Il est un moment où l’attrait d’un écrivain est
proportionnellement inverse à sa notoriété. Plus il est connu plus on regrette
de devoir le partager, de voir l’intimité patiemment acquise au fil des
lectures s’effilocher devant une reconnaissance plus étendue. Le fait est bénin
dès lors qu’il s’agit d’un cercle de connaisseurs. Cela devient plus cruel
lorsque la référence s’étend vers les médias culturels où les risques de
dissonance sont plus nombreux. On sombre bientôt dans le ridicule quand les
médias de divertissement en font une référence « incontournable » en
présentant un ersatz passablement dénaturé d’une production originelle. Le nom
n’est plus la signature d’ouvrages mais une marque inséré dans un commentaire
invariablement promotionnel. C’est ce qui est arrivé à Philip K. Dick depuis
pas mal de temps. Qu’est-ce qui pouvait différencier Dick d’autres auteurs
diablement autant exigeant que Ian Watson, J.-G. Ballard ou Samuel R. Delany ?
À l’époque où la réputation de Dick ne dépassait pas les bornes de la SF, mais
à une époque où la SF représentait une alternative littéraire au roman
bourgeois (sous les vocables de Speculative
Fiction, de New Thing, et
d’autres encore…), la SF était suivie par un large lectorat, affranchit un
temps des cloisonnement que les fans allaient s’ingénier à refermer par la
suite. La confrontation avec les autres genres littéraires était courante. À ce
titre, Philip K. Dick n’était déjà plus un inconnu pour tout le monde et c’est
vers cette période — entre le milieu des années 70 et celui des années 80 — que
sont parus en France des œuvres importantes. Mais il n’était pas le seul dans
ce cas. Il ne s’agit pas ici d’essayer de répondre avec assurance sur la raison
de la célébrité de Dick au détriment de certains contemporains aussi valables.
Les univers des auteurs cités plus haut ne semblent pas convenir au lectorat
actuel, du moins à une large frange. Dick plaît, et pour le malheur de ses
thuriféraires (dont je fus longuement) sa popularité dépasse largement son
lectorat étendu et principalement parce que l’on n’a pas lu ses écrits. La raison
est bien entendu le cinéma. On a adapté ses textes, en plus grandes proportions
que Watson, Ballard et Delany réunis. Le cinéma a ceci de particulier qu’il
peut difficilement respecter le propos d’un auteur (et ce n’est pas propre à la
SF). Même Blade Runner, adulé par le
public de cinéma, déconcerterait ce dernier si l’ouvrage originel leur
parvenait sous les yeux. Que dire des merdes soi-disant adaptées d’autres
romans ou nouvelles de Philip K. Dick… seul A
Scanner Darkly nous semble respectable au milieu de cet océan de veulerie
pelliculaire. Et encore, nous demandons à le revoir. Mais là aussi, il importe
relativement peu que notre auteur ait été adapté plus ou moins fidèlement et
que le produit soit médiocre ou non. Il arrive un moment où la popularité
atteint un moment de non-retour, lorsque la télévision nous sert de ces
émissions de nature émétique qui veulent nous présenter un panorama de la
science-fiction audiovisuelle et où, annoncé comme une sorte de caution
intellectuelle, on cite le nom de Philip K. Dick. Avouons-le : la dernière
fois que c’est arrivé je n’étais plus surpris par la viduité du propos mais
encore étonné que cela perdure. La première fois que j’avais entendu le nom de
Dick prononcé comme un triomphe au milieu d’un discours acculturé, c’était dans
les années 80 au cours d’un reportage pour l’émission Temps X. Là non plus je n’avais pas été particulièrement étonné
car, connaissant le commentateur, je savais parfaitement que la seule chose
qu’il était capable de lire et de comprendre était la notice de son lecteur de
cassettes vidéo. La « novation » fut rude, le commentateur un niais.
Que tout critique de téloche ou de cinéma de SF soit un imbécile, n’est pas
certain et même pas admissible. La première crotte n’annonce pas forcément le
choléra. Pour autant, le manque de ressources littéraires dans ce milieu
inquiète toujours… À croire que ceux qui recrutent ces éléments ont une notion
plus que sommaire de la culture, fut-elle populaire, et cela depuis des
décennies.
Que faire lorsque l’on a aimé un auteur au point de lire systématiquement tout ce qui a pu paraître de lui (un peu moins sur lui, on est peu porté à l’exégèse quand on est jaloux) et que l’on est confronté à de telles indigences au fil des années ? La réponse n’est pas claire. On s’éloigne du sujet de son affection, la plupart du temps. On lève un sourcil paresseux à l’évocation, comme d’un engouement ancien. Plus question d’y retourner avec la même passion. Les vieilles maîtresses sont décevantes. Toutefois, on ne peut s’empêcher de regretter ce naufrage entretenu par l’impéritie. On finit par en sourire, non avec indulgence, mais par l’effet d’une certaine cruauté devant l’enthousiasme frelaté à propos d’un auteur deux fois mort, la deuxième fois par le fait d’un ignare ou de l’un de ses continuateurs.
Peut-être est-ce une chance pour les autres auteurs précités d’avoir échappé à cela. Certains d’entre eux ont affaire à des contempteurs issus du cénacle de la SF dont quelques uns, pour leur confort intellectuel, aimeraient bien les extirper (le souvenir récent et affligeant d’une critique de Ian Watson qui se résumait à un « Je n’y comprends rien » est à ce titre une perle à ranger à côté des productions télévisuelles que l’on évoque ici). Au moins cette sottise est circonscrite, d’autant qu’il se trouve d’autres personnes pour défendre ces auteurs-là. La SF qui eut la chance de se manifester hors du cadre de ses fans y est retournée pour le meilleur et pour le pire. Pour ce qui me concerne, je me suis éloigné depuis longtemps de ce milieu. Je constate toutefois son dévoiement continu, par des gens qui n’ont pas l’air de savoir de quoi ils parlent. Mais, ça, c’est les médias, coco… Du reste, immanence du vide, allez savoir, le chroniqueur de Temps X continue de se prendre au sérieux et en photo de temps en temps sur Hollywood Boulevard. C’est rassurant quelque part : pas besoin de savoir lire pour voir du pays, avoir des habitudes de fossoyeur suffisent.
Il m’arrive de loin en loin de relire du Dick, de ne pas perdre le contact de la même manière qu’à la lisière du champ visuel on devinerait l’ombre d’un phocomèle… C’est peut-être cela qui permet supporter ce que l’on a fait à un auteur que l’on a aimé : y retourner. Il faut seulement de la patience.
Que faire lorsque l’on a aimé un auteur au point de lire systématiquement tout ce qui a pu paraître de lui (un peu moins sur lui, on est peu porté à l’exégèse quand on est jaloux) et que l’on est confronté à de telles indigences au fil des années ? La réponse n’est pas claire. On s’éloigne du sujet de son affection, la plupart du temps. On lève un sourcil paresseux à l’évocation, comme d’un engouement ancien. Plus question d’y retourner avec la même passion. Les vieilles maîtresses sont décevantes. Toutefois, on ne peut s’empêcher de regretter ce naufrage entretenu par l’impéritie. On finit par en sourire, non avec indulgence, mais par l’effet d’une certaine cruauté devant l’enthousiasme frelaté à propos d’un auteur deux fois mort, la deuxième fois par le fait d’un ignare ou de l’un de ses continuateurs.
Peut-être est-ce une chance pour les autres auteurs précités d’avoir échappé à cela. Certains d’entre eux ont affaire à des contempteurs issus du cénacle de la SF dont quelques uns, pour leur confort intellectuel, aimeraient bien les extirper (le souvenir récent et affligeant d’une critique de Ian Watson qui se résumait à un « Je n’y comprends rien » est à ce titre une perle à ranger à côté des productions télévisuelles que l’on évoque ici). Au moins cette sottise est circonscrite, d’autant qu’il se trouve d’autres personnes pour défendre ces auteurs-là. La SF qui eut la chance de se manifester hors du cadre de ses fans y est retournée pour le meilleur et pour le pire. Pour ce qui me concerne, je me suis éloigné depuis longtemps de ce milieu. Je constate toutefois son dévoiement continu, par des gens qui n’ont pas l’air de savoir de quoi ils parlent. Mais, ça, c’est les médias, coco… Du reste, immanence du vide, allez savoir, le chroniqueur de Temps X continue de se prendre au sérieux et en photo de temps en temps sur Hollywood Boulevard. C’est rassurant quelque part : pas besoin de savoir lire pour voir du pays, avoir des habitudes de fossoyeur suffisent.
Il m’arrive de loin en loin de relire du Dick, de ne pas perdre le contact de la même manière qu’à la lisière du champ visuel on devinerait l’ombre d’un phocomèle… C’est peut-être cela qui permet supporter ce que l’on a fait à un auteur que l’on a aimé : y retourner. Il faut seulement de la patience.