lundi 30 août 2021
samedi 28 août 2021
Le livre dans l'entre-deux-guerres — II
Le
développement de l’édition sur beau papier fur la
conséquence des conditions économiques d’après-guerre. Si boulangers,
bouchers
et pompes funèbres n’hésitèrent pas à quintupler leur prix, sûrs qu’on
achèterait toujours du pain, du bifteck et des cercueils, les éditeurs
craignirent de perdre leur clientèle en suivant l’indice normal des
prix, leur
marchandise ne paraissant pas indispensable. Le livre courant vendu
avant la
guerre 3,50 fut timidement poussé à 6,75 ou 7,50, puis en 1926 à 12
francs. Il
résulta te cette pusillanimité que les éditeurs durent imprimer leurs
nouveautés sur des papiers de plus en plus médiocres. Or, toute une
classe de
Français a, par tradition, un goût de la bibliothèque qui se transmet
de
génération en génération. Sans être entiché de papiers extraordinaires
ou de
reliures de grand luxe, un sincère amateur de livres ne pouvait plus
constituer
de bibliothèque convenable avec les livres d’édition courante, dont le
papier équivalait
au torche-cul des livraisons populaires d’avant-guerre et ne manquerait
pas
d’être réduit en poussière au bout de quelques années. D’où l’habitude
prise
par un grand nombre de gens d’acheter leurs auteurs préférés en édition
sur un
papier supérieur, quitte si leur budget était restreint à n’acquérir
que deux
volumes au lieu de trois.
Avant la guerre, il était tiré pour de très rares amateurs trois Chine, cinq Japon et dix Hollande de certains ouvrages. Seules de grandes vedettes, tels Rostand, Loti ou France, connurent quelques tirages importants sur papier de luxe. Après la guerre, il devint normal de tirer certains ouvrages à plusieurs milliers d’exemplaires sur bon papier, destinés — non point comme certains l’ont cru — à des maniaques ou à des spéculateurs, mais à tout amateur désireux de conserver ses livres, l’édition courante devant être désormais réservée aux gens qui, dans le métro, coupent les livres avec leurs doigts ou les jettent par la fenêtre des trains après les avoir parcourus. Le prodigieux développement de l’édition dans l’après-guerre, d’autre part, modifia la situation des éditeurs vis-à-vis des dépositaires de leurs marchandises. Jadis, le libraire, pour exercer son commerce, était trop heureux de recevoir des nouveautés. Du jour où, dans une véritable lutte au couteau, ils entreprirent de rivaliser dans le lancement de leurs « cracks », les éditeurs dépendirent beaucoup plus du détaillant, dont il fallait s’assurer à tout pris le concours. D’où assaut d’amabilités, surenchère de remises et de délais de règlement. Avec le succès de l’édition de luxe, le rôle du libraire devint capital. La clientèle, en effet, ne dispose pas de ressources illimitées. Un grand libraire sait exactement le budget que chacun de ses clients s’alloue par an pour sa bibliothèque. Ce budget n’étant pas extensible, le client qui achète telle grosse pièce n’achètera pas telle autre. D’où l’importance de plus en plus grande du libraire, sinon du commis qui conseille l’acheteur ; et handicap forcé de toute nouvelle firme qui, en naissant, n’augmente nullement la capacité générale d’achat de la clientèle, mais réclame simplement, avec une assez candide inconscience, un nouveau partage du gâteau. La baisse du franc et la ruée des acheteurs sur toutes sortes de marchandises eut une autre conséquence sur l’édition de luxe, qui parut devoir procurer très rapidement de gros bénéfices. Quantité d’individus complètement ignares se lancèrent dans l’édition tandis que certains écrivains, grisés par le succès, s’efforçaient de tirer parti avec un complet cynisme de la vogue du moment. Côté éditeur, aurai-je la cruauté de citer certaines firmes montées en quinze jours pour éditer n’importe quoi sur n’importe quel papier, avec n’importe quelle typographie… mais pas à n’importer quel prix ? Côté auteur, certains écrivains, après avoir rédigé en sept semaine un roman comportant sept chapitres, firent paraître de mois en mois, dans des maisons différentes, chaque chapitre en plaquette de luxe, illustrée ou non, puis rassemblèrent ensuite en un volume — avec de nombreux grands papiers — les sept chapitres de leur roman, déjà édités séparément. C’étaient d’assez fâcheux procédés. Bernard Grasset, qui dans La Chose littéraire a tracé une sorte de panorama de la librairie pleins d’aperçus ingénieux et avec un détachement apparent des contingences commerciales, déclare que les deux facteurs du succès de l’édition furent : 1° L’esprit de spéculation : « Les Français, écrit-il, imaginèrent de monnayer en quelques sorte la postérité, en attribuant à tel ou tel livre, dès sa publication, une valeur qu’il aurait acquise, suivant la logique des choses, que deux ou trois cents ans après… » Il oublie de dire que c’est lui-même qui organisa la spéculation chez les petits avec le lancement de ses fameux Cahiers verts à 5 francs l’édition originale tirée à 7 000 exemplaires. 2° Le snobisme : « Dieu merci ! on n’achète pas seulement des livres pour les revendre : certains en achètent pour les montrer ! Et ici nous reconnaissons un autre trait de notre époque, la forme littéraire du snobisme. » |
Jean Galtier-Boissière : Mémoires d'un Parisien, tome II (1961)
Chapitre XVII : Souvenirs de mon commerce
vendredi 27 août 2021
Une historiette de Béatrice
jeudi 26 août 2021
mercredi 25 août 2021
lundi 23 août 2021
Le livre dans l'entre-deux-guerres — I
La
guerre avait appris à lire aux Français. Cinq années
s’étaient passées à attendre : les uns attendaient de partir au
front ou
d’être relevés des tranchés ; les autres attendaient le retour des
premiers. Pour tromper le temps, on lisait au front La Vie
parisienne et des romans tristement gais, et à l’arrière des
récits de guerre plus ou moins frelatés. Lorsque la paix éclata, une multitude de quasi-illettrés avaient pris l’habitude de lire et la demande de papier imprimé, immédiatement, dépassa l’offre. Or le nombre de faiseurs de livres n’avait pas augmenté dans la même proportion que celui des amateurs de lecture, les nouveaux auteurs de la guerre remplaçant tout juste les tués de la corporation. Certains éditeurs comprirent qu’avec l’appui d’une de ces publicités massives réservées jusque-là au lancement des spécialités pharmaceutiques, il devenait possible de rassembler sur leur seul nom un nombre immense de lecteurs. Alors que les maîtres de l’école naturaliste — Zola, par exemple — n’étaient arrivés en trente ans qu’à quelques tirages de 100 000 exemplaires, un Albin Michel, avec le coup de tam-tam approprié — « Regardez cet homme, il sera demain célèbre ! » — pur répandre les premiers romans d’aventure de Pierre Benoit à plusieurs centaine de mille. Et dans la suite, Maurice Dekobra surpassa sans doute Benoit. Il est à remarquer que le nombre des acheteurs de livres est beaucoup plus grand en Allemagne qu’en France. Trois livres de Bonsels — dont le fameux Voyage aux Indes — furent tirés en langue allemande à plus de 800 000 exemplaires, et Tomas Mann à peur près les mêmes chiffres. Certains livres de guerre ont connu outre-Rhin, des tirages considérables : Classe 22, d’Ernst Glaeser, 800 000 ; Krieg (« Guerre ») de Ludwig Renn, 150 000 ; Le Débat au sujet du sergent Grischa, d’Arnold Zweig, 300 000 ; enfin l’œuvre d’Erich Maria Remarque, Im Westen nichts Neues (« À l’Ouest rien de nouveau ») a battu tous les records du monde avec 975 000 exemplaires vendus en Allemagne seulement (et 3 ou 4 millions en traductions). Cet accroissement imprévu du nombre des acheteurs de livres en France explique les rapports nouveaux qui s’établirent entre auteurs, éditeurs et libraires. Avant la guerre, le jeune écrivain faisait longuement antichambre chez l’éditeur. S’il avait quelques disponibilités, on lui proposait gentiment de l’imprimer à compte d’auteur. Proust, Mauriac, Maurois, et tant d’autres, commencèrent de la sorte. Si le débutant était pauvre, il fallait que le tout-puissant éditeur lui trouvât des qualités exceptionnelles pour le lancer à ses risques et périls. Du jour ou, au lendemain de la guerre, la demande dépassa l’offre, la situation se trouva renversée. L’auteur ne se présenta plus en solliciteur honteux. C’est au contraire l’éditeur qui se mit à rechercher fébrilement tous les noircisseurs de papier capables de lui fournir la matière première de son commerce en plein essor. Bien entendu, ce ne furent pas les « vieux lutteurs » blanchis sous le harnois qui profitèrent du changement d’atmosphère, mais les jeunes qui, ignorant les usages d’avant-guerre, posèrent leurs conditions. Parmi les éditeurs, les uns, discernant la capacité d’absorption sans cesse accrue du grand public, se plaignaient de ne pas trouver assez de copie à imprimer ; les autres étaient pris d’une terreur panique de se laisser chiper par quelque rival l’un de ces nouveaux génies en mesure de faire la fortune d’une maison. L’affolement fut tel quel la trésorerie des principales maisons dut être totalement remaniée. Alors que jadis l’éditeur payait aux auteurs leurs droits une fois l’an après inventaire, toute maison « à la page », pour s’attacher les écrivains à succès, dut leur faire non seulement des avances, mais de véritables pensions. Ce fut surtout le cas des « poulains » de la N.R.F. (Drieu La Rochelle) et de Grasset (Radiguet). […] |
Jean Galtier-Boissière : Mémoires d'un Parisien, tome II (1961)
Chapitre XVII : Souvenirs de mon commerce
dimanche 22 août 2021
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jeudi 19 août 2021
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