mercredi 18 septembre 2019

Le Tenancier au Pays des Soviets

À l’instar du proverbe de Lao-tseu qui commande de rester assis à bord de la rivière en attendant le cadavre de l’offenseur, il nous suffit, à nous, de prendre la même posture pour contempler l'écoulement des filaments putrides d’un certain vieux monde. En son temps, votre Tenancier, peu féru de littérature russe, et encore moins de dissidents (question de goût littéraire, c'est tout...), se laissa aller à bouquiner La tête de Lénine, de Nicola Bokov, dans son édition de chez Laffont. La lecture (1982) en est devenue lointaine, mais il se souvient tout de même du mode ironique du récit, pérégrination d’un type ayant volé la tête de Lénine dans son mausolée. On le répète, votre serviteur peu amateur de samizdats des années 70 goûta toutefois le ton et la concision de l’auteur, sans ressentir pour autant l’envie d’y revenir. Mieux vaut parfois une saveur imparfaite que des fragrances fanées. Faudra-t-il retrouver ce bouquet perdu afin de décrire notre monde actuel qui, à l’instar d’un régime soviétique repu, saccage la nature par son productivisme forcené tandis qu’il interpelle quelques fabricants d’écrevisse géante en carton, sous l’inculpation « d’association de malfaiteurs » ? Faudra-t-il désormais jouer avec la censure politique qui procède à l’inspection de la littérature « séditieuse » — déjà expérimentée du temps de l’affaire de Tarnac — et fait incarcérer trois jeunes Allemands de passage qui en sont les détenteurs ? Faudra-t-il bientôt rendre notre écriture transparente, de crainte de voir débouler les auxiliaires en uniforme d’une oligarchie (peu importe sa couleur) afin d’inventorier nos bibliothèques ? Faudra-t-il décrocher des portraits et partir avec sous le bras, à l’instar de la tête de Lénine, réécrire le roman de Bokov avec ce qui se passe sous nos yeux ?
Craignons que le sens de l’histoire ne s’inverse et que la farce tourne au drame. Pour l’humour et la dérision, l’on doit jouer à deux, et l’adversaire est un irréfragable con.

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