vendredi 8 juillet 2022

La mission du Tenancier

Un phénomène se produit de façon récurrente lorsque dans une assemblée, même informelle comme une dînette sur le pouce avec des personnes que vous ne connaissez pas vraiment, ceux-là, vous découvrant comme «écrivain», vous parent de quelque mission sacralisant la manière de dire, le quotidien ou toute autre vertu que confère les fantasmes du lecteur. Avec soudaineté, vous voici écrasé sous le poids de la charge de la preuve par le biais d’un acquiescement aux assertions diverses sur la nature de la mission de l’écrivain : rendre compte de la réalité, l’art pour l’art, le miroir le long du chemin, etc. Alors que vous essayez de finir ce p’tit verre de rouge dont vous n’avez pas réussi à découvrir de quoi il s’agissait (trop de bouteilles ouvertes en même temps), vous voici acculé à un acquiescement catégorique, histoire que l’on vous foute la paix quand vous picolez et aussi afin de tranquilliser l’interlocuteur, parce qu’au fond, vous ne désirez pas plus que ça de passer pour un revêche ou un contradicteur. En résumé, l’on vous somme de confirmer, gentiment, hein. Vous pourriez répondre — et nous ne trouvons pas loin de ce que pense votre Tenancier — que vous écrivez parce que, en définitive, vous en avez l’occasion et que le résultat ne vous paraît pas trop moche pour la somme de travail accordée. Vous pourriez affirmer qu’écrire correspond certainement à une mission intellectuelle ou morale, l’enjeu d’un affrontement ou d’un défi de soi, de l’approche sensible du monde et de toutes ces choses qui font plaisir à l’interlocuteur. La seule réplique qui vous vient à l’esprit à ces moments, parce que vous êtes de plus en plus perdu à l’oral pour ce genre de conversation, reste : «Oh vous, savez, j’aime surtout écrire des histoires…»
Mais vous ne le direz pas parce que vous ne tenez pas à décevoir et que vous avez envie de passer à autre chose, à un autre interlocuteur ignorant votre casquette de littérateur, ou à déguster ce verre de pinard que vous ne connaissez pas, ce qui, entre nous, ne peut étonner, étant donné que votre Tenancier boit de moins en moins.

mercredi 6 juillet 2022

Ceci est un communiqué du Tenancier

Les plus perspicaces d’entre vous l’auront deviné : votre Tenancier chéri délaisse le blog parce qu’il se trouve de plus en plus court à causer de préoccupations qui s’estompent peu à peu. Ce blog-ci, ainsi que son prédécesseur, se consacrait au livre, d’abord comme un libraire en chambre qui s’ennuie et puis comme une personne qui assume sa transition vers d’autres occupations, rappelant cependant la chose écrite. Reste que le soussigné piochait de plus en plus à l’évocation de faits se rapportant à son ancienne activité, découvrant ainsi que l’on ne demeure pas libraire si l’on n’entretient pas le muscle spécifique. Sans l’atrophier, le Tenancier pense désormais attribuer cet organe à d’autres fonctions, célébrant en conséquence la célébrissime fonction de l’organe (hum).
Bref : que faire de ce blog ? Tout de même, nous avons passé de bons moments ensemble et cela ferait mal à quelques-uns d’entre nous que l’on gomme de façon définitive les participations et les dissipations qui se sont produites ici et auparavant. La conclusion s’annonce d’elle-même, l’on continuera — l’on ne sait à quel rythme et selon quelle humeur — vers des voies connexes. Puisque votre Tenancier écrit un peu, il viendra vous ennuyer avec quelques considérations oiseuses comme il songe à les produire au sujet de ses turpitudes créatives. On gardera les historiettes de Béatrice et l’on causera de temps en temps de livres, mais sans doute moins de la façon qui se voulait pointue et qui prenait à la longue des allures décevantes. On se laissera porter par le courant.
Merci de votre attention.

mardi 28 juin 2022

De temps en temps, on aimerait faire pareil que Woody avec certains...



Woody Allen
Extrait de
Annie Hall
(Pardon pour la mauvaise qualité du début, mais ce n'est pas de la faute du Tenancier)

mardi 21 juin 2022

Se dérober

Il arrive un moment, lorsque l’on écrit, où l’on se pose la question de la pertinence de son propos. En quoi ce que l’on couche sur le papier apporte-t-il quelque chose d’utile à soi et aux autres ? Si l'interrogation semble superflue pour ce qui concerne la littérature de divertissement assumée comme telle, on se trouve tôt ou tard confronté à « la quête de sens » et même, au bout du compte, au bord du renoncement, laisser tomber devenant un pis-aller plutôt que d’affronter les contradictions entre la volonté d’élever le débat suscité par ses propres écrits et les limites de chacun. Bien entendu, l’idée affleure de façon périodique et ne s’enterre jamais vraiment, peu importe l’argutie utilisée. On en a vu, comme Alain Nadaud, écrire pour signaler qu’ils arrêtaient d’écrire, paradoxe apparent, mais qui dévoilait un renoncement aux territoires de la fiction et également la soumission du texte a autrui… et puis la lassitude de l’auteur face à l’indifférence critique, et à celle des éditeurs qui ne se payent guère d’audace (on songe toujours à Nadaud et à ses vitupérations contre un système de commercialisation qui vaut autant pour la littérature que pour les savonnettes). On peut encore se trouver peu d’allant pour partir en guerre contre soi, se faire violence, se contenter de produire à l'identique. Est-ce bien la solution ? Mais ne vaut-il pas mieux s’essayer à progresser au-delà de on assise ? Bien sûr… celui qui n’a pas compris cela, que fait-il, à écrire encore ? Ces moments de crises restent profitables à partir du moment où on les dépasse. Ils ne sont pas perçus de façon claire par l’entourage et les lecteurs, à cause de la décantation, de la latence et de l’adaptation vers d’autres paradigmes d’écritures. Il arrive aussi que l’on échoue à cette prétention, mais au moins l’on a tenté de se rédimer de son laisser-aller, même si en apparence, les productions restent identiques encore un temps aux yeux du lecteur. La crise peut se révéler abrupte dès lors que l’on décide de s’éloigner d’un genre que beaucoup aiment rencogner dans un « imaginaire » si trompeur que les stéréotypes y abondent plus souvent qu’à leur tour. La nécessité de larguer les amarres se pose. Elle ne mène pas à une renonciation, mais à une réflexion, sur le sens de ce que l’on produit et sur les menus tourments que cela occasionne : tempête dans un verre d’eau ! On sait bien où cela aboutit, c'est-à-dire à demeurer à la même place aux yeux des autres et puis à constater qu’au bout du compte on s’est agité pour pas grand-chose. On retrouve des ornières identiques. Mais, au moins, l’on a ressenti l’envie de se dérober, comme parfois les personnages que l’on fait naître dans certains récits. Reste le sentiment confus de ces velléités, qui rejailliront, qui sait, un peu plus tard…

mercredi 5 janvier 2022

mardi 4 janvier 2022

Florilège pour copie conforme :

Victor Bérard : Les navigations d’Ulysse
Peter Fleming : Courrier de Tartarie
Peter Matthiesen : Le léopard des neiges
Nicolas Bouvier : Œuvres

Si vous trouvez d’autres titres, le Tenancier se fera un plaisir d’allonger cette liste de livres « inspirants ».

mercredi 1 décembre 2021

Vous n’en savez probablement rien non plus


1er mars 1954
à Paul Brooks, Houghton Mifflin Co.
 
… Il faudra qu’un jour on m’explique le principe des maquettes reproduites sur les couvertures de livres. J’imagine que leur but est d’attirer l’œil, sans poser de problèmes trop compliqués à l’esprit, mais leur symbolisme en pose trop de profonds pour moi. Pourquoi y a-t-il du sang sur la petite idole ? D’ailleurs pourquoi cette petite idole est-elle là ? Et que signifient les cheveux ? Et pourquoi l’iris de l’œil est-il vert ? Ne me répondez pas, vous n’en savez probablement rien non plus.
 
Raymond Chandler : Lettres

jeudi 25 novembre 2021

Et toc

« J’ai remarqué, en observant ce soir la numérotation des pages, que j’avais commencé à écrire sur le feuillet numéro treize — et cela m’inspire une vague insatisfaction. J’ai lu, au passage, un paragraphe dans un journal qui parle d’écrivains moitié fous. Zola, dit l’auteur, était l’un d’eux. On le considère comme moitié fou parce qu’il additionnait les nombres à l’arrière des fiacres qui passaient devant lui dans la rue. Personnellement, c’est une chose que je fais sans cesse — et je sais très bien que je le fais pour m’apaiser l’esprit. C’est une pratique narcotique, en quelque sorte. Johnson, nous le savons, touchait les poteaux de sa rue dans un certain ordre : cela était encore une manière d’échapper à de tristes pensées. Et nous savons tous comment, étant enfants, nous avons obéi à l’injonction mystérieuse nous intimant de marcher sur les lignes entre les pavés de la rue… Mais les enfants ont un avenir. Il est bon qu’ils rendent propice le mystérieux Tout-Puissant. En leur temps, Johnson et Zola avaient eux aussi un avenir. Il était bon que Johnson fît ses “touches” contre la malchance, que Zola mît son esprit à l’abri de nouveaux problèmes. Chez moi, c’est simplement le fruit de l’idiotie. Car je n’ai pas d’avenir. »
 
Joseph Conrad — Ford Madox Ford : La nature d’un crime (1909)
(Trad : Maxime Rovere)