lundi 23 octobre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 07


Jacques-Élisée Veuillet
La lettre close

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques amateurs



Le Tenancier : Voici un texte qui possède une saveur poétique que l’on retrouve jusque dans le nom de son auteur. Cette prose séduit le Tenancier par sa précision, son choix des mots et son approche très allusive jusqu’à son terme. Quel beau récit ! Mais qui est donc Jacques-Élisée Veuillet ? Je sais par le catalogue de Deleatur que ce n’est pas sa seule production, mais qu’elle est parcimonieuse. Pourquoi ai-je une sensation de familiarité avec lui, cette envie de lui emboîter le pas ? Comme cette histoire est curieuse, comme cette rareté est regrettable ! Y a-t-il suffisamment de matière pour qu’on puisse regrouper ce qui a été publié et ce qui pourrait l’être ?
 
Pierre Laurendeau : Cher Tenancier, ton vibrant hommage au texte de Jacques Veuillet me va droit au cœur ! J’ai fait sa connaissance en 1972. Il figurait comme éditeur de référence dans l’anthologie des Poètes singuliers du surréalisme et autres lieux, de AV Aelberts et JJ Auquier, parue en 10/18 (1971) – complément indispensable à L’Anthologie de l’humour noir d’André Breton !
Je lui avais adressé un manuscrit, un vrai, écrit à la main par un gaucher contrarié. Il m’a répondu par une lettre aimable, précisant qu’il avait été sensible à l’énergie d’un jeune poète un peu rebelle mais qu’il me conseillait, pour être lu, d’acheter une machine à écrire. Ce que je fis séance tenante, y consacrant l’argent de mon activité d’été d’arroseur de pelouses aux HLM de la ville d’Angers. J’eus le culot d’aller le voir chez lui – son adresse figurait dans le livre – imaginant, à dix-neuf ans, un vaste complexe de bâtiments où s’activerait une nuée de secrétaires et autres commis d’édition. Je découvris un appartement certes bien agencé mais particulier, où Jacques me reçut avec amabilité et, je pense, un certain amusement. Il était très lié aux surréalistes et aux poètes du Manifeste électrique (Bulteau, Messagier, Pélieu…). Il m’offrit plusieurs ouvrages, que j’ai conservés. Sa marque d’éditeur – activité totalement clandestine – s’appelait Première Personne. Il avait alors publié deux livres : Clément Magloire-Saint-Aude, Dialogue de mes lampes, avec des gravures de Camacho, de Wifredo Lam et la première d’Hervé Télémaque[1]. L’autre : Sang de Satin, de Michel Bulteau, était illustré d’une magnifique gravure de Jacques Hérold, dont il était un ami proche.
Chaque fois que je venais à Paris, j’allais le voir. Il était toujours disponible et orientait mes lectures : il me fit découvrir, entre autres, Les Vanilliers de Georges Limbour et Peter Ibbetson de George du Maurier.
Il me fit un éloge sincère – je pense – de mon premier livre, une pièce de théâtre marquée par mes lectures surréalistes, notamment Jean-Pierre Duprey : Moche ou la Quête du Rabot, que je vais rééditer prochainement pour fêter les cinquante ans de la première édition.
Lorsque parut au Soleil noir La Victoire à l’ombre des Ailes de Stanislas Rodanski, auteur que j’avais repéré dans l’anthologie d’Aelberts et Auquier, je découvris au fil du texte un certain Jacques Veuillet que Rodanski tour à tour encensait ou vouait aux gémonies. Je demandai à Jacques si c’était lui. Il me fit alors la confidence de ses années de jeunesse à Lyon, de son amitié « toxique » avec Rodanski[2] et de son rejet final lorsque Rodanski lui lança un appel à l’aide désespéré, juste avant de se présenter à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, où il restera toute sa vie.
En 1983, je proposai à Jacques d’intégrer le « consortium » Deleatur pour y poursuivre son activité éditoriale, notamment les textes de Rodanski dont il possédait un grand nombre[3], dans des cartons – ceux publiés par Le Soleil noir provenaient de Julien Gracq, chez qui Rodanski abandonnait des textes quand il venait à Paris – ainsi que chez Jacques Hérold. De Rodanski, parurent chez Première Personne nouvelle formule : Spectracteur, puis Le Journal d’Arnold, La Montgolfière du Déluge et le Journal 44-48.
En 1987, Jacques me fit un plaisir immense en m’invitant à rejoindre sa collection pour mes Ethnograffiti, qui l’avaient enchanté, plaisir doublé par des illustrations et une lithographie de Jorge Camacho.
Je découvris tardivement le talent d’écrivain de Jacques Veuillet : lorsque je créai la collection des mini-livres, il m’adressa La Lettre close, puis Oncle Ted. Avec parcimonie, je dirais… puisque je ne publiais rien de plus.
Je dois à Jacques Veuillet sinon mon amour des livres, du moins mon orientation professionnelle : c’est grâce – ou à cause ? de lui que je suis devenu éditeur.


[1] Je ne possède hélas que l’édition courante…
[2] Alain Jouffroy consacre un ouvrage à Rodanski, Le Temps d’un livre, où il fait part de l’impossibilité de vivre avec lui.
[3] Vers la fin de sa vie, il en fit don à la Bibliothèque Jacques-Doucet. François-René Simon poursuit l’édition de ce fonds, aux éditions des Cendres notamment.

samedi 21 octobre 2023

Un épisode galvanique


Inaugurons ce retour aux parutions de votre serviteur avec Un épisode galvanique, nouvelle qui doit beaucoup à Mary Shelley, mais en nettement moins subtil, bien qu’écrit avec soin et en tentant de rattraper une atmosphère « d’époque »… Bref, votre Tenancier s'essaye à l'humour. Enfin, vous verrez bien, n’est-ce pas, puisque vous allez tous vous précipiter pour vous abonner à Lard-frit, ou est insérée cette nouvelle histoire !
 Le cycle des parutions reprend et ce n’est pas dommage de ce côté-ci de l’écran. Cela donne du cœur à l’ouvrage pour le travail en cours…

samedi 14 octobre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Diable, aurais-je l’intention de doubler, voire de tripler ma bibliothèque simenonienne en prenant ces quatre bouquins dans la boîte à livre et en les joignant à l’héritage maternel? La pêche reste pourtant simple, qui va peut-être s’ajouter aux cartonnages sous jaquette des romans de Simenon aux Presses de La Cité, que ma mère allait acheter, en faisant un crochet chez un bouquiniste au retour du marché des Lices, à Rennes. À détour plus modeste, résultat en rapport. On se contentera de ces merles au format poche. On l’a constaté déjà, Simenon n’est pas rare dans ce genre de gisement et pas le pire, à côté de conneries, comme les livres de Slaughter ou des trucs que notre dissonance cognitive se refuse à identifier comme des livres. Simenon convient bien à la Vie de Province et même à l’ambiance de sous-préfecture où je réside. Rentrer du marché avec de quoi faire un bœuf bourguignon et des bouquins de Simenon dans le cabas, c’est décider de se mettre au diapason. Cela revient à se plier également à un certain art de vivre et à une certaine façon de manger. La cuisine de ma mère me manque, sa bibliothèque me la rappelle…
Tiens donc! Je n’avais pas ce Mac Orlan! J’étais pourtant convaincu de le posséder dans une édition correcte… Il est vrai qu’à force de l’avoir croisé lorsque j’étais libraire, je me suis persuadé qu’il était à m’attendre parmi les autres livres de l’auteur, derrière moi, là, au moment où je vous écris. Bien, comme les Simenon, l’exemplaire est modeste, mais sympathique, comme le sont les bouquins de la collection Le Livre de Poche dans leur ancienne édition. En effet, la typo moins pâlotte rend leur lecture agréable. Celui-là comporte des rousseurs, pas rédhibitoires, toutefois. Je possède quelques bons exemplaires de livres de Mac Orlan, sans prétendre à la bibliophilie — parce que je n’en ai pas les moyens. Je vais tout de même tenter d’améliorer cette prise un de ces jours.
Bon sang, il me reste si peu de temps (je vais bien, rassurez-vous, mais la vie est trop courte)...

 

J’ai connu l’auteur dans mon enfance, par une de mes sœurs, qui en était l’amie. J’étais curieux d’apprendre les détails de l’épisode de son bref emprisonnement en raison de son implication avec Action Directe, de cet étrange manque de lucidité au nom d’un romantisme révolutionnaire qui a semblé traverser une certaine génération. Aussitôt acheté, aussitôt lu : je mesure l’effort consenti à ce retour de mémoire. Il est moins question de dialectique et de praxis que d’amitié trahie et d’emprise. Cela nous est tous arrivé, certes, mais cela ne nous a pas tous conduits à l’isolement en Préventive. Du reste, c’est-à-dire de la lucidité politique qui le fait mêler Makhno et Marx, jusqu’aux «bonnes œuvres» de la mitterrandie, on s’abstiendra de se prononcer. On a bien fréquenté de ce côté-ci du clavier des gens de gôche (Mitterrand, Lang, toussa) — dont une que j’avais sous les yeux — à Radio libertaire… Au moins, pour ce qui concerne Dan Franck, il semble en accord avec lui-même et n’a sans doute impliqué que lui par son obstination à respecter son éthique. Je n’avais pas lu de ses livres depuis longtemps. Celui-ci m’a renvoyé au temps où ma sœur — qui n’y est pas citée, comme dans certains de ses romans — était encore vivante.

 

Dites-donc, cette rubrique vire à la nostalgie…

Georges Simenon : Le haut mal — Arthème Fayard, 1955
Georges Simenon : Les 4 jours du pauvre homme — Presses de La Cité, 1954
Georges Simenon : Strip-tease — Presses de La Cité — 1986
Georges Simenon : Le coup de Lune — Presses Pocket — 1976
Pierre Mac Orlan : À bord de l'Étoile matutine — Le Livre de Poche, 1962
Dan Franck : L'arrestation — Grasset, 2023

jeudi 12 octobre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 06


Jean de La Bruyère
« Le ministre
ou le plénipotentiaire
est un caméléon"
EXTRAIT DES
Caractères
DU SOUVERAIN
OU DE LA RÉPUBLIQUE

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques électeurs avertis



Le Tenancier : Si j’en crois l’achevé d’imprimer de cet exemplaire (avril 1996), nous avons affaire à une réimpression de ce titre puisque la couverture indique 1995. Cela indique que la collection se porte assez bien pour envisager des retirages. As-tu souvenir de l’accueil de ces ouvrages ? En a-t-on parlé ?
Cet extrait est assez divertissant. Tu sembles attiré par la littérature « Grand Siècle » : La Fontaine, La Bruyère et bientôt Perrault…
 
Pierre Laurendeau : C’est vrai, j’éprouve une certaine prédilection pour quelques auteurs du Grand Siècle (du moins supposé tel), notamment pour la précision – et la concision – de leur style… Rien n’est à jeter dans ce portrait de l’homme politique – au sens étroit –, qui habillerait remarquablement nos élus et potentats. « Il se fait longtemps prier, presser, importuner sur une chose médiocre pour éteindre les espérances et ôter la pensée d’exiger de lui rien de plus fort. » Ne croirait-on pas le portrait d’un ministre aux ordres de Jupiter Premier ?
L’édition première de ce minilivre date de 1995, l’année de lancement de la collection. Mon exemplaire porte, à l’achevé d’imprimer, la mention « avril 2002 ». Comme je l’ai expliqué par ailleurs, j’effectue des tirages restreints (10 ou 20 exemplaires, sauf circonstances particulières – j’en parlerai à l’occasion du numéro 31), ce qui me permet de loger l’intégralité du stock dans une boîte à chaussures !

mercredi 11 octobre 2023

Une historiette de Béatrice

Deux fillettes entrent, saluent poliment, pendant que leurs parents s'arrêtent devant la vitrine. Elles regardent avec des yeux pleins d'envie les livres posés devant moi, sur la chaise.
« Vous pouvez les consulter si vous voulez », échange de sourires et les voilà chacune à commenter, feuilleter, plaisanter.
Les parents entrent avec un « Reposez immédiatement ces livres » tonitruant.
— Mais Maman...
— Excusez-moi, mais c'est moi qui viens de les autoriser madame
— Reposez ça de suite, vous pourrez regarder des livres quand vous serez plus soigneuses !
— Et dehors ! J'ai dit dehors !
Le père continue à déambuler, pendant que dehors le cirque continue.
— Non mais dis-donc, je t'y prends à me répondre comme ça ! Tu vas voir si je te mets la tête sous l'eau, ça ira plus vite pour que tu comprennes !

mardi 10 octobre 2023

Réflexion sur l'écriture qui laisse le Tenancier rêveur devant l'évidence

« Le travail d'une bonne prose comporte trois niveaux : un niveau musical, dans lequel elle est composée ; un niveau architectonique, dans lequel elle est construite : enfin un niveau textile, dans lequel elle est tissée. »

Walter Benjamin : Rue à sens unique

(C'est donc pour cela que le Tenancier a souvent envie de tisser).

lundi 9 octobre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 05



Olivier Laurendeau
L'explorateur au pays des dinosaures

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte des explorateurs en culotte courte



Le Tenancier : Voici un jeune auteur de huit ans qui rejoint l’univers de Winsor McKay au moins par deux points :
— La présence d’un dinosaure, qui n’est pas Gertie, mais un ceratopsidae présentant des caractères juvéniles, fort bien dessiné par l’auteur ;
— Une fin de récit qui ressemble fort à Little Nemo !
Je dois dire qu’il se passe plus de choses dans ce récit en corps 14 (ou plus ?) que bien des récits d’aventures. Quelle fraîcheur…
 
Pierre Laurendeau : Quel plaisir de relire L’explorateur au pays des dinosaures ! Peut-être en corps 16 ! L’auteur, qui a maintenant 36 ans, s’est un peu éloigné de la littérature – du moins en tant qu’écrivain – ce que je regrette… À l’occasion de cette publication, une journée de dédicaces fut organisée au salon du livre de Paris (cuvée 1995, donc), sur le stand des Pays de la Loire où Le Polygraphe, la maison d’édition des parents du jeune auteur, avait un corner. Le succès fut à la hauteur des attentes ! Olivier avait mis au point une stratégie d’optimisation des dédicaces : il préparait texte et dessin pendant les temps morts, laissant la place pour le prénom du futur dédicataire. Cette année-là, mon beau-frère Alain Cotteverte gérait le stand de Larousse. Il réorientait systématiquement les passants vers le stand des Pays de la Loire, précisant : « C’est le plus jeune auteur du salon du livre ! »
Cette première expérience fut suivie, quelques années plus tard, par la création de La Raturière, un atelier éditorial autogéré par quatre copains d’école, avec comité de lecture, choix des textes, diffusion… Seule la mise en pages et l’impression étaient sous-traitées (tout d’abord à l’imprimante laser paternelle). Grâce à quelques livres sur le modèle de cette collection, ils constituèrent une trésorerie qui leur permit d’accéder à l’étape suivante : ils demandèrent un texte à Yak Rivais – à l’époque star de L’École des loisirs – qui leur concocta Deux enquêtes de Sherlock Holmes très drôles et très bien illustrées. L’impression fut confiée à Ivan Davy, un ami imprimeur. Les associés se partagèrent le façonnage, pour réduire les coûts. Au salon du livre de 1999, Yak vint dédicacer son livre sur le stand des Pays de la Loire : un véritable raz-de-marée de têtes blondes et brunes (je me souviens qu’un gamin lança l’alerte : « Là ! il y a Yak Rivais qui dédicace ! »). Les ventes du livre permirent à la jeune équipe de se lancer dans un projet encore plus ambitieux : un inédit d’un auteur inconnu, Laurent Devismes, qui leur avait adressé un texte très drôle, parfaitement en phase avec les préoccupations des jeunes collégiens qu’ils étaient devenus : Mon Dictionnaire. Un des quatre mousquetaires de la Raturière illustra l’ouvrage, dont toute la fabrication fut confiée à Ivan Davy, façonnage compris. Ils présentèrent le livre au salon jeunesse de Montreuil en novembre 2000. Il eut moins de succès que celui de Yak Rivais et cela, en plus des préoccupations de leur âge, sonna la fin de l’expérience… qui eut tout de même deux conséquences : aucun des quatre ne devint éditeur (ils avaient compris que c’était peu rémunérateur) ; leur amitié, au moins pour trois d’entre eux, est restée solide, ce qui nous vaut le plaisir de les voir régulièrement, et de voir grandir la génération suivante.