« — Dites donc, Tenancier, vous
n’aimez pas Frémion,
vous…
— Frémion ? A vrai dire, je m’en fous. Il a essayé de
m’enfumer il y a une trentaine d’années, c’est vrai… mais c’était il y
a une
trentaine d’années, justement ! Et
il n'a pas réussi, en plus. Donc, non, ça va de ce côté-là.
— Ben pourtant, j’ai vu votre mot au-dessous de
l’article
qu’il avait rédigé sur Bécassine.
— Ah, vous avez vu ? Et la coquille, aussi ?
— Oui, aussi.
— C’est comme ça, j’étais énervé. Tant pis.
— Mais pourquoi ? C’est plutôt innocent, Bécassine ?
— Oh mais pas tant que ça. J’ai recherché
ici,
ici et
là en
quoi le personnage représente une vision pas très recommandable… et
nous avons
tout à coup un « critique » de BD qui semble considérer cette
série
comme un météore, un objet libéré de toute contingence, un produit
chimiquement
pur ! Comment peut-on passer sous silence le contexte social et
politique
de la création de Bécassine ? Par des contorsions assez risibles,
Frémion
essaye même de nous faire passer ce personnage
pour une féministe, voire une
« révolutionnaire » qui tiendrait tête à ses employeurs. L’image de la
paysanne finaude comme subversion face à la bourgeoisie ne tient ni à l’épreuve de
la
lecture des ouvrages ni à la réalité décrite par Corbin et Lebesque,
que je
citais de mon côté. C’est drôle, mais ce genre de postulat recèle
souvent de
bizarres connotations.
— C'est-à-dire ?
— Eh bien, on est plus très loin, avec ce
bon sens paysan de « La terre ne ment
pas » dans le raisonnement tenu par Frémion.
— Vous exagérez, Tenancier !
— Qu’est-ce que je dois comprendre de cet article qui vante
une compilation des histoires de Bécassine, dans un contexte actuel où
l’on
fait la part belle aux « valeurs » réactionnaires, de la part
d’un
type qui a passé vingt ans de carrière politique à tenter de nous vendre des idées
( ???) de
gôche ? Tout à coup, l’univers de la BD serait débarrassé de ces
contingences idéologiques, déréalisé, neutre ? A quelles fins ? Ou alors serait-ce que le rédacteur de
l’article ne sait plus où il habite ?
— Ce ne serait pas le premier, remarquez.
— Qu’il s’en arrange ! Je ne m’en moquerais si,
récemment, je ne m’étais pas préoccupé du même sujet. C’est ça, le
malheur,
quand on gratte un peu — et je puis vous dire que je suis loin d’être
un
spécialiste de quoi que ce soit ! — on constate à quel point on peut
confondre
média et culture, communication et journalisme, critique et
publireportage.
C’est une question de honte. Lorsqu'on a eu une « carrière
politique », c’est un sentiment qui semble devenir très relatif…
J’ai d’autres exemples d'ailleurs, vus d’assez près.
— Vous, vous n’aimez vraiment pas Frémion, hein !
— Je ne vais pas m’en excuser. J’ai connu brièvement le type et je
tombe encore sur euh… ses écrits. Ce qui est un peu pathétique, dans ce
cas,
c’est que le passage du col Mao au Rotary…
— … oui, j’ai vu dans votre commentaire…
— … ressemble plus à une promotion de chef magasinier, toute
révérence faite aux magasiniers qui ne méritent pas qu’on les mêle à
ça.
— Un petit apéro, Tenancier ?
— C’est un petit peu tôt pour le Tenancier, dites-moi. En revanche, vous
n’auriez pas un peu de thé ?
— Si.
— Avec du rhum dedans, me suis chopé un coup de froid, moi…
et puis laissez la bouteille, hein ! »