Faire sa fête à l’écriture
manuscrite : l’idée provient sans doute d’un consortium d’hyper cerveaux du
côté de quelque Silicon Valley. Il s’agit de substituer à l’apprentissage, par
enfants et adolescents, du geste graphique, le glorieux et rapide
« traitement de texte » que permet la technologie. Pratique obscurantiste
et démodée que l’écriture manuscrite ? Avatar médiéval ? Luxe
aristocratique ? Nous y sommes. S’agirait-il de la mettre hors la loi,
comme c’est le cas désormais dans une partie des états américains ? et
comme c’est en débat dans certains états d’Europe du Nord ? L‘école ne serait plus un lieu où la
pensée se construit à la main, dans le sillon des lignes. Adieu plumes et
stylos, crayons et feutres. Au revoir la page intimidante, les brouillons
griffonnés, les incipit emblasonnés, les calligraphies tâtonnantes où la lettre
prend corps. Exit enfin,la musicalité du cahier, cet ensemble relié de
variations sur le thème de l’apprentissage personnel.. Autant d’accessoires à
ranger au cabinet des antiques , avec étiquette datée, pour tout cet
attirail devenu historique, obscur témoin de l’écriture et de la différence.
C’est d’ailleurs cette « différance », avec ses ratures et ses
marges, qu’il s’agit de traiter comme une approximation, ou une tare. Mais
s’est-on suffisamment enquis de ce que pourrait bien signifier une enfance sans
trace écrite, et, dans nos sociétés, une entrée dans la vie dénuée de cettealchimie
lettriste qui ouvre la porte des signes ?
Alors oui, surveillons nos
plumes et nos (belles) lettres ! Quelles que soient par ailleurs nos
pratiques sociales et culturelles, applaudissons l’écriture manuscrite, canevas
premier d’une toile ultérieur. Retrouvons parfois l’émotion du « vide
papier que sa blancheur défend »… Mesurons aussi l’ampleur des risques à
l’aune de la « haine de l’écriture », et de ses conséquences
historiques.
Jean-François Cassat