lundi 25 octobre 2021
samedi 23 octobre 2021
Les bibliophiles
L’amateur conscient et
organisé
Les mauvaises langues assurent que le Dr Troudine soigne mieux ses livres que ses malades. Le Dr Troudine peste comme un païen si on le vient réveiller la nuit de la part d’un client vraiment intempestif ; mais dès le matin il saute à bas de son lit et avant le tub quotidien il va faire la cour à sa bibliothèque. Il en passe la revue, méticuleux comme un adjudant de caserne et il se félicite de son choix. Qui, à Paris, a réussi un pareil ensemble, qui brille plus par la qualité que la quantité ? Le docteur Troudine ne peut manquer chaque jour de trouver qu’il est un homme de goût, bien que médecin. Chose curieuse, il connaît maintenant depuis qu’on le sait bibliophile. D’abord, il a trouvé des clients très fidèles dans le monde des amateurs de livres et puis, il semble que sa bibliothèque lui consacre une sorte de réputation qui donne confiance aux malades. Parmi ceux-ci, certains s’imaginent peut-être que cette bibliothèque déjà fameuse ne contient que des ouvrages de médecine qui garantissent la science du docteur. On aurait vraiment mauvaise grâce à détromper les braves gens qui doivent peut-être leur guérison à la foi qu’ils ont eue en cette légendaire bibliothèque. Le Dr Troudine est membre de toutes les sociétés de bibliophiles ; nous en passerons la nomenclature — toutes sauf une : les Architectes bibliophiles. Cela a valu bien des nuits blanches au Dr Troudine ; mais cinq ans d’intrigues n’ont pu faire fléchir la règle inflexible qui exige que les sociétaires soient architectes. S’il n’était trop tard, il se présenterait à l’École des Beaux-Arts, puisque son titre de docteur lui permet d’être de la société des Médecins bibliophiles… On parle d’un projet des Bibliophiles du Palais ; ce bruit lui donne le vertige. Pure obligation de conscience bibliophile, car le Dr Troudine vous démontre, noir sur blanc, que les éditions des Architectes bibliophiles sont des désastres répétés. Pourquoi alors se livre-t-il à des travaux d’approche souterrains pour dénicher un exemplaire de tout ce qui porte la marque de cette condamnable société ? Et un exemplaire complet encore. Le Dr Troudine vous apprendra ce que c’est qu’un exemplaire complet. Vous croyez qu’il suffit à un exemplaire, pour mériter ce titre, d’avoir honnêtement toutes ses pages ? Enfant ! Il faut d’abord le spécimen, et s’il y a eu un premier spécimen raté et détruit, c’est précisément un de ces introuvables éléments qui complète un livre congrument. Il faut les suites, les états ; non pas ce à quoi tout souscripteur a droit, mais encore ce que les autres ne détiennent pas, les épreuves de l’auteur ; que sais-je encore ? enfin tout un bric-à-brac de tâtonnements qui entourent l’édition d’une sorte de brume opaque et défigure un peu la superbe réalisation achevée. Nous ferions rougir lez lecteur si nous retracions les bassesses que le Dr Troudine commit récemment, joyeusement, pour obtenir la pièce rare, unique, qui « complète » son exemplaire. Un des livres de sa bibliothèque contient l’extrait de naissance du prote de l’imprimeur où le livre vit le jour. Qui peut se vanter d’avoir l’extrait de naissance du prote ? Ça, vraiment, c’est un trophée. Un autre volume s’enorgueillit du bulletin de confession de la femme du caissier du brocheur. Vous avez la bouche fermée du coup ? Pouvez-vous prétendre avoir des exemplaires « complets » maintenant ? Vous ne vous risquez pas ? Vous faites aussi bien. Le Dr Troudine n’a pas de livres anciens, un livre ne l’attire que s’il l’a vu naître. C’est un accoucheur de livres, pas d’enfants. Il va traîner, oubliant ses visites professionnelles, dans l’atelier où l’artiste burine sa planche ; et par persuasion il arrive à obtenir un essai infructueux. Il va dans l’imprimerie et ramasse une macule que l’apprenti margeur allait jeter aux ordures, mais qu’il joindra précieusement à « son » exemplaire. Il répand les conseils, les avis, les suggestions à tous ; il embête tout le monde, mais il jouit de voir peu à peu prendre figure le livre dont il rêve et qu’il ne lira jamais. Car le Dr Troudine ne lit jamais. Le Dr Troudine est méfiant, il nourrit contre les éditeurs une haine tenace. Il vous démontrera que les tirages sont truqués ; il jure que dans telle édition il y a eu deux numéros 51. Il a eu la rare bonne fortune de les tenir un jour dans la main. C’est une preuve accablante, dont il déduit que tous les éditeurs sont des faussaires. Quand il souscrit à une édition, il exige un constat d’huissier pour être sûr que le tirage déclaré a été scrupuleusement exact. C’est un tyran, à qui « on, ne la fait pas ». Il louche sur toute annonce parue dans la Bibliographie de la France, et si une nouvelle firme invite à souscrire, il conduit une enquête minutieuse, soupçonneuse, car d’instinct il suppose cette jeune maison mal intentionnée, capable de toutes les malfaçons, de toutes les trahisons. Ne lui parlez pas non plus des relieurs, il entre en démence. Il a, sur la reliure, des idées si personnelles, qu’il n’a pas trouvé un relieur à qui il puisse loyalement donner une livre à relier. Tous ses essais ont été malheureux, et il s’est défait, en cachette, des volumes qu’il s’est aventure à défigurer ainsi. Alors, stoïquement, il se résigne à n’avoir que des livres brochés, même pas brochés, mais simplement en feuilles, dans des étuis, où ils demeurent ainsi « complets », mais dans l’attente d’une forme définitive. Pour les livres, sa bibliothèque est un Purgatoire éternel… avec un improbable Paradis. C’est un mauvais père. |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
vendredi 22 octobre 2021
Trop de concision nuit à l'exactitude
On a sursauté, lors du visionnage de
l’épisode de la websérie
sur la typo consacré au Futura, à l’allégation selon laquelle les nazis
rejettent en bloc la typographie « bâton » au profit du
« triomphe
des lettres gothiques ». En réalité, l’histoire est bien plus
complexe. Si
la typo Fraktur (assimilable au Gothique) est recommandée et
adoptée par
l’administration nazie, elle est retoquée en 1941 sous l’impulsion
d’Hitler
lui-même au profit de typos latines. L’origine de ce rejet proviendrait
du
souci de devoir enseigner l’allemand aux peuples occupés et également
le peu de
lisibilité de cette typographie pour les opérations militaires. La
justification officielle implique une prétendue origine juive à la
Fraktur.
Bien évidemment, tout ceci se révèle plus complexe encore. Le souci de
concision de cette vidéo a dénaturé la référence historique…
On se rendra compte de la différence de typo à cette page. L’évocation du remplacement de la Gothique par la Latine ne manque pas sur le net. On vous laisse chercher de votre côté.
On se rendra compte de la différence de typo à cette page. L’évocation du remplacement de la Gothique par la Latine ne manque pas sur le net. On vous laisse chercher de votre côté.
mercredi 20 octobre 2021
mardi 19 octobre 2021
Losfeld Éric (Le dépôt préalable)
Le 22 janvier 1970, Éric Losfeld dut se présenter devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour ne pas s’être soumis à la loi du Dépôt sans autorisation préalable. En effet, Losfeld avait en 1968 publie trois ouvrages « pornographiques » : Emmanuelle et L’Anti-vierge d’Emmanuelle Arsan, et Émilienne de Claude des Olbes. Ces trois ouvrages, parce qu’ils furent interdits à la vente aux mineurs, à l’exposition et à la publicité, firent tomber Losfeld sous la loi du 16 juillet 1949, qui stipulait qu’aucun éditeur ne pouvait plus, pendant cinq ans, publier aucune publication analogue (de même genre) sans la soumette en triple exemplaire au ministère de la Justice, et attendre trois mois à partir de la date du récépissé du dépôt.
En 1970, Losfeld passa outre à cette obligation en publiant Oh Violette ! de Lise Deharme. […] Il fut ainsi le premier depuis l’affaire Sade (1956) à être poursuivi devant les tribunaux. […]
Jean-Pierre Krémer, Alain
Pozzuoli : Le dictionnaire de la censure (2007)
(Ouvrage piètrement rédigé par ailleurs…)
(Ouvrage piètrement rédigé par ailleurs…)
lundi 18 octobre 2021
Une historiette de Béatrice
samedi 16 octobre 2021
Mise au point
On s’en sera douté, on l’espère, le Tenancier a hésité à
publier le passage consacré à Sonyas dans le billet précédent, représentation d’un certain « cosmopolitisme » honni sous ce
vocable
à la sortie de ce livre. Il reste à travers cette diatribe
réactionnaire la
trace d’un phénomène qui allait prendre une place prépondérante dans la
production de la bibliophilie illustrée, celui du livre d’artiste. On
passera
sur le reste avec d’autant plus d’aisance que notre société s’est
désormais
affranchie de ces jugements de classes, racistes et témoignant d’une
ignardise
crasse (excepté au sujet des dentistes, qui achètent vraiment n’importe
quoi !)
Nous l'avons échappé belle !
Les bibliophiles
Le pontife
Sonyas a quitté ses Balkans nataux pour sauver la France. C’est un type dans le genre de Jeanne d’Arc. Il règne sur une partie de la France dont le centre d’attraction est le Café de la Rotonde, boulevard du Montparnasse. Il répand sur des panneaux en toile des torrents de peinture d’un éclat inédit. Les honnêtes gens en ont la vue troublée pour un mois. Quelques dentistes lui achètent très cher des tableaux avec la certitude que d’ici peu d’années leur cours aura centuplé. Mais Sonyas ne se contente pas de terroriser le monde de la peinture ; son audace menace aussi la librairie. Il réclame à grands cris la corde pour tous les éditeurs qui ne servent pas une esthétique conforme à la sienne. Il dit : « Ça un livre ! » comme Brummel disait à George IV : « Ces horribles choses que vous portez aux pieds, vous osez appeler cela des souliers. » Un général russe en rupture de Soviets et qui, ayant pu sauver assez de pierreries pour monter une maison d’édition sur le Mont-Parnasse, a eu l’imprudence de le prendre pour conseiller artistique, a été amené ainsi à faire des éditions qui sont autant de rébus. Sonyas a pris le mors aux dents : grâce à ses suggestions, le général russe a sorti des volumes dont les dessins sont inexplicables et la typographie déconcertante. Une petite école d’admirateurs glousse d’aise, le reste du public se réserve. La faillite menace le général russe de plus en plus ahuri ? Sonyas s’emballe. Il rêve d’imprimer les livres à l’envers et d’employer, au lieu de l’encre, du jaune d’œuf ou des excréments, de ne plus prendre que du papier d’emballage. Quant à ces papiers dits de Chine, du Japon ou de Hollande, il prédit que d’ici peu on ne s’en servira que comme serviettes hygiéniques. Au général russe qui lui montre son navrant bilan, il affirme : — Patience ! Dans vingt ans on nous imitera ! Mais dans vingt ans la surenchère aura probablement mis Sonyas dans l’obligation de tenir le livre pour un objet bien désuet et il sera l’Apôtre d’une nouvelle religion. |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
vendredi 15 octobre 2021
dimanche 10 octobre 2021
Les bibliophiles
La bibliophile à aigrette
Elle monte à cheval avec crânerie, patine avec virtuosité, joue au golf avec adresse, chante avec charme, et mise au poker avec audace. Toutes ces qualités sont vraiment providentielles pour les revues illustrées, qui, lorsque l’actualité chôme, peuvent toujours noircir une page avec le portrait d’une personnalité aussi flatteuse. Elle fixe la mode avec une décision souveraine et ne peut dîner si elle ne compte pas à sa table deux ministres, un ambassadeur, un maréchal de France, un académicien et quelques barons de la Finance. Son sourire assure le succès d’une pièce et sa première femme de chambre n’est, autant dire, occupée qu’à tenir la comptabilité de ses engagements mondains, de ses essayages, massages, rendez-vous, cérémonies ou elle doit paraître, etc. Depuis le moment où la sonnerie du téléphone l’éveille jusqu’à celui où elle s’abat dans son lit, recrue de fatigue, elle n’a pas une minute disponible. Sa vie est est une mosaïque strictement établie. Elle a heureusement un mari peu exigeant, mais il lui serait impossible d’avoir le moindre amant. Par quel miracle réussit-elle à s’occuper de livres ? Son librairie ordinaire a la consigne de souscrire à toute édition annoncée à tirage limité, quel qu’en soit le prix ou la qualité, et cet honnête commerçant n’y manque pas. On voit traîner sur la table de son boudoir les plus belles réalisations de nos éditeurs et aussi les pires choses. Entre deux cigarettes elle feuillette négligemment ces livres où se totalisent tant d’effort plus ou moins heureux ; cela lui permet de meubler sa conversation de noms d’écrivains, d’artistes et d’éditeurs : les militaires, les diplomates et les hommes de sport y puisent des motifs d’admiration ; et lorsqu’elle parle papier japon ou madagascar, les hommes politiques oublient leur rivalité pour proclamer à la majorité absolue que c’est une femme de goût. Au cours d’une courte maladie qui la tint deux semaines à la chambre, elle se mit à lire. Sur le guéridon qui avoisinait sa chaise longue, de superbes éditions offraient leur somptuosité aux rares visiteuses admises à son intimité ; mais sous les coussins sa cachaient quelques volumes de Champsaur et de Clément Vautel qui réapparaissaient dès que la malade se trouvait seule, volumes dévorés si vite que les pages étaient déchirées plutôt que coupées. |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
samedi 9 octobre 2021
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