mercredi 9 avril 2025

Une historiette de Béatrice

« Bonjour, je dois téléphoner car j'ai besoin d'un dépanneur informatique de toute urgence ». Alors moi, grosse nouille, je le laisse téléphoner.
Au bout du troisième réparateur à qui il raconte ses aventures informatiques dans un langage technique plein de rames et de cartes de la mer, le bouilli me monte. Je le vire devant le client qui entre tout sourire.

dimanche 6 avril 2025

Livres

Presque tous les livres se font à Paris, s’ils ne s’y impriment pas. Tout jaillit de ce grand foyer de lumière. Mais, dira-t-on, comment fait-on encore des livres ? Il y en a tant ! Oui, mais c’est que tous sont à refaire ; et ce n’est qu’en refondant les idées d’un siècle que l’on parvient à trouver la vérité, toujours si lente à luire sur le genre humain.
On peut imprimer beaucoup de livres, à condition qu’on ne les lise pas. Les livres sont une branche de commerce très importante. Combien d’ouvriers en tirent leur subsistance ! Sous ce point de vue de commerce, on ne fait pas trop de livres : ce petit inconvénient se rachète avec de grandes salles. D’ailleurs, il peut en résulter un grand bien ; au milieu des ces matériaux immenses, il viendra peut-être un homme à qui tout cela sera utile.
Louis-Sébastien Mercier : Tableau de Paris — Chapitre CXLIII

samedi 5 avril 2025

Brève chronique d'un rangement de bibliothèque

1er jour
Grande résolution : en plus d’éliminer la tonne de poussière accumulée dans mon bureau, j’entreprends de ranger mes bibliothèques. Ça commence justement dans ce bureau où je remets tout par ordre alphabétique tout en virant des machins inutiles et des choses que je ne lirai plus jamais. Je me pose la question, d’ailleurs : je possède tous les volumes des œuvres d’Eugène Sue (44 tomes à vue de nez) édités par Flammarion, in-12 sous percaline rouge ornée tous en bon état (mais papier bruni, comme beaucoup de ce qui s’est publié avant et dans l’entre-deux-guerres). Je vois passer des prix assez confondants pour les 4 vols du Mystère de Paris (80 balles les quatre)... Quel prix je pourrais bien tirer de tout ça? Y’a aussi les 11 volumes de Fantômas cartonnés toile rouge, considérablement abrégés, ceux-là et disparates, puisque la numérotation est tantôt présente sur la toile et tantôt sur le rhodoïd. Ça ne doit pas pisser très loin, mais ça occupe de la place (plus que les éditions en Bouquins qui contiennent le double de romans et en texte intégral).
Bref, des piles commencent à s’accumuler au bas de la bibliothèque. Si je reste dubitatif vis-à-vis de Sue, je pense que les Fantômas vont dégager.
J’aime avoir ce genre de souci, cela dit, ça change.
 
2e jour
Dans la continuité du rangement de bibliothèque inauguré hier, j’ai reclassé à peu près 8m50  linéaires. Il faut tout de même relativiser l’importance de la manutention, sachant que pas mal de bouquins étaient rassemblés par ordre alphabétique (les Eugène Sue, que je me décide à conserver pour le moment occupent déjà 1 m). Le problème en train de poindre concerne en partie ma bibliothèque vernienne qui ne rentre pas dans les rayonnages du couloir comme je l’espérais (manquent 2 m sur 5... oui, je sais, c’est délirant). J’ai commencé une pile de livres dont je vais me débarrasser. Éric doit passer dans peu de temps en escale et choisira ce qu’il voudra dans le lot. Pour le reste, j’aviserai. Je m’attaque tout de même à un gros chantier parce que la bibliothèque du bureau accueillait quelques auteurs fétiches (dont Verne, vous vous en doutez) et j’ai l’intention de refaire une refonte totale de la bibliothèque de littérature, la principale, donc, en descendant ensuite dans le salon. Donc les anonymes, collectifs et le début de l’alphabet se trouveront en haut. Il faudra également quand j’aurai terminé dans quelques mois que je jette un coup d’œil dans la bibliothèque d’histoire qui déborde encore plus, toutes proportions gardées. L’exercice permet de reprendre contact avec des trucs complètement oubliés, parfois avec raison et aussi propres à susciter quelques conjectures : «Mais pourquoi j’ai acheté ce livre?» Je vais sans doute pouvoir résorber les piles à terre qui me narguent depuis des années, des acquisitions récentes pour la plupart. Aujourd’hui j’en ai fait beaucoup parce que, comme je n’ai pas bien dormi cette nuit, je n’étais pas apte à écrire quelque chose de comestible... Alors, zou : classement, rangement, manutention!
(Le trou a été comblé depuis, je deviens fort en Tetris!)
PS : d’ailleurs, rien n’interdit que quelques amis viennent piocher dans les laissés pour compte, certains titres ne sont pas déshonorants...
 
3e jour
Comptons en mètres, voulez-vous? Aujourd’hui, nous en sommes, à peu près, à 22 m de bibliothèque rangée, c’est-à-dire tout ce qui se trouve à l’étage, hormis quelques livres encore par terre que je vais insérer en me débarrassant d’autres ouvrages, en double ou devenus sans intérêt. Il existe déjà un mètre de libre que je vais remplir sous peu, après une pause d’un ou deux jours (des choses à faire ailleurs). Ce qui m’attend va se révéler périlleux, mais je vous en causerai... au pied de l’échelle. En attendant, j’ai constaté l’état des dos des Gustave Le Rouge en 10/18 et il m’a bien fallu me résoudre à retirer le papier cristal qui les recouvre depuis plus d’une vingtaine d’années. C’est d’ailleurs un délai trop long et je vais sans doute devoir en faire autant avec l’ensemble de la bibliothèque. Seul le papier a bruni à la place du dos, mais il y a un moment où il se dégrade lui-même et peu abimer ce qu’il y a en dessous. Or, le papier cristal semble une denrée rare. Si vous avez des pistes pour en commander à des quantités raisonnables, je suis intéressé.
 
4e jour
On se souvient que j’avais entrepris de réaménager le classement de ma bibliothèque littéraire (il y en a deux autres importantes : l’historique et l’artistique dont je m’occuperai aussi un jour). J’avais commencé par mon bureau ou débute l’ordre alphabétique, c’est-à-dire pas du tout, puisqu’on y trouve les anonymes, les revues, les livres collectifs, les anthologies, etc. Tout de même, la lettre A s’y étoffe un peu. Le reste va suivre. Le jeu consiste donc à tout répartir dans trois pièces différentes : le bureau, le couloir adjacent et le salon, le plus gros morcif.
Le problème tient à la méthode. En effet, après avoir rassemblé tous les auteurs commençant par la lettre A (beaucoup étaient déjà classés), le jeu a consisté à décaler les restes vers la droite afin de faire de la place, ce qui aboutit au fait qu’un auteur comme Tutuola (L’ivrogne dans la brousse, classique et excellent) qui se trouvait à l’étage, devra parcourir toute la bibliothèque avant de trouver son coin.
Je pourrais décider de tout descendre, de rassembler et de ranger. Malheureusement, il nous arrive de vivre dans cette maison. Par ailleurs, j’ai d’autres activités, je suis donc contraint de m’y employer de temps à autre. D’ailleurs, je préfère comme ça, parce que ça me permet de désherber tranquillement et en réfléchissant (afin d’éviter les remords) en même temps. L’autre souci provient de quelques obstacles qui procurent un aspect périlleux au déplacement des livres en haute altitude : canapé, téloche, etc.
Pour l’instant, 4m50 de rayonnage ne bougeront presque plus (sauf si j’ai oublié un livre quelque part...)
Il reste 64m de bibliothèque, environ, à ranger, opération qui, au fur et à mesure, deviendra plus courte, étant donné la méthode utilisée... Je ne pars pas de rien, chacune des bibliothèques dans les trois pièces possédaient déjà, et en grande partie, un rangement systématique, ce qui facilite l’intégration des ouvrages. Ça va demander encore un peu de temps tout de même
 
5e jour
Un des plaisirs du rangement de ma bibliothèque réside dans des retrouvailles avec ce qui tutoyait plafond et donc inaccessible à cause de l’installation d’une échelle dont le processus devient aussi complexe que celle des sapeurs-pompiers. Ce qui se trouvait là-haut, proche du Paradis appartient en vérité à l’Enfer, du moins en partie. En effet, les ouvrages anonymes regroupent pas mal de textes érotiques glanés au hasard de quelques adresses effectuées lorsque j’étais à mon compte et que je ne m’étais pas résolu à vendre (peu de rapport, en regard du plaisir que j’en tirais). Ainsi, dans la désorganisation provisoire des anonymes et des collectifs divers, je retrouve :
Le manuel de l’oreiller (traduit du japonais)
Les Mystères du confessionnal
L’Arétin françois, suivi de Les Épices de Vénus (avec quelques gravures vigoureuses!)
Il en existe d’autres, d’ailleurs aussi à leur nom d’auteur. Là cela consistait en un bref coup d’œil à portée de main. Non, vraiment, on devrait plus souvent réorganiser nos bibliothèques.

(Ces quelques lignes ont été publiées d'abord sur un réseau social, beaucoup plus éphémère que le présent blogue...)

dimanche 23 mars 2025

Réponse à George sur les super-héros

Un commentaire dans le dernier billet de la part de notre cher George revient sur le sujet du super-héros : « Tenancier, jetez donc un œil sur la série The Boys, qui au rebours de Leni Rifenstahl présente les super-héros comme des nazis (et non l’inverse). » Or, je ne vois pas ce qui distinguerait ceux-là des autres puisque le super-héros est précisément d’essence fasciste ou en tout cas qu’il recoupe assez de suspicions en ce sens. La typologie du héros que la « populace » tente de faire descendre de sa retraite pour mettre de l’ordre dans la cité, la description de ses actes qui le coupe justement de la polis, l’exacerbation de ses pouvoirs qui ne font pas du personnage un héros gréco-latin comme Jason ou Ulysse portés par les caprices de l’Olympe, mais bien plutôt l’image du guerrier solitaire, le Berseker, transcendé par l’amok, dénué d’empathie, toute cette somme de signes peuvent s’interpréter dans le sens du prototype de héros fasciste. Bien entendu, tout amateur des histoires DC Comics, Marvel, ou d’autres n'est pas un nazi en puissance, loin de là (je ne tiens pas à me faire casser la gueule par Pierre!). On se pose néanmoins la question de l’envahissement de l’image d’un certain type de sauveur à la fois sur les écrans et dans les livres ; pour ces derniers, des traces existent depuis longtemps, comme dans les romans d’Abraham Merritt dans le domaine des littératures dites de « l’imaginaire ». Or, cher George, on a tendance à trouver dans notre coin que votre remarque nous semble furieusement pléonastique puisque nous considérons que tout détenteur d’une puissance extraordinaire pourrait céder à la tentation du fascisme, que ce pouvoir se révèle métaphorique comme dans les comics ou dans la réalité…


  Javier Ruiz Caldera : Superlópez (2018)

vendredi 14 mars 2025

Super héros


Il semble que d’étranges démons rôdent autour de nous, qu’ils ont subverti une certaine vision de notre univers sensible, ce qui articulait certains aspects de notre culture, qui fondait le sens de nos relations, celles régissant le fonctionnement du groupe. Peu à peu, la ruse d’Ulysse et de ses compagnons a été remplacée par l’incarnation d’une surhumanité qui s’absoudrait de façon soudaine de la commensalité au profit d’une mission : héros Marvel, genré jusqu’à l’absurde, ou Berseker flinguant à tout va sur des « victimes innocentes », selon la prose en vogue. D’ailleurs, qu'évoquerait l'idée d'une « victime coupable » ? Serait-il plus justifié que celle-là meure, établissant une hiérarchie de la mise à mort ? L’invasion jusqu’à l’écœurement des supers héros produits de manière industrielle n’attend plus que sa reproduction industrielle également, jusqu’à ce qu’ils s’emparent du monde par leur représentants. C’est en cours.
Certains n’ont pas compris. Nous les avons déjà eus, ces héros-là, ces sales cons qui se frayent un chemin à travers l’humanité par la force et les coups de poing dans la gueule. Ils s’exaltent dans la guerre au prétexte qu’ils défendent la paix, oxymore favori des salauds : « L’Empire c’est la Paix », « Le Travail c’est la Liberté », etc. Mais la paix pour elle-même, mais la culture, mais la douceur de vivre…
Dehors, il fait beau. Combien de temps vais-je encore en profiter avant que des ordures viennent brener sur mes bégonias au nom de la Force, du Droit, de la Justice, inférant qu’elle n’est pas la même pour tout le monde ? Combien de temps encore vais-je goûter le bleu du ciel ?

(Illustration d'Andreas Englund)

vendredi 7 mars 2025

Où le Tenancier à l'occasion de jeter un coup d'oeil en arrière...




Votre Tenancier ne se trouve pas si nostalgique que cela, mais aime se souvenir parfois. Son passage à Radio Libertaire en fait partie et qui de mieux pour évoquer cette période pionnière qu’un de ses fondateurs ? Floréal s’en charge sur les antennes de cette même radio dans l’émission « Pas de quartier » il y a peu de jours. Comme on n’a pas l’âme d’un ancien combattant, on se satisfait d’en être sorti autant que d’en avoir fait partie. On en est même un peu fier. On a d’ailleurs arrêté trop tard d’y conduire des émissions, considérant avec le recul qu’y perdurer finissait par devenir du fonctionnariat ou du narcissisme (de 1982 à 2000, même s’il se produisit des interruptions). On en garde des bons souvenirs. C’est ce qui compte.
Ah oui, au fait : les propos de Floréal sont passionnants.
Vous trouverez l'entretien ici.
Son blogue à cet endroit.
Et la page de l'émission .

mercredi 5 mars 2025

L'ami de Lorde

C’est entendu, la fréquentation abondante des dictionnaires est une manie de vieux, ce qui fait croire à votre Tenancier que sa sénescence a commencé tôt. À sa décharge, il s’agit plus souvent de dictionnaires biographiques tels que le Vapereau (on en possède trois éditions, dont on s’amuse de temps en temps à remarquer l’évolution de l’entrée Bazaine dans les volumes de 1858, 1870 & 1880, par exemple !) L’on détient également quelques éditions du Bitard et deux ou trois volumes des albums Mariani. À tout cela se greffe quelques machins épars, le tout parfois usé à cause de l’usage répété jusqu’à notre époque par les possesseurs successifs. Tout ceci a servi ses recherches bibliographiques, ce qui excuse un peu la manie de vieux, assumée par ailleurs. Quelques entrées, souvent rédigées par les concernés eux-mêmes se révèlent d’une mauvaise foi réjouissante.


On est tombé la veille de la rédaction de ce billet sur André de Lorde, comme ça en feuilletant et, même si l’entrée ne se révèle pas la plus brillante, il a paru au Tenancier amusant de reproduire l’article datant de 1934 paru dans Ceux dont on parle, aux éditions de la Vie Moderne…

lundi 3 mars 2025

Une historiette de Béatrice

Et le tout jeune homme qui débarque avec une liste, afin de lire les plus anciens prix Goncourt et « se faire une idée ». Bonne pioche. J'adore mon boulot.

vendredi 28 février 2025

La production de papier en Bretagne — II

Voici le deuxième article provenant de la même source, le Bulletin de l’Association bretonne de 1959. Ici, l’on s’intéresse à l’implantation historique des moulins à papier, qui laisse par ailleurs deviner de multiples activités le long des cours d’eau dans la région. On regrette le style guère chaleureux et la sécheresse des informations, liée à une onomastique pas très familière à beaucoup d’entre nous. Tant pis, le fond reste intéressant et donne même envie d’en savoir un peu plus. La question demeure : existe-t-il encore des moulins à papier sur les bords des fleuves côtiers et des rivières bretonnes, plus de soixante-cinq ans après la conclusion de ce papier?
Là, aussi, le texte a été repris d’après une numérisation, merci de signaler d’éventuelles coquilles.

Note sur l’histoire des papeteries comme industrie locale

Le nom de Tsal-Loun, dès l’an 210 avant l’ère chrétienne, marque le point de départ de cette histoire. Puis en 751, on retrouve le nom de Samarkano ; mais il faudra encore attendre quatre siècles avant de voir apparaître en Europe les premiers moulins à papier.
On doit tout d’abord citer les pays méditerranéens : Espagne en 1150 et, un siècle plus tard, l’Italie en 1268. À partir du milieu du quatorzième siècle, exactement en 1348, date qui marque la fondation du Moulin du Roy à Troyes, on peut suivre le développement considérable des moulins à papier dans l’extrémité occidentale de l’Europe avec Ville-sur-Saulx, puis Bar-le-Duc, Pont-Audemer, et enfin les moulins de Bretagne mentionnés pour la première fois dans des pièces datant de 1499, environ un demi-siècle avant le traité d’Union signé entre la Bretagne et la France.
On peut cependant affirmer qu’entre 1400 et 1455 plusieurs papeteries fonctionnaient déjà en Basse-Bretagne : entre autres celles de Vannes, Morlaix et Bréhant-Loudéac, petite paroisse aux confins des anciens diocèses de Saint­-Brieuc, Vannes et Saint-Malo.
Avant d’aborder l’étude des moulins de la région mor­laisienne, d’une très grande densité, il est bon de citer l’aveu présenté au Roi en 1499 par Jehan de Rohan, seigneur du Gué-de-l’Isle, qui contient la plus ancienne mention des moulins. Ce gentilhomme auquel on attribue la fondation du moulin en question, sur la rivière de « Helyer », à la limite des paroisses de Plumieux et de Bréhant, établit également en 1484, à proximité de son château, la première imprimerie de Bretagne.
Dans une pièce de la même année que l’aveu de Jehan de Rohan, il est fait mention d’une Tente, évaluée en rames de papier, payable par Jean de Kerloaguen à Yves Pinart, seigneur du Val, propriétaire du Manoir et du moulin du Val-Pinart(1).
Dès le seizième siècle, l’usage du papier était très répandu à Morlaix, et une imprimerie s’y établit en 1557 ; mais il n’est pas prouvé que le papier utilisé fut intégralement fabriqué dans la région, car de très nombreux moulins à blé ne furent transformés qu’aux environs de 1625, tels le moulin de Pont-Paul ou ceux de Pleyber-Christ.
Citons dans cette dernière paroisse Roudougoualen en 1621, Gelaslan en 1629, Rosanvern en 1632. Les familles Le Bihan de Kerallo, de Coatanscours, Le Marant du Val, Le Gualès, de Brézal, afféagèrent de nombreux terrains à des papeteries entre 1630 et 1650.
À cette époque, beaucoup de noms de maîtres et compagnons papetiers sont normands, et les registres d’état civil mentionnent « normands de nation », et l’on retrouve les mêmes noms d’un petit nombre de familles qui se vouent à cette industrie.
En 1661 et 1669, Alain de la Mare — un autre normand — achetait l’un des moulins de Glaslan et deux moulins à Loguivy-Plougras. Cette époque est celle où l’on retrouve l’origine de véritables dynasties de papetiers devenus de « bonne bourgeoisie », tels les Huet, Guesdon, Le Maître...
Jusqu’au dix-neuvième siècle subsistèrent quelques mou­lins à papier à Lannion et dans les paroisses voisines :
Buhulien, Ploubezre, Tonquédec, Loguivy-Plougras, Kerven et Plounévez-Moëdec. Les seigneurs de Tonquédec avaient fondé vers la fin du dix-septième siècle le moulin de Ker­meur, sur la rive du Leguer.
À la fin du dix-huitième siècle commencèrent les difficultés : un décret de 1771 ordonnait la suppression de toutes les papeteries situées à moins de dix kilomètres des villes maritimes, c’est-à-dire Lannion, Morlaix, Châteaulin, Quimper... En 1774, les États de Bretagne obtinrent la non-application de ce décret après de vives protestations.
D’autres difficultés surgirent : saisies de matière première, conflits entre patrons et ouvriers.
Dès 1756, il y eut une heureuse tentative pour transformer les papeteries morlaisiennes et créer une véritable usine. Joseph Gigant du Mont essaya de constituer, sous la protection des États de Bretagne, une société au capital de 40 000 livres, qui aurait établi une papeterie rénovée à Belle-Isle-­en-Terre. Son neveu Raymond aidé de Mazurié, riche marchand morlaisien, fit une tentative analogue en 1722, appuyée par le Duc de Rohan qui lui concéda un emplacement favorable sur le bord de l’Elorn, â proximité de la Roche-Maurice.
Ces louables essais échouèrent, mais le coup le plus rude porté à cette industrie bretonne fut la Révolution qui engendra un appauvrissement général, et ce fut progressivement la mort de la petite industrie rurale, aussi sensible dans le domaine des innombrables tisserands dont cette époque vit la ruine.
Quelques chiffres résumeront cette situation saisissante :
en 1776, il existait en Bretagne 67 moulins à papier dont il ne subsiste plus que 13 en 1958, dont 5 dans les Côtes-du­-Nord, 3 dans le Finistère et le Morbihan, un seul en Ille-et-Vilaine et en Loire-Atlantique.
 
(1) Le Val-Pinart était en la paroisse de Saint-Martin de Morlaix.
 
P. LEMOINE.

jeudi 27 février 2025

George Sand

George Sand est la vache bretonne de la littérature.
Jules Renard

George Sand avait la sérénité de ces animaux ruminants dont les yeux pacifiques semblent refléter l'immensité.
Maxime Du Camp

mardi 25 février 2025

Un homme heureux

Il y a une dizaine de jours, votre Tenancier chéri a convié quelques amis locaux à une causerie «gourmande» (crêpes nature, au rhum et à la cannelle) autour de la bibliophilie. Rien de très développé, on vous rassure, quelques notions exposées de façon assez brouillonne, mais le moyen de faire autrement sur un sujet aussi riche? On espère avoir intéressé, tout de même. Le même jour, le soir, on accueillait un ami de longue date, bouquiniste et également un peu antiquaire, de passage dans la région pour «faire une adresse». On eut la chance de contempler le merveilleux bordel qui encombra sa camionnette le lendemain : boîtes contenant des images qu’on trouvait dans les paquets de chocolats, vieille chaussette remplie de pièces de monnaie, pas très «fleurs de coin» pour la plupart. On identifia même une ou deux datant du XVIIe siècle, fort usées puis pas mal de monnaie du Second Empire, etc. Dans le lot récupéré, seulement quatre livres, ou plus exactement un livre et trois numéros de revue, documents concernant la Bretagne, son folklore, son économie, etc. Cet ami a bien voulu me confier ces ouvrages et c’est ainsi que vous avez pu lire ici même un article sur la production de papier en Bretagne (un autre arrive sous peu). On pourrait s’arrêter là et se déclarer satisfait de la bienveillance du destin qui vous nous fait retrouver la joie des réunions amicales et la jouissance de farfouiller dans de vieux objets. De façon surprenante, l’article en question a provoqué pas mal de réactions intéressées, preuve que l’érudition ne se dilue pas encore dans l’obscurité qui nous gagne de toute part.
Cette succession de plaisirs ne s’est pas arrêtée là, puisqu’un don amical, suscité par l’article sur le papier, me fit recevoir un livre que je convoitais depuis sa parution en 1991. Papier de Jean-Pierre Lacroux consiste en un ouvrage sur sa fabrication entre autres et dont chaque page est imprimée sur un papier différent, prouesse remarquable, tant sur le plan du brochage et du cartonnage que pour les variétés utilisées. Yearling, Rotostable, Gama, Opale de Rives, mais aussi Vélin Arches, Centaure ivoire, etc., apportent au propos une matérialité assez sensuelle à un livre à un prix plutôt élevé à l’époque (390F de 1991, cher pour un salarié en librairie) et qui s’est épuisé très rapidement. L’on a vécu sur le souvenir de cet ouvrage pendant tout ce temps sans trop d’illusions sur la possibilité de le retrouver et voici qu’il nous parvient dans notre boîte aux lettres : émotion, joie et reconnaissance envers cet ami! Cette décade s’est révélée «prodigieuse» à sa manière. Maintenant, on va se plonger de nouveau dans ce livre, longuement parcouru par votre Tenancier lorsqu’il s’activait en librairie. Il va apprendre encore, d’autant que l’on attend beaucoup de Jean-Pierre Lacroux dont on recommande également ses travaux sur l’orthotypographie
Oui, le titre de ce billet fait un peu benêt, mais il traduit bien ce qui se passe pour votre Tenancier.

Avec jaquette

Sans jaquette