jeudi 7 février 2019

Prométhée

Dans nos existences quelconques, nous cherchons à fuir notre image, double terrifiant qui colle à notre squelette, nous faisant disparaître des miroirs, comme un vampire ou autre créature inquiétante. Imaginons le paroxysme : un esprit désolé que la lèpre de la solitude dévore. Imaginons Prométhée en créature désolée, au visage rongé de l’intérieur. Imaginons cette pauvre créature qui lit Emerson, sans doute Poe, peut être Shelley. Imaginons-le, mordu par les acides du fantastique, désertant les souterrains mais fuyant toujours la lumière. Imaginons-le en fantôme d’un opéra en plein air, à errer, errer encore et toujours jusqu’au cœur du monde, à chercher le cœur du monde dans le cœur des récits et devenir la matière d’une histoire sombre, celle d’une pauvre, pauvre créature devenue la substance de ce récit : un fantôme, un monstre perdu dans une bibliothèque de dix mille livres mais dont aucun ne lui conte la nature de son pacte, son déroulement, sa finalité. C’est l’histoire d’un monstre qui meurt et qui cachait une passion, celle du livre. C’est l’histoire d’une créature qui disparaît sur la banquise, dans les feux, ou d’un pieu. C’est la fin du récit. Et nous sommes ses démiurges.
Réflexion après coup auprès d'une lectrice du blog : Cet être me touche d'une certaine manière, comme dans un film de Franju, "Les yeux sans visage", ou comme le pathétique d'Éléphant man. Les monstres les plus mémorables provoquent une sorte d'empathie. Celui-ci vérifie l'étymologie du mot : la "monstration", le dévoilement, la nudité décharnée sous le masque, l'effroi, la fragilité, le vide, la peur. Nous sommes rentré depuis un certain temps dans le futur. Depuis quand des créatures sillonnent le monde autour de nous avec cet étrange parfum morbide ?
L'invasion a-t-elle commencée ?
Photos : Lon Chaney, M.J.
Billet paru en juillet 2009 sur le blog Feuilles d'automne

mardi 5 février 2019

La nostalgie n'est plus ce qu'elle était

Le cocktail éditorial ne figure pas dans les fréquentations de votre serviteur. Outre que son ancienne activité de libraire le rendait inutile voire tricard dans ce genre de manifestation, les prétextes pour s’y rendre restaient somme toute assez minces. Toutefois, le hasard aidant, le vice travaillant également au complot, il m’est arrivé de me trouver dans un coin à contempler la prise d’assaut du buffet, occasion d’ailleurs, où votre serviteur mit en pratique au moins une fois sa théorie tirée de la technique du môle et de l’enroulement pratiquée au rugby. Il n’existe pas de connaissance sotte, sauf si elle se révèle inutile. Mes compagnons (ce jour-là, salariés d’une start-up de vente de livre, rare fierté de ce passage) se gobergèrent, moi itou, revanche des obscurs et des sans-grade à ces banquets qui n’avaient rien de platonicien par ailleurs.
Le bénéfice dérisoire de picoler un champagne de médiocre qualité par-dessus des denrées trop sucrées et trop salées montre vite ses limites, on le concevra. Restait l’observation de la faune habituelle des attachées de presse et d’autres personnages plus ou moins liés à la maison d’édition et plus sûrement au contenu de la bouffe servie à table. Pas besoin d’être un habitué pour deviner à quel point cette compagnie ne s’élève pas au-dessus du comice agricole. On aurait dû le savoir : si le Salon du Livre de Paris sent l’écurie, ce n’est sans doute pas entièrement redevable au Salon de l’agriculture qui le précède. Alors quoi, n’y avait-il rien à tirer de ces rassemblements. Eh bien, presque. Parfois, avec un peu de chance, on voyait une catégorie de types se faufiler dans ces cocktails et il faut avouer qu’ils avaient plus l’air de s’y sentir à l’aise que ma pomme. À la personne bien informée qui avait réussi à me faire rentrer, je me risquais à demander, « Qui c’est ce type-là ? »
Et l’autre qui répond : « Qui ça ? 
— Eh bien, le gars avec l’imperméable mastic…
— Où ?
— Là… tu vois, avec les cheveux plaqués en arrière, bien dégagés sur les oreilles, les petites lunettes façon écaille. Bon, il a quitté son pardingue ou son imper, maintenant, il a le petit costard bien ajusté, carrossé par Perrier, tu vois ?
— Avec le nœud pap’ ?
— Yes, monsieur.
— Connais pas personnellement, il fréquente Untel, il paraît qu’il a écrit des articles. Pas lu, pas le temps de tout lire. C’est un ancien khâgneux. Il a pas trente ans.
— Tu ne me l’aurais pas dit, hein…
— Ah non, mais attend, ce n’est pas le pote de Untel. C’est celui de Duchmol…
—…
— Mais siii, tu sais, Duchmol de la Revue de la Nouvelle Nation. Cela dit avec l’ami d’Untel, c’est un peu du kif.
— Qu’est ce qu’il fait là ?
— Ben comme toi, il profite de l’événement, sauf que toi, c’est pour picoler un coup. Lui — à moins que ce soit le pote d’Untel — fait le siège de mon directeur de collection pour placer sa biographie.
— Drieu, Brasillach ?
— Ouais, un truc dans ce goût-là, mais tu sais, c’est en perte de vitesse, ces conneries, le lecteur potentiel se raréfie, ça bavoche, ça sucre les fraises... Dans le style réac qui peut nous faire de la distance, ce serait plutôt Houellebecq. Avec les vieux fachos, tu peux pas nous la refaire revival façon Claude François, hop, un p’tit coup de lustre sur la pierre tombale et c’est reparti pour un tirage. Vu que le client est occupé à passer le polish sur la sienne, ça déchaîne pas des fièvres.
— Houellebecq, il lui faudrait une bonne guerre.
— Ah, m’en parle pas, quel tirage ça ferait ! Mais l’autre, là, avec les fringues qu’il a dû piquer à grand-papa, je ne lui donne pas une chance. Pourtant il s’est soigné ! Ça marchait dans les années quatre-vingt, ce genre ‘petit-crevé’ enfin plutôt petite crevure, si tu vois le genre…
— Genre ‘Européen’, c’est ça ? Du nostalgique.
— Exactement : à faire le voyage aller, en quarante-quatre, au milieu des valoches et en camion Mercedes vers les bords du Danube, et à revenir en truck Ford débâché avec la biroute au cirage, direction Fresnes, si t’es malchanceux.
— Bah ! il aurait vu du pays, en tout cas. Tiens, je me rappelle un type qui a eu son petit succès dans les années quatre-vingt, justement, avec son Journal. Je l’avais servi brièvement dans une librairie où j’ai fait un passage éclair, et pour cause… La taulière, une vieille catho versaillaise — et c’est pas une image, crois-moi — se pâmait littéralement ! Tu parles, le clone sous-alimenté de Brasillach !
— C’est marrant, tout de même, ces garçons qui s’adonnent à cette marotte. Tu noteras qu’avec son allure de collabo, il fait un peu le vide autour de lui.
— Il a l’air d’aimer ça.
— On le remarque. C’est fait pour. Il s’imagine qu’il emmerde tous les juifs qui sont forcément dans l’édition. Ça ne lasse même plus. Tu sais, je parie même que sa biographie n’est même pas écrite et qu’il serait un peu emmerdé sur les bords si on la lui demandait.
— Pourquoi tu ne lui fais pas le coup.
— Déconne-pas, veux-tu ? Si je me trompe…
— Ouais, c’est un risque. Curieux, quand même, j’aurais pensé que l’espèce s’était éteinte.
— Mais qu’est-ce que tu veux mon vieux, il reste des jeunes Français patriotes point oublieux de nos aînés, hein ! »
Le type se rapprocha de nous. Je m’esquivais tandis que j’entendais mon pote dire que non, en fin de compte, le directeur de collection avait eu un empêchement et que c’était bien dommage…

vendredi 1 février 2019

Pourquoi et où il faut signer

Arrêtons un instant le cours paisible (trop peut-être, mais tant pis) de ce blog pour attirer l’attention du lecteur sur une pétition. D’ordinaire, on estime peu ce genre de phénomène sur internet qui consiste principalement aux sites qui les proposent de se faire un fichier de prospects à revendre et qui vous emmerdent à l’infinie avec des spams. Par ailleurs, cette demande de signature ne réclame aucunement une position politique sinon celle qui consiste à infléchir une politique patrimoniale (mais nous ne nous proclamons pas pour autant "apolitique"). On vous convie à soutenir le projet de sauvegarder les ruines du manoir de Saint-Pol-Roux. Vous en trouverez ci-dessous ainsi que l’adresse où apposer votre signature…

« Ce château par moi conçu, des équipes l’érigèrent, dont les bras multipliés devaient ressortir à mon buste, alors pareil au buste à greffes de Bouddha. Le rêve se fit chose et la chose personne, par osmose, dans un aller-retour si prompt de boomerang que les pilleurs d’épave de la dune se demandent si j’habite le Manoir ou si le Manoir m’habite, ou bien si l’on s’habite simultanément, nous interpénétrant de par l’inceste de la possession. »
Le nom de Saint-Pol-Roux, poète qui participa activement à la croisade symboliste à la fin du XIXe siècle et dont l’œuvre influença durablement André Breton et le surréalisme, est indissociable du Manoir qu’il se fit bâtir à partir de 1903 sur les hauteurs de Camaret (Finistère) et qui devint, dès l’été 1905, sa demeure irrévocable.
Saint-Pol-Roux l’avait conçu en poète, selon son rêve. Ce fut son Hauteville House. C’est pour le Manoir du Boultous – ainsi le nomma-t-il d’abord, avant de le rebaptiser Manoir de Cœcilian, du nom de son fils aîné mort sur le front à Vauquois en 1915  – que Segalen rapporta de Tahiti les bois de la Maison du Jouir de Gauguin. Le peintre Georges Rochegrosse y avait peint, à fresque, le poète en dieu de la mer. Saint-Pol-Roux y reçut de nombreuses personnalités littéraires et artistiques. Ainsi André Breton lui rendit-il visite en septembre 1923 ; puis vinrent régulièrement Max Jacob et Jean Moulin, alors sous-préfet de Châteaulin. Max Jacob et Jean Moulin dont la mort de Saint-Pol-Roux, le 18 octobre 1940, devait préfigurer le destin tragique.
Car le Manoir, auquel toute sa vie il resta attaché, fut aussi le témoin de l’Histoire et de ses catastrophes. Un soldat allemand y avait pénétré dans la nuit du 23 juin 1940 et, après avoir assommé le poète, y assassina Rose, la fidèle servante, et violenta Divine, la fille du poète. Quelques jours plus tard, la barbarie nazie fit de nouveau irruption dans le Manoir pour saccager, déchirer et brûler une grande partie des manuscrits inédits de Saint-Pol-Roux. Peut-être ne lui avait-on pas pardonné d’avoir, l’un des premiers, dénoncé dans sa Supplique du Christ en 1933 les violences antisémites de l’Allemagne hitlérienne. Ce fut le crime de trop et Saint-Pol-Roux en mourut à l’âge de 79 ans. Le Manoir de Cœcilian fut alors réquisitionné et occupé par les nazis, puis bombardé par les alliés en 1944.
Les ruines, après guerre, portaient les stigmates de l’Histoire, mais une restauration restait encore possible. Divine Saint-Pol-Roux, dans l’espoir de voir naître un jour un musée dédié à l’œuvre et à la mémoire de son père, fit don du Manoir à la municipalité de Camaret. Aucun projet ne se concrétisa et les années passant les ruines se ruinèrent davantage (voir des photographies des différents états du Manoir ici).
Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques pierres et des vestiges de murs et de tourelles, offerts aux intempéries océaniques et aux piétinements des touristes. Aujourd’hui, comme hier, les pouvoirs publics n’envisagent aucune action pour sauvegarder ces ruines qui sont une part de la mémoire de Camaret, de l’Histoire et de la Poésie.
Nous refusons la fatalité et croyons qu’il est encore possible de sauver les ruines du Manoir de Cœcilian de la disparition.
Signons, nombreux, cette pétition afin d’alerter les pouvoirs publics et de commencer à agir, enfin !
Pour en savoir plus sur Saint-Pol-Roux, cliquez ici ou rendez-vous sur le site de la Société des Amis de Saint-Pol-Roux.

Et pour signer, allez donc voir par
 

jeudi 31 janvier 2019

Le Prince des poètes

Pour que M. le chef de bureau Grésille eût sollicité de M. le sous-secrétaire d’État cette audience immédiate, il fallait que la circonstance présentât un caractère exceptionnel de gravité et d’urgence, car Grésille est un des rares fonctionnaires qui continuent à maintenir haute et ferme, dans nos ministères, la tradition hiérarchique, et il n’est pas homme à déranger son ministre pour des balivernes…
— J’ai demandé à vous voir, monsieur le Ministre, déclara solennellement Grésille, aussitôt assis sur le bord du fauteuil en vieille tapisserie de Beauvais, que M. le sous-secrétaire Grivot lui avait désigné d’un geste cordial, j’ai demandé à vous voir parce que ça ne peut plus durer !...
— Et qu’est-ce qui ne peut plus durer, cher monsieur Grésille ?
— L’attitude, dans nos bureaux, de M. Baratin, commis principal. Certes j’admets que nos employés, en dehors du service, s’abandonnent à leur fantaisie, encore que cette fantaisie doive, évidemment, demeurer décente, et conciliable avec la dignité de la charge publique dont ils ont l’honneur d’être revêtus… Mais ce qui ne saurait être toléré, c’est qu’au ministère même et dans l’exercice de ses fonctions, un employé, fût-il M. Baratin en personne, affectât des allures que je persiste à considérer comme en contradiction formelle avec l’esprit, sinon avec la lettre, de nos règlements, et qui, en tout cas, apparaissent de nature à causer un préjudice moral, qui n’est pas douteux, au bon renom de nos administrations d’État… Bref, monsieur le Ministre, j’ai tenu à vous en laisser juge : est-il admissible qu’un employé de ministère se montre aux contribuables, se promène dans nos couloirs et, je le répète, dans nos bureaux, avec un chapeau de toréador et une cape traînant jusqu’à terre et doublée de rouge ? Est-il admissible que ce monsieur, lorsqu’il a un renseignement à me fournir ou une pièce à me faire signer, se présente à moi avec un pantalon bouffant et un justaucorps de velours violet, — je n’exagère pas, monsieur le Ministre, de velours violet, — et pas de linge…
— Ce monsieur Baratin est apparemment un artiste ? — sourit Grivot, plein de finesse et de bonhomie.
— Ah ! monsieur le Ministre, permettez-moi de vous dire que je vous attendais là. Il est exact, et je n’ai aucune raison de vous le cacher, il est exact que M. Baratin écrit des vers. Mais est-ce une raison pour ne pas s’habiller comme tout le monde ? Je connais des poètes, monsieur le Ministre, et vous en connaissez. Ets-ce que ces messieurs se croient obligés de se faire remarquer dans la rue, comme dans leurs écrits, par une mise plus ou moins excentrique ? M. Edmond Rostand, par exemple — je sais bien qu’aux yeux de M. Baratin, M. Rostand ne doit point passer pour un vrai poète, mais les jugements critiques de M. Baratin n’ont pas encore force de loi, l’opinion de M. Baratin ne modifiera pas la mienne, ni la vôtre, j’imagine, monsieur le Ministre, — eh bien ! est-ce que M. Edmond Rostand n’est pas toujours fort correctement, et, j’insiste sur ce point, fort convenablement habillé ? Et son fils, un poète lui aussi, quel élégant jeune homme, à en juger par les portraits de lui que j’ai pu voir dans les magazines !... Quant à M. Henri de Régnier, j’ai eu l’honneur de l’approcher quelquefois, du temps que son beau-père, M. de Hérédia, était bibliothécaire à l’Arsenal. Sans doute M. Henri de Régnier porte un monocle, petit sacrifice à l’excentricité, à la fantaisie : mais, à ce détail près, toujours en jaquette ou en redingote d’une coupe impeccable et sévère, M. Henri de Régnier, je le dis sans fausse modestie, pourrait très bien faire figure de chef de bureau !...
— C’est égal, cher monsieur Grésille, ce Baratin en justaucorps, vous m’avez donné envie de le voir ; voulez-vous, je vous prie, me le faire appeler ?
M. le chef de bureau Grésille pinça ses lèvres minces en un sourire sardonique :
— Le faire appeler, monsieur le Ministre ? Faire appeler M. Baratin ? Mais M. Baratin n’est pas là… M. Baratin n’est jamais là, ou, du moins, quand il daigne de venir, c’est toujours aux heures les plus irrégulières : un poète…
— Oh ! alors, si je ne peux pas même le voir, ce Monsieur, il ne m’intéresse plus, je vous l’abandonne, mon cher Grésille, je l’abandonne à votre juste ressentiment ; donc s’il vous plaît de le mettre en disponibilité pour échapper à la vision de ses costumes agressifs et exécrables, vous n’avez qu’à me présenter l’arrêté…
— Dès ce soir monsieur le Ministre !... — s’empressa M. Grésille, qui se retirait, courbé en deux, mais triomphant…
Le sous-secrétaire l’arrêta sur la porte :
— Au fait, dites-moi, mon cher Grésille, ce Baratin n’a pas d’attaches politiques ni parlementaires, et si nous lui tendons l’oreille, vous me garantissez que nous n’aurons pas d’embêtements ?...
— M. Baratin est entré ici par la voie du concours, et jamais, son dossier que j’ai consulté en fait foi, — jamais il n’a daigné faire intervenir en sa faveur le moindre homme politique intéressant : c’est un poète, vous dis-je…
— Dans ces conditions…
Et M. le sous-secrétaire d’État fait signe à M. le chef de bureau qu’il ne le retient plus.
— Décidément, murmure M. le sous-secrétaire aussitôt que M. le chef de bureau, rayonnant, s’est retiré, décidément, c’est la journée des poètes !...
Et M. Grivot tire de son buvard, pour s’en bien pénétrer, la petite note que le fidèle et informé Tarade lui a remise, sur l’œuvre et la personnalité du poète Valbois, dit Valboys.
Tout à l’heure, une délégation composée du secrétaire perpétuel de l’Académie française, du président de l’Association des étudiants, et du directeur du Gil Blas, doit venir recommander à M. le sous-secrétaire d’État des Beaux-Arts la candidature du bon poète Valbois, dit Valboys, à la crois de la Légion d’honneur.
Et comme le dictionnaire Larousse, même dans ses suppléments les plus récents, conserve un mutisme inexplicable mais obstiné à l’égard du poète Valbois ou Valboys, les renseignements du jeune Tarade sont intervenus à propos pour permettre à M. le sous-secrétaire des Beaux-Arts d’apparaître suffisamment renseigné.
— Nous disons donc : L e Cheveu d’Or, Les Paradis retrouvés, Le Gave, Sonate d’Hiver et La Chute de l’Ange Gabriel… Bon !... sentiment de la nature, magie du style, intimité… Parfait !... Ça suffit, et, maintenant, ces messieurs peuvent venir : j’en sais assez pour n’avoir l’air ni d’un ignorant, ni d’un imbécile…
Pourtant, quand ces messieurs sont venus, en effet, M. le sous-secrétaire Grivot, qui ne voulait pas risquer de manquer de mémoire, s’il tardait trop, et de perdre le bénéfice de son érudition toute fraîche, le prudent Grivot a cru bon de prendre les devants :
— Je sais, messieurs, au service de quelle noble cause, hautement artistique et littéraire, vous avez souhaité d’apporter le concours de votre autorité. Mais je tiens à vous le dire tout de suite : votre protégé, le poète Valboys, ne compte au sous-secrétariat des Beaux-Arts que des amis, et il n’a de plus sincère admirateur que le sous-secrétaire des Beaux-Arts… Oui, messieurs, autant que m’en laissent le loisir les durs soucis et les occupations multiples, héla ! de l’administration et de la politique, j’aime à venir retremper aux source radieuses et pures du Cheveu d’Or, ou du Gave, j’aime à en retrouver les sentiment de nature qu’expriment, avec tant de force et d’éclat, Les Paradis retrouvés ; je n’ai jamais pu relier sans émotion cette Sonate d’Hiver, toute parfumée d’une intimité exquise ; et quelle leçon de style, messieurs, même pour le profane que je suis, dans cette magique Chute de l’Ange Gabriel
L’énumération éloquente de M. le sous-secrétaire des Beaux-Arts ne semble pas avoir produit l’effet excellent qu’il en pouvait cependant légitimement escompter. Ces messieurs de la délégation se sont contentés d’un acquiescement léger, et même empreint de quelque gêne. Enfin, le président de l’Association des Étudiants s’est décidé à rompre le silence un peu pénible qui avait suivi :
— Certes, moonsieur le Ministre, nous rendons hommage aux mérites de M. Valboys ; la croix de M. Valboys, nous vous l’avions dit, et nous ne saurions nous en dédire, rencontrera un accueil des plus sympathiques. Mais nous avons le devoir de ne pas oublier que les suffrages presque unanimes des lettrés et, plus particulièrement de la jeunesse littéraire au nom de laquelle j’ai le grand honneur de parler, viennent de désigner, dans les réunions, dans les revues, dans les cafés, enfin partout, comme « Prince des Poètes », l’écrivain admirable et hautain qui signe Valentin Gy… Ce n’est pas à l’homme cultivé et averti, au véritable Athénien, qui est maintenant notre surintendant des Beaux-Arts, que l’on doit faire l’injure de vouloir rappeler les titres éminents de Valentin Gy… Pour ne citer qu’une œuvre qui, à elle seule, eût cent fois mérité toutes les distinctions, M. Grivot a certainement lu et relu le dernier recueil de Valentin Gy, cette série d’évocations fulgurantes et merveilleuses que Valentin Gy a intitulé : Les… — comment donc ?... Les… — Est-ce bête… J’ai le nom sur le bout de la langue : les
— Oui, oui, affirme Grivot inquiet : je vois très bien ce que vous voulez dire… Si je les ai lues !... Ah ! messieurs, quel sens exquis de l’intimité, quelle magie du style, et un sentiment de la nature qui, par endroits, — peut-être ne partagerez vous pas cet avis, mais c’est une impression très vive que j’ai ressentie, — par endroit ne laissait pas de me faire penser à certaines pages de Jean-Jacques Rousseau…
— Très ingénieux !... approuve le directeur du Gil Blas, cependant que le secrétaire perpétuel de l’Académie française hoche la tête et répète :
— Jean-Jacques Rousseau !
— Or Valentin Gy, monsieur le Ministre, dépend directement de votre administration, ce qui facilitera sans doute la faveur que nous sollicitons pour lui. Valentin Gy est employé au sous-secrétariat des Beaux-Arts….
— Diable ! ceci, au contraire, va, je le crains, compliquer les choses. Quel grade a-t-il ?
— Commis principal…
— Patatras !... je peux décorer un poète, mais pas un commis principal : il y a des règlements, une hiérarchie, qui s’y opposent formellement… Mais êtes-vous sûrs que Valentin Gy ?... Je connais à peu près tout mon personnel, et ce nom…
— C’est un pseudonyme, monsieur le Ministre : Valentin Gy se nomme en réalité….
— Baratin, n’est-ce pas ? Je parie qu’il s’appelle Baratin !... — s’écrie M. Le sous-secrétaire d’État soudainement illuminé. Mais alors, tout peut s’arranger. Vous permettez ?...
M. Grivot sonne ; M. le chef de bureau Grésille apparaît :
— Et cet arrêté de mise en disponibilité, M. Grésille ?
— Le voici, monsieur le Ministre.
— Eh bien ! non monsieur le chef de bureau, j’estime la mise en disponibilité insuffisante ; M. Baratin, à dater de ce jour, est rayé des contrôles de l’Administration des Beaux-Arts, vous entendez, Monsieur le chef de Bureau, je révoque….
M. Grésille exulte :
— Mesure sévère, mais juste, monsieur le Ministre, et qui ne manquera pas d’exercer la plus salutaire influence, et la plus efficace sur l’ensemble du personnel….
Mais au même instant, stupéfait, M. Grésille, officier de l’Instruction publique, entend M. le sous-secrétaire d’État qui explique :
— De cette façon puisqu’il n’est pas fonctionnaire, puisqu’il est révoqué, rien ne m’empêchera plus de proposer pour la croix M. Baratin, dit Valentin Gy, princes des poètes.

Franc-Nohain
 : Le Gardien des muses (1913)

mardi 29 janvier 2019

Autodafés en Espagne

Il y a quelques jours de cela, Floréal, dans son blog, reproduisait un long article sur les cas d’autodafés perpétrés pas les nationaliste lors de la Guerre d’Espagne. Vous trouverez ci-dessous le lien vers ce papier fort bien documenté...




(Image tirée du blog de Floréal)

jeudi 17 janvier 2019

La remontée du Fleuve



Voici quelques mois, votre Tenancier arrêtait d’écrire des histoires du Fleuve parce qu’il sentait le besoin d’observer une trêve avec cet univers. Toutefois, l'on découvre une inertie inévitable dès lors que l’on se mêle de vouloir être édité : les textes sortent bien après leur rédaction et il subsiste un temps considérable entre l’élaboration d’une histoire et sa publication en revue. Les premières lignes de La remontée du Fleuve, figurant dans ce sommaire du numéro trois du Novelliste, datent de 2016. Ce constat est une leçon prodiguée avec beaucoup de recul. Vingt-cinq ans plus tôt (et même plus que cela), votre serviteur recevait l’écrivain de littérature fantastique Scott Baker à son émission de radio pour un ouvrage qui venait d’être publié en France. Il était accompagné d’André Ruellan, lecteur enthousiaste du roman et qui avait entamé un dialogue assez fécond à l’antenne. Seulement, impossible de rentrer dans les péripéties de l’histoire avec l’auteur. À la vérité, il en avait oublié certains aspects. Évidemment, l’édition française avait suivi l’américaine de plusieurs années et Scott Baker ne se souvenait plus de tout, ce qui n’avait d’ailleurs pas entamé l’intérêt de cette émission. Risquera-t-on de rencontrer le même problème avec votre serviteur ? Oui, c’est probable… parce que ce qui est rédigé est déjà du passé. Ma rupture avec l’univers du Fleuve n’est certes pas consommée, des synopsis sont encore dans mes tiroirs, mais je sens que pour y revenir il sera utile de me relire et de prendre des notes, non pour observer une cohérence qui demeure très lâche, mais pour en redessiner des contours convaincants. L’entreprise se révèle aisée et nécessite seulement de revoir trente-deux histoires dans la chronologie imaginée par mes soins. Et, si jamais je recommence à explorer le Fleuve, vous ne lirez vraisemblablement des textes nouveaux que dans un ou deux ans, voire plus. L’absence ne sera pas trop pénible, de toute façon, ces histoires valant ce qu’elles valent… Un récit du Fleuve, long cette fois-ci, paraîtra dans quelque temps, un autre, plus court, est en attente (celui-ci est peut-être l’amorce d’une « relance »). Ensuite, on pensera à rassembler en volume ce qui ne l’a pas été, et puis la béance… que nous occuperons avec d’autres sujets, éventuellement. Il n’empêche, c’est la fin d’un cycle commencé huit ans auparavant avec Une partie de pêche sorti en 2010. Je la ressens fortement avec cette publication dans les colonnes du Novelliste, elle consacre aussi le terme d’un « apprentissage », même si ce n’est pas un accomplissement. Le long récit en préparation appartient également à cet achèvement, mais d’une autre façon. Il sera toujours temps d’y revenir lors de sa parution.
En attendant, La remontée du Fleuve, toujours illustré par Céline Brun-Picard, vient de sortir en excellente compagnie et le Tenancier vous remercie de remplir votre bon de commande pour cette revue diablement courageuse puisqu’elle n’a vu aucun inconvénient à publier votre serviteur…


mardi 15 janvier 2019

jeudi 10 janvier 2019

Où le Tenancier est fier de sa fille

Le Tenancier, à une époque ou le népotisme et le favoritisme font rage, ne voit pas pour quelle raison il se priverait d’en faire autant. C’est donc avec une certaine fierté qu’il vous présente un court-métrage de sa fille et qu’il vous enjoint sans plus tarder à montrer votre approbation (mais on ne vous force pas, on vous suggère !).
Merci.


mercredi 9 janvier 2019

Neuf ans plus tard, votre Tenancier a percuté (c'est pas trop tôt !)

Il y a neuf ans de cela, je faisais part sur le blog précédent celui-ci de la trouvaille d’une étiquette de vin dans un ouvrage de Verne, en guise de marque-page. J’avais reproduit ce billet il y a un an ici même. Restait tout de même une sensation étrange en retrouvant l’image de cette étiquette qui, mine de rien tentait de lui rappeler autre chose. Neuf ans pour réaliser : on pourra dire que votre serviteur a le cerveau un peu lambin, mais quel brasillement face à la réalité ! L’étiquette fait penser à la couverture d’un classique Vaubourdolle, publié dans le temps chez Hachette et que le curieux peut de temps à autre retrouver chez les bouquinistes dans le rayon des petits classiques. Diable, boire un Barsac comme on se lit un Vaubourdolle, ça ne manque pas de pertinence : liquoreux comme un classique, classique comme un liquoreux ? À votre santé !