Auteur
est un nom générique qui peut, comme
le nom de toutes les autres professions, signifier du bon et du
mauvais,
du respectable ou du ridicule, de l’utile et de l’agréable ou du
fatras de rebut. Ce nom est tellement commun à des choses différentes,
qu’on dît également l’Auteur de la nature, et l’auteur
des chansons du Pont-Neuf, ou l’auteur de l’Année littéraire.
Nous croyons que l’auteur d’un bon ouvrage doit se
garder
de trois choses, du titre, de l’épître dédicatoire,
et de la préface. Les autres doivent se garder d’une quatrième,
c’est d’écrire. Quant au titre, s’il a la rage d’y mettre son nom, ce
qui est souvent très dangereux, il faut du moins que ce soit sous
une forme modeste ; on n’aime point à voir un ouvrage pieux, qui
doit renfermer des leçons d’humilité, par Messire ou Monseigneur
un tel, conseiller du roi en ses conseils, évêque
et comte d’une telle ville. Le lecteur, qui est toujours malin, et
qui souvent s’ennuie, aime fort à tourner en ridicule un livre annoncé
avec tant de faste. On se souvient alors que l’auteur de l’Imitation
de Jésus-Christ n’y a pas mis son nom.
Mais les apôtres, dites-vous, mettaient leurs noms
à leurs ouvrages. Cela n’est pas vrai ; ils étaient trop
modestes.
Jamais l’apôtre Matthieu n’intitula son livre, Évangile de
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saint Matthieu ; c’est un hommage qu’on lui
rendit depuis.
Saint
Luc lui-même, qui recueillit ce qu’il avait entendu dire, et qui
dédie son livre à Théophile, ne l’intitule point Évangile
de Luc. Il n’y a que saint Jean qui se nomme dans l’Apocalypse
; et c’est ce qui fit soupçonner que ce livre était de
Cérinthe, qui prit le nom de Jean pour autoriser cette production.
Quoi qu’il en puisse être des siècles passés,
il me paraît bien hardi dans ce siècle de mettre son nom et
ses titres à la tête de ses oeuvres. Les évêques
n’y manquent pas ; et dans les gros in-quarto qu’ils nous
donnent
sous le titre de Mandements, on remarque d’abord leurs
armoiries
avec de beaux glands ornés de houppes ; ensuite il est dit un mot
de l’humilité chrétienne, et ce mot est suivi quelquefois
d’injures atroces contre ceux qui sont, ou d’une autre communion, ou
d’un
autre parti. Nous ne parlons ici que des pauvres auteurs profanes. Le
duc
de La Rochefoucauld n’intitula point ses Pensées, par Monseigneur
le duc de La Rochefoucauld, pair de France, etc. Plusieurs personnes trouvent mauvais qu’une compilation
dans laquelle il y a de très beaux morceaux soit annoncée
par Monsieur, etc., ci-devant professeur de l’Université,
docteur en théologie, recteur, précepteur des enfants de
M. le duc de..., membre d’une académie, et même de deux. Tant
de dignités ne rendent pas le livre meilleur.
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On
souhaiterait qu’il
fût plus court, plus philosophique, moins
rempli de vieilles fables:
à l’égard des titres et qualités, personne ne s’en
soucie. L’épître dédicatoire n’a été
souvent présentée que par la bassesse intéressée,
à la vanité dédaigneuse.
De
là vient cet amas d’ouvrages
mercenaires ;
Stances, odes, sonnets, épîtres liminaires,
Où toujours le héros passe pour sans pareil,
Et, fût-il louche et borgne, est réputé
soleil.
Qui croirait que Rohault, soi-disant physicien, dans sa
dédicaceau duc de Guise, lui dit que « ses ancêtres
ont maintenu aux dépens de leur sang les vérités politiques,
les lois fondamentales de l’État, et les droits des souverains ?
» Le Balafré et le duc de Mayenne seraient un peu surpris
si on leur lisait cette épître. Et que dirait Henri IV ? On ne sait pas que la plupart des dédicaces, en
Angleterre, ont été faites pour de l’argent, comme les capucins
chez nous viennent présenter des salades, à condition qu’on
leur donnera pour boire. Les gens de lettres, en France, ignorent aujourd’hui ce
honteux avilissement ; et jamais ils n’ont eu tant de noblesse dans
l’esprit, excepté quelques malheureux qui se disent gens de lettres, dans le même sens que des barbouilleurs se vantent d’être de la
profession de Raphaël,
et que le cocher de Vertamont était
poète. |
Les
préfaces sont un autre écueil. Le moi est haïssable,
disait Pascal.
Parlez
de vous le moins que vous pourrez, car vous devez savoir que
l’amour-propre
du lecteur est aussi grand que le vôtre. Il ne vous pardonnera jamais
de vouloir le condamner à vous estimer. C’est à votre livre
à parler pour lui, s’il parvient à être lu dans la
foule. « Les illustres suffrages dont ma pièce a
été honorée devraient me dispenser de répondre
à mes adversaires. Les applaudissements du public.... » Rayez
tout cela, croyez-moi ; vous n’avez pas eu de suffrages illustres,
votre
pièce est oubliée pour jamais. « Quelques censeurs ont prétendu qu’il y
a un peu trop d’événements dans le troisième acte,
et que la princesse découvre trop tard dans le quatrième
les tendres sentiments de son coeur pour son amant ; à cela je réponds
que.... » Ne réponds point, mon ami, car personne n’a parlé
ni ne parlera de ta princesse. Ta pièce est tombée parce
qu’elle est ennuyeuse et écrite en vers plats et barbares ; ta préface
est une prière pour les morts, mais elle ne les ressuscitera pas. D’autres attestent l’Europe entière qu’on n’a pas
entendu leur système sur les compossibles, sur les supralapsaires,
sur la différence qu’on doit mettre entre les hérétiques
macédoniens et les hérétiques valentiniens. Mais vraiment
je crois bien que personne ne t’entend, puisque personne ne te lit. |
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On
est inondé de ces fatras et de ces continuelles
répétitions, et des insipides romans qui copient de vieux
romans, et de nouveaux systèmes fondés sur d’anciennes rêveries,
et de petites historiettes prises dans des histoires générales. Voulez-vous être auteur, voulez-vous faire un livre ;
songez qu’il doit être neuf et utile, ou du moins infiniment agréable. Quoi! du fond de votre province vous m’assassinerez de
plus d’un in-quarto pour m’apprendre qu’un roi doit être
juste,
et que Trajan était plus vertueux que Caligula! vous ferez imprimer
vos sermons qui ont endormi votre petite ville inconnue! vous mettrez à
contribution toutes nos histoires pour en extraire la vie d’un prince
sur
qui vous n’avez aucuns mémoires nouveaux! Si vous avez écrit une histoire de votre temps,
ne doutez pas qu’il ne se trouve quelque éplucheur de chronologie,
quelque commentateur de gazette qui vous relèvera sur une date,
sur un nom de baptême, sur un escadron mal placé par vous
à trois cents pas de l’endroit où il fut en effet posté.
Alors corrigez-vous vite. Si un ignorant, un folliculaire se mêle de critiquer
à tort et à travers, vous pouvez le confondre ; mais nommez-le
rarement,
de peur de souiller vos écrits. |
Vous
attaque-t-on sur le style, ne répondez jamais ;
c’est à votre ouvrage seul de répondre. Un homme dit que vous êtes malade, contentez-vous
de vous bien porter, sans vouloir prouver au public que vous êtes
en parfaite santé ; et surtout souvenez-vous que le public s’embarrasse
fort peu si vous vous portez bien ou mal. Cent auteurs compilent pour avoir du pain, et vingt
folliculaires
font l’extrait, la critique, l’apologie, la satire de ces compilations,
dans l’idée d’avoir aussi du pain, parce qu’ils n’ont point de métier.
Tous ces gens-là vont le vendredi demander au lieutenant de police
de Paris la permission de vendre leurs drogues. Ils ont audience
immédiatement
après les filles de joie, qui ne les regardent pas, parce qu’elles
savent bien que ce sont de mauvaises pratiques. Ils s’en retournent avec une permission tacite de faire
vendre et débiter par tout le royaume leurs historiettes,
leurs recueils de bons mots, la vie du bienheureux Régis,
la traduction d’un poème allemand, les nouvelles découvertes sur les anguilles, un nouveau choix de vers, un système sur l’origine des cloches, les amours du crapaud. Un libraire achète leurs productions dix écus; ils en donnent cinq au folliculaire du coin, à condition qu’il en dira
du bien dans ses
gazettes. |
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Le folliculaire prend
leur argent, et dit de leurs opuscules
tout le mal qu’il peut. Les lésés viennent se plaindre au
juif qui entretient la femme du folliculaire ; on se bat à coups
de poing chez l’apothicaire Lelièvre ; la scène finit par
mener le folliculaire au For-l’Évêque ; et cela s’appelle des
auteurs! Ces pauvres gens se partagent en deux ou trois bandes,
et vont à la quête comme des moines mendiants ; mais n’ayant
point fait de voeux, leur société ne dure que peu de jours ;
ils se trahissent comme des prêtres qui courent le même bénéfice,
quoiqu’ils n’aient nul bénéfice à espérer ;
et cela s’appelle des auteurs! Le malheur de ces gens-là vient de ce que leurs
pères ne leur ont pas fait apprendre une profession: c’est un grand
défaut dans la police moderne. Tout homme du peuple qui peut élever
son fils dans un art utile, et ne le fait pas, mérite punition.
Le fils d’un metteur en oeuvre se fait jésuite à dix-sept
ans. Il est chassé de la société à vingt-quatre,
parce que le désordre de ses moeurs a trop éclaté.
Le voilà sans pain ; il devient folliculaire ; il infecte la basse
littérature, et devient le mépris et l’horreur de la canaille
même ; et cela s’appelle des auteurs! Les auteurs véritables sont ceux qui ont réussi
dans un art véritable, soit dans l’épopée, soit dans
la tragédie, soit dans la comédie, soit dans l’histoire, ou dans la |
philosophie
; qui ont enseigné ou enchanté les hommes. Les autres dont nous avons parlé sont parmi les gens de
lettres ce que les frelons sont parmi les oiseaux. On cite, on commente, on critique, on néglige,
on oublie, mais surtout on méprise communément un auteur
qui n’est qu’auteur.
A propos de citer un auteur, il faut que je m’amuse à
raconter une singulière bévue du révérend P.
Viret, cordelier, professeur en théologie. Il lit dans la Philosophie
de l’histoire de ce bon abbé Bazin,
que «jamais aucun auteur n’a cité un passage de Moïse
avant Longin, qui vécut et mourut du temps de l’empereur Aurélien.
» Aussitôt le zèle de saint François s’allume:
Viret crie que cela n’est pas vrai ; que plusieurs
écrivains ont dit qu’il y avait eu un Moïse ; que Josèphe
même en a parlé fort au long, et que l’abbé Bazin est
un impie qui veut détruire les sept sacrements. Mais, cher père
Viret, vous deviez vous informer auparavant de ce que veut dire le mot citer. Il y a bien de la différence entre faire mention
d’un
auteur et citer un auteur. Parler, faire mention d’un auteur, c’est
dire:
« Il a vécu, il a écrit en tel temps. » Le citer,
c’est rapporter un de ses passages: « Comme Moïse le dit dans
son Exode, comme Moïse a écrit dans sa Genèse. »
Or l’abbé Bazin affirme qu’aucun écrivain étranger,
aucun même des prophètes juifs n’a jamais cité un seul passage de Moïse, quoiqu’il soit un auteur divin. |
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Père
Viret,
en vérité, vous êtes un auteur bien malin ; mais on
saura du moins par ce petit paragraphe que vous avez été
un auteur. Les auteurs les plus
volumineux que l’on ait eus en France,
ont été les contrôleurs généraux des
finances. On ferait dix gros volumes de leurs déclarations, depuis
le règne de Louis XIV seulement. Les parlements ont fait quelquefois
la critique de ces ouvrages; on y a trouvé des propositions erronées,
des contradictions : mais où sont les bons auteurs qui n’aient pas
été censurés ?
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