mercredi 10 avril 2019

10/18 — Alexandre Dumas : Mille et un fantômes




Alexandre Dumas

Mille et un fantômes

Suivi de
La femme au collier de velours
Introduction par Hubert Juin

n° 911

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18

440 pages (448 pages)
Dépôt légal : 1er trimestre 1975
Achevé d'imprimer le 23 décembre 1974
Volume sextuple


(Contribution du Tenancier)
Index

dimanche 7 avril 2019

Idylle dans une bibliothèque

Mon père semblait vouloir profiter du répit que lui laissait sa maladie pour achever les aménagements entrepris à Broglie. Les deux bibliothèques nouvelles étaient terminées. Il s’agissait de ranger les livres venus de Paris dont les caisses s’entassaient depuis la mort de mon grand-père en 1901 dans les écuries. Mais le classement de ces volumes que l’on voulait intégrer dans la bibliothèque principale posait des problèmes que seul un spécialiste pouvait résoudre. Mon père s’adressa au baron de Barante. La famille de Barante avait été très liée avec Mme de Staël et le château de Barante contenait une bibliothèque presque aussi considérable que celle de Broglie. Elle avait été reclassée récemment. Le baron de Barante recommanda sans hésiter un bibliothécaire émérite que mon père engagea aussitôt pour la saison. M. Marie-Louis P. était un Belge originaire de Liège, connu pour ses travaux sur les incunables. On s’attendait à un vieil érudit et on fut surpris de voir arriver un grand jeune homme bien tourné avec de beaux yeux et une superbe moustache. Il parlait beaucoup, sa verve était intarissable et son savoir immense. Il avait tout lu, tout étudié. Dès le premier jour, je fus médusée. Je passais des heures avec lui au milieu des livres amoncelés par terre en tas sur le plancher. Il fallait réunir les tomes, les chercher un à un, classer d’après l’auteur ou la matière, décider de la place la plus logique pour chaque ouvrage. Perché sur la grande échelle, Maris-Louis P. prenait le livre que le lui tendais, en lisait quelques lignes avec des remarques pertinentes puis casait le volume sur un rayon, classant et reclassant sans cesse. Je prenais un intérêt prodigieux à ce travail géant qui semblait devoir être sans fin. J’en oubliais les jeux, les promenades, les lectures chez ma grand-mère, les lettres à mon amie de cœur. Il fallait me forcer à faire quelques tours de parc en bicyclette ou même aller à Trouville voir la mer que j’aimais tant. Plus rien n’existait pour moi en dehors de cet univers de quarante-cinq mille volumes dominé par un séduisant bibliothécaire. Cela dura environ deux mois. Le jeu était dangereux, mes parents ne s’apercevaient de rien. Vers le 15 août mon frère Maurice et ma sœur me proposèrent d’aller passer quelques jours à Dieppe. […] une dépêche alarmante nous rappela à Broglie. C’était le 20 août : l’état de mon père s’était brusquement aggravé. Il fallait revenir en toute hâte pour trouver une situation presque désespérée. Des crises de suffocation se renouvelaient malgré la présence de deux médecins. J’appris dès l’arrivée que devant l’inquiétude croissante Marie-Louis P. avait cru discret de se retirer, laissant son immense classement inachevé. La bibliothèque était vide, les derniers livres rangés en hâte sur les planches du bas. L’espèce de chagrin que je ressentis en apprenant la nouvelle me fit mesurer avec effroi l’emprise que le jeune homme avait exercée sur moi. L’émotion fut augmentée par l’arrivée d’une lettre qui me parvint par miracle. Elle était correctement adressée à « Mlle de Broglie, aux bons soins de la duchesse de Broglie ». Un domestique me l’apporta sur un plat d’argent sans qu’elle ait été ouverte. Ma mère, hélas, avait d’autres soucis. En quelques lignes sobres, Marie-Louis P. m’exprimait sa reconnaissance pour l’aide que je lui avais apportée et son regret d’avoir quitté Broglie sans pouvoir me dire adieu, mais il ajoutait cette phrase romantique et pour moi bouleversante : « Bien qu’un abîme social nous sépare, croyez, Mademoiselle que je ne vous oublierai jamais ». Cette déclaration voilée me produisit un choc affreux. C’était la première fois que de pareilles paroles m’étaient adressées. J’avais lu de mauvais et de bons romans, je n’ignorais pas les plus belles pages de Jean-Jacques Rousseau, mais jamais ne ne m’étais vue dans le rôle de la Nouvelle Héloïse. Puis voilà que me revenaient des souvenirs. N’avait-il pas un soir appuyé sa main sur mon épaule sous prétexte de me remettre mon écharpe ? Une autre fois en lui tendant un livre, ses lèvres n’avaient-elles pas effleuré mes doigts ? Comment était-il possible que je n’avais rien vu, rien remarqué. Je brûlai la lettre dans ma petite chambre mansardée près de la grosse tour et je pleurai toute la nuit sur ce bonheur impossible avec l’attristante pensée qu’en raison de « l’abîme social » l’amour me serait toujours interdit. Marie-Louis P. était-il réellement parti à cause de l’état de mon père, ou bien ma vieille nurse anglaise qui passait ses vacances dans le château était-elle intervenue pour quelque chose dans ce départ brusqué ? Je l’ai toujours soupçonné et je pense aujourd’hui que si cela est vrai, c’est le plus grand service qu’elle m’ait jamais rendu.

Comtesse de Pange : Comment j'ai vu 1900
Tome II : Confidences d'une jeunes fille

jeudi 4 avril 2019

La bibliothèque du docteur

Hugot
Les consultations de l'excellent docteur Oehlenshläger
« Le docteur boit du rouge »
in : Charlie mensuel n° 86, mars 1976

mardi 2 avril 2019

Le secret du vélo

Moi que le mois passé, distançait la tortue
Aujourd'hui je détiens les plus âpres records
Et ferme sur ma selle, ainsi qu'une statue —
De Mayeux — ma bécane et moi n'avons qu'un
Par quelle miracle ou par quelle sévère études corps.
Poursuivie ardemment — même en rêve — ai-je pu.
Domptant à tout jamais ma coquette habitude
De me flanquer par terre, être à la fin repu
De gloire triomphale à vélo ? C'est la chose,
Mesdames et Messieurs, que je viens vous crier.
Vous allez tout savoir comment, sans ecchymose
Je chevauche à présent garni de pneus, l'acier !
Un jour je vis un chien — l'épargne de la fourrière —
Qui grattait follement l'asphalte d'un trottoir,
Avec des mouvements de pattes en arrière !
« Ciel, me dis-je, Euréka ! » Soyons ça dès ce soir
Et le soir, oubliant que plus que la vaisselle,
L'homme est fragile, hélas. Avec un gai fredon,
J'enfourchai hardiment l'as de cœur de ma selle,
L'orteil à la pédale et la paume au guidon.
Admirable départ ! J'entrai dans la carrière
Bien avant nos ainés.
                                 ... Courbé sur mon vélo,
Sans jamais rien voir et de mes pieds de derrière,
Grattant, grattant, grattant ! Quel ravissant tableau !
Je filai d'un train à déconcerter la brise
Et tels des voyageurs mordus par un cobra,
Les passants s'arrêtaient figés dans leur surprise,
Ma bécane, étonnée, un instant se cabra :
Mais son maître était né ! Volcan rempli de lave !
Et sous mes durs mollets — charmants dans leurs tricots —
Elle plia, vaincue en silence, l'esclave,
Et le bravo public enroua les échos.
C'est ainsi que, parti de mon illustre rue
Arsène-Houssaye six, je suis allé jusqu'à
Belfort, Saint-Petersbourg, bornant toujours ma vue
Aux boudins de mes pneus... et jusqu'à Kamstchatka.
J'eusse atterri sans voir une fois, une seule,
Le Zénith !! À quoi bon, chevalier du jarret !
Ne rien voir et tourner, tourner toujours la meule,
Le voilà le fin mot de notre beau secret.
Je vous livre le truc. Ah ! de toute mon âme,
Mesdames et Messieurs ! Usez-en dès ce soir.
Mais il faut le Rayon ! et le Muscle ! et la Flamme !!!
Avec mon coup du chien qui gratte le trottoir.

Récité et mimé par Coquelin Cadet, de la Comédie Française
Poésie de M. Ernest d'Hervilly
Photographhies de M. da Cunha
La Vie au Grand Air
n° 42 — 2 juillet 1899

dimanche 31 mars 2019

Se laisser faire

Le Tenancier aime, malgré ses dénégations vigoureuses, ces petits coups du destin qui le font mentir. Ainsi, déclarant il y a quelque temps qu’il ne se livrerait pas à la réparation d’une nostalgie, voulant rester sur une saveur d’enfance, voici qu’il se trouve confronté à un artefact l’y renvoyant. Sans faire d’effort particulier, une histoire liée à la jeunesse du Tenancier resurgit. Il a cédé et l'a pris.
On conclura de notre côté que, dans ce temps imparti qui passe, nous presse et nous pousse, nous l’occupons à nous leurrer. La leçon vaut parfois le coup.

samedi 30 mars 2019

Où le Tenancier s'apitoie (et il sent qu'il va le regretter...)

Le Tenancier sait que certains de ses lecteurs s’engluent dans une navrante nostalgie. Il suffit de voir quels articles sont consultés couramment ici. Si on les écoutait, on se verrait contraint de rouvrir les anciens dossiers — et pourquoi pas les anciens blogues. Ces pouacres s’imaginent donc que l’âge contribue à la vertu. Tant d’apitoiement sur soi écœure. Tant pis pour eux, nous ne perdurerons plus à nous porter garant de leur sauvegarde. Donnons leur cette pitoyable pitance, regrets, soupirs et chagrins.
Nous rouvrons l’accès à notre ancien blogue.

https://feuillesd-automne.blogspot.com/

vendredi 29 mars 2019

Tourne, tourne le petit astronaute et ne redescend plus...

Le Tenancier n’a pas toujours été Tenancier, savez-vous ?
Il a eu la chance de faire un peu de microédition. Tout vous sera exposé ici (après une tentative incomplète sur le présent blogue il y a pas mal de temps).

Lectures prérévolutionnaires

L’autre jour, votre Tenancier remarquait la parution du livre de Robert Darnton, Un tour de France littéraire qui selon son sous-titre évoque « Le monde du livre à la veille de la Révolution ». À la vérité, on le renvoyait à une lacune importante dans sa culture personnelle, car cette période lui est à peu près inconnue, faute d’autant moins explicable qu’il détenait par ailleurs un ouvrage largement antérieur du même auteur, publié la première fois en 1983 qui s’intitulait Bohème littéraire et Révolution, doté d’un sous-titre plus général, mais qui aurait pu être échangé avec la publication plus récente puisqu’ici il était question du « monde des livres au xviiie siècle ». On l’avait certes un peu picoré, et notamment toute la première partie qui décrivait la population des écrivassiers de soupentes, auteurs de libelles et de pamphlets, « philosophes ratés », mais vrais pornographes, où certains allaient réapparaître à la Révolution sous d’autres habits : Desmoulins, Hébert ou Marat, par exemple. Certains, à l’époque incertaine des publications sous le manteau ne craignaient pas d’émarger à la police en mouchardant et Darnton de donner des exemples tirés des archives de cette police. Ce chapitre délectable et étonnant ne se retrouve pas dans Le tour de France littéraire, qui s’attache plus à ce qui fait aussi la plus grande matière de la Bohème littéraire, c’est-à-dire le commerce clandestin du livre. Celui-ci atteint des proportions ahurissantes, qui nous poussent à réévaluer l’image que nous possédons de la vie intellectuelle de l’époque et sur la présence de certains ouvrages dans les bibliothèques, certainement surévaluées. Le constat peut sans doute s’effectuer sans peine à notre époque contemporaine : combien de livres inutiles gisent dans les bibliothèques, destinés à l’oubli et combien passeront le cap d’une certaine postérité. Le phénomène reste vérifiable dans les bibliothèques du xxe et du xixe siècle, d’autant plus commodément que nous possédons des traces de la circulation des livres grâce aux catalogues d’éditeurs et de bien d’autres sources documentaires. Il se trouve que dans la période prérévolutionnaire, nombre d’ouvrages de contrebande provenaient de philosophes des lumières et que les ballots des contrebandiers contenaient aussi bien ces titres-là que des pamphlets ou des œuvres philosophiques, au point que le terme devint l’appellation pudique pour des ouvrages quelque peu enlevés. De là, difficile de quantifier et d’évaluer la teneur exacte de la contrebande. Darnton dans le premier essai avance avec prudence sur le sujet, puisqu’il reste difficile de retrouver des traces abondantes des commandes de clientèles (en revanche on en découvre de la part des libraires aux imprimeurs situés hors de France, comme à Genève). Un autre aspect de La Bohème littéraire — somme de plusieurs conférences qui ont pour certaines quarante-cinq ans — revient au constat que le mécontentement politique et social s’alimente des libelles qui font état de la vie dissolue à la cour, les scandales qui mettent en scène clergé et noblesse, alimentés par des faits divers et des exactions… Bien évidemment, ce phénomène renvoie à toutes les situations où une société vacille sur ses bases, lorsqu’elle s’alimente à d’autres sources que les organes autorisés. L’évocation possède quelques résonnances à notre époque, même si les informations ne passent plus par une contrebande organisée (mais que l’on aimerait bien réprimer tout de même). La production subversive, variée, clandestine recèle quelques pépites. L’an 2440 de Louis-Sébastien Mercier en fait partie. En cela, il faut sans doute recommander de lire Bohème littéraire et Révolution avant Un tour de France littéraire, qui explore la structure du commerce clandestin, le premier opus servant d’ouverture. Cette ouverture vaut certainement pour au moins deux autres titres de l’auteur : Édition et sédition — L’univers de la littérature clandestine au xviiie siècle et L’affaire des quatorze — Poésie, police et réseaux de communication à paris au xviiie siècle. Il semble bien que l’effort de transposition ne soit pas si ardu à une époque où l’écrit ou la lecture redeviennent des fonctions subversives et où la police inspecte de nouveau les bibliothèques personnelles pour identifier le délinquant politique.
Pour conclure provisoirement, mettons sous les yeux de nos lecteurs un bout de la transcription de Darnton d’archives policières :

MERCIER : « Avocat, homme bizarre, farouche ; il ne plaide ni ne consulte. Il n’est pas sur le tableau, mais il prend le titre d’avocat. Il a fait le Tableau de Paris en quatre volumes et d’autres ouvrages. Ayant peur de la Bastille, il s’en est allé, puis il est revenu et il voudrait s’attacher à la police. »
MARAT : Hardi charlatan. M. Vicq d’Azir demande au nom de la Société Royale de Médecine qu’il soit chassé de Paris. Il est de Neuchâtel en Suisse. Beaucoup de malades sont morts dans ses mains. Mais il a un brevet de médecin qu’on lui a acheté. »

samedi 16 mars 2019

Révisons nos classiques


Georgius  

Le Cid 

Ah, si Corneille entendait ça !

Ah, la drôle d'histoire que je vais chanter là !
Au petit village de Santa Madonna
Habitait Rodrigue
Un brave et beau zigue
Qui avait du poil sur l'estomac

Son père qui était un roublard, et comment !
Qu'aimait pas s' biler, qu'était un peu fainéant
Avait la manière
De tout lui faire faire
En le prenant par les sentiments

— Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !
— Ah bon ? Alors va me chercher un paquet d' cigarettes
Balaye le garage, gonfle ma bicyclette
Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Je t'en supplie, papa, ne doute pas d' mon honneur !
— Bravo, mon cher enfant, j'aime ta dignité
Alors, cire mes chaussures et fais-les bien briller
Olé !

À la grande ville, tous les dimanches matin
Ils s'en vont tous deux pour se distraire un brin
C'est le beau Rodrigue
Qui est l' fils prodigue
Le père avare n'a pas un rotin
Pour se taper la cloche ils entrent bientôt
À l'Hostellerie du Canard aux Pruneaux
Le papa commande
Une grosse limande
Et s'écrie devant le plat bien chaud

— Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !
— Très bien. Alors coupe le poisson qui est dans mon assiette
Donne-moi les filets et mange les arêtes
Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Papa, je t'en supplie, ne doute pas d' mon honneur !
— Bravo, mon cher enfant, t'es noble comme un lion
Alors, appelle la bonne et règle l'addition
C'est bon !

Le père adorait les courses de taureaux
Il entre aux arènes avec son grand Roro
Le combat fait rage
C'est un vrai carnage
Jamais on n' vit plus méchant taureau
Il a déjà tué quatorze picadors
Six banderillos et le toréador
Une panique immense
Secoue l'assistance
Le papa s' lève et remet ça encore

— Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !
— Parfait ! Alors, cours au taureau qui prend cet air bravache
Et dis-lui de ma part que c'est une vieille vache
Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Oh oui, papa, j'en ai, j' vais te l' prouver sur l'heure
Car je viens de comprendre que tu étais cinglé
Je vais t' faire interner
À l'asile d'aliénés

Allez, à la douche !