Le Tenancier vous avait promis du
neuf, mais par ailleurs il
ne résiste jamais à l’attrait de quelques livres d’occasion, d’autant
que celui
d’aujourd’hui détient un intérêt particulier. En effet, le
César
de Gérard Walter date de 1947 pour sa première édition et l’on
peut gager que des études sur le personnage ont bénéficié de beaucoup
d’apports
en plus de soixante-quinze ans, mais qu’importe, parce que l’on y
trouve l’événement
suivant : Jules devient l’otage de pirates, paye une rançon élevée
et
promet de les exécuter, presque en plaisantant, ce à quoi il s’emploie
une fois
libéré. L’épisode est très résumé par nos soins, il se révèle plus
animé sous
la plume de Plutarque (
Les Vies
parallèles) et fort bien rapporté par Walter. Votre Tenancier, la
première
fois qu’il était tombé sur cette péripétie — sans doute dans
Plutarque, il
y a des années de cela — s’est toujours demandé pourquoi une telle
histoire n’avait jamais été adaptée en péplum par un Cottavafi, un
Freda ou
autre. À la réflexion, un cinéaste étasunien aurait peut-être plus
convenu… Il
est vrai que l’image de César au cinoche demeure très codifiée, à son
apothéose
sanglante ou à ses incartades égyptiennes (Ah, Claudette Colbert ou
Élisabeth
Taylor, surgissant du tapis déroulé…) Mais reconnaissons que les débuts
sont
prometteurs, non ? Bref,
le Romain savait s’amuser.
Il reste toujours passionnant de voir éclore un véritable
écrivain et c’est le cas lorsque l’on se confronte au troisième roman
de
Grégoire Domenach, récit d’un exil en Asie centrale, plus exactement au
Kirghizstan
où l’on sent et l’on sait que l’auteur y possède des attaches.
Cependant, rien
ne laisse pressentir que celles-ci procèdent de la malignité dans leur
utilisation. Un peu d’honnêteté ne messied pas au milieu d’une pléthore
de textes
qui prétendent rapporter et qui ne racontent rien sinon le moi
encombrant — et
encombré — de plagiaires choyés par la presse. On a pensé ici à
Kessel et
à nombre de livres où l’on traverse un paysage palpable, habité par des
personnages véritables, non parce qu’ils existeraient, peu importe,
mais en
raison de leur cohérence et de l’habileté avec laquelle ils
apparaissent au fil
de la narration. Même si le récit est une fiction, le cadre, lui,
s’ancre dans
le réel. Le lecteur attentif découvrira également que l’auteur possède
un don
pour l’évocation historique. Derrière ce clavier, l’on garde un
souvenir très
vif du compte-rendu de l’attaque de la poste de Dantzig, comme une
annexe dans
un premier roman encore maladroit, mais qui laisse pressentir ses
potentialités. Dans le présent, l’on assistera, en introduction, au
martyre de
deux diplomates britanniques face à l’Émir de Boukhara et l’on se
demande
encore la raison pour laquelle Grégoire Domenach n’y a pas consacré un
récit
entier. L’histoire, vous ne dites rien de l’histoire, Tenancier ! Elle
demeure simple, c’est
une pérégrination où l’on voit et où l’on rencontre et où l’aventure se
pare d’une
mélancolie que tout lecteur du
Manuel du
parfait aventurier de Mac Orlan doit connaître. « Tenancier, vous
citez Kessel et Mac Orlan, l’évocation
est lourde ». Oui,
mais elle se justifie par bien des aspects.
Il arrive que l’acquisition de livres s’effectue par une
sympathie spontanée non envers un auteur, mais à l’égard de celui qui
les a collationnés
dans sa maison d’édition. À cet égard, la brève entrevue avec Marc
Nagels qui
dirige les
Terres du Couchant
et le plaisir d’un échange fugace se prolonge
dans la lecture de ses productions. L’on n’a pas tout lu pour le
moment, la
rencontre est récente et l’on dose son contentement. Mais ce qui a
attiré tout
d’abord l’œil de votre Tenancier se résume à la sobriété des livres,
tous
établis sous la même charte graphique et typographique, avec cette
petite
touche d’élégance qui consiste à glisser un marque page intimement lié
au
titre. Est-ce de la bibliophilie ?
On a déjà souvent ici prétendu que cette vilaine manie relevait du goût
personnel et non de canons arbitraires et à cet égard l’élégance
visuelle de
toute la collection ajoute au plaisir d’un choix très soigné. On a lu
pour l’instant
La fugue à Noto de Le Guillou
(méditation sur la solitude) et
Horn
d’Alain Emery (un portrait dans un style très soutenu que l'on va
relire, car découvert au milieu de la foule et des interruptions). On
connaissait le premier, à cause de
ses rapports avec Gracq, on a découvert le deuxième à travers son style
précis
qui ne peut que ravir votre Tenancier chéri, suscitant même une ou deux
pointes
de jalousie sur le choix de mots ou l’agencement d’une phrase. On
dispose d’un
autre ouvrage de celui-ci, un de Roland Goeller, qui fréquente comme
votre
serviteur les colonnes de la revue l’Ampoule et enfin un roman plus
épais d’Yves
Fravalo, conseillé parMarc Nagels. À vrai dire, ce qui semble lier
l’éditeur à
ses auteurs réside dans la référence constante à Julien Gracq considéré
comme
une figure tutélaire. Puisque, par ailleurs, la marchandisation d’un de
nos écrivains
favoris va bon train
à coup de fac-similés pourris,
on trouvera le réconfort
dans la découverte de ses continuateurs, infirmant en cela que Gracq
fut le
dernier représentant d’une certaine conception de la littérature. En
effet, la
rencontre se révèle importante et l’on s’offre le plaisir d’une
prolongation
avec des lectures enthousiasmantes. Cela rassure.
Bien entendu, votre Tenancier ne professe aucune
ambition de
critique lorsqu’il expose ses acquisitions dans ce blogue. Cela se
résumerait plutôt à un « état » de sa curiosité et tant
mieux s’il en parle en détail parfois. Mais, déjà, rentrer un livre
chez soi
procède d’une certaine estime…
Gérard Walter :
César — Marabout (1980)
Grégoire Domenach :
Refuge au crépuscule — Bourgois (2024)
Philippe Le Guillou :
La fugue à Noto — Terres du couchant (2024)
Alain Emery :
Horn — Terres du couchant (2021)
Alain Emery :
Quatre rivières — Terres du couchant (2022)
Roland Goeller :
Prenez garde à l’intervalle entre le marchepied et le quai
— Terres du
couchant (2021)
Yves Fravalo : Et
les printemps pourtant — Terres du couchant (2019)