mercredi 2 novembre 2016
mardi 1 novembre 2016
George et le Comité
C’est un fait dont nous devons vous convaincre : notre
culture arrive toute cuite à notre esprit. Elle est prédigérée, préparée
depuis des forteresses invisibles qui président à nos destinées maladroites.
Dans des cénacles clos à double tour sur nos illusions, on décide de ce que nous
devrons penser et de quoi vous devrons rire. Des comités s’en occupent. Notre
libre-arbitre nous laisse accroire qu’il n’en est rien, que ce sont des
fariboles complotistes en chasubles blanches et bonnets de pénitents blancs
ou de fanatiques du Klan, pour une version d’opérette des Cigares du Pharaon. Nous le croyons, l’image se forme devant nous,
telle qu’on la souhaite pour nous, telle que l’on veut que nous la percevions. Suprême
habileté, ce que l’on veut nous faire croire pour vrai, nous le percevons comme
exagéré, le rejetant dans le camp du faux : écran de fumé qui dissimule
des faux-semblant. Le costume de comploteur nous paraît excessif, il est pourtant
vrai. Les réunions nocturnes semblent relever de la sottise, elles ne sont rien
moins que prosaïques. Ainsi en va-t-il de tous les comités, à commencer par le
Comité Anonyme des Blagues Carambar. Nous pensions que notre rire libérait,
qu’il délimitait les contours de notre personnalité, que la vie, l’amour,
l’espoir, cette brumeuse envie d’exaltation trouvait sa source dans cet
ineffable esprit qui nous habite. Détrompons-nous en. Notre cerveau malléable a
été dirigé très tôt vers la blague Carambar par un comité de douze membres dont
nous ne saurons rien puisque, de toute façon, nous en ignorions l’existence il
y a quelques minutes. Les Douze se réunissent, débattent, savent que la
stabilité de la civilisation est entre leurs mains. Pourtant, elles ne
tremblent pas, celles qui puisent dans l’urne qui contient les vannes du prochain
tirage des emballages du Carambar. Les décisions se forment à l’unanimité. Il
n’existe pas de repentir.
Il y eut une tentative d’investir le comité. Une main
anonyme avait glissé un papillon supplémentaire dans l’urne, en tout point
similaire aux autres. Il contenait une vanne d’un membre égaré de la Brigade
des Vermotiseurs :
— Le comique est-il las ?
— Non, c’est un coma éthylique.
Comme il fut le seul à en rire, on le démasqua.
Depuis, on recherche George. Nous sommes inquiets. Rendez-le nous. Nous renonçons à nos prétentions. Vous dirigez le monde, nous vous le laissons, considérant désormais que ce ne sont que frivolités. Nous continuerons notre ascèse et cesserons d’interférer avec la conduite du monde qu’incarne Votre Noble Comité.
Depuis, on recherche George. Nous sommes inquiets. Rendez-le nous. Nous renonçons à nos prétentions. Vous dirigez le monde, nous vous le laissons, considérant désormais que ce ne sont que frivolités. Nous continuerons notre ascèse et cesserons d’interférer avec la conduite du monde qu’incarne Votre Noble Comité.
dimanche 30 octobre 2016
Marché local
Tout amateur de SF régionaliste se réjouira de la parution de Hue Bique, de Philippe Cadic.
Le Tenancier sait : c'est très con, c'est même lamentable, mais comme le Tenancier est un garçon facile, il résiste rarement. Et encore, il aurait pu situer l'action à Saint-Goménolé. Il s'est retenu à temps, on ne sait pas pourquoi, sans doute parce que cela n'allait plus dire grand chose au lecteur de passage, Goménolé. Alors il fait la vanne sur le titre et le nom, et puis c'est tout. Ça demeure imparfait par incomplétude ce qui rend la vanne encore plus pathétique. Mais on en a vu d'autres, n'est-ce pas ? En plus, l'autre jour, il vous a collé une tartine sur Dick alors que tout le monde avait l'air de s'en foutre. Ben, il n'a pas jargonné, alors c'est logique. Remarquez, avec la vanne ci-dessus, ça ne risque pas de relever le niveau. N'empêche, Saint-Goménolé, il aurait dû le caser. Même pas le feu sacré pour faire une fausse couverture. Là aussi, le Tenancier est vacillant. Vous savez quoi, il est de moins en moins intéressant ce blog.
Vous avez raison.
Laissez-moi seul.
Laissez-moi seul.
Seul.
samedi 29 octobre 2016
jeudi 27 octobre 2016
mardi 25 octobre 2016
samedi 22 octobre 2016
10/18 — Jack London : Les pirates de San Francisco
Jack
London
Les pirates de San Francisco
Traduction de Louis Postif
Préface et bibliographie de Francis Lacassin
n° 828
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Série « L'appel de la vie »
Volume sextuple
446 pages (448 pages)
Couverture de Pierre Bernard
Dépôt légal : 1er trimestre 1974
Achevé d'imprimer : 30 août 1977
TABLE DES MATIÈRES
(Contribution du Tenancier)
Index
Les pirates de San Francisco
Traduction de Louis Postif
Préface et bibliographie de Francis Lacassin
n° 828
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Série « L'appel de la vie »
Volume sextuple
446 pages (448 pages)
Couverture de Pierre Bernard
Dépôt légal : 1er trimestre 1974
Achevé d'imprimer : 30 août 1977
TABLE DES MATIÈRES
Préface : L'appel de la mer, par Francis Lacassin [5 — 13]
Les pirates de San Francisco [27 — 183]
Les pirates de San Francisco [27 — 183]
I. — « Mouchoir Jaune » (White and Yellow)Histoires de la mer [187 — 413]
II. — Le roi des Grecs (The King of the Crooks)
III. — Une incursion ches les Pilleurs d'Huîtres (A Raid on the Oyster Pirates)
IV. — Le Siège du « Lancashire Queen » (The Siege of the « Lancashire Queen »)
V. — Un Bon Coup de Charley (Charley's Coup)
VI. — Démétrios Contos (Demetrios Contos)
VII. — Le Retour de « Mouchoir Jaune » (Yellow Handkerchief)
Épilogue : Vérité et fiction dans Les Pirates de San Francisco
I. — Mon Premier FantômeANNEXES
II. — Un Typhon au larges des Côtes du Japon
III. Chris Farrington : Un Vrai marin
IV. —Vingt Ans d'Amitié avec la Mer
V. — Dans la Baie de Yeddo
VI. — Le Fermier de la Mer
VII. — Deux Poings solides
VIII. — Sous les Auvents du Pont
IX. — Il était un Navire
X. — Faire Route à l'Ouest
XI. — A l'Abordage
XII. — L'Évasion de la Goélette
XIII. — Un Classique de la Mer
Note bibliographique sur l'origine des textesTable [445 — 446]
Bibliographie française de Jack London, par F. Lacassin
Louis Postif, traducteur de London par J.-L. Postif
(Contribution du Tenancier)
Index
vendredi 21 octobre 2016
Parler comme à des brutes...
« — Pauvres fous, se disait Vendredeuil, que ceux qui
croient que la prochaine révolution, cette révolution fatale pourtant, sera un
grand mouvement de transformation sociale. Mais l’argent a déjà prouvé, et
prouve tous les jours, l’inanité des conceptions socialistes, l’absurdité des
théories des soi-disant réformateurs… Tous les systèmes et toutes les
doctrines, sauf une, sont jugés par lui, à l’heure qu’il est, et condamnés —
heureusement. — L’égalité des collectivistes rouges, la fraternité des
socialistes chrétiens, toutes les égalités et fraternités possibles ? Ah !
non, alors… Et d’abord, que voulez-vous lui faire, rénovateurs, à cette Société ?
La renverser selon la formule. Bon ; et sans lui faire trop de mal n’est-ce
pas ? Parce que, si vous étiez brutaux, vous risqueriez de faire disparaître
les quelques fragments d’Idéal dont le peuple ne peut plus guère se passer,
soyez-en sûrs — et grâce à vous.
Et puis ? Mettre quelque chose à sa place,
naturellement. Ce quelque chose ne peut
valoir un peu mieux que ce qui existe qu’à une seule condition : c’est que
ce soit une hiérarchie sévère avec, au sommet, une aristocratie basée sur l’Argent.
Vous rêvez autre chose ? Eh bien, il faut en prendre votre parti,
voyez-vous, et la laisser manger tout doucement par le vieux chancre d’imbécillité
qui la ronge, cette Société, jusqu’au jour où tout finira ; et, surtout,
ne pas vous figurer que vous avez à recommencer 89, à préparer, par l’Idée, une
Révolution. Car cette révolution se fera brutalement, sauvagement, en dehors de
tout concept, narguant vos prévisions et bafouant vos systèmes. Et ce ne sera même
point, s’il faut tout dire, une Révolution : ce sera une Destruction…
Vous comptez sur la misère pour faire accepter vos théories,
d’abord, et les appliquer ensuite. Vous avez tort. Elle est grande, la misère,
c’est vrai ; seulement, la misère actuelle, ce n’est plus l’ancienne
misère. L’Argent aussi l’a transformée. Ce n’est plus la misère soudaine,
imprévue, avec ses à-coups, ses hauts et ses bas ; c’est la misère lente,
mathématiquement réglée par les exploiteurs et réglementée dogmatiquement par
les agitateurs platoniques, la misère qui discute ses droits et qui vote, la
misère qui croit savoir et qui se regarde souffrir — qui, par conséquent, n’agira
pas. — elle n’est plus dirigeable, cette misère-là. Elle a trop d’envie — et
trop d’orgueil. — Elle n’a plus de cœur et fait semblant d’avoir un cerveau.
Comme si le raisonnement pouvait encore être un levier, on ne parle plus aux souffrants : on leur
démontre… Pour les soulever, à
présent, il ne faudra plus, comme à des disciples, leur démontrer. Il faudra
leur parler, simplement, comme à des brutes — lorsque le jour sera venu — de la
possibilité de détruire… »
Georges Darien : Les pharisiens (1891)
Hips
Ami écrivain, tu es amateur de bon whisky et tes droits d’auteur
ne te permettent pas de t’arsouiller convenablement. J’ai une solution pour
toi. Oh, rassure-toi, je ne l’ai pas inventée. Elle était plutôt employée dans
les collections populaires et, au cours de mes lectures, j’ai pu constater que
ça avait l’air de marcher puisque cela se répétait très fréquemment. C’est bête
comme chou. Prends ton héros en compagnie d’un acolyte anonyme, ou bien roulé,
et fais les partager un whisky de marque courante. Dans la série du Commander de G.-J. Arnaud, les
protagonistes boivent du Cutty Sark à
chaque récits (76 romans dans la série, de 1961 à 1986) C’est dégueulasse, le Cutty Sark. À la limite, c’est bon pour mettre dans le Coca d’un jeune que tu n’aimes pas trop. Mais, généralement, ces
producteurs n’ont pas qu’une seule catégorie de breuvage dans leur gamme. Il y
a le genre débouche évier… et le single ou le pure malt, selon ton standing et
ton tirage. Avec une petite conversation avec le service commercial, rien de
plus facile que de convenir d’un placement de produit ad hoc d’un bas de gamme au tarif d’une caisse de single livré franco de port après parution du dit ouvrage. Je gage que G.-J. Arnaud a dû
négocier ça aux petits oignons. Évidemment, le placement est plus délicat
lorsque l’on quitte le domaine de la réalité consensuelle. Il est plus
duraille en SF ou dans les romans spiritualistes de lever le coude avec du
whisky, marque de supermarché ou non (bol
d’énergie d’un côté, liqueur des
dieux de l’autre… pouah, quel ennui !)
Il peut arriver quelques petites mésaventures aux romanciers
populaires à ce propos, qu’entre la livraison du manuscrit et son arrivée en
librairie, ce fameux placement de produit ait lieu à l’insu de l’auteur. Et
voici que la caisse de ce vieux tourbé vieilli pendant une douzaine d’années
lui passe sous le nez. Il semble que la mésaventure soit arrivée à Roland C.
Wagner. Or, Roland n’était pas vraiment un consommateur de cela. En revanche, l’Acapulco
Gold, s’il avait été en vente libre... Toujours est-il qu’il n’était pas à l’origine
de cette initiative.
Mais revenons à nos moutons, cher auteur. Il n’est pas
certain que la pratique perdure. Ou bien elle a été oubliée par les
distillateurs et leurs représentants. Raison de plus pour leur rafraîchir la
mémoire. Naturellement, si l’on est auteur de lithérathure, on prendra soin de se
faire conseiller pour le produit à placer, faire une fiche, réinsérer ces
souvenirs de dégustation de façon habile dans le cours du texte, rien de plus
facile pour l’auteur chevronné. Aux distillateurs qui nous liraient, d’ailleurs,
je dirai qu’il ne faut pas négliger la nouvelle car le placement de produit y
est plus difficile, plus périlleux et fort gratifiant lorsque l’habileté de l’auteur
le fait subrepticement. Tenez, moi qui vous parle… euh, on voit ça par mail, d’accord ?
jeudi 20 octobre 2016
L'ombre d'un phocomèle
Il est un moment où l’attrait d’un écrivain est
proportionnellement inverse à sa notoriété. Plus il est connu plus on regrette
de devoir le partager, de voir l’intimité patiemment acquise au fil des
lectures s’effilocher devant une reconnaissance plus étendue. Le fait est bénin
dès lors qu’il s’agit d’un cercle de connaisseurs. Cela devient plus cruel
lorsque la référence s’étend vers les médias culturels où les risques de
dissonance sont plus nombreux. On sombre bientôt dans le ridicule quand les
médias de divertissement en font une référence « incontournable » en
présentant un ersatz passablement dénaturé d’une production originelle. Le nom
n’est plus la signature d’ouvrages mais une marque inséré dans un commentaire
invariablement promotionnel. C’est ce qui est arrivé à Philip K. Dick depuis
pas mal de temps. Qu’est-ce qui pouvait différencier Dick d’autres auteurs
diablement autant exigeant que Ian Watson, J.-G. Ballard ou Samuel R. Delany ?
À l’époque où la réputation de Dick ne dépassait pas les bornes de la SF, mais
à une époque où la SF représentait une alternative littéraire au roman
bourgeois (sous les vocables de Speculative
Fiction, de New Thing, et
d’autres encore…), la SF était suivie par un large lectorat, affranchit un
temps des cloisonnement que les fans allaient s’ingénier à refermer par la
suite. La confrontation avec les autres genres littéraires était courante. À ce
titre, Philip K. Dick n’était déjà plus un inconnu pour tout le monde et c’est
vers cette période — entre le milieu des années 70 et celui des années 80 — que
sont parus en France des œuvres importantes. Mais il n’était pas le seul dans
ce cas. Il ne s’agit pas ici d’essayer de répondre avec assurance sur la raison
de la célébrité de Dick au détriment de certains contemporains aussi valables.
Les univers des auteurs cités plus haut ne semblent pas convenir au lectorat
actuel, du moins à une large frange. Dick plaît, et pour le malheur de ses
thuriféraires (dont je fus longuement) sa popularité dépasse largement son
lectorat étendu et principalement parce que l’on n’a pas lu ses écrits. La raison
est bien entendu le cinéma. On a adapté ses textes, en plus grandes proportions
que Watson, Ballard et Delany réunis. Le cinéma a ceci de particulier qu’il
peut difficilement respecter le propos d’un auteur (et ce n’est pas propre à la
SF). Même Blade Runner, adulé par le
public de cinéma, déconcerterait ce dernier si l’ouvrage originel leur
parvenait sous les yeux. Que dire des merdes soi-disant adaptées d’autres
romans ou nouvelles de Philip K. Dick… seul A
Scanner Darkly nous semble respectable au milieu de cet océan de veulerie
pelliculaire. Et encore, nous demandons à le revoir. Mais là aussi, il importe
relativement peu que notre auteur ait été adapté plus ou moins fidèlement et
que le produit soit médiocre ou non. Il arrive un moment où la popularité
atteint un moment de non-retour, lorsque la télévision nous sert de ces
émissions de nature émétique qui veulent nous présenter un panorama de la
science-fiction audiovisuelle et où, annoncé comme une sorte de caution
intellectuelle, on cite le nom de Philip K. Dick. Avouons-le : la dernière
fois que c’est arrivé je n’étais plus surpris par la viduité du propos mais
encore étonné que cela perdure. La première fois que j’avais entendu le nom de
Dick prononcé comme un triomphe au milieu d’un discours acculturé, c’était dans
les années 80 au cours d’un reportage pour l’émission Temps X. Là non plus je n’avais pas été particulièrement étonné
car, connaissant le commentateur, je savais parfaitement que la seule chose
qu’il était capable de lire et de comprendre était la notice de son lecteur de
cassettes vidéo. La « novation » fut rude, le commentateur un niais.
Que tout critique de téloche ou de cinéma de SF soit un imbécile, n’est pas
certain et même pas admissible. La première crotte n’annonce pas forcément le
choléra. Pour autant, le manque de ressources littéraires dans ce milieu
inquiète toujours… À croire que ceux qui recrutent ces éléments ont une notion
plus que sommaire de la culture, fut-elle populaire, et cela depuis des
décennies.
Que faire lorsque l’on a aimé un auteur au point de lire systématiquement tout ce qui a pu paraître de lui (un peu moins sur lui, on est peu porté à l’exégèse quand on est jaloux) et que l’on est confronté à de telles indigences au fil des années ? La réponse n’est pas claire. On s’éloigne du sujet de son affection, la plupart du temps. On lève un sourcil paresseux à l’évocation, comme d’un engouement ancien. Plus question d’y retourner avec la même passion. Les vieilles maîtresses sont décevantes. Toutefois, on ne peut s’empêcher de regretter ce naufrage entretenu par l’impéritie. On finit par en sourire, non avec indulgence, mais par l’effet d’une certaine cruauté devant l’enthousiasme frelaté à propos d’un auteur deux fois mort, la deuxième fois par le fait d’un ignare ou de l’un de ses continuateurs.
Peut-être est-ce une chance pour les autres auteurs précités d’avoir échappé à cela. Certains d’entre eux ont affaire à des contempteurs issus du cénacle de la SF dont quelques uns, pour leur confort intellectuel, aimeraient bien les extirper (le souvenir récent et affligeant d’une critique de Ian Watson qui se résumait à un « Je n’y comprends rien » est à ce titre une perle à ranger à côté des productions télévisuelles que l’on évoque ici). Au moins cette sottise est circonscrite, d’autant qu’il se trouve d’autres personnes pour défendre ces auteurs-là. La SF qui eut la chance de se manifester hors du cadre de ses fans y est retournée pour le meilleur et pour le pire. Pour ce qui me concerne, je me suis éloigné depuis longtemps de ce milieu. Je constate toutefois son dévoiement continu, par des gens qui n’ont pas l’air de savoir de quoi ils parlent. Mais, ça, c’est les médias, coco… Du reste, immanence du vide, allez savoir, le chroniqueur de Temps X continue de se prendre au sérieux et en photo de temps en temps sur Hollywood Boulevard. C’est rassurant quelque part : pas besoin de savoir lire pour voir du pays, avoir des habitudes de fossoyeur suffisent.
Il m’arrive de loin en loin de relire du Dick, de ne pas perdre le contact de la même manière qu’à la lisière du champ visuel on devinerait l’ombre d’un phocomèle… C’est peut-être cela qui permet supporter ce que l’on a fait à un auteur que l’on a aimé : y retourner. Il faut seulement de la patience.
Que faire lorsque l’on a aimé un auteur au point de lire systématiquement tout ce qui a pu paraître de lui (un peu moins sur lui, on est peu porté à l’exégèse quand on est jaloux) et que l’on est confronté à de telles indigences au fil des années ? La réponse n’est pas claire. On s’éloigne du sujet de son affection, la plupart du temps. On lève un sourcil paresseux à l’évocation, comme d’un engouement ancien. Plus question d’y retourner avec la même passion. Les vieilles maîtresses sont décevantes. Toutefois, on ne peut s’empêcher de regretter ce naufrage entretenu par l’impéritie. On finit par en sourire, non avec indulgence, mais par l’effet d’une certaine cruauté devant l’enthousiasme frelaté à propos d’un auteur deux fois mort, la deuxième fois par le fait d’un ignare ou de l’un de ses continuateurs.
Peut-être est-ce une chance pour les autres auteurs précités d’avoir échappé à cela. Certains d’entre eux ont affaire à des contempteurs issus du cénacle de la SF dont quelques uns, pour leur confort intellectuel, aimeraient bien les extirper (le souvenir récent et affligeant d’une critique de Ian Watson qui se résumait à un « Je n’y comprends rien » est à ce titre une perle à ranger à côté des productions télévisuelles que l’on évoque ici). Au moins cette sottise est circonscrite, d’autant qu’il se trouve d’autres personnes pour défendre ces auteurs-là. La SF qui eut la chance de se manifester hors du cadre de ses fans y est retournée pour le meilleur et pour le pire. Pour ce qui me concerne, je me suis éloigné depuis longtemps de ce milieu. Je constate toutefois son dévoiement continu, par des gens qui n’ont pas l’air de savoir de quoi ils parlent. Mais, ça, c’est les médias, coco… Du reste, immanence du vide, allez savoir, le chroniqueur de Temps X continue de se prendre au sérieux et en photo de temps en temps sur Hollywood Boulevard. C’est rassurant quelque part : pas besoin de savoir lire pour voir du pays, avoir des habitudes de fossoyeur suffisent.
Il m’arrive de loin en loin de relire du Dick, de ne pas perdre le contact de la même manière qu’à la lisière du champ visuel on devinerait l’ombre d’un phocomèle… C’est peut-être cela qui permet supporter ce que l’on a fait à un auteur que l’on a aimé : y retourner. Il faut seulement de la patience.
mercredi 19 octobre 2016
mardi 18 octobre 2016
Fin de carrière
Certains sites de vente de livres transmettent parfois les
offres et les demandes de renseignements des visiteurs : demandes d'estimations
(qui ont peu de chances d'être satisfaites), recherches d'ouvrages, offres de
ventes aux termes desquels le encoure une affligeante désillusion. En
l'occurrence ce que l'on croyait une rareté n'est guère qu'une bondieuserie
invendable dont personne ne voudra s'encombrer. Autant d'ouvrages qui
s'afficheront en vain sur des sites de ventes aux enchères : encyclopédies aux
reliures en pur plastique, authentique vie de Rama Krishna par M. Paul Vishnou
de l'Institut des Études Quasi orientales de Saint-Locdu-Le-Vieux... des
annonces déprimantes, des livres inutiles, obsolètes sur lesquels le vendeur a
fondé quelque espoir et dont le libraire découragé ne pourra donner un avis ou une
offre, tant il y en a.
Et puis, il arrive que des annonces vous touchent un peu plus, soudainement, comme celle de cet artisan qui vend une trentaine d'ouvrages concernant son métier. Il l'a exercé une vingtaine d'années, est contraint de l'abandonner pour raison de santé. Alors, voilà, il connaît la valeur de ses livres, certains sont anciens, il n'a pas envie de les vendre pour rien, mais il y a cette phrase, celle que l'on trouve si rarement dans les propositions de vente :
Entendons-nous bien : je suis acheteur de bibliothèques, parfois, lorsque l'occasion se présente et lorsque ces livres représentent un intérêt pour moi. Il arrive que ces achats se fassent à la suite du décès du propriétaire ou dans le meilleur des cas pour un déménagement (Il est d'autres raisons, dont certaines philosophiques, qui, pour autant qu'elles soient intrigantes, se justifient pleinement). Je pense que la crise économique que nous traversons va occasionner quelques ventes déchirantes pour des bibliophiles ou des bibliomanes... Mais tout cela ne concerne en somme que les bibliothèques de loisir, de celles que l'on constitue peu à peu au gré du goût et du hasard. La faim ou les incendies pourraient en avoir raison, mais la mémoire du lecteur, de l'amateur demeure et il lui sera loisible de la reconstituer en tout, ou en parties, s'il est encore vivant, bien sûr. Acquérir ces bibliothèques est affaire de consentement.
Bien différente est la bibliothèque professionnelle. Souvent — surtout lorsqu'il s'agit d'artisanat — ces ouvrages sont rares et fragiles du fait de leur ancienneté. Peux d'éditeurs envisagent des réimpressions parce que leur lectorat est réduit. Il s'agit là de rayonnages dont la moindre dispersion peut être fatale à la somme des connaissances qui y sont enfermées. Et puis, il y a ce dialogue désormais en péril entre le créateur et ses sources... cette soudaine séparation est une façon de larguer définitivement les amarres, de dire adieux.
Imaginez : la calèche est en bas, on vient chercher les orphelins. On ne saura comment ils seront traités dans l'institution et s'ils seront séparés au bout du compte.
Temps de dire adieu... du Dickens.
Ce billet — légèrement remanié — a été publié sur le blog Feuilles d’automne, au temps où le Tenancier était encore libraire, en janvier 2009.
Et puis, il arrive que des annonces vous touchent un peu plus, soudainement, comme celle de cet artisan qui vend une trentaine d'ouvrages concernant son métier. Il l'a exercé une vingtaine d'années, est contraint de l'abandonner pour raison de santé. Alors, voilà, il connaît la valeur de ses livres, certains sont anciens, il n'a pas envie de les vendre pour rien, mais il y a cette phrase, celle que l'on trouve si rarement dans les propositions de vente :
« Pouvez-vous me dire si vous seriez d'accord pour examiner l'achat de ces livres ?Je ne cherche pas ici à m'étonner de cette disposition d'esprit. Seulement, je note avec plaisir cette justesse de vue, voire cette humilité, alors que cet homme cède une partie de ce que fut son existence, un métier d'artisan — un métier d'art, même, mais c'est tout ce que m'autorise à vous dire la discrétion de ma profession — une partie de sa vie. Ce message annonce un renoncement, un accident de l'existence au terme duquel il faudra passer à autre chose, se séparer de la plupart de ses outils et de ses livres. L'annonce ne s'adressait pas à moi particulièrement. A vrai dire, j'aurai éprouvé les pires difficultés à aborder cette acquisition sans avoir l'impression d'entériner une sorte de défaite.
Si je suis conscient de la valeur de certains de ces bouquins je ne néglige pas la rémunération de votre expertise...
Je suis à la recherche d'un compromis équitable... »
Entendons-nous bien : je suis acheteur de bibliothèques, parfois, lorsque l'occasion se présente et lorsque ces livres représentent un intérêt pour moi. Il arrive que ces achats se fassent à la suite du décès du propriétaire ou dans le meilleur des cas pour un déménagement (Il est d'autres raisons, dont certaines philosophiques, qui, pour autant qu'elles soient intrigantes, se justifient pleinement). Je pense que la crise économique que nous traversons va occasionner quelques ventes déchirantes pour des bibliophiles ou des bibliomanes... Mais tout cela ne concerne en somme que les bibliothèques de loisir, de celles que l'on constitue peu à peu au gré du goût et du hasard. La faim ou les incendies pourraient en avoir raison, mais la mémoire du lecteur, de l'amateur demeure et il lui sera loisible de la reconstituer en tout, ou en parties, s'il est encore vivant, bien sûr. Acquérir ces bibliothèques est affaire de consentement.
Bien différente est la bibliothèque professionnelle. Souvent — surtout lorsqu'il s'agit d'artisanat — ces ouvrages sont rares et fragiles du fait de leur ancienneté. Peux d'éditeurs envisagent des réimpressions parce que leur lectorat est réduit. Il s'agit là de rayonnages dont la moindre dispersion peut être fatale à la somme des connaissances qui y sont enfermées. Et puis, il y a ce dialogue désormais en péril entre le créateur et ses sources... cette soudaine séparation est une façon de larguer définitivement les amarres, de dire adieux.
Imaginez : la calèche est en bas, on vient chercher les orphelins. On ne saura comment ils seront traités dans l'institution et s'ils seront séparés au bout du compte.
Temps de dire adieu... du Dickens.
Ce billet — légèrement remanié — a été publié sur le blog Feuilles d’automne, au temps où le Tenancier était encore libraire, en janvier 2009.
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