vendredi 21 octobre 2016

Parler comme à des brutes...

« — Pauvres fous, se disait Vendredeuil, que ceux qui croient que la prochaine révolution, cette révolution fatale pourtant, sera un grand mouvement de transformation sociale. Mais l’argent a déjà prouvé, et prouve tous les jours, l’inanité des conceptions socialistes, l’absurdité des théories des soi-disant réformateurs… Tous les systèmes et toutes les doctrines, sauf une, sont jugés par lui, à l’heure qu’il est, et condamnés — heureusement. — L’égalité des collectivistes rouges, la fraternité des socialistes chrétiens, toutes les égalités et fraternités possibles ? Ah ! non, alors… Et d’abord, que voulez-vous lui faire, rénovateurs, à cette Société ? La renverser selon la formule. Bon ; et sans lui faire trop de mal n’est-ce pas ? Parce que, si vous étiez brutaux, vous risqueriez de faire disparaître les quelques fragments d’Idéal dont le peuple ne peut plus guère se passer, soyez-en sûrs — et grâce à vous.
Et puis ? Mettre quelque chose à sa place, naturellement.  Ce quelque chose ne peut valoir un peu mieux que ce qui existe qu’à une seule condition : c’est que ce soit une hiérarchie sévère avec, au sommet, une aristocratie basée sur l’Argent. Vous rêvez autre chose ? Eh bien, il faut en prendre votre parti, voyez-vous, et la laisser manger tout doucement par le vieux chancre d’imbécillité qui la ronge, cette Société, jusqu’au jour où tout finira ; et, surtout, ne pas vous figurer que vous avez à recommencer 89, à préparer, par l’Idée, une Révolution. Car cette révolution se fera brutalement, sauvagement, en dehors de tout concept, narguant vos prévisions et bafouant vos systèmes. Et ce ne sera même point, s’il faut tout dire, une Révolution : ce sera une Destruction…
Vous comptez sur la misère pour faire accepter vos théories, d’abord, et les appliquer ensuite. Vous avez tort. Elle est grande, la misère, c’est vrai ; seulement, la misère actuelle, ce n’est plus l’ancienne misère. L’Argent aussi l’a transformée. Ce n’est plus la misère soudaine, imprévue, avec ses à-coups, ses hauts et ses bas ; c’est la misère lente, mathématiquement réglée par les exploiteurs et réglementée dogmatiquement par les agitateurs platoniques, la misère qui discute ses droits et qui vote, la misère qui croit savoir et qui se regarde souffrir — qui, par conséquent, n’agira pas. — elle n’est plus dirigeable, cette misère-là. Elle a trop d’envie — et trop d’orgueil. — Elle n’a plus de cœur et fait semblant d’avoir un cerveau. Comme si le raisonnement pouvait encore être un levier, on ne parle plus aux souffrants : on leur démontre… Pour les soulever, à présent, il ne faudra plus, comme à des disciples, leur démontrer. Il faudra leur parler, simplement, comme à des brutes — lorsque le jour sera venu — de la possibilité de détruire… »
 
Georges Darien : Les pharisiens (1891)

Hips

Ami écrivain, tu es amateur de bon whisky et tes droits d’auteur ne te permettent pas de t’arsouiller convenablement. J’ai une solution pour toi. Oh, rassure-toi, je ne l’ai pas inventée. Elle était plutôt employée dans les collections populaires et, au cours de mes lectures, j’ai pu constater que ça avait l’air de marcher puisque cela se répétait très fréquemment. C’est bête comme chou. Prends ton héros en compagnie d’un acolyte anonyme, ou bien roulé, et fais les partager un whisky de marque courante. Dans la série du Commander de G.-J. Arnaud, les protagonistes boivent du Cutty Sark à chaque récits (76 romans dans la série, de 1961 à 1986) C’est dégueulasse, le Cutty Sark. À la limite, c’est bon pour mettre dans le Coca d’un jeune que tu n’aimes pas trop. Mais, généralement, ces producteurs n’ont pas qu’une seule catégorie de breuvage dans leur gamme. Il y a le genre débouche évier… et le single ou le pure malt, selon ton standing et ton tirage. Avec une petite conversation avec le service commercial, rien de plus facile que de convenir d’un placement de produit ad hoc d’un bas de gamme au tarif d’une caisse de single livré franco de port après parution du dit ouvrage. Je gage que G.-J. Arnaud a dû négocier ça aux petits oignons. Évidemment, le placement est plus délicat lorsque l’on quitte le domaine de la réalité consensuelle. Il est plus duraille en SF ou dans les romans spiritualistes de lever le coude avec du whisky, marque de supermarché ou non (bol d’énergie d’un côté, liqueur des dieux de l’autre… pouah, quel ennui !)
Il peut arriver quelques petites mésaventures aux romanciers populaires à ce propos, qu’entre la livraison du manuscrit et son arrivée en librairie, ce fameux placement de produit ait lieu à l’insu de l’auteur. Et voici que la caisse de ce vieux tourbé vieilli pendant une douzaine d’années lui passe sous le nez. Il semble que la mésaventure soit arrivée à Roland C. Wagner. Or, Roland n’était pas vraiment un consommateur de cela. En revanche, l’Acapulco Gold, s’il avait été en vente libre... Toujours est-il qu’il n’était pas à l’origine de cette initiative. Mais revenons à nos moutons, cher auteur. Il n’est pas certain que la pratique perdure. Ou bien elle a été oubliée par les distillateurs et leurs représentants. Raison de plus pour leur rafraîchir la mémoire. Naturellement, si l’on est auteur de lithérathure, on prendra soin de se faire conseiller pour le produit à placer, faire une fiche, réinsérer ces souvenirs de dégustation de façon habile dans le cours du texte, rien de plus facile pour l’auteur chevronné. Aux distillateurs qui nous liraient, d’ailleurs, je dirai qu’il ne faut pas négliger la nouvelle car le placement de produit y est plus difficile, plus périlleux et fort gratifiant lorsque l’habileté de l’auteur le fait subrepticement. Tenez, moi qui vous parle… euh, on voit ça par mail, d’accord ?

jeudi 20 octobre 2016

L'ombre d'un phocomèle

Il est un moment où l’attrait d’un écrivain est proportionnellement inverse à sa notoriété. Plus il est connu plus on regrette de devoir le partager, de voir l’intimité patiemment acquise au fil des lectures s’effilocher devant une reconnaissance plus étendue. Le fait est bénin dès lors qu’il s’agit d’un cercle de connaisseurs. Cela devient plus cruel lorsque la référence s’étend vers les médias culturels où les risques de dissonance sont plus nombreux. On sombre bientôt dans le ridicule quand les médias de divertissement en font une référence « incontournable » en présentant un ersatz passablement dénaturé d’une production originelle. Le nom n’est plus la signature d’ouvrages mais une marque inséré dans un commentaire invariablement promotionnel. C’est ce qui est arrivé à Philip K. Dick depuis pas mal de temps. Qu’est-ce qui pouvait différencier Dick d’autres auteurs diablement autant exigeant que Ian Watson, J.-G. Ballard ou Samuel R. Delany ? À l’époque où la réputation de Dick ne dépassait pas les bornes de la SF, mais à une époque où la SF représentait une alternative littéraire au roman bourgeois (sous les vocables de Speculative Fiction, de New Thing, et d’autres encore…), la SF était suivie par un large lectorat, affranchit un temps des cloisonnement que les fans allaient s’ingénier à refermer par la suite. La confrontation avec les autres genres littéraires était courante. À ce titre, Philip K. Dick n’était déjà plus un inconnu pour tout le monde et c’est vers cette période — entre le milieu des années 70 et celui des années 80 — que sont parus en France des œuvres importantes. Mais il n’était pas le seul dans ce cas. Il ne s’agit pas ici d’essayer de répondre avec assurance sur la raison de la célébrité de Dick au détriment de certains contemporains aussi valables. Les univers des auteurs cités plus haut ne semblent pas convenir au lectorat actuel, du moins à une large frange. Dick plaît, et pour le malheur de ses thuriféraires (dont je fus longuement) sa popularité dépasse largement son lectorat étendu et principalement parce que l’on n’a pas lu ses écrits. La raison est bien entendu le cinéma. On a adapté ses textes, en plus grandes proportions que Watson, Ballard et Delany réunis. Le cinéma a ceci de particulier qu’il peut difficilement respecter le propos d’un auteur (et ce n’est pas propre à la SF). Même Blade Runner, adulé par le public de cinéma, déconcerterait ce dernier si l’ouvrage originel leur parvenait sous les yeux. Que dire des merdes soi-disant adaptées d’autres romans ou nouvelles de Philip K. Dick… seul A Scanner Darkly nous semble respectable au milieu de cet océan de veulerie pelliculaire. Et encore, nous demandons à le revoir. Mais là aussi, il importe relativement peu que notre auteur ait été adapté plus ou moins fidèlement et que le produit soit médiocre ou non. Il arrive un moment où la popularité atteint un moment de non-retour, lorsque la télévision nous sert de ces émissions de nature émétique qui veulent nous présenter un panorama de la science-fiction audiovisuelle et où, annoncé comme une sorte de caution intellectuelle, on cite le nom de Philip K. Dick. Avouons-le : la dernière fois que c’est arrivé je n’étais plus surpris par la viduité du propos mais encore étonné que cela perdure. La première fois que j’avais entendu le nom de Dick prononcé comme un triomphe au milieu d’un discours acculturé, c’était dans les années 80 au cours d’un reportage pour l’émission Temps X. Là non plus je n’avais pas été particulièrement étonné car, connaissant le commentateur, je savais parfaitement que la seule chose qu’il était capable de lire et de comprendre était la notice de son lecteur de cassettes vidéo. La « novation » fut rude, le commentateur un niais. Que tout critique de téloche ou de cinéma de SF soit un imbécile, n’est pas certain et même pas admissible. La première crotte n’annonce pas forcément le choléra. Pour autant, le manque de ressources littéraires dans ce milieu inquiète toujours… À croire que ceux qui recrutent ces éléments ont une notion plus que sommaire de la culture, fut-elle populaire, et cela depuis des décennies.
Que faire lorsque l’on a aimé un auteur au point de lire systématiquement tout ce qui a pu paraître de lui (un peu moins sur lui, on est peu porté à l’exégèse quand on est jaloux) et que l’on est confronté à de telles indigences au fil des années ? La réponse n’est pas claire. On s’éloigne du sujet de son affection, la plupart du temps. On lève un sourcil paresseux à l’évocation, comme d’un engouement ancien. Plus question d’y retourner avec la même passion. Les vieilles maîtresses sont décevantes. Toutefois, on ne peut s’empêcher de regretter ce naufrage entretenu par l’impéritie. On finit par en sourire, non avec indulgence, mais par l’effet d’une certaine cruauté devant l’enthousiasme frelaté à propos d’un auteur deux fois mort, la deuxième fois par le fait d’un ignare ou de l’un de ses continuateurs.
Peut-être est-ce une chance pour les autres auteurs précités d’avoir échappé à cela. Certains d’entre eux ont affaire à des contempteurs issus du cénacle de la SF dont quelques uns, pour leur confort intellectuel, aimeraient bien les extirper (le souvenir récent et affligeant d’une critique de Ian Watson qui se résumait à un « Je n’y comprends rien » est à ce titre une perle à ranger à côté des productions télévisuelles que l’on évoque ici). Au moins cette sottise est circonscrite, d’autant qu’il se trouve d’autres personnes pour défendre ces auteurs-là. La SF qui eut la chance de se manifester hors du cadre de ses fans y est retournée pour le meilleur et pour le pire. Pour ce qui me concerne, je me suis éloigné depuis longtemps de ce milieu. Je constate toutefois son dévoiement continu, par des gens qui n’ont pas l’air de savoir de quoi ils parlent. Mais, ça, c’est les médias, coco… Du reste, immanence du vide, allez savoir, le chroniqueur de Temps X continue de se prendre au sérieux et en photo de temps en temps sur Hollywood Boulevard. C’est rassurant quelque part : pas besoin de savoir lire pour voir du pays, avoir des habitudes de fossoyeur suffisent.
Il m’arrive de loin en loin de relire du Dick, de ne pas perdre le contact de la même manière qu’à la lisière du champ visuel on devinerait l’ombre d’un phocomèle… C’est peut-être cela qui permet supporter ce que l’on a fait à un auteur que l’on a aimé : y retourner. Il faut seulement de la patience.

mercredi 19 octobre 2016

mardi 18 octobre 2016

Fin de carrière

Certains sites de vente de livres transmettent parfois les offres et les demandes de renseignements des visiteurs : demandes d'estimations (qui ont peu de chances d'être satisfaites), recherches d'ouvrages, offres de ventes aux termes desquels le encoure une affligeante désillusion. En l'occurrence ce que l'on croyait une rareté n'est guère qu'une bondieuserie invendable dont personne ne voudra s'encombrer. Autant d'ouvrages qui s'afficheront en vain sur des sites de ventes aux enchères : encyclopédies aux reliures en pur plastique, authentique vie de Rama Krishna par M. Paul Vishnou de l'Institut des Études Quasi orientales de Saint-Locdu-Le-Vieux... des annonces déprimantes, des livres inutiles, obsolètes sur lesquels le vendeur a fondé quelque espoir et dont le libraire découragé ne pourra donner un avis ou une offre, tant il y en a.
Et puis, il arrive que des annonces vous touchent un peu plus, soudainement, comme celle de cet artisan qui vend une trentaine d'ouvrages concernant son métier. Il l'a exercé une vingtaine d'années, est contraint de l'abandonner pour raison de santé. Alors, voilà, il connaît la valeur de ses livres, certains sont anciens, il n'a pas envie de les vendre pour rien, mais il y a cette phrase, celle que l'on trouve si rarement dans les propositions de vente :
« Pouvez-vous me dire si vous seriez d'accord pour examiner l'achat de ces livres ?
Si je suis conscient de la valeur de certains de ces bouquins je ne néglige pas la rémunération de votre expertise...
Je suis à la recherche d'un compromis équitable... »
Je ne cherche pas ici à m'étonner de cette disposition d'esprit. Seulement, je note avec plaisir cette justesse de vue, voire cette humilité, alors que cet homme cède une partie de ce que fut son existence, un métier d'artisan — un métier d'art, même, mais c'est tout ce que m'autorise à vous dire la discrétion de ma profession — une partie de sa vie. Ce message annonce un renoncement, un accident de l'existence au terme duquel il faudra passer à autre chose, se séparer de la plupart de ses outils et de ses livres. L'annonce ne s'adressait pas à moi particulièrement. A vrai dire, j'aurai éprouvé les pires difficultés à aborder cette acquisition sans avoir l'impression d'entériner une sorte de défaite.
Entendons-nous bien : je suis acheteur de bibliothèques, parfois, lorsque l'occasion se présente et lorsque ces livres représentent un intérêt pour moi. Il arrive que ces achats se fassent à la suite du décès du propriétaire ou dans le meilleur des cas pour un déménagement (Il est d'autres raisons, dont certaines philosophiques, qui, pour autant qu'elles soient intrigantes, se justifient pleinement). Je pense que la crise économique que nous traversons va occasionner quelques ventes déchirantes pour des bibliophiles ou des bibliomanes... Mais tout cela ne concerne en somme que les bibliothèques de loisir, de celles que l'on constitue peu à peu au gré du goût et du hasard. La faim ou les incendies pourraient en avoir raison, mais la mémoire du lecteur, de l'amateur demeure et il lui sera loisible de la reconstituer en tout, ou en parties, s'il est encore vivant, bien sûr. Acquérir ces bibliothèques est affaire de consentement.
Bien différente est la bibliothèque professionnelle. Souvent — surtout lorsqu'il s'agit d'artisanat — ces ouvrages sont rares et fragiles du fait de leur ancienneté. Peux d'éditeurs envisagent des réimpressions parce que leur lectorat est réduit. Il s'agit là de rayonnages dont la moindre dispersion peut être fatale à la somme des connaissances qui y sont enfermées. Et puis, il y a ce dialogue désormais en péril entre le créateur et ses sources... cette soudaine séparation est une façon de larguer définitivement les amarres, de dire adieux.
Imaginez : la calèche est en bas, on vient chercher les orphelins. On ne saura comment ils seront traités dans l'institution et s'ils seront séparés au bout du compte.
Temps de dire adieu... du Dickens.

Ce billet — légèrement remanié — a été publié sur le blog Feuilles d’automne, au temps où le Tenancier était encore libraire, en janvier 2009.

Bob

Le Prix Nobel de Littérature est attribué à Bob Dylan. Il semble bien que ce prix soit attribué hors la volonté de l’impétrant. Qu’il soit décerné à un chanteur semble en irriter plus d’un. C’est un débat intéressant mais un peu hors sujet. Que l’on qualifie sa production de « littérature » devrait sans doute concerner le point de vue de Bob Dylan d’abord, dont on se demande d’ailleurs s’il s’en est réclamé au cours de sa carrière pour ce qui concerne ses chansons. En revanche que le comité Nobel décerne son prix au nom de la littérature devrait effectivement poser problème si on ne se rappelait soudainement une chose élémentaire : les prix servent à mettre un beau bandeau autour du livre et à faire vendre une camelote, distinguée comme à un comice agricole (ainsi au bœuf l’on accroche une médaille ou une cocarde). À se demander autrement à quoi cela peut bien servir — mais vous pouvez toujours envoyer la récompense, cela dit. On s’interroge alors sur le nombre de personnes imputant à Bob Dylan ce qui est de la responsabilité du comité Nobel sauf, peut-être une haine un peu rance et un goût pour l’apparat bafoué, une rancune de cocu, en somme. On a lu un « Pouah, pourquoi pas le Goncourt à Johnny Hallyday ? »… Eh bien oui, pourquoi pas. Où a-t-on vu que les prix littéraires avaient un rapport avec la littérature ?
Quant à votre Tenancier, il va continuer d’apprécier Dylan (et, au fait, procurez-vous la traduction de ses chansons par Robert Louit et Didier Pemerle !) et n’hésitera pas à palper le pognon si jamais il a un prix, ce qui serait très étonnant.

lundi 10 octobre 2016

Rembourré







Les meilleurs esprits de nos jours réclament une réforme dans la toilette, mais je ne sache pas que, jusqu'ici, personne ait indiqué l'abus d'où naissent tous les autres, le vice fondamental qu'il faut corriger avant d'espérer aucune amélioration ; je veux dire l'ignorance complète où est le tailleur de l'importance de sa profession. Bien peu, sous ce rapport, s'élèvent au-dessus de l'artisan ; tous, ou peu s'en faut, font un habit, comme d'autres font des chaises et des tables. Et cependant, depuis que l'homme est sorti de l'état sauvage pour vivre en société, de quelle grave fonction se trouve chargé le tailleur ? Qu'on se figure aujourd'hui un homme nu, ses semblables le fuient, la société le repousse, il est condamné à vivre isolé, à retourner à l'état sauvage. Car qui dit homme, dans la civilisation, dit homme habillé ; l'homme sorti nu des mains de la nature est inachevé, pour l'ordre de choses où nous vivons ; c'est le tailleur qui est appelé à le compléter. Nous ne pouvons entrer dans le monde, y accomplir notre destinée qu'à la condition de passer par ses mains ; aussi, à peine sommes-nous jetés dans la vie, qu'il nous saisit, nous suit toujours, nous retient et nous enserre par tous les côtés ; nous ne lui échappons que pour entrer dans notre lit de mort. Et quel tailleur a jamais réfléchi à l'importance de pareilles fonctions ? Quel a jamais songé combien le sort d'un homme était étroitement lié à son habillement ?

Honoré de Balzac : Physiologie de la toilette, Des habits rembourrés (1830) 
(Photogrammes : Fritz Lang, La femme sur la Lune)

dimanche 9 octobre 2016

10/18 — Jack London : Les temps maudits




Jack London

Les temps maudits

Textes choisis et présentés
par
Francis Lacassin
Traduction de Louis Postif

n° 777

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Série « L'appel de la vie »
Volume triple

316 pages (320 pages)
Couverture de Pierre Bernard
Dépôt légal : 2e trimestre 1973
Achevé d'imprimer : 3 avril 1974

TABLE DES MATIÈRES

Préface : Dans les pas du Talon de Fer..., par Francis Lacassin [7 — 15]

La force des forts (The Strength of th Strong) [17 — 50]
Le renégat (The Apostate) [51 — 90]
Le Chinago (The Chinago) [91 — 115]
Une tranche de Bifteck (A Piece of Steak) [117 — 157]
Au sud de la fente (South of the Slot) [159 — 189]
Pour la révolution mexicaine (The Mexican) [191 — 246]
Les favoris de Midas (The Minins of Midas) [247 — 274]
Le rêve de Debs (The Dream of Debs) [275 — 316]

Table des matières [317]


(Contribution du Tenancier)
Index

Scène de la vie privée du Tenancier

« — Pfff !...
— Bon, d'accord, on est dans les embouteillages, mais ce serait bien que tu arrêtes de grogner, hein ! C'est fatigant ! Parlons au moins d'un truc sympa, non ?
— Euh... tu as bien dormi ?
— Ta gueule. »

lundi 3 octobre 2016

Une visite au Tenancier

Le type m’attendait dans un des fauteuils du salon.
— « C’est vous, le Tenancier ? Sa voix émanait de derrière une main aux doigts marron de jus de clopier et une paresseuse volute bleutée.
— Qui le demande ?
Le type jette une carte plastifiée en travers de la table basse. Il a mal évalué son jet et la carte atterrit par terre. Après m’être baissé, je lis :

Service des Vermotiseurs

Direction des calembours

Bureau des dissonances

Service des recouvrements



On est prié de prêter assistance à tout porteur de la présente carte

Pas de nom. Le type semble avoir deviné :
— Vous n’avez pas besoin de savoir.
— Et le fait que vous picoliez dans mes verres ?
— Un des agréments du métier. Vous savez pourquoi je suis là ?
— Ouais.
— Ah…
— Vous venez cloper dans le salon alors que j’ai pas de cendrier, vous bourrer la gueule alors que j’ai pas un rond pour refaire le plein et, visiblement vous l’êtes assez — bourré — pour même pas savoir balancer une carte sur la table sans vous planter. Juste une question, comme ça : c’est pour m’impressionner ou vous me prenez pour un impresario ? C’est fou ce que je suis curieux, du coup, parce que je ne sais pas pour quel spectacle je pourrais vous proposer, si j’étais ce genre de gars. Clodo, lecteur de Céline ? Remarquez, ça revient au même, non ?
— Vous posez beaucoup de questions…
— Sans blague ? Entre nous, je suis plutôt timide d’ordinaire, mais quand un déchet vient camper sur mon canapé, je ne sais pas… ça doit me désinhiber.
— Vous avez tort de me parler comme ça.
— Alors, on va se dire que les torts sont partagés, voilà ! Et comme on est dans une spirale d’amabilités, le monsieur il va se lever, me dire au revoir et puis…
— Je viens parler de George WF Weaver.
— Qu’est-ce qu’il a, George ?
— Vous avouez que vous êtes en relation avec lui ?
— Et alors ?
— Vous savez que c’est un pseudonyme ?
— Rrrhhôô sans blague ? Bon, c’est pas le tout, mais comme je le disais à l’instant, le monsieur, il va se barrer…
Le type se lève calmement, jette son mégot par terre et l’écrase.
— Ce n’est pas bien, ce que vous faites, de résister comme ça. Nous à la Brigade, nous sommes plutôt à la coule, vous savez. On vient, on constate, on verbalise éventuellement et on s’en va. Bien sûr, si vous êtes de mauvaise composition ça peut aller plus loin.
— En admettant — je dis bien “ en admettant ”, hein — que vous n’êtes pas une version pouilleuse d’une escroquerie quelconque, j’aimerais biens avoir de quoi vous parlez.
— De ses calembours.
— Oui, il en fait. Et alors ?
— Eh bien on verbalise !
— Bien. Je crois qu’on va y passer la nuit si je ne mets pas les forceps. Vous respirez un bon coup et vous m’expliquez.
— Ahem… Le dénommé George WF Weaver, pseudonyme d’un pervers notoire sévissant sur votre blog et quelques autres s’est rendu coupable d’une trentaine d’à peu près et pas moins d’une dizaine de calembours de Stade Quatre, les pires. Notre service de recension a beaucoup travaillé à cette occasion. Vous savez je disais tout à l’heure “ on constate, on verbalise, on s’en va ”, là je suis bien obligé de dire que nous allons passer directement à une étape...
— “ On s’en va ” ?
— Non : “on verbalise”.
— En quoi ça me concerne.
— Oh, vous savez, ça c’est un peu de votre faute. Vous déclarez tout net sur votre blog que vous êtes solidaire des propos que vous laissez passer. C’est tout à votre honneur, mais comme nous ne pouvons atteindre l’auteur de l’infraction, nous sommes bien obligés d’adresser nos procès-verbaux à un responsable, c'est-à-dire vous.
— Vu votre dégaine, ça ne doit pas porter loin. Je veux bien faire l’aumône, cela dit. Ce qui m’emmerde le plus, ce sont toutes les simagrées qu’on est obligé de supporter pour en arriver là. Et puis, quand même, vous êtes entré par effraction chez moi.
— La Brigade a tout pouvoir en cas de constat d’infraction. C’est dans le Code.  
— Combien ?
Le type sort un papier miraculeusement immaculé de sa poche, une vision qui touche à l’épiphanie, tellement elle est improbable. Je lis. Je défaille.
— Vous vous foutez de moi ?
— Oh vous savez, je suis fonctionnaire.
— Lequel de mes potes vous a commandité pour ce canular ?
— Personne, je vous l’assure.
— Allez vous rasseoir, je reviens ».
Le type se retourne pour regagner mon fauteuil déjà dégueulassé. Il s’arrête distraitement, toujours en me tournant le dos, et prend un paquet de tiges dans sa poche. Je ne lui laisse pas le temps d’en allumer une parce que je le fais à coup de bouteille sur son crâne. Le type s’écroule. J’ai juste le temps de l’attacher et de le bâillonner qu’il reprend connaissance. Ces petits yeux en boutons de bottine tournent dans tous les sens.
J’empoigne le téléphone :
— « Les gars, j’en ai eu un. Faut que vous radiniez pour me donner un coup de main. Vu qu’on a un jardin, ici, ça va être plus facile… Ouais… Ouais… non, ça va j’ai une bêche ».
Je raccroche. La Brigade des Vermotiseurs ne vas pas tarder à prendre le relais : Otto et George vont venir achever le type à coups de calembours. Après, ce n’est plus qu’une formalité, la chair attendrie se décomposera mieux au fond du potager.

dimanche 2 octobre 2016

10/18 — Jack London : Les vagabonds du rail




Jack London

Les vagabonds du rail

Traduction de Louis Postif
Préface de Francis Lacassin

n° 779

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Série « L'appel de la vie »
Volume triple

Édition de 1973

309 pages (320 pages)
Couverture de Pierre Bernard
Dépôt légal : 2e trimestre 1973
Achevé d'imprimer : 27 avril 1973

TABLE DES MATIÈRES

Préface : Une épopée de la faim, par Francis Lacassin [9 — 38]

Les vagabonds du rail [27 —435]

Printemps 1976 — Liste alphabétique par nom d'auteur des ouvrages disponibles [314 — 320]



Édition de 1976
(Le cartouche 10/18 est légèrement plus clair)

309 pages (320 pages)
Couverture de Pierre Bernard
Dépôt légal : 2e trimestre 1973
Achevé d'imprimer : 14 juin 1976

TABLE DES MATIÈRES

Préface : Une épopée de la faim, par Francis Lacassin [9 — 38]

Les vagabonds du rail [27 —435]

Printemps 1976 — Liste alphabétique des ouvrages disponibles au 31 juillet 1976 [312 — 320]


(Contribution du Tenancier)
Index