dans une Histoire opaque. Il encourage la pensée critique jusque dans les parodies de narration tantôt allant jusqu’à un fatras informel, tantôt s’égarant à grand renfort de développements discursifs qui échappent aux codes.
Ainsi le texte de Benayoun me semble-t-il simplement « magnifique », mais au sens romain du terme : inspiré par une rare intelligence poétique, porté par une plume étincelante, il a fait date dans l’intéressante polémique entre les Cahiers et Positif. Mais il cède aux facilités du dénigrement et me semble passablement à côté du sujet.
L’erreur de diagnostic apparaît à mon sens beaucoup mieux, presque cinquante ans après ; Godard était bien à la recherche de nouvelles formes d’expression, et, mutatis mutandis, continue de retenir l’attention de bien des jeunes cinéastes. Que son œuvre reste marginale ou minoritaire importe peu : comme l’avaient fait Deleuze et Guattari dans leur éloge de la « littérature minoritaire », il me semble que nous aurions besoin, aujourd’hui, d’un éloge du « cinéma minoritaire «.
Ensuite, parce qu’une œuvre ne peut s’apprécier ni par ses commanditaires, ni par son public, mais en elle-même, dans sa signifiance propre. A ce compte-là Michel Ange et Raphael, mais aussi la plupart des grands peintres, seraient des « collabos » de l’Eglise, du pouvoir, du régime social de leur temps…
Enfin parce que le surréalisme cher à Benayoun, et qu’il propose sur l’ordonnance, a lui-même dérivé vers un académisme de l’image, et après sa période vive, dégénéré en système, s’égarant dans l’esbroufe (Dali) ou le culte du coq à l’âne cher à certains scénaristes, voire publicistes : remède contestable. Ce qui fait que même Bunuel ne peut être exempté des symptômes précédemment décrits : catatonie et régression décourageant l’intelligence, d’autant que son œuvre tardive, sortie des ciné-clubs de professeurs, s’est épanouie « sous latitudes exotiques des Champs Elysée ». Faut-il le regretter ?
Mais c’est une autre question que celle, évoquée plus haut, de la « chair des images » : et de ce que Godard par ses innovations me semble avoir ici apporté avec talent, soit qu’il convoque des acteurs désincarnés (JP. Léaud, J. Yanne,) ou des figures de la mode brusquement privées de leur aura médiatique (J. Halliday, J. Dutronc). Soit qu’il explore la pénombre, ou suive un navire qui va (comme dans le bavard mais magnifique : « Film/Socialisme », dernière œuvre, à ma connaissance, à être diffusée dans les salles parisiennes)… où la notion de personnage disparaît presque. Tout est ici à la fois risqué et délibéré. Dans une grande confusion du sublime et du dérisoire.
Il est toujours apparu à un public attentif que Godard détournait les pouvoirs du cinéma vers une forme d’interrogation philosophique. Étrange mixte de la métaphysique et du show biz : nous y sommes. Laissons à Godard le soin de perturber nos récits, d’en inventer les formes.
Adressons lui la question – celle de l’Étranger dans le dialogue de Platon : « De quel côté faut-il tourner sa pensée si l’on veut se faire une idée claire et solide de l’être ? » (Sophiste, 250, d).
A cette aune et pour un lecteur oublieux, la potion serait autre.
Il pourrait s’agir, par exemple, de découvrir à nouveau, « Je vous salue, Marie ! » (film de JLG, 1985).
J. F. C.
Ciné
Ciné : Cinéma. Ex. : Aller au ciné. On dit aussi : Se rendre au cinéma cochon.
Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l'argot moderne (1953)
Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l'argot moderne (1953)
Jean-Luc fait (encore) des siennes
Cela
faisait longtemps que Jean-Luc Godard ne m'avait pas fait rigoler.
Lorsqu'il trouve que Marine Le Pen devrait être premier ministre du
Gouvernement Hollande, nous retrouvons ce qui a été pressenti il y a presque cinquante ans par un article à la teneur prémonitoire que je prends la liberté de reproduire ci-dessous. Je ne sais pas pour vous, mais entre la commémoration de Duras, et la saillie quelque peu flaccide de Jean-Luc, je crois que nous sommes dans une configuration astrale exceptionnelle...
Pierrot le Fou
Au moment où la critique française, littéralement terrorisée par une rhinocérite aiguë, se roule au sol dans un compromis musical entre la crise de nerfs, le caprice, le pâmoison, le mal de Parkinson, le nirvâna et la colite, nous sommes heureux, à Positif, de posséder, contre cet épuisant fléau, un antidote foudroyant qui est en vente dans nos bureaux pour le prix modique d’un article d’Aragon.
N’en déplaise aux quelques belles dames emperlousées qui s’en viennent parfois, yeux révulsés et les orteils en vilebrequin, me confier brutalement que Jean-Luc Godard, Zarathoustra du mégaphone, leur procure, sans suite fâcheuse, les joies identifiables de la conception, je n’ai pas encore trouvé chez cet auteur, au timbre ferme, l’équivalent de l’éclair fugitif d’intelligence qu’on remarque dans certains états comateux au soixantième jour de sérum.
« Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire ! », ce résumé glorieux du programme intellectuel de Jean-Luc, ânonné dans Pierrot le Fou par une Karina ramenée au perroquet, devient un Évangile de la régression. Le processus de répétition, de morne plaquage, de mise bout à bout, que quelques très ratatinés bas-bleus on le front d’appeler collage, est devenu l’hilare système de pensée de notre actuel régime castrateur, où le fourre-tout, méthode favorite d’André Malraux, engendre chez nos maîtres à penser une catatonie toute voisine de la momification. Godard, en assemblant un puéril scrapbook de calembours, de réflexions stupides empruntées à ses amis, et de bonnes pages cérébrales, passe pour dominer un matériel qui, en fait, le domine, lui, et devient le lauréat gaulliste d’un cinéma-drugstore, ou self-service, qui représente obstinément la France dans les Festivals internationaux (puisqu’il fabrique désormais un film par festival). Il n’y a plus de choix possible, on nous le dit en toute démagogie : ce sera Godard ou le néant (1).
Personnellement, je ne vois là aucune alternative. Il y Godard (autrement dit le Néant) et il y a, d’autre part, un certain cinéma français qui va de Malle à Cavalier, en passant par Enrico, Jessua, Resnais, Marker, Allio, Gatti et que l’on peut facilement définir comme l’anti-Godard, sur le plan intellectuel comme sur, je m’excuse, le plan moral.
En effet, au moment ou Jean-Luc, après des intermèdes moraviens ou pseudo-dreyeriens, s’en retourne à sa bonne période extrémiste du Petit Soldat ou des Carabiniers, il semble difficile de soutenir, comme l’on fait parfois, que ce Suisse indécrottable souffre d’un complexe d’indifférentisme qui le rend imperméable aux nuances de la politique. Je sais que l’élite papillonnante de notre capitale qui trouve dans le confusionnisme l’échappatoire et le vague exquis une sorte d’excitant, voudrait accréditer la notion d’une sphère irresponsable et avec de délicieux gros mots à flatter son mépris du contenu, et sa peur atroce du signifiant. Serait-il bouché à l’émeri (ce que je ne crois pas entièrement), il lui reste encore des réflexes révélateurs : celui, par exemple, de résoudre tout par l’ascendance de la force brutale : Pierrot et sa compagne traversent la France en dévalisant ou assassinant pratiquement tout le monde. La liberté qu’on vante tant chez lui n’est revendiquée que pour les cadavres, et l’anarchie « de droite » consiste à revendiquer le monde en tant qu’objet, terrain de manœuvres activiste, ou carton de cible. La fascination de Godard pour les armes à feu, les « bang ! bang ! » et le geste éliminateur (pouvant servir de conclusion à pratiquement tout situation donnée) ne traduit pas seulement sa puérilité, mais ce goût destructeur indiscriminé des imaginations stériles, chez lesquelles elle remplace toute activité créatrice réelle, toute générosité.
Ce niveau infantile cultivé artificiellement dans l’ombre de Céline, est à la foi un alibi et une facilité. L’emploi inoffensif des jeux de mots du genre « Allons-y, Alonzo » cache des détournements plus hypocrites. Godard déprécie les bandes dessinées dans le même sens que les tableaux militaristes en « comics » du peintre Roy Lichtenstein(2). Dans son recours aux Pieds-Nickelés, il raye à fort bon compte une image souriante des forces libertaires, au profit de Pierrot, personnage veule, bas, dénué de charme et dont l’inconscience est poussée jusqu’à l’aphasie mentale, même si, par pur snobisme on lui fait lire Elie Faure ou déclamer Lorca. De même l’anecdote poujadiste sur les cosmonautes russo-américains, qui renvoie commodément (comme dans Alphaville) le communisme et le capitalisme dos à dos, l’allusion complaisante aux gaietés de la baignoire, le sketch minable de Belmondo et Karina sur la guerre du Vietnam, se parent des attributs de l’imbécillité, milieu ambiant de Jean-Luc et de ses laudateurs, mais révèlent un certain nombre de nostalgies, certes végétatives, mais qui dépassent de beaucoup le stade de l’embryonnaire.
J’ai parlé de Céline. Dans l’admiration que Godard voue à ce cabot surestimé, il y a le vœu secret de pouvoir faire passer, si j’ose dire, dans le mouvement de déballage pêle-mêle de tout ce qui se présente à lui sur le plateau ou dans les quotidiens, une certaine idée de l’automatisme, bref à fabriquer de la spontanéité, dans un recours filmé au happening dont on sait qu’il est le recours ultime des ratés qui sabotent l’art pour n’avoir pas à l’approcher. Or l’automatisme, les surréalistes l’ont bien prouvé, n’est pas à la portée de tous les inconscients. Pour le pratiquer, il faut être poète, on ne devient pas poète en le pratiquant. Le cinéma de Godard, c’est le cinéma de quelqu’un qui cherche sans trouver (Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve. »), et qui remplace l’appréciation de la trouvaille par une jubilation de l’inaccompli et du salopé, laquelle n’existe que chez les partisans de l’ordre, de l’académisme et de l’officiel.
Á ce propos, il faudrait tout de même que l’on explique à Aragon que, dans le vrai « collage », l’image poétique ne se forme qu’à partir de deux réalités distantes, lesquelles se situent l’une l’autre, selon une dialectique secrète inaccessible à un simple manieur de ciseaux. Faire un collage, ce n’est pas coller n’importe quoi, n’importe où. Si on peut parler de collage à propos de la séquence finale de Duck Soup ("Á la Rescousse !"), ou à propos de la carte postale des Champs-Élysées dans La Mort en ce Jardin, on verra dans les deux cas une image-choc reproduire, non par la force du montage, c'est-à-dire de la « collure », mais par le choix de deux, ou plusieurs réalités en totale rupture, et qu’éclaire une vraie conscience de l’absurde et de l’irrationnel. Á l’ère du Traité du Style, Aragon eût pu apprécier ce genre d’illumination poétique, mais l’actuel Aragon est à la mesure du Delacroix que Baudelaire velléitaire, il s’est ridiculement choisi dans une page mémorable et burlesque. Les faveurs d’un grand « diminué » de la littérature ne manquent pas de pathétique, il est bien vrai. Le titre de gloire, en 1965, le vrai certificat d’authenticité intellectuelle, ce serait de n’être pas compris par Aragon.
Á ce jour, les films de Godard représentent une inadéquation complète de l’homme au matériel hétéroclite qu’il prétend manipuler au petit bonheur, une prise de parole basée sur la certitude sereine de n’avoir rien à dire (ce n’est pas en parlant que l’on devient causeur), un désir rétrograde de faire passer l’intelligence et la responsabilité au rang des accessoires ornementaux ou superflus. Godard, qu’il veuille faire du chic et du joli avec de l’incompris et du refoulé, incarne un tripotage particulièrement lamentable des formes expressives, une déchéance du goût, de l’analyse et de la conscience qui pouvait faire croire à une crise de l’entendement, si elle affectait autre chose qu’une coterie gesticulante et démultipliée, celle qu’on catalogue dans le « Tout-Paris » parce qu’elle s’étourdit de son propre bruit, et que l’on peut doter, comme dit Ducasse, d’une notable quantité d’importance nulle. Á Venise, Pierrot le Fou faisait ce qu’on appelle, charitablement, un bide. Les moyens d’intimidation qui fonctionnent sous les latitudes exotiques des Champs-Élysées n’y ont encore conditionné que les cerveaux mous et les défectueux du bout de gras. Il est vrai que ces derniers ont le coup de téléphone plus rapide que la fusée Diamant, et le cri plus strident que le Mystère à réaction. Mais Etaix et Chabrol nous enseignent un sain usage des boules Quiès. Installons-nous tranquillement dans la cybernétique à venir : 3 films par an, 3 festivals, 3 grands prix à dormir debout pour les jurés, 33 articles utilisant 3.333 épithètes dithyrambiques que nous livre Littré, 33 titres interchangeables pour les tableaux que cite Louis Aragon, 333 orgasmes pour Cournot. Qui se lassera le premier ? Je me pose la question avec l’angoisse fébrile, l’œil hagard et le sérieux d’Albert Neumann.
PIERROT LE FOU , France, 112 mn, 1965. Réalisation et scénario : Jean-Luc Godard, d’après Lionel White. Chef opérateur : Raoul Coutard (Techniscope et Eastmancolor). Musique : Antoine Duhamel. Montage : Françoise Colin. Interprètes : Anna Karina (Marianne), Jean-Paul Belmondo (Ferdinand), Dirk Sanders (Le Frère), Raymond Devos, Roger Dutoit, Samuel Fuller. Production : G. de Beauregard. Distribution : S.N.C.
Robert Benayoun, in : Positif n° 73, Février 1966
__________
Notes :
(1) Le parallèle s’arrête là : il n’y a point de gauche (hors Positif) pour faire face au lauréat d’Etat. On sait que les Lettres Françaises, depuis belle lurette, sont devenues le dernier bastion de la réaction. L’Observateur est devenu l’aile droite des Cahiers du Cinéma et France Nouvelle, pour ne pas chagriner de bon Louis A., censure Casiraghi, son correspondant à Venise, qui éreintait Pierrot le Fou avec une insistance fâcheuse.
(2) Ce dernier s’exprime volontiers à la Jean-Luc Godard : « Je ne prends pas très au sérieux les prototypes fascistes, et je les utilise pour des raisons purement formelles. » (Art News, nov. 1963)
__________
Notes :
(1) Le parallèle s’arrête là : il n’y a point de gauche (hors Positif) pour faire face au lauréat d’Etat. On sait que les Lettres Françaises, depuis belle lurette, sont devenues le dernier bastion de la réaction. L’Observateur est devenu l’aile droite des Cahiers du Cinéma et France Nouvelle, pour ne pas chagriner de bon Louis A., censure Casiraghi, son correspondant à Venise, qui éreintait Pierrot le Fou avec une insistance fâcheuse.
(2) Ce dernier s’exprime volontiers à la Jean-Luc Godard : « Je ne prends pas très au sérieux les prototypes fascistes, et je les utilise pour des raisons purement formelles. » (Art News, nov. 1963)
mardi 10 juin 2014
Où le Tenancier raconte des choses sur lui-même, sur ce qu'il a vu, sur ce qu'on a entendu et où cela finit par une complainte qui le fait doucement rigoler
Á Yan Lindingre, en toute sympathie.
p.s. : Quelques temps après cet épisode, je croisai ce type dans un un mini-raout. Franc comme un âne qui recule, il vint vers moi et me dit :
« — Ah, salut, comment tu vas ?
Je marquai un temps, et puis :
— Nettement moins bien, tout à coup ».
C'est drôle, mais — était-ce le ton de ma phrase — il n'arrivait plus tellement à me reconnaître, par la suite...
Crédit d'illustrations : Justin Gerard (trouvées sur ce blog)
Le Tenancier dans sa folle jeunesse a milité pour les Amis de la Terre, très brièvement, on vous rassure, le temps de s’apercevoir
que le type qui dirigeait le bouzin en faisait un piège à gonzesses, chose en
somme peu répréhensible, mais quand on a dix-huit ans on se sent un peu
intégriste. La scène à laquelle il assista rue de La Bucherie prit la valeur
d’une scène fondamentale quant à sa propre philosophie politique. Le type, lui,
a continué vers d’autres râteliers plus conformes à sa situation sociale et
aussi sans doute parce que les grandes écharpes à la Bruant, le patchouli et
les robes de chez Anastasie commençaient à passer de mode. Votre Tenancier —
qui ne l’était pas encore, mais un exalté un peu béjaune — était déjà loin. Il
se rapprocha de mouvances où l’on coure très vite car il considérait que la
discussion, ça va cinq minutes et que les écolos, en somme, l’emmerdaient bien
plus que l’écologie, mais il faut dire qu’il fût salement éduqué politiquement
dans le refus de l’autorité, même « amicale ». Ah ! La
suggestion amicale, justement, le potlatch, la main dans le dos… Pendant que
des organismes à trois lettres (C.R.S., C.G.T., etc.) nous marquaient à la
culotte, au début des années 80, dans une improbable course vers des jours pas vraiment radieux, d’autres faisaient le compte mesquin de leur rapacité en investissant — et le mot est choisi —
dans une rente de sympathies et de copinages.
Le Tenancier a mauvais caractère, c’est là son moindre
défaut. Il ne se fit pas trop de potes et son réseau amical n’avait que faire
de la comptabilité des services rendus ou à rendre. Il préférait l'amitié. Le Tenancier est un sentimental. Preuve qu’il était un vieux
con avant la lettre, il ne bougea pas trop dans ses convictions. Il fut
toutefois forcé de convenir qu’il courait moins vite, moins loin et qu’il commençait
à confondre l’odeur des merguez du Premier Mai avec l’odeur des lacrymos
insurrectionnels. Il ne se rangea point trop, mais se calma par la force des
choses et aussi par les accidents de l’existence. On sait que votre Tenancier
fréquentait Radio Libertaire et que cette fréquentation n’était ni par intérêt
ni par accident mais parce que c’était des membres
de la famille. Il y fit la technique, des émissions, s’engueula, claqua la
porte, revint, fit autant de « euh » (on appelle ça des
« omelettes ») au micro que tous les autres… Pas de nostalgie,
pourtant. C’était bien, mais après presque quinze ou seize ans à faire de la
radio, il était temps pour votre Tenancier chéri de faire autre chose, comme
faire de la petite édition, et toutes ces sortes de choses. Du reste, passer
autant de temps à la radio revenait à devenir une sorte de fonctionnaire. Vous
voyez d’ici l’exaltation… d’autant que si la permanence est justifiable au
nom du militantisme, elle l’est moins dès lors qu’il s’agit de pérorer sur la
culture et le reste. Le retrait est souvent nécessaire pour se renouveler. Je
n’avais donc que trop duré.
Pourquoi je vous raconte tout ça, soudainement ? Oh,
pas grand-chose, simplement par l’effet d’un amusement passager à propos d’un
type qui vient de perdre son boulot. C’est cruel de perdre un travail n’est-ce
pas ? C’est que j’eus à côtoyer ce pauvre type — j’aurais pu écrire
« pauvre garçon » mais la charité n’est pas une vertu reconnue par la
Première Internationale — à la radio pendant un bref moment.
Le lecteur de ce blog s’en souvient, le Tenancier avait
animé une suite d’émissions autour de la SF avec des titres un peu bêtes mais
au contenu un peu travaillé. Il fallait savoir également qu’il n’était nullement
question de revendiquer une quelconque exclusivité sur l’antenne. Tout le monde
avait bien le droit de parler de temps en temps du sujet d’un autre et je ne
m’en suis pas privé non plus. Seulement l’arrivée à l’antenne d’une émission
animée par ce triste personnage avait suscité quelques inquiétudes dans notre équipe.
Le type avait de l’entregent, des manières cauteleuses et un carnet d’adresse
fourni dans le milieu de la SF. On me rassura, en premier chef l’intéressé.
Ainsi, ce ne serait qu’une émission littéraire, voyons, certes, on parlera de
SF, mais également d’autre sujets sans exclusive ! On est cool, tu vois, on est du même monde. Du
même monde, vraiment ? Dans mon imaginaire obtus, le fait d’être cool n’était pas vraiment un blanc-seing
pour que ce type qui était en train de me passer la main dans le dos devienne
un pote, tu vois. On sentait dans le propos pseudo amical poindre la
condescendance vis-à-vis des « bricoleurs » que nous semblions à ses
yeux. Malgré notre défiance, tout se passa bien les premiers temps. Certes, des
auteurs comme Emmanuel Jouanne et d’autres furent invités à cette émission mais
le contrat nous semblait observé car d’autres littératures étaient abordées
souvent avec talent, ce talent qui allait lui servir pour son propos et, plus
tard, ses ambitions… ou presque.
On se doute bien de ce qui arriva ensuite. Des invités qui
ne se pointèrent pas au studio à plusieurs reprises, des rumeurs… Je finis par
enregistrer au téléphone les propos d’un des invités qui nous avait posé un lapin et le
faire entendre au secrétariat de la radio. Le procédé n’était certes pas
élégant car je n’en avais pas averti la personne, mais je n’avais guère le
choix pour démontrer ce qui s’était passé, à savoir que notre « pote »
si cool faisait courir des propos négatifs sur notre émission et sur ses
animateurs. Le type a arrêté la sienne après que nous avions fait état de cette duplicité.
Je ne remercierai jamais assez le secrétariat de la radio d’avoir réagi comme
son éthique le demandait et non d’avoir répondu à la flatterie que ce nom
pouvait lui rapporter.
Le type a continué sa carrière de folliculaire ici et là et principalement dans une revue, depuis les années 70. Il vient d’en être viré, sans doute par manque de renouvellement — je sais que ce n’en n’est pas forcément la raison, mais l’idée est irrésistible, voyez-vous. Il pleure. C’est drôle, cet écoulement lacrymal, c’est pittoresque. Le type a l’âge de la retraite, est ancien député (cool, tu vois, mais assez vigilant sur la progression de carrière, c’est ça l’écologie, hein !) et vient me dire qu’il va avoir du mal à payer son loyer ? Comme si c'était le seul, comme si ça ne pouvait tomber sur lui ? Pas réélu, au chômage (Et, soi-disant, à refuser des indemnités pour ne pas couler un revue… reprise par un grand groupe d’édition — quel jobard peut gober ça ? Ne parlons pas du délire sur ces indemnités auxquelles il prétend.), ce garçon va pouvoir écrire ses mémoires. Ou mieux, je lui recommande de changer de bord comme son glorieux prédécesseur à la tête des Amis de la Terre, songeant que son arrivisme peut encore faire des étincelles. Encourageons les initiatives et faisons du neuf avec du vieux, du très vieux, du blet, ça ne nous changera guère, cela dit.
Le type a continué sa carrière de folliculaire ici et là et principalement dans une revue, depuis les années 70. Il vient d’en être viré, sans doute par manque de renouvellement — je sais que ce n’en n’est pas forcément la raison, mais l’idée est irrésistible, voyez-vous. Il pleure. C’est drôle, cet écoulement lacrymal, c’est pittoresque. Le type a l’âge de la retraite, est ancien député (cool, tu vois, mais assez vigilant sur la progression de carrière, c’est ça l’écologie, hein !) et vient me dire qu’il va avoir du mal à payer son loyer ? Comme si c'était le seul, comme si ça ne pouvait tomber sur lui ? Pas réélu, au chômage (Et, soi-disant, à refuser des indemnités pour ne pas couler un revue… reprise par un grand groupe d’édition — quel jobard peut gober ça ? Ne parlons pas du délire sur ces indemnités auxquelles il prétend.), ce garçon va pouvoir écrire ses mémoires. Ou mieux, je lui recommande de changer de bord comme son glorieux prédécesseur à la tête des Amis de la Terre, songeant que son arrivisme peut encore faire des étincelles. Encourageons les initiatives et faisons du neuf avec du vieux, du très vieux, du blet, ça ne nous changera guère, cela dit.
Pourquoi je ne compatis pas à ça, avec un mec qui a voulu me
marcher sur la gueule ? Et pourquoi donc je me dis qu’on est vraiment pas
du même monde ?
A part ça, je reprendrais bien une coupette, tiens…
___________
p.s. : Quelques temps après cet épisode, je croisai ce type dans un un mini-raout. Franc comme un âne qui recule, il vint vers moi et me dit :
« — Ah, salut, comment tu vas ?
Je marquai un temps, et puis :
— Nettement moins bien, tout à coup ».
C'est drôle, mais — était-ce le ton de ma phrase — il n'arrivait plus tellement à me reconnaître, par la suite...
Crédit d'illustrations : Justin Gerard (trouvées sur ce blog)
lundi 9 juin 2014
Balancer
Balancer : Éconduire, renvoyer
Géo sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l'argot moderne (1953)
__________
Balancer : v.a. 1. Dénoncer, moucharder — Exemple : Totor tombe pour six marqués, c'est le fourgue qui l'a balancé.
A amené la création de « balanceur-euse » : Dénonciateur, dénonciatrice
2. Envoyer — Exemple : Comme le cave se rebiffait, y a fallu balancer la purée.
3. Offrir — Exemple : C'est une gisquette de classe, je lui ai balancé une corbeille de roses de cinq raides.
Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)
Géo sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l'argot moderne (1953)
__________
Balancer : v.a. 1. Dénoncer, moucharder — Exemple : Totor tombe pour six marqués, c'est le fourgue qui l'a balancé.
A amené la création de « balanceur-euse » : Dénonciateur, dénonciatrice
2. Envoyer — Exemple : Comme le cave se rebiffait, y a fallu balancer la purée.
3. Offrir — Exemple : C'est une gisquette de classe, je lui ai balancé une corbeille de roses de cinq raides.
Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)
samedi 7 juin 2014
Pour saluer un centenaire
« L’apologiste sénile des infanticides ruraux »
Pierre Desproges
« Mme Duras démontre comment il est possible, voire inéluctable, que l'on devienne Médée parce que l'on s'ennuie le dimanche et que l'on s'embête les autres jours de la semaine. Voici donc une inculpée accédant au sublime par le biais de la mythologie, et dédouanée de ce fait : Mme Duras en admire la sauvage grandeur, et tartine sur des pages et des pages un jargon néo-analytique, de facture contemporaine en apparence, mais dont l'inspiration, en réalité, remonte à 1900. Un écrivain de cette époque, le "décadent" Pierre Louÿs, a glorifié dans une nouvelle l'attitude d'un sculpteur d'Athènes, bourreau de ses esclaves, qui, un beau matin, reçut une délégation de ses compatriotes venue protester. En guise d'excuse, il présenta la belle statue d'un moribond qu'il avait pu créer grâce à une observation directe de la douleur, suppléant à la panne de son inspiration. Que saignent les corps et les coeurs, pourvu que l'on signe! Ainsi, grosso modo, procède Mme Duras, dont l'esthétisme chichiteux, qu'elle transforme en morale, n'aboutit qu'à desservir son héroïne auprès d'une opinion divisée et troublée. Car bien peu seront sensibles à la poésie de l'infanticide considéré comme l'un des beaux-arts ou comme une récréation dominicale. Et beaucoup ne retiendront qu'une certitude de culpabilité de cette compréhension décrétée par avance, en attendant les conclusions de la justice. »
Angelo Rinaldi : Article dans l’Express (1985)
« Je ne verrai jamais François et Roselyne L. Je ne l’ai pas vue non plus, leur émission où ils disaient le chômage. Je ne reçois plus la cinquième chaîne parce que l’orage a cassé mon antenne, en décembre, je crois. On m’a quand même raconté le lendemain. C’était un couple. Je les devine. Ils étaient deux, c’est sûr. Il y avait lui et elle. On les avait assis là, devant la caméra qui les filmait. Elle devait avoir son manteau de lapin. Lui il était en cuir, de l’agneau du Yorkshire dans doute. Il disait : « C’est l’argent qui manque. Je vais donner l’enfant qu’elle porte encore, elle, Roselyne » Il donnait l’enfant pour travailler. En face il y avait un public. C’était un jury qui les condamnait. Déjà, ils étaient en prison.
[…]
C’était là, dans cet immeuble. Je l’ai ressenti d’abord. Au troisième étage, sûrement. On voyait bien les fenêtres. J’ai crié quand j’ai vu la fenêtre de la cuisine. C’était là, dans la cuisine, qu’ils ont pris la décision.
Ça devait être le matin, ou peut-être le soir, sans doute, quand elle, elle rentrée de chez le médecin. Elle a dû payer le médecin pour qu’il lui apprenne l’horrible nouvelle. « Ces vomissements, c’est un enfant. » Il a dit ça, le médecin. Je l’entends. Un enfant, ça commence toujours par un malaise. On va vomir. On a envie de chocolat. Il paraît que ça se passe toujours comme ça. Toujours. Toujours ce malaise-là. Il faut comprendre comme ça ces choses. »
Patrick Rambaud : Virginie Q. (1988)
« J'ai le souvenir, pour ma part, d'avoir eu connaissance du passé collaborationniste de Duras par une note en bas de page figurant dans la biographie de Gaston Gallimard, due à Pierre Assouline. C'était en 1984. Il y était fait allusion à l'existence de cette commission de la Propaganda Staffel où avait officié la jeune Marguerite Donnadieu, épouse Antelme, commission mise en place par un décret du maréchal, après la préalable aryanisation des maisons d'édition juives (Nathan, Calmann-Levy), puis prise en mains par les nazis. Son attribution : le contrôle du papier d'édition. Elle constituait ainsi un véritable organisme de censure qui épluchait les manuscrits reçus et avait la charge de distribuer le papier aux seuls "bons" éditeurs (entendons ceux qui avaient accepté, de leur plein gré, de retirer de la vente et ne plus publier les auteurs inscrits sur les listes dites "Otto" et "Bernhard", à savoir les auteurs juifs, communistes, ou ceux ayant eu par le passé une attitude critique à l'égard de l'Allemagne et de sa culture). " Marguerite, écrit Laure Adler dans la biographie qu'elle lui a consacrée, ne pouvait ignorer le degré de collaboration de cet organisme constamment surveillé par la Propaganda ". Paul Morand eut des responsabilités dans cette commission dirigée par un collaborateur notoire. Les noms de Ramon Fernandez, Brice Parain, Dionys Mascolo figurent dans la liste de la quarantaine de lecteurs accrédités par ladite commission. Quand à la secrétaire de celle-ci, c'était notre Marguerite Donnadieu-Antelme, qui deviendra plus tard l'intraitable résistante Marguerite Duras, l'impitoyable tortionnaire de collabos, puis la militante communiste (stalinienne, forcément stalinienne ?) pure et dure. Ne manquant pas d'aplomb, à la Libération, l'incorruptible communiste s'en prendra avec une farouche énergie à tous ces veaux de Français qui n'avaient pas ouvertement pris parti contre Pétain [...]. »
Jacques Henric : Politique (2007)
« L’homosexualité est, comme la mort, l’unique domaine exclusif de Dieu, celui sur lequel ni l’homme, ni la psychanalyse, ni la raison ne peuvent intervenir. L’impossibilité de la procréation rapproche beaucoup l’homosexualité de la mort… Il manque à l’amour entre semblables cette dimension mythique et universelle qui n’appartient qu’aux sexes opposés : plus encore que son amant, l’homosexuel aime l’homosexualité… Je l’ai déjà dit, c’est la raison pour laquelle je ne peux considérer Roland Barthes comme un grand écrivain : quelque chose l’a toujours limité, comme si lui avait manqué l’expérience la plus antique de la vie, la connaissance sexuelle de la femme ».
Marguerite Duras
« Marguerite Duras n'a pas écrit que des conneries. Elle en a aussi filmé… »
Pierre Desproges
« Au fil de la conversation, un autre sujet se fait jour ; d'abord dans la confusion, puis de façon de plus en plus obstinée. Marguerite Duras veut parler politique : la politique française, la politique internationale. En particulier, elle veut parler de Reagan, dire sa fascination et affirmer son soutien aux bombardements américains en Libye. Mitterrand fait la moue, Duras revient à la charge une fois, deux fois et, finalement, le sujet occupe la totalité du dernier entretien. « Moi, j'aime l'Amérique, je suis reaganienne.» Mitterrand : « Je crois m'en être aperçu ». Duras : « (Reagan) incarne une sorte de pouvoir primaire, presque archaïque.» C'est après cette ultime discussion que Mitterrand, excédé, décida d'arrêter les frais, tandis que Michel Butel, fondateur de l'Autre Journal et maître d’œuvre des entretiens, s'en prit dans les colonnes de son hebdomadaire au proaméricanisme compulsif de l'intervieweuse de luxe. Pour ou contre l'Amérique, pour ou contre les bombardements : vingt ans plus tard, ce point de cassure résonne avec une familiarité presque effrayante. »
Éric Aeschimann : Article dans Libération (2006)
Pierre Desproges
« Mme Duras démontre comment il est possible, voire inéluctable, que l'on devienne Médée parce que l'on s'ennuie le dimanche et que l'on s'embête les autres jours de la semaine. Voici donc une inculpée accédant au sublime par le biais de la mythologie, et dédouanée de ce fait : Mme Duras en admire la sauvage grandeur, et tartine sur des pages et des pages un jargon néo-analytique, de facture contemporaine en apparence, mais dont l'inspiration, en réalité, remonte à 1900. Un écrivain de cette époque, le "décadent" Pierre Louÿs, a glorifié dans une nouvelle l'attitude d'un sculpteur d'Athènes, bourreau de ses esclaves, qui, un beau matin, reçut une délégation de ses compatriotes venue protester. En guise d'excuse, il présenta la belle statue d'un moribond qu'il avait pu créer grâce à une observation directe de la douleur, suppléant à la panne de son inspiration. Que saignent les corps et les coeurs, pourvu que l'on signe! Ainsi, grosso modo, procède Mme Duras, dont l'esthétisme chichiteux, qu'elle transforme en morale, n'aboutit qu'à desservir son héroïne auprès d'une opinion divisée et troublée. Car bien peu seront sensibles à la poésie de l'infanticide considéré comme l'un des beaux-arts ou comme une récréation dominicale. Et beaucoup ne retiendront qu'une certitude de culpabilité de cette compréhension décrétée par avance, en attendant les conclusions de la justice. »
Angelo Rinaldi : Article dans l’Express (1985)
« Je ne verrai jamais François et Roselyne L. Je ne l’ai pas vue non plus, leur émission où ils disaient le chômage. Je ne reçois plus la cinquième chaîne parce que l’orage a cassé mon antenne, en décembre, je crois. On m’a quand même raconté le lendemain. C’était un couple. Je les devine. Ils étaient deux, c’est sûr. Il y avait lui et elle. On les avait assis là, devant la caméra qui les filmait. Elle devait avoir son manteau de lapin. Lui il était en cuir, de l’agneau du Yorkshire dans doute. Il disait : « C’est l’argent qui manque. Je vais donner l’enfant qu’elle porte encore, elle, Roselyne » Il donnait l’enfant pour travailler. En face il y avait un public. C’était un jury qui les condamnait. Déjà, ils étaient en prison.
[…]
C’était là, dans cet immeuble. Je l’ai ressenti d’abord. Au troisième étage, sûrement. On voyait bien les fenêtres. J’ai crié quand j’ai vu la fenêtre de la cuisine. C’était là, dans la cuisine, qu’ils ont pris la décision.
Ça devait être le matin, ou peut-être le soir, sans doute, quand elle, elle rentrée de chez le médecin. Elle a dû payer le médecin pour qu’il lui apprenne l’horrible nouvelle. « Ces vomissements, c’est un enfant. » Il a dit ça, le médecin. Je l’entends. Un enfant, ça commence toujours par un malaise. On va vomir. On a envie de chocolat. Il paraît que ça se passe toujours comme ça. Toujours. Toujours ce malaise-là. Il faut comprendre comme ça ces choses. »
Patrick Rambaud : Virginie Q. (1988)
« J'ai le souvenir, pour ma part, d'avoir eu connaissance du passé collaborationniste de Duras par une note en bas de page figurant dans la biographie de Gaston Gallimard, due à Pierre Assouline. C'était en 1984. Il y était fait allusion à l'existence de cette commission de la Propaganda Staffel où avait officié la jeune Marguerite Donnadieu, épouse Antelme, commission mise en place par un décret du maréchal, après la préalable aryanisation des maisons d'édition juives (Nathan, Calmann-Levy), puis prise en mains par les nazis. Son attribution : le contrôle du papier d'édition. Elle constituait ainsi un véritable organisme de censure qui épluchait les manuscrits reçus et avait la charge de distribuer le papier aux seuls "bons" éditeurs (entendons ceux qui avaient accepté, de leur plein gré, de retirer de la vente et ne plus publier les auteurs inscrits sur les listes dites "Otto" et "Bernhard", à savoir les auteurs juifs, communistes, ou ceux ayant eu par le passé une attitude critique à l'égard de l'Allemagne et de sa culture). " Marguerite, écrit Laure Adler dans la biographie qu'elle lui a consacrée, ne pouvait ignorer le degré de collaboration de cet organisme constamment surveillé par la Propaganda ". Paul Morand eut des responsabilités dans cette commission dirigée par un collaborateur notoire. Les noms de Ramon Fernandez, Brice Parain, Dionys Mascolo figurent dans la liste de la quarantaine de lecteurs accrédités par ladite commission. Quand à la secrétaire de celle-ci, c'était notre Marguerite Donnadieu-Antelme, qui deviendra plus tard l'intraitable résistante Marguerite Duras, l'impitoyable tortionnaire de collabos, puis la militante communiste (stalinienne, forcément stalinienne ?) pure et dure. Ne manquant pas d'aplomb, à la Libération, l'incorruptible communiste s'en prendra avec une farouche énergie à tous ces veaux de Français qui n'avaient pas ouvertement pris parti contre Pétain [...]. »
Jacques Henric : Politique (2007)
« L’homosexualité est, comme la mort, l’unique domaine exclusif de Dieu, celui sur lequel ni l’homme, ni la psychanalyse, ni la raison ne peuvent intervenir. L’impossibilité de la procréation rapproche beaucoup l’homosexualité de la mort… Il manque à l’amour entre semblables cette dimension mythique et universelle qui n’appartient qu’aux sexes opposés : plus encore que son amant, l’homosexuel aime l’homosexualité… Je l’ai déjà dit, c’est la raison pour laquelle je ne peux considérer Roland Barthes comme un grand écrivain : quelque chose l’a toujours limité, comme si lui avait manqué l’expérience la plus antique de la vie, la connaissance sexuelle de la femme ».
Marguerite Duras
« Marguerite Duras n'a pas écrit que des conneries. Elle en a aussi filmé… »
Pierre Desproges
« Au fil de la conversation, un autre sujet se fait jour ; d'abord dans la confusion, puis de façon de plus en plus obstinée. Marguerite Duras veut parler politique : la politique française, la politique internationale. En particulier, elle veut parler de Reagan, dire sa fascination et affirmer son soutien aux bombardements américains en Libye. Mitterrand fait la moue, Duras revient à la charge une fois, deux fois et, finalement, le sujet occupe la totalité du dernier entretien. « Moi, j'aime l'Amérique, je suis reaganienne.» Mitterrand : « Je crois m'en être aperçu ». Duras : « (Reagan) incarne une sorte de pouvoir primaire, presque archaïque.» C'est après cette ultime discussion que Mitterrand, excédé, décida d'arrêter les frais, tandis que Michel Butel, fondateur de l'Autre Journal et maître d’œuvre des entretiens, s'en prit dans les colonnes de son hebdomadaire au proaméricanisme compulsif de l'intervieweuse de luxe. Pour ou contre l'Amérique, pour ou contre les bombardements : vingt ans plus tard, ce point de cassure résonne avec une familiarité presque effrayante. »
Éric Aeschimann : Article dans Libération (2006)
Marchand de lacets
Marchand de lacets :
Gendarme
Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)
Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)
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