jeudi 21 novembre 2019

Oui, eh bien, il y a livre et livre, hein...

Il y a peu, dans des circonstances que je ne me suis pas donné vraiment la peine d’approfondir, un groupe d’étudiants a déchiré ou abîmé un certain nombre de livres dont l’auteur était François Hollande. Le nom de ce dernier importe peu, d’ailleurs, tant la médiocrité d’un personnage politique se révèle interchangeable… Je ne me pencherai pas non plus sur la revendication étudiante qui, si elle me semblait justifiée, ne s’en prenait en réalité qu’au piètre représentant d’un système au bout de sa représentation. Bien évidemment, votre serviteur s’est posé des questions sur cette histoire de destruction de livres. D’abord, qu’un libraire put se plaindre que l’on s’en prenne à la marchandise, mise à disposition par l’éditeur en prévision de la signature de l’insignifiant pantin politique, pourrait paraître logique. Tout volume endommagé n’est par forcément remboursé par les assurances, et il semble bien que le libraire, en effet, fasse tintin, à ce sujet. Nous sommes quelques-uns à estimer que la librairie est devenue un métier encore plus périlleux avec la généralisation des sites sur internet. Pour autant, la survie impose-t-elle qu’on s’autorise à vendre n’importe quoi sans en risquer le contrecoup ? Si le libraire en question est en accord avec les idées exprimées par l’auteur, espérons qu’il assumera les effets de la colère étudiante par solidarité militante. S’il est en désaccord et qu’il a tenté de vendre ces ouvrages par pur esprit mercenaire, on songera alors que se plaindre d’un tel incident est certes de bonne guerre pour s’assurer de la sympathie… hors ceux qui réprouvent la logique marchande consistant à vendre n’importe quoi. Enfin persiste la question de l’acte de destruction du livre, procédé qui suscite l’anathème en raison de ses réminiscences historiques. Il faudra tout de même un jour s’interroger, savoir si ce genre de merde fait partie des livres. De ce côté du clavier, l’on a fait son camp depuis pas mal de temps. Ce gâchis de papier est voué à l’obsolescence rapide et les étudiants ont seulement accéléré le processus. L’on agrée également que le métier de libraire s’arrange de quelques compromis, que l’on soit obligé de vanter des livres avec lesquels on se trouve en désaccord. Mais le curseur entre le compromis et la compromission réside dans l’éthique de la profession : celui de promouvoir des œuvres, de favoriser la culture, même si celle-ci peut se trouver en désaccord avec soi-même. Il nous est arrivé de proposer des saloperies déplaisantes, de réprouver les livres qui figuraient dans les rayonnages. On débitait tout de même ces écrivains puants, comme Céline, parce qu’il n’est pas du ressort d’un vendeur de faire un choix, tout au plus d’orienter sa clientèle. Celui-ci est devenu plus facile dès lors que l’on s’est retrouvé à son compte, et d’en payer éventuellement les conséquences. Mais ces « livres politiques », ces professions de foi à la con, cette duperie mise en page par le moindre homoncule politicard, pourquoi les appelle-t-on des livres ? Cette logorrhée dégoûtante — de quelque bord que ce soit —, parfois écrite avec les ressources lexicales d’un clébard, se révèle des « coups » opérés par des éditeurs qui ont pris la place des organes de presse. Rassurons-nous : la dévalorisation du livre va bon train. Bientôt, ces sinistres personnages s’apercevront que leurs mensonges publiés sous cette forme ne recèlent plus aucun prestige. Enfin, l’on sait bien que cet épisode de destruction, comme on l’a dit plus haut, rappelle d’autres faits plus inquiétants, plus fâcheux — plus fachos, aussi —, mais j’aurais quelques scrupules personnels à comparer le sort d’une caisse de merdes politicardes arrosées de café avec le bûcher confectionné à l’aide de livres de Zweig, Walter Benjamin, Heinrich et Klaus Mann, etc.
Mais je suis sûrement de mauvaise foi.

3 commentaires:

  1. Anonyme08:21

    Vous êtes peut-être de mauvaise foi, cher Tenancier, mais vous ne faites pas de bile (et ce, bien évidemment, pour la simple rhétorique).
    Pour le reste, vous dites "la dévalorisation du livre va bon train", nous vous l'accordons. Mais n'est-ce pas simplement un pan, un simple pan, de l'entreprise de crétinisation actuelle (et pas récente) qui rencontre tant de succès de nos jours ?

    Otto Naumme

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  2. Lorsque j'évoque la "dévalorisation du livre", Otto, je ne parle pas forcément du phénomène généralisé de désaffection vis-à-vis de ce support de lecture (qui n'est en l'occurrence remplacé par rien), mais de la plus-value fantasmé par les hommes politiques. Or, cette désaffection est avérée lorsque l'on envisage l'actuel ministricule de la culture qui ne vient pas du tout de cet univers (ou qui le cache bien !). Cependant, on ne me fera pas dire que "c'était mieux avant". Adorno a produit un texte intéressant sur l'industrialisation de la culture, Kukturindustrie (éditions Allia) qui démontre au moins que cette entreprise n'est pas nouvelle, comme vous le soulignez également. La voie reste étroite entre le divertissement et la propagande, ces deux mamelles des "espaces culturels" de chez Leclerc.

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  3. Cher Tenancier,
    Un livre, me semble-t-il, est un livre. Il y a plutôt de bons ou de mauvais livres ; ou plus justement encore de bons ou de mauvais lecteurs. Ne pas lire un livre est le meilleur moyen d'accompagner son auteur vers l'oubli. Détériorer publiquement un livre, c'est au contraire donner à son auteur l'importance que l'acte voudrait nier. Je n'ai rien contre l'idée de renverser ma tasse de café matinale sur un livre, à condition que ce livre me déplaise ou m'ennuie profondément. Mais cela suppose que je l'aurai lu, intégralement ou partiellement, en dépit de la personnalité de son auteur, et que je m'en serai fait une opinion, en dépit toujours de la personnalité de son auteur. L'idée ne me viendrait pas de gâcher du café sur le seul nom d'un homme. On publie trop de livres - qui sont tous des livres - mais c'est parce qu'il y a trop de mauvais lecteurs.

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