vendredi 9 avril 2021

Tout l'univers

Sandrine Scardigli est autrice, éditrice, tenancière d'un blog et officie en librairie. Elle excelle dans toutes ces matières (on prie le lecteur de prendre cet avis comme autorisé, étant donné la proximité du Tenancier avec toutes ces activités).

Pierre-Paul au mas

Pas facile, la vie de représentant… Dégoter de nouveaux contrats oblige à bien des âneries, du type sortir des sentiers battus – au sens littéral du terme.
Qu’est-ce que je suis venu fiche ici ? grogne in petto Pierre-Paul, dernière recrue en date de la force commerciale destinée à inonder le monde de la prestigieuse encyclopédie Tout l’univers, alors que sa voiture fait des embardées dans le chemin caillouteux. Tandis qu’il passe devant un hangar près duquel sont garés tracteurs boueux et camions poussiéreux en cette fin d’après-midi, il a toutefois bon espoir : personne ne l’aura devancé ici. Tout en conduisant lentement, il scrute les lieux : la grande maison en pierres devant laquelle trône un véhicule de marque allemande lui laisse espérer que le sentier mal entretenu cache un mas où il y a peut-être du bien ; la grande balançoire dans le jardin lui fait deviner au moins un enfant.
Pas de librairie ni bibliothèque dans à moins d’une heure de route, un enfant, de l’argent… ça devrait le faire sans problème.
À peine le temps de ranger sa voiture sous les grands chênes qu’un énorme berger allemand se précipite sur lui. Ah oui, à l’entrée du sentier, il y avait bien une pancarte, mais bon… Il attend calé dans son siège, sous les aboiements furieux de l’animal. Il a l’habitude, il sait que quelqu’un va venir.
Ça ne manque pas. Une grand-mère vient de sortir sur la terrasse et a rappelé le chien qui se tient à ses pieds, immobile mais prêt à bondir. Elle, petite, toute fine dans sa blouse à fleurs, au visage émacié, regard perçant, silencieuse : il devine que son apparente fragilité doit cacher une main de fer. Pas le genre à qui on raconte n’importe quoi.
Après avoir remis sa cravate en place, il sort de sa voiture dont il extirpe sa mallette en cuir et une grosse valise en tissu, et il s’adresse à la dame :
« Bonjour. Je m’appelle Pierre-Paul Dubouluc, je suis représentant en encyclopédies… »
Le show peut commencer.
 
***
 
Tout a pourtant bien démarré pour Pierre-Paul : visiblement, la dame connaît le mot encyclopédie et ne lui a pas renvoyé le berger allemand aux fesses. L’arrivée d’un gamin aux lunettes démesurées, mal coiffé, aux genoux cagneux et aux pieds plats y a été peut-être pour quelque chose. C’est lui qui a répondu « Bonjour monsieur, vous venez montrer des livres ? » avec un sourire jusqu’aux oreilles.
Vendre, pas seulement montrer j’espère, a eu envie de lui répondre Pierre-Paul, mais ça n’est pas le moment.
« C’est ça, tu as tout compris. Comment tu t’appelles ?
— Moi c’est Sandrine. Elle, c’est Marraine. »
Sandrine ? Merde alors, j’aurais juré un gars ! Première boulette évitée, ouf.
 
Là, ils sont installés dans les vieux fauteuils tapissés d’un tissu passé. Il a ouvert la grande valise dans laquelle sont rangés avec soin les précieux exemplaires de démonstration. Autour de lui, outre le gamin, heu non la gamine et la vieille dame sont arrivés ceux qu’il a d’abord pensé être le grand-père, la mère, la grande sœur et le grand frère du – de la môme. Là aussi, boulette évitée lorsqu’au premier « papa », il a compris que les deux adolescents sont en fait les parents.
Il y a de quoi être déstabilisé. Il a un peu de mal à dérouler son argumentaire, d’autant que la gamine, en pleine observation de l’exemplaire qu’il lui a tendu, paraît ailleurs. Elle n’a pas ouvert le livre, mais se contente de caresser doucement la couverture rouge, de regarder la reliure, de… renifler livre ?! Elle est peut-être autiste ?
Bon, où j’en suis moi ? Ah oui, l’importance de la culture générale, le fait qu’on apprend toujours… Zut, où est cette page sur les marsupiaux ? Tant pis, je vais faire avec celle-ci…
« On apprend sans cesse ! Par exemple, quand on demande aux enfants quels sont les plus gros poissons, ils répondent… »
La double-page ouverte est illustrée d’un superbe dessin de baleines.
Au mot « enfant », Sandrine a enfin lâché son livre pour tourner son regard vers lui.
Il insiste :
« Alors, le plus gros poisson du monde ?
— Ben je ne sais pas. Mais là, ce que vous me montrez, ce sont des mammifères marins. »
Ou comment passer pour un con à cause d’une sale môme.
 
Tout l’Univers et moi
Ma rencontre avec cette encyclopédie s’est donc faite ce jour-là, lorsque j’ai saboté en une phrase l’argumentaire mal monté d’un représentant qui me semblait peu sympathique.
Sa piètre prestation n’a pas empêché qu’au premier regard, je suis tombée amoureuse de ces livres, de leurs couvertures au grain particulier, de leurs dorures, de ce signet rouge, de cette odeur… Et les adultes qui m’aidaient à grandir n’ont sans doute pas été convaincus par les talents du vendeur, plutôt par ma réaction émerveillée devant ces volumes non seulement beaux, et dont le contenu m’ouvrait des fenêtres sur « tout l’univers ».
Ces tomes que je lisais intégralement dès qu’ils arrivaient chez nous m’ont accompagnée jusqu’en hypokhâgne. J’ai alors dû renoncer à eux et passer à « plus sérieux » – comme  me l’avait dit, avec un petit air dédaigneux, une de mes camarades de classe – à savoir la magistrale feue Encyclopedia Universalis, que je consultais dans les médiathèques et bibliothèques universitaires, bien avant que tout le savoir de l’humanité n’entre dans nos téléphones portables grâce à Wikipedia.
 
Les superbes tomes de Tout l’Univers sont parmi les premiers livres qui sont entrés dans la maison parentale. Près de quatre décennies plus tard, ils y trônent encore dans une magnifique bibliothèque à leur mesure, et font les délices de mes neveux.
Et comme j’arrive au bout de ce texte, je donnerais cher pour effacer les mille kilomètres qui m’en séparent et caresser du bout du doigt leur couverture.
 

mercredi 7 avril 2021

Amer neuf

Plutôt qu'un discours empêtré pour vanter le travail formidable de Ian Geay autour de sa revue finiséculaire, laissons-lui l'espace afin de vous inciter à vous procurer les numéros encore disponibles d'Amer et surtout à souscrire au prochain...
Pour consulter le site des Âmes d'Atala, c'est ici, pour souscrire à Amer, c'est là.



     Amer est une revue dite littéraire. Du moins sur le papier. Elle prépare son neuvième plongeon, qui devrait faire un bon vieux plat ventre aux alentours du premier mai, ou dans ses eaux-là. Elle a d'ailleurs pour thème, les eaux. De quoi bien préparer l'été donc.

     Amer, à quelques exceptions près (La Friche, les Mots à la bouche, Publico à Paris, le Café Michèle Firk à Montreuil) n'est pas accessible en librairie. La situation sanitaire et sécuritaire depuis un an nous empêche de la diffuser - ainsi que toutes les autres productions des âmes d'Atala - dans les lieux où elle s'épanouit d'ordinaire (table de presse, concerts, ciné, café, rue). Nous ne savons pas quand nous nous reverrons, en attendant, voici l'occasion de commander le prochain numéro, de le recevoir chez vous, si nous ne nous croisons pas entre temps et de nous aider financièrement, car faut-il le préciser, nous ne touchons toujours aucune subvention.
     La participation se fait ici sous forme de souscription, ou de pré-commande ou je ne sais quel autre vilain mot employer, en sachant que pour nous nous en sortions, si vous décidez de donner un prix libre [...], il faut penser à ajouter à votre donation, dans la mesure du possible, les frais de port qui grèvent littéralement les phynances des Âmes d'Atala. Il n'existe toujours aucun tarif préférentiel réservé aux envois des maisons d'édition, et la majorité des personnes qui nous commandent aujourd'hui des livres à prix libre, ne pense pas à ajouter les frais de poste à leur obole.

     Aussi quand vous commandez par exemple un Amer 5 euros et que vous le recevez chez vous dans un paquet affranchi à 5,91 euros, il faut imaginer qu'en réalité, vous avez juste remboursé une partie des frais d'envois, et que nous sommes encore de notre poche de 91 centimes. La chose dite, un prix libre reste un prix libre, et si vous ne pouvez ou ne voulez pas faire autrement, vous recevrez dans tous les cas votre exemplaire quelque soit la somme que vous donnerez.
    D'après nos calculs, les frais d'envoi de ce numéro devraient s'élever à 6,31 euros par exemplaire... 

     Au final, souscrire (à prix libre ou fixe) permet dans un léger paradoxe de nous aider à ce que la revue demeure toujours  accessible à prix libre et souvent gratuitement (pour les prisonniers, prisonnières, les campagnes et opérations de soutien, les bibliothèques, les précaires, etc.) et à continuer de faire des livres comme on l'entend.
     En vrai, si ça vous saoule de lâcher des thunes ici - on vous comprend -, vous savez que vous finirez bien par tomber sur un exemplaire, dans une distro au fin fond d'un concert bruyant, ou que nous vous la filerons lorsque nous nous croiserons dans un terrain vague, de main à la main, et loin des rapports marchands, donc ne vous emmerdez pas.
    
     D'ailleurs assez parlé d'argent, c'est vraiment ennuyeux.



Dans le prochain numéro, sans rien vous dévoiler du sommaire pour garder la surprise, vous trouverez :
- 5 entretiens plus ou moins longs et 17 courts
- quelque chose comme 102 questions posées et à peu près autant de réponses
- 10 nouvelles contemporaines ou délicieusement surannées
- 4 textes inclassables
- 4 articles coruscants
- 132 notes minutieuses
- plusieurs dizaines de chroniques aiguisées
- 184 images et illustrations irrigantes
- 3 port folio michto
- 8 images hautes en couleur
- c'est-à-dire en tout, 480 pages marécageuses
- ce qui représente 660 kilos de papier soit environ 330000 litres d'eaux utilisées (bah ouais...)

     En vrac, les thèmes brassés, parfois à peine abordés ou tout juste évoqués sont la natation, la réanimation, la laparotomie, la noyade, les insurrections, Jean-Pierre Brisset, le sida, l'identité, les chiottes, Jack l'éventreur, la oi!, les poussés de la Deûle, les goélands, Sade, la planche, Stevenson, les vespasiennes, le racisme, l'écriture, le viol, la montagne, Jack London, les rivières, les fleuves, les mers, les ours, Géno, le bain, la fumée de tabac, Yellowstone, la littérature algérienne, la cyprine, les sources, John Muir, la société des grands fonds, le vrai, la littérature africaine, la pluie, l'écologie, le commerce maritime, Robert Caze, le désir, les limericks, la traduction, le féminisme, la photographie, Elisée Reclus, le droit maritime, le sauvetage en mer, la poésie, le punk des années 80, la foi, Virginia Woolf, l'anarchie, le sambo, la chasse, les fanzines, Pete Fromm, la prière, les migrations, le capitalisme, Gaston Bachelard, le cinéma de genre, la littérature américaine, Rachilde, la randonnée, les amérindiens, la piscine, les sirènes, la cancel culture, le déboulonnage, l'église catholique, l'Aquarius, l'islam, la mort, le tourisme littéraire, la psychiatrie, Gilbert Cardon, le duel, le Hirak, le sexe, les maîtres-nageurs et beaucoup d'autres choses tout aussi humides.   

    Et comme les Âmes d'Atala ont 20 piges cette année, nous vous réservons une toute petite surprise.
Allez ! avant que les rades (et le reste) ouvrent de nouveau leurs portes, filez des sous si le cœur vous en dit et que vous pouvez le faire, et surtout, portez-vous bien !

     On vous embrasse.


les âmes
 
(Et comme votre Tenancier n'est pas le seul à s'enthousiasmer, on vous convie à aller le verifier par vous-même ici.)