Pourquoi est-on libraire ? On ne répondra pas pour les
autres, mais il est au moins un des aspects du métier — je parle pour les
libraires d’occasions et bibliophiles — qui vous confirme et même vous relance
dans la passion de son exercice : c’est la recherche bibliographique.
Certes, l’acte serait décevant s’il se cantonnait à la recension bête des
indications résidant dans les ouvrages de référence. Ces recherches vont plus
loin, elle font appel à une somme de connaissance qui met en cause la
compétence du chercheur. Hors l’aspect technique du livre, les connaissances
spécifiques à l’histoire de la littérature en général, un mouvement particulier
ou plus spécifiquement à la biographie d’un auteur, à part l’habileté et
parfois l’opiniâtreté à retrouver des sources bibliographiques, c’est la
capacité à articuler cette somme d’informations qui fait le métier et le
plaisir du libraire. Cela se traduit par la présence — facultative, toutefois —
de notices dans les catalogues de vente.
Ces notices surviennent souvent en conclusion du descriptif
de l’ouvrage (voyez les billets précédents sur le sujet) et se rapportent
tantôt aux attributs spécifiques de l’exemplaire (un envoi autographe, un
ex-libris, un exemplaire nominatif, par exemple), tantôt aux circonstances de
publication (rescapé du pilon ou de la censure, etc.)
Si les renseignement apposés jusque-là dans le catalogue
avaient valeur d’objectivité et répondaient à quelques standard précis, la
notice devient le champ d’expression de la personnalité du libraire. On a déjà
évoqué antérieurement les notices abondantes, humoristiques et fort bien
documentée de Pierre Saunier dont les catalogues se conservent autant pour les
sources de renseignement autour de livres rares que pour le plaisir de leur
relecture. D’autres professionnels sont plus succincts voire muets. Ce silence
n’implique pas que le libraire n’a rien à dire. La raison se trouve sans doute
dans le fait que nous avons affaire à un bon exemplaire — on veut entendre par
là qu’il n’est pas si spécial que cela par rapport à un exemplaire qui aurait
un envoi — et qu’il est inutile de gloser dessus, d’autant que, rappelons-le,
la place est comptée dans la mise en page d’un catalogue. En fait, la nécessité
du recours à une notice développée est à la mesure de l’importance de
l’ouvrage : plus l’exemplaire sera précieux, prestigieux, exceptionnel,
plus sa notice aura de l’importance. Entre l’absence complète de commentaire
sur un ouvrage sur pur fil de Claudel et un notice de trois pages autour d’un
rare exemplaire en circulation de l’éditeur Genonceaux (nous pensons ici au
Tutu de la Princesse Sapho), c’est une
question de rareté, d’exception et bien entendu de valeur (le pur fil vaudrait
une vingtaine ou une trentaine d’euros, Le Tutu a été proposé à 8 000 F. à
l’époque ce qui permettait que l’on s’étale un peu à son sujet).
Une notice est souvent explicative, elle articule — on se
répète — divers éléments pour donner l’explication de la présence de l’ouvrage
dans le catalogue et bien entendu celle de son prix. Parfois, la chose est
implicite. L’ouvrage est recherché et il n’est pas besoin de s’en expliquer
plus avant. Le prix confirme tacitement l’importance de celui-ci. En réalité,
ces notices ne s’imposent bien souvent que dans le cadre d’exemplaires ayant une
provenance ou bien dans des catalogues spécialisés. Il est en effet important
de devoir expliquer la nature particulière de quelques ouvrages très rares dans
un domaine qui touche peu de monde. On a sous les yeux un catalogue de Serge
Plantureux datant de 1991 et consacré à la criminalistique et à la
criminologie. Si
Le miracle de la rose
de Genet n’a nul besoin d’indication hormis le descriptif physique,
Colonie agricole et pénitentiaire de Mettray
(
circa 1840) mérite une notice de 500
signes environ. Le Genet — simple édition originale — a été proposé à
3 000 F. tandis que l’ouvrage sur Mettray en faisait 2 000 de plus…
Il va de soi que la rareté fait la différence. Mais il y a un autre facteur que
nous n’avons pas abordé, c’est l’importance de l’ouvrage dans un contexte
donné. Ainsi dans la notice consacré à la colonie pénitentiaire du Mettray,
nous apprenons que Michel Foucault a analysé le contenu de cet in-4° oblong
dans
Surveiller et punir. Nous
arrivons donc à une autre dimension de l’ouvrage et une ample justification de
son intérêt, fait qui nous aurait sans doute échappé s’il n’y avait eu cette
notice.
Les notices comportent, outre des références intellectuelles
indispensables, une indication qui peut paraître abstruse au néophyte… Des noms
ainsi qu’un chiffre apparaissent parfois. ce sont en réalité des références
bibliographiques couramment utilisées et que l’usage a consacré par la mention
de leur auteur. Par exemple la mention
BRUNET suivi d’un chiffre indique que le
libraire à été farfouiller dans le
Manuel
du libraire et de l’amateur de livres de Jacques-Charles Brunet (1860)
consacré principalement aux livres anciens, le chiffre indiquant la page où il
a prélevé certaines information pour rédiger sa notice où bien
pour justifier, par exemple, le fait que nous
avons affaire à une originale. On vous citera un de ces jours quelques
bibliographies régulièrement citées.
Cet aspect particulier du catalogue, le plus passionnant à
mon sens tant du point de vue du lecteur que du rédacteur, contribue à la
réputation du libraire. C’est également un accessoire indispensable à la
formation de l’amateur et du bibliophile. Nul besoin de rechercher fébrilement
des catalogues pour s’en apercevoir puisque quelques libraires prestigieux
mettent en ligne les invendus de leurs catalogues papier (on vous invite à
chercher sur le site
Livre-Rare-Book). Bien évidemment, on rencontre plus
rarement des notices pour des livres mineurs, même en ligne, car ces recherches
prennent parfois du temps et de l’énergie.
On a conscience d’avoir oublié pas mal de choses dans cette
évocation. tant pis. Le Tenancier évoque, il ne balance pas.