« Spinoza soutient que le Mal n’est rien, pure
négation, comme l’Erreur, du moins sous le regard de Dieu. Il ne parle pas de
la connerie, je le regrette, sinon sous une forme diluée. Tout Spinoza qu’il
fut, il passa à côté de ce problème capital. Une lecture approfondie de l’Éthique
montrerait que cette œuvre-miroir recèle un angle mort, un point aveugle. Où
est le point de vue du con ? Où le regard qui ne se voit pas lui-même et
ne se voit pas se voir ? La Substance, cette grosse baudruche. Il faudrait
reprendre ça. Je ne me porte pas candidat. »
Georges Picard : De la Connerie (José Corti, 1994)
Vaste programme...
RépondreSupprimerOtto Naumme
Oh que si, Spinoza parle de la connerie, et longuement, sauf qu'il ne l'appelle pas ainsi !
RépondreSupprimerDans le Traité théologico-politique, bien sûr, où il s'attache à démontrer l'absurdité des prophéties et de ceux qui révèrent les prophètes, mais dans l'Éthique aussi. Voir par exemple ce magnifique passage de l'Appendice de la première Partie :
« […] les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux-mêmes, en vue d’une fin, et vont jusqu’à tenir pour certain que Dieu lui-même dirige tout vers une certaine fin ; ils disent, en effet, que Dieu a tout fait en vue de l’homme et qu’il a fait l’homme pour que l’homme lui rendît un culte. C’est donc ce préjugé seul que je considérerai d’abord cherchant primo pour quelle cause la plupart s’y tiennent et pourquoi tous inclinent naturellement à l’embrasser. En second lieu j’en montrerai la fausseté, et pour finir je ferai voir comment en sont issus les préjugés relatifs au bien et au mal, au mérite et au péché, à la louange et au blâme, à l’ordre et à la confusion, à la beauté et à la laideur, et à d’autres objets de même sorte. Il n’appartient pas toutefois à mon objet présent de déduire cela de la nature de l’âme humaine. Il suffira pour le moment de poser en principe ce que tous doivent reconnaître : que tous les hommes naissent sans aucune connaissance des causes des choses, et que tous ont un appétit de rechercher ce qui leur est utile, et qu’ils en ont conscience. De là suit : 1° que les hommes se figurent être libres, parce qu’ils ont conscience de leurs volitions et de leur appétit et ne pensent pas, même en rêve, aux causes par lesquelles ils sont disposés à appéter et à vouloir, n’en ayant aucune connaissance. Il suit : 2° que les hommes agissent toujours en vue d’une fin, savoir l’utile qu’ils appètent. D’où résulte qu’ils s’efforcent toujours uniquement à connaître les causes finales des choses accomplies et se tiennent en repos quand ils en sont informés, n’ayant plus aucune raison d’inquiétude. S’ils ne peuvent les apprendre d’un autre, leur seule ressource est de se rabattre sur eux-mêmes et de réfléchir aux fins par lesquelles ils ont coutume d’être déterminés à des actions semblables, et ainsi jugent-ils nécessairement de la complexion d’autrui par la leur. Comme, en outre, ils trouvent en eux-mêmes et hors d’eux un grand nombre de moyens contribuant grandement à l’atteinte de l’utile, ainsi, par exemple, des yeux pour voir, des dents pour mâcher, des herbes et des animaux pour l’alimentation, le soleil pour s’éclairer, la mer pour nourrir des poissons, ils en viennent à considérer toutes les choses existant dans la Nature comme des moyens à leur usage. …/…
…/… Sachant d’ailleurs qu’ils ont trouvé ces moyens, mais ne les ont pas procurés, ils ont tiré de là un motif de croire qu’il y a quelqu’un d’autre qui les a procurés pour qu’ils en fissent usage. Ils n’ont pu, en effet, après avoir considéré les choses comme des moyens, croire qu’elles se sont faites elles-mêmes, mais, tirant leur conclusion des moyens qu’ils ont accoutumé de se procurer, ils ont dû se persuader qu’il existait un ou plusieurs directeurs de la nature, doués de la liberté humaine, ayant pourvu à tous leurs besoins et tout fait pour leur usage. N’ayant jamais reçu au sujet de la complexion de ces êtres aucune information, ils ont dû aussi en juger d’après la leur propre, et ainsi ont-ils admis que les Dieux dirigent toutes choses pour l’usage des hommes afin de se les attacher et d’être tenus par eux dans le plus grand honneur ; par où il advint que tous, se référant à leur propre complexion, inventèrent divers moyens de rendre un culte à Dieu afin d’être aimés par lui par-dessus les autres, et d’obtenir qu’il dirigeât la Nature entière au profit de leur désir aveugle et de leur insatiable avidité. De la sorte, ce préjugé se tourna en superstition et poussa de profondes racines dans les âmes ; ce qui fut pour tous un motif de s’appliquer de tout leur effort à la connaissance et à l’explication des causes finales de toutes choses. Mais, tandis qu’ils cherchaient à montrer que la Nature ne fait rien en vain (c’est-à-dire rien qui ne soit pour l’usage des hommes), ils semblent n’avoir montré rien d’autre sinon que la Nature et les Dieux sont atteints du même délire que les hommes. Considérez, je vous le demande, où les choses en sont enfin venues ! Parmi tant de choses utiles offertes par la Nature, ils n’ont pu manquer de trouver bon nombre de choses nuisibles, telles les tempêtes, les tremblements de terre, les maladies, etc., et ils ont admis que de telles rencontres avaient pour origine la colère de Dieu excitée par les offenses des hommes envers lui ou par les péchés commis dans son culte ; et, en dépit des protestations de l’expérience quotidienne, montrant par des exemples sans nombre que les rencontres utiles et les nuisibles échoient sans distinction aux pieux et aux impies, ils n’ont pas pour cela renoncé à ce préjugé invétéré. Ils ont trouvé plus expédient de mettre ce fait au nombre des choses inconnues dont ils ignoraient l’usage, et de demeurer dans leur état actuel et natif d’ignorance, que de renverser tout cet échafaudage et d’en inventer un autre. Ils ont donc admis comme certain que les jugements de Dieu passent de bien loin la compréhension des hommes : cette seule cause certes eût pu faire que le genre humain fût à jamais ignorant de la vérité, si la mathématique, occupée non des fins mais seulement des essences et des propriétés des figures, n’avait fait luire devant les hommes une autre norme de vérité ; outre la mathématique on peut assigner, d’autres causes encore (qu’il est superflu d’énumérer ici) par lesquelles il a pu arriver que les hommes aperçussent ces préjugés communs, et fussent conduits à la connaissance vraie des choses. »
RépondreSupprimerAh, je vois, mon cher George que j'avais raison et que j'avais bien fait de tendre cet appât ici. Lecture fort réjouissante et qui ne contredit pas au fond le propos de Picard qui évoque "une forme diluée" ! Merci en tout cas pour cette retranscription qui, je l'espère, ne vous aura pas coûté trop de peine...
RépondreSupprimerMais non, rassurez-vous : je suis simplement aller piocher dans cet excellent site qu'est Hyper-Spinoza.
RépondreSupprimerMais il ne s'agit pas ici d'une "forme diluée" : c'est de la monumentale connerie mahousse, voilà tout !
Ah mon cher George, je me demande toujours si Hyper-Spinoza fait partie de la Marvel ou des DC Comics...
RépondreSupprimerPardonnez la gaminerie. Sans être particulièrement con, je suis tout de même un peu simple.
Plutôt Marvel, dirais-je, car il me semble me souvenir que DC signifie "Dernières Conneries"…
SupprimerAu fait, cher Tenancier, j'espère que mon orthographe ci-dessus, "je suis simplement aller", confirme à vos yeux mes qualités de prétendu correcteur…
RépondreSupprimerOublié de vous répondre, mais il n'est jamais trop tard : on considère qu'on ne fait pas de fautes dans les commentaires, d'autant qu'on ne peut pas reprendre vraiment ce qu'on a écrit...
SupprimerBah si, suffit de copier-coller, de supprimer puis de recoller dans la fenêtre en corrigeant…
SupprimerJe sais, mon cher George, mais c'est fastidieux.
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