Avant Internet, il y avait les catalogues. Ce qui était vrai pour les 3 Suisses
l'était également pour les libraires de tout poil, du libraire d’ancien
le plus huppé au pourvoyeur de ballots pornographiques. Tout le monde
rédigeait, annotait, collationnait, amendait, fichait, etc.
Voici, en gros comment cela se déroulait avant les ordinateurs :
Le premier stade du catalogue, c’est la fiche. Et là, point de norme propre au bibliothécaire, chacun faisait comme bon lui semblait. Mais ces fiches avaient un minimum de points communs : Auteur, titre, sous titre, date et lieu d’édition, description physique, commentaire, référence bibliographique lorsqu’il y avait lieu, etc. A ce stade, il y avait déjà une indication de prix, lequel serait éventuellement révisé pendant la rédaction de la liste. A l’évidence, on travaillait avec ces fiches pour des commodités de tri mais également comme trace d’une vente passée. Ainsi, le libraire en faisant des fiches, forgeait également sa propre bibliographie et ses cotes.
Ensuite, le libraire se mettait devant sa machine à écrire et commençait à transcrire le contenu de ses fiches dûment triées.
Après, cela partait chez l’imprimeur…
C’est tout ?
J’ai d’autres souvenirs.
Liés à ma propre expérience, cela va de soi, dans une librairie, qui éditait des catalogues.
Précisons que cela se passait au milieu des années 80...
Le fameux catalogue était donc tapé — par une machine mécanique, s’il vous plaît — mais pas sur une feuille de papier. Cela ressemblait plutôt à des stencils qui étaient utilisés sur des duplicateurs à alcool. C’étaient, en quelque sorte des matrices pour offset de bureau. Ainsi, nanti de cette matrice, je descendais dans le sous-sol frais de la librairie, au milieu des éditions originales et m’attelais à ce méchant cube vert sapin et orange qu’était l’offset de bureau. Il fallait fixer cette matrice sur le cylindre, faire un tour avec celui-ci à l’aide de la manivelle, retirer la feuille de papier glacé qui la protégeait, remettre un coup de manivelle en engageant une feuille format 21 X 27 cm. — Eh oui, ce n’est pas une erreur de ma part. Il ne s’agissait pas de format A4… — Une fois la première impression faite, il suffisait de pousser l’interrupteur électrique et veiller à alimenter la machine en papier. Opération qui se renouvelait autant qu’il y avait de pages au catalogue. Le tirage était approximativement de 450 exemplaires et avait une quarantaine de pages.
Venait, une fois l’ensemble tiré, le tri des feuilles pour constituer le catalogue, utiliser toute la surface du sous-sol et tourner dedans en classant les feuilles… j’en ai encore le tournis. Il ne fallait pas oublier la couverture, imprimée, elle, en véritable offset et portant la mention : "Vente à prix marqués" et puis les écussons du SLAM (Syndicat de la Librairie Ancienne et Moderne), etc.
Ensuite, il fallait constituer des paquets d’une trentaine de catalogues et les enfermer dans une presse à main, en grecquer ce qui allait être le dos à l’aide d’un vieux coupe-papier, le recouvrir de colle plastique et attendre que ça sèche. Alors, armé d’un couteau de cuisine, je séparais chaque catalogue en tranchant les dos un par un, tel un boucher impitoyable.
Ensuite, venait l’affranchissement. Seule concession à la modernité, une machine à affranchir permettait de reposer les papilles surmenées par l’atmosphère sèche du sous-sol. Seulement, il fallait alimenter la machine à la main, point de tapis roulant ou autre alimentation automatique, vous rêvez, vous… J’avais donc établi un système un peu ergonomique, à base de boîte en carton et de siège autour de la table où se tenait la machine. De plus, il était nécessaire d’affranchir avant de mettre les catalogues car cette machine refusait les plis trop épais. Ensuite venait « l’ensachage », la fermeture des enveloppes, leur « liassage » et leur « portage » jusqu’à la Poste dans mes petits bras musclés… Près de 14 000 feuilles de papier partaient ainsi dans la nature, l’univers entier et ses abords immédiats.
Deux ou trois jours après, le téléphone n’arrêtait pas de sonner. Mais ceci est une autre histoire, comme disait Rudyard, que je vous conterai dans un article prochain.
J’ai le regret de signaler que le progrès fit rage dans cette librairie au début des années 90. Tout d’abord, l’on passa du format 21 X 27 au format A4. C’était le début de la fin. Après ce fut l’acquisition d’une IBM à boule qui procura une frappe plus régulière et donc un catalogue un peu plus lisible. Puis, ce fut l’abandon de l’offset de bureau et des heures passionnantes passées dans le sous-sol à lire tout en surveillant la machine. Celle-ci partit dans l’antre des éditions Fornax, où il m’est arrivé de croiser sa présence sournoise. Le catalogue contracta un format A5 et la seule chose qui le différencia de ses congénère fut la couverture verte…
La librairie ferma vers 2000, avant le saut fatal vers les ordinateurs de type 286, voire 386 ce qui eût permis d’envisager des catalogues avec des mises en pages sophistiquées. Si cela avait continué, je sens que – la révolution étant en marche – nous aurions été, à l’heure actuelle, à la veille d’acquérir notre premier ordinateur doté de Windows 3.1
Nous l’avons échappé belle !
Je ne peux même pas vous montrer ces catalogues. Bêtement, je n’en ai pas gardé un seul ! J’en ai une belle quantité, mais point ceux-là.
Alors, à l’occasion, si vous retrouvez des catalogues (21 X 27, de préférence !) de la Librairie Delatte. Ne le jetez pas, siouplaît !
Pensez à moi.
Je suis un nostalgique.
Ce billet est paru en juillet 2008 sur le blog Feuilles d'automne.
Voici, en gros comment cela se déroulait avant les ordinateurs :
Le premier stade du catalogue, c’est la fiche. Et là, point de norme propre au bibliothécaire, chacun faisait comme bon lui semblait. Mais ces fiches avaient un minimum de points communs : Auteur, titre, sous titre, date et lieu d’édition, description physique, commentaire, référence bibliographique lorsqu’il y avait lieu, etc. A ce stade, il y avait déjà une indication de prix, lequel serait éventuellement révisé pendant la rédaction de la liste. A l’évidence, on travaillait avec ces fiches pour des commodités de tri mais également comme trace d’une vente passée. Ainsi, le libraire en faisant des fiches, forgeait également sa propre bibliographie et ses cotes.
Ensuite, le libraire se mettait devant sa machine à écrire et commençait à transcrire le contenu de ses fiches dûment triées.
Après, cela partait chez l’imprimeur…
C’est tout ?
J’ai d’autres souvenirs.
Liés à ma propre expérience, cela va de soi, dans une librairie, qui éditait des catalogues.
Précisons que cela se passait au milieu des années 80...
Le fameux catalogue était donc tapé — par une machine mécanique, s’il vous plaît — mais pas sur une feuille de papier. Cela ressemblait plutôt à des stencils qui étaient utilisés sur des duplicateurs à alcool. C’étaient, en quelque sorte des matrices pour offset de bureau. Ainsi, nanti de cette matrice, je descendais dans le sous-sol frais de la librairie, au milieu des éditions originales et m’attelais à ce méchant cube vert sapin et orange qu’était l’offset de bureau. Il fallait fixer cette matrice sur le cylindre, faire un tour avec celui-ci à l’aide de la manivelle, retirer la feuille de papier glacé qui la protégeait, remettre un coup de manivelle en engageant une feuille format 21 X 27 cm. — Eh oui, ce n’est pas une erreur de ma part. Il ne s’agissait pas de format A4… — Une fois la première impression faite, il suffisait de pousser l’interrupteur électrique et veiller à alimenter la machine en papier. Opération qui se renouvelait autant qu’il y avait de pages au catalogue. Le tirage était approximativement de 450 exemplaires et avait une quarantaine de pages.
Venait, une fois l’ensemble tiré, le tri des feuilles pour constituer le catalogue, utiliser toute la surface du sous-sol et tourner dedans en classant les feuilles… j’en ai encore le tournis. Il ne fallait pas oublier la couverture, imprimée, elle, en véritable offset et portant la mention : "Vente à prix marqués" et puis les écussons du SLAM (Syndicat de la Librairie Ancienne et Moderne), etc.
Ensuite, il fallait constituer des paquets d’une trentaine de catalogues et les enfermer dans une presse à main, en grecquer ce qui allait être le dos à l’aide d’un vieux coupe-papier, le recouvrir de colle plastique et attendre que ça sèche. Alors, armé d’un couteau de cuisine, je séparais chaque catalogue en tranchant les dos un par un, tel un boucher impitoyable.
Ensuite, venait l’affranchissement. Seule concession à la modernité, une machine à affranchir permettait de reposer les papilles surmenées par l’atmosphère sèche du sous-sol. Seulement, il fallait alimenter la machine à la main, point de tapis roulant ou autre alimentation automatique, vous rêvez, vous… J’avais donc établi un système un peu ergonomique, à base de boîte en carton et de siège autour de la table où se tenait la machine. De plus, il était nécessaire d’affranchir avant de mettre les catalogues car cette machine refusait les plis trop épais. Ensuite venait « l’ensachage », la fermeture des enveloppes, leur « liassage » et leur « portage » jusqu’à la Poste dans mes petits bras musclés… Près de 14 000 feuilles de papier partaient ainsi dans la nature, l’univers entier et ses abords immédiats.
Deux ou trois jours après, le téléphone n’arrêtait pas de sonner. Mais ceci est une autre histoire, comme disait Rudyard, que je vous conterai dans un article prochain.
J’ai le regret de signaler que le progrès fit rage dans cette librairie au début des années 90. Tout d’abord, l’on passa du format 21 X 27 au format A4. C’était le début de la fin. Après ce fut l’acquisition d’une IBM à boule qui procura une frappe plus régulière et donc un catalogue un peu plus lisible. Puis, ce fut l’abandon de l’offset de bureau et des heures passionnantes passées dans le sous-sol à lire tout en surveillant la machine. Celle-ci partit dans l’antre des éditions Fornax, où il m’est arrivé de croiser sa présence sournoise. Le catalogue contracta un format A5 et la seule chose qui le différencia de ses congénère fut la couverture verte…
La librairie ferma vers 2000, avant le saut fatal vers les ordinateurs de type 286, voire 386 ce qui eût permis d’envisager des catalogues avec des mises en pages sophistiquées. Si cela avait continué, je sens que – la révolution étant en marche – nous aurions été, à l’heure actuelle, à la veille d’acquérir notre premier ordinateur doté de Windows 3.1
Nous l’avons échappé belle !
Je ne peux même pas vous montrer ces catalogues. Bêtement, je n’en ai pas gardé un seul ! J’en ai une belle quantité, mais point ceux-là.
Alors, à l’occasion, si vous retrouvez des catalogues (21 X 27, de préférence !) de la Librairie Delatte. Ne le jetez pas, siouplaît !
Pensez à moi.
Je suis un nostalgique.
Ce billet est paru en juillet 2008 sur le blog Feuilles d'automne.
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