jeudi 7 octobre 2021

Errol filme (mais pas que)


« Je ne sais pas pourquoi j’écris, à moins que ce ne soit pour me prouver quelque chose. Avant de devenir acteur, je mourais pratiquement de faim à force d’essayer de vendre mes histoires. Je suppose que j’ai toujours eu ça en moi et que je l’aurai jusqu’à la fin. Parfois je me demande pourquoi je me décarcasse à passer des nuits entières à mon bureau. Je n’ai jamais réussi à trouver une réponse satisfaisante à cette question »
 
Errol Flynn

Biblio piquée à Wikipedia :

Beam Ends, New York, Longmans, Green and co, 1937, (traduction française : Princes de la bourlingue, éditions Ouest France, 2003) — Récit autobiographique

Showdown, New York, Sheridan House, 1946, (traduction française: L'Épreuve de vérité, Le Serpent à plumes, Paris, avril 2009  — Roman

My Wicked, Wicked Ways, New York, Buccaneer, 1959, (traduction française ; Mes 400 coups, Éditions Olivier Orban, 1977 / réed. J'ai lu, 1979 / rééd. Séguier, 2020) — Autobiographie

Moi et Castro, suivi de ce qui m'est réellement arrivé en Espagne, éditions du Sonneur, 2019.

mercredi 6 octobre 2021

Le sens du poil

[...] En effet, le consensus déploie ses tentacules un peu partout, et pas seulement dans les mass media, révélateur de la démagogie ambiante, de la préséance du tout victimaire, et d’une infantilisation généralisée. Il ne faut froisser personne, nous sommes tous des victimes, nous n’avons pas atteint notre majorité. On a peur, c’est la panique. Cette logique infecte le champ culturel et, ce faisant, neutralise la pensée, la littérature, l’art. On demande des « produits » neutres, inoffensifs, voire insipides, si possible divertissants, oubliant au passage qu’en cherchant à ne surtout pas déplaire au plus grand nombre, on court le risque de ne plaire à personne. On cherche à publier des livres pour les gens qui ne lisent pas (pour reprendre le terme employé par certains professionnels). Les commissaires d’exposition en viennent à s’autoproclamer « Présumés innocents » (sans succès), les écrivains sont sommés d’expliquer que le mot chien ne mord pas, les éditeurs passent leur vie à se justifier de publier des livres « difficiles » ou « intellectuels », mot qui semble devenu un juron pour ceux qui voudraient, à les en croire, lire des livres manuels.
  Tous les maillons humains de la chaîne du livre (ne devrait-on pas plutôt parler ici des entraves du livre ?) qui se dérobent devant l’inédit, la surprise, le scandale d’un livre sous prétexte qu’il fait violence à leur pensée, ne font que consacrer cette tarte à la crème qu’ils sont les premiers à dénoncer, le « politiquement correct ». Que penser du fait que certains éditeurs, représentants, libraires, journalistes majeurs, vaccinés, certes pas consentants mais censément éclairés (ou professionnellement tenus de l’être) déclarent ne pas « être prêts pour lire ce livre » (on comprendra que cette citation ainsi que celles qui suivent, retranscrit des propos qui m’ont été adressés directement au sujet des livres que je publie. Qu’ils hésitent à publier, diffuser, parler d’un livre de peur d’agresser l’être sans défense auquel il pourrait sauvagement s‘attaquer. Soit parce qu’eux-mêmes sont « heurtés » et qu’ils projettent leur désarroi sur les lecteurs auxquels le livre s’adresse. Soit pour les plus bienveillants qui s’estiment pour leur part capables d’apprécier le livre, parce qu’ils s’arrogent, en pensant à leur place, le droit de protéger les autres. Ce processus d’infantilisation intellectuelle et morale, ce principe de précaution appliqué à soi-même et aux autres dévoile les travers dorloteurs d’une société en proie à une panique morale. Mais pire que ça, les mécanismes de défense passent à l’attaque : cette forme de neutralisation est une nouvelle expression de la censure.
  Avant c’était le ministère de l’Intérieur qui se chargeait de protéger les faibles d’esprit (les enfants et les femmes) dont les bonnes mœurs risquaient d’être outragées par des lectures impures, ou qui cherchaient à éviter que le lecteur, telle une éponge, reproduise en bon chien de Pavlov ce qu’il venait de lire. Désormais, la censure est autogérée. Il n’y a plus de livres interdits (paraît-il), mais des relais d’interdiction un peu partout. On ne brûle plus les livres que par le silence et la passivité.
  Pourtant, personne dans les « milieux de la culture » ne se dit favorable à la censure, non, à l’ère humaniste de la libéralité, tout le monde défend plutôt la liberté d’expression, car, on le sait, tout le monde est progressiste. Mais là encore, ceux-là même qui soutiennent la liberté d’expression ne sont pas les premiers à la défendre en actes. D’ailleurs lorsque le sujet est abordé, nombreux sont ceux qui s’empressent d’ajouter qu’il y a des limites. La liberté d’expression, par définition, se réalise dans un excès qui lui est propre, c’est dans cette absence de limites que s’exprime la pensée, et c’est elle que l’on veut en permanence rogner, escamoter, en lui fixant des règles (et des exceptions), ou en la garrottant en un idéal abstrait [...]

Laurence Viallet : Le sens du poil -  in : Revue Lignes n° 20, mai 2006
(L. Viallet est éditrice)
Ce passage a été publie à l'origine sur le blogue Feuilles d'automne en Février 2014

lundi 4 octobre 2021

10/18 — Louis-Sébastien Mercier : Dictionnaire d'un polygraphe




Louis-Sébastien Mercier

Dictionnaire d'un polygraphe

Textes établis et présentés par Geneviève Bollème

n° 1233

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume sextuple

438 pages (448 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1978
Achevé d'imprimer : 10 mai 1978
ISBN : 2.264-00888-1

(Contribution du Tenancier)
Index

samedi 2 octobre 2021

Les bibliophiles

Le chasseur
     
  Clereuil descend certainement de Nemrod lui-même. Vous avez lu dans Les Paysans de Balzac les péripéties d’une chasse à la loutre ? L’amphibie file entre deux eaux et un léger, léger sillage à la surface décèle seul la nage profonde. Il faut pour surprendre l’animal profiter du bref moment où il émerge avant de plonger dans son trou : alors d’un geste vif et précis on pique la belle fourrure vivante. De même, Clereuil note entre les mains de qui est passé le volume qu’il suit à la piste, qu’il aura un jour ou l’autre ; et il attend le moment propice pour saisir sa proie. Il possède un jeun de fiches où la carrière de tel livre est retracée depuis le moment où il est repéré jusqu’à celui où il tombe dans ses mains — plus la fiche est chargée, plus délectable est la victoire. Il tient registre également des vicissitudes de quiconque détient un volume convoité ; il sait qu’un tel souffre d’un mal qui ne pardonne pas, que tel autre est sujet apoplectique, que tel enfin connaît des embarras d’argent qui le mettront bientôt à sa merci. Il suppute toutes les misères et renifle l’odeur de la maladie, de la mort, de la ruine ; il hait les gens bien portants, ou dont la fortune est à l’abri de toute surprise et qui ne lâcheront pas le livre qu’il possède et qu’il veut.
  Clereuil pousse parfois jusqu’à la rue Drouot. D’une oreille méprisante, il suit la montée des enchères. La belle affaire d’acheter une bouquin de la sorte. Quelle pitié ! Il pense à ces battues où des mercenaires rabattent le gibier affolé devant des diplomates ou des financiers qui, le derrière sur un pliant, assassinent plume et poil. Ces Barbares ignoreront toutes les joies de la chasse. Clereuil est de ceux qui partent tout seul à travers la forêt et ne tirent pas leur poudre aux moineaux.
  Il y a des gens qui ne chassent que le lion ou le courlis. Lui ne cherche que les « romantiques », et hors les « romantiques » le livre n’existe pas. Les hasards de sa vie passionnée juxtaposèrent Clereuil et M. de Tubian qui, lui, ne prise que les illustrés du XVIIIe ». Clereuil pendant vingt-quatre heures eu des doutes. Pouvait-il admettre qu’un « illustré du XVIIIe » (siècle) fût un livre ? Vite Clereuil reconquit sa sérénité. M. de Tubian était certainement un malheureux à qui l’indulgence de sa famille et l’imbécillité des Louis laissaient une dangereuse liberté. Clereuil méprisa une fois de plus la République qui tolère de si coupables erreurs.
  Bon vivant au reste, Clereuil, au dessert d’un fin déjeuner, vous infligera le récit de ses captures avec une abondance de détails qui vous feront regretter les pires histoires de chasse. Il met sa fierté à ne jamais payer cher, non par avarice, car il vit largement. Quant à ceux qui achètent un livre pour le lire… il les tient pour des maniaques.

André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)

vendredi 1 octobre 2021

Une historiette de Béatrice

Il m'avait fait mettre de côté un ancien Larousse consacré à la musique, me promettant de passer le prendre dans la semaine. Il débarque avec dans un sac une encyclopédie de bricolage, pour l’échanger contre le livre réservé.

mardi 28 septembre 2021

Répandre de l'encre

Le plus insupportable des écrivains n’est-t-il pas celui qui écrase tout sans jamais s’élever ? Quel métier de répandre de l’encre et de ne pouvoir tirer son nom de l’encrier


   Louis-Sébastien Mercier

lundi 27 septembre 2021

Une historiette de Béatrice

« Non mais vous comprenez madame payer 5 ou 10 euros pour le livre d'un écrivain mort, c'est n'importe quoi !
— Pardon ?
— C'est vrai quoi, un écrivain vivant, on l'aide au moins, mais un écrivain qui est mort il y a 100 ans... »

samedi 25 septembre 2021

Les bibliophiles

Le bibliophile royal
   
  M. Laroue vend des chaussures et il faut nous en féliciter, puisque les Percepteurs ne nous forcent pas encore à marcher pieds nus. Le père de M. Laroue tenait une boutique de gniaf(1) dans une rue populeuse ; M. Laroue vend des chaussures qui portent son nom aux quatre coins du globe. Mais cela ne suffit pas au bonheur de M. Laroue. Tout comme son collègue le Roi de la Margarine, M. Laroue subventionne une vedette de music-hall et une écurie de course ; il possède également une galerie de tableaux modernes qui, si elle flatte son amour-propre, trouble un peu ses digestions. M. Laroue ne connut de pures joies que du jour où il s’est promu Bibliophile de première classe. Alors vraiment il a senti que le monde était à sa merci. M. Laroue donne des dîners qui en imposent aux plus solides estomacs et lorsque ses inégalables Romanée ou les quenelles de feuilles de vigne de son chef vous ont mis la tête un peu à l’envers il vous pousse dans sa bibliothèque et là il « vous a », comme on dit dans le militaire. De sa grosse main, que la plus experte manucure n’a pu rendre aristocratique, il attrape au hasard un petit coquin de livre du XVIIIe siècle et il le dépose dans votre main tremblante.
  — J’ai eu ça à la vente du Duc de La Tremblade… une misère…mille louis, je crois.
  (Il est absolument persuadé de ce détail.)
  — Quel joli livre, hein ?
  (L’instinct professionnel ne le quitte jamais.)
  Puis il atteint une « première de Stendhal — pardonne moi, divin Beyle.
  — Et ça ??... On m’en a offert une fortune. Quelle reliure !... C’est du veau.
  (M. Laroue n’a jamais pu s’expliquer pourquoi les relieurs se refusaient à employer le box-calf — il aurait pu leur faire faire des affaires d’or), etc., etc…
  La bibliothèque de M. Laroue a permis à son fournisseur de s’acheter une quatre-cylindres Schayé. Elle est un peu disparate la bibliothèque de M. Laroue ; un incunable voisine avec une « grand papier » de Georges Ohnet, parce que M. Laroue s’en rapporte à son fournisseur. Quelques fois M. Laroue répète à cet honnête commerçant de sévères commentaires qu’un dîneur résistant s’est permis malgré la générosité du Romanée ; mais l’honnête commerçant a réponse à tout.
  — Quand on paye comme vous savez le faire, Monsieur Laroue, on n’a pas à craindre les remarques imbéciles des curieux.
  L’amour-propre de M. Laroue est pansé ; et à ceux qui s’aventureront encore à critiquer la composition de sa bibliothèque il répond, à l’aise du haut de sa fortune bien assise :
  — Que voulez-vous, je suis éclectique, moi !
  Ah ce moi ! il est d’une éloquence ! Et depuis qu’il a connu l’usage du mot éclectique, je crois qu’on ferait porter à M. Laroue de ces bottines à élastiques comme en rapetassait son digne homme de père.
  Les livres ont vraiment permis à M. Laroue de faire peau neuve. Il ne redoute plus la compagnie de ces gens jadis redoutables qu’on nomme les intellectuels. Sur le turf il ne se risque pas à prononcer les termes du métier qui lui vaudrait les regards ironiques d’un véritable homme de sport ; mais dans sa bibliothèque il vous parle de Baudelaire ou de Rousseau comme s’il les avait personnellement protégés. Il s’est annexé la littérature, comme l’Angleterre s’est approprié le Transvaal. Il impose même à son fournisseur des idées personnelles. C’est ainsi que récemment il a fait relier superbement 300 billets de mille francs, qui constituent un volume d’une valeur que le cours des changes conteste seul parfois.
  — De ces volumes-là, toutes les pages sont numérotées, souligne-t-il finement, c’est un exemplaire vraiment unique.
  En effet et ce trait porte si bien que les privilégiés admis à feuilleter ce rarissime objet n’éprouvent aucune envie ni de le lire, ni même de le posséder. M. Laroue guérit des livres : c’est un gâcheur et il justifie les excès bolcheviques.
  Sa dactylographe assure qu’il compte admirablement mais sait à peine lire.

André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)

(1) Un gniaf désigne un cordonnier en argot. (Note du Tenancier)