C’était l’époque des vidéocassettes et du doigt en embuscade
sur le magnétoscope pour déclencher l’enregistrement sans choper la pub. Nous
visitions alors un expert en série télé qui nous prodigua l’aumône du
visionnage d’un extrait en exclusivité où, un personnage en scaphandre sortait
d’échafaudages. Ceux-ci, après un suspense insoutenable entretenu par le maître
des lieux, se révélèrent quelques bribes, non habillées par les effets
spéciaux, d’un film de SF, dont notre cicérone ne manqua pas de souligner le
budget pharaonique (énoncé avec le phrasé d’un bonus de blockbuster : incrédibeule !). De sartrien, il en possédait
le regard, résultat hasardeux du magnétoscopage, qui veillait à la fois sur la
télécommande et les pages de Téléstar. Une pièce de son appartement était
emplie de rayonnages métalliques, garnis eux-mêmes de cassettes vidéo,
alignements noirs comme une bibliothèque de Borniol. Ainsi, l’on nous y
enseigna l’existence de séries télévisées complètes que ce vieux garçon énumérait
pour notre édification de béotien tout en nous versant un alcool infect… On
peut rester vieux garçon même en couple, le cas se révélait ici. Au moins, le
compagnon s’annonçait moins turbulent, plus aimable. Inchangés, les clichés
confèrent désormais à l'expert une aura attristée, comme l’expression d’un naufrage. Au
fait, la boisson était réellement dégueulasse. Le bar, érigé dans un coin de la
salle à manger, ressemblait à celui d’une paillote illégale, celle que l’on
trouve généralement près de la bouche du collecteur, pas loin de la baraque à
frites. Je ne peux plus voir une bouteille de Malibu sans y penser. Le garçon
vivait avec sa maman, dans un rapport que l’on peinerait à songer qu’il fut de
bonne intelligence, faute de son ingrédient essentiel. On ne rend jamais assez
hommage aux mères, même si les rejetons y reportent leurs turpitudes. C’était ici
le cas. Le Tenancier, un peu vicelard, demanda au garçon s’il avait regardé la
série complète des cassettes de Dallas qui occupait un sacré pan de mur de la
salle à manger. Que non, se récria-t-il, c’était pour sa maman… L’expert
continua ses énumérations, nous abreuva de projets cinématographiques et
télévisuels à coups de millions de dollars de budget. Ainsi endurai-je la
logorrhée, dont le vocabulaire allait devenir la matière des bonus des DVD de
films à deux balles : même la machine à café y était incroyable de talent. Du coin de l’œil, l’alignement des
vidéos de Dallas formait une masse ironique dans la lumière déclinante. Du
bourdonnement de notre hôte émergeaient encore des superlatifs,
l’engourdissement gagnait. Le soleil d’hiver posait son glacis sur la toile
cirée. Je m’ennuyais, ne trouvant aucun livre sur lequel détourner mon
attention ; le journal télé ne comptait pas. Autour de moi, on
s’intéressait, on s’extasiait et, pour ma détresse, on en redemandait. Du
malheur d’avoir été poli et, surtout, mal assorti…
Quelques jours plus tard, un réalisateur que j’appréciais
pour sa la parole rare et précieuse, passa à la librairie où je travaillais et
cette apparition me fit méditer sur le bonheur de se camper parfois au bon
endroit, et sur l’intelligence.
La chance, en tout cas, ça va, ça vient.