C’est un fait dont nous devons vous convaincre : notre
culture arrive toute cuite à notre esprit. Elle est prédigérée, préparée
depuis des forteresses invisibles qui président à nos destinées maladroites.
Dans des cénacles clos à double tour sur nos illusions, on décide de ce que nous
devrons penser et de quoi vous devrons rire. Des comités s’en occupent. Notre
libre-arbitre nous laisse accroire qu’il n’en est rien, que ce sont des
fariboles complotistes en chasubles blanches et bonnets de pénitents blancs
ou de fanatiques du Klan, pour une version d’opérette des Cigares du Pharaon. Nous le croyons, l’image se forme devant nous,
telle qu’on la souhaite pour nous, telle que l’on veut que nous la percevions. Suprême
habileté, ce que l’on veut nous faire croire pour vrai, nous le percevons comme
exagéré, le rejetant dans le camp du faux : écran de fumé qui dissimule
des faux-semblant. Le costume de comploteur nous paraît excessif, il est pourtant
vrai. Les réunions nocturnes semblent relever de la sottise, elles ne sont rien
moins que prosaïques. Ainsi en va-t-il de tous les comités, à commencer par le
Comité Anonyme des Blagues Carambar. Nous pensions que notre rire libérait,
qu’il délimitait les contours de notre personnalité, que la vie, l’amour,
l’espoir, cette brumeuse envie d’exaltation trouvait sa source dans cet
ineffable esprit qui nous habite. Détrompons-nous en. Notre cerveau malléable a
été dirigé très tôt vers la blague Carambar par un comité de douze membres dont
nous ne saurons rien puisque, de toute façon, nous en ignorions l’existence il
y a quelques minutes. Les Douze se réunissent, débattent, savent que la
stabilité de la civilisation est entre leurs mains. Pourtant, elles ne
tremblent pas, celles qui puisent dans l’urne qui contient les vannes du prochain
tirage des emballages du Carambar. Les décisions se forment à l’unanimité. Il
n’existe pas de repentir.
Il y eut une tentative d’investir le comité. Une main
anonyme avait glissé un papillon supplémentaire dans l’urne, en tout point
similaire aux autres. Il contenait une vanne d’un membre égaré de la Brigade
des Vermotiseurs :
— Le comique est-il las ?
— Non, c’est un coma éthylique.
Comme il fut le seul à en rire, on le démasqua.
Depuis, on
recherche George. Nous sommes inquiets. Rendez-le nous. Nous renonçons à nos
prétentions. Vous dirigez le monde, nous vous le laissons, considérant
désormais que ce ne sont que frivolités. Nous continuerons notre ascèse et
cesserons d’interférer avec la conduite du monde qu’incarne Votre Noble
Comité.
Mais, par pitié, rendez-nous George.