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— Ah non, débrouille-toi et vite, tu vas nous mettre en retard !
— C’est que nous allons à la messe madame, je garde ma monnaie pour la quête. »
Cette historiette a été publiée pour la première fois en janvier 2012 sur le blog Feuilles d'automne
Tysbers
s’estut une grande pose.
Si vous dit que ce fu la cose Qui plus le mat et plus le donte. Li cuers li dist qu’il avra honte Et grant anui et grant vergoigne. Tant doute Renart et resoigne Qu’il n’ose entrer en sa maison. Par defors contre sa raison, Mais il n’iavra ja gaing : « Renars, fait-il, biaus dous conpains, Di moi, es tu donc la dedens ? » Ce dist Renars entre ses dens Tout coiement que nuls ne l’oie : « Tysbers, par vostre male joie Et par vostre male aventure Soiés entrés en ma pasture ! Si serés vous, s’engiens n’i faut. » Et puis a respondu en haut : « Tysbert, fait Renars, Villecome, Comme se vous veniés de Roùme Ou de Saint Gile novelement, Bien soié venus hautement, Et s’il fust jours de Pentecouste ! » Que bials parlers rien ne li couste, Ains le salue humelement. |
Tibert s’arrêta un bon moment. Je vous assure que c’est là ce qui l’abat et le mate le plus. Son cœur lui dit qu’il va connaître la honte, de grands tourments et un terrible déshonneur. Il redoute et craint tellement Renart qu’il n’ose pénétrer dans sa demeure. Il lui tient son discours de l’extérieur, mais il n’y gagnera rien : « Renart, dit-il, très cher compagnon, dis-moi es-tu donc là ? » Renart marmonna entre ses dents, à voix basse pour n’être entendu de personne : « Tibert, puissiez-vous être entré sur mon territoire pour votre tristesse et pour votre malheur ! C’est ce qui vous arrivera si j’ai assez d’habileté. » Puis il répond à haute voix : « Tibert, welcome ! comme si vous reveniez tout juste de Rome ou de Saint-Gilles, ou comme si c’était le jour de la Pentecôte, soyez le très bienvenu ! » car il ne lui coûtait rien de faire le beau parleur, et il le salue avec humilité. |
Je ne doute pas qu’il existe des « Charlie » sympathiques et plein(e)s de bonnes intentions. Je suis inondé, comme tout le monde, de leurs courriels indignés. Je n’en suis pas.
Je ne suis pas Charlie, parce que je sais que l’immense majorité de ces Charlie n’ont jamais été ni Mohamed ni Zouad, autrement dit aucun de ces centaines de jeunes assassinés dans les banlieues par « nos » policiers (de toutes confessions, les flics !) payés avec « nos » impôts. Si je recours aux outils du sociologue, je comprends pourquoi il est plus immédiatement facile pour des petits bourgeois blancs de s’identifier avec un dessinateur connu, intellectuel et blanc, qu’avec un enfant d’immigrés ouvriers du Maghreb. Comprendre n’est ni excuser ni adhérer.Je ne suis pas Charlie, parce que je refuse de me « rassembler », sur l’injonction du locataire de l’Élysée, avec des politicards, des flics et des militants d’extrême droite. Je ne parle pas en l’air : une connaissance m’explique que sur son lieu de travail, ce sont des militants cathos homophobes de la dite « Manif pour tous » qui s’impliquent dans l’organisation d’une minute de silence pour l’équipe de Charlie Hebdo.Je ne suis pas Charlie, parce que je refuse de pleurer sur les cadavres de Charlie Hebdo avec un François Hollande qui vient d’annoncer que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sera construit, autrement dit qu’il y aura d’autres blessé(e)s graves par balles en caoutchouc, et sans doute d’autres Rémi Fraisse.Je ne suis pas Charlie, parce que je suis viscéralement — et culturellement — hostile à toute espèce d’ « Union sacrée ». Même les plus sots des journalistes du Monde ont compris qu’il s’agit bien de cela ; ils se demandent simplement combien de temps cette « union » peut durer. Se « rassembler » derrière François Hollande contre la « barbarie islamiste » n’est pas moins stupide que de faire l’union sacrée contre la « barbarie allemande » en 1914. Quelques anarchistes s’y sont laissés prendre à l’époque ; ça va bien comme ça, on a donné !Je ne suis pas Charlie, parce que le « rassemblement » est l’appellation néo-libérale de la collaboration de classes. Certain(e)s d’entre vous s’imaginent peut-être qu’il n’existe plus de classes et moins encore de lutte entre elles. Si vous êtes patron ou chef de quelque chose (bureau, atelier…), il est normal que vous prétendiez ça (et encore ! il y a des exceptions) ou que vous puissiez le croire. Si vous êtes ouvrier, ouvrière, contraint(e) à des tâches d’exécution ou chômeur/chômeuse, je vous conseille de vous renseigner.Je ne suis pas Charlie, parce que si je partage la peine des proches des personnes assassinées, je ne me reconnais en aucune façon dans ce qu’était devenu, et depuis quelques dizaines d’années, le journal Charlie Hebdo. Après avoir commencé comme brûlot anarchisant, ce journal s’était retourné — notamment sous la direction de Philippe Val — contre son public des débuts. Il demeurait anticlérical. Est-ce que ça compte ? Oui. Est-ce que ça suffit ? Certainement pas. J’apprends que Houellebecq et Bernard Maris s’étaient pris d’une grande amitié, et que le premier a « suspendu » la promotion de son livre Soumission (ça ne lui coûtera rien) en hommage au second. Cela prouve que même dans les pires situations, il reste des occasions de rigoler.Je ne suis pas Charlie, parce que je suis un militant révolutionnaire qui essaie de se tenir au courant de la marche du monde capitaliste dans lequel il vit. De ce fait, je n’ignore pas que le pays dont je suis ressortissant est en guerre, certes sur des « théâtres d’opération » lointains et changeants. De la pire manière qui soit, puisque partout dans le monde et jusque dans mon quartier, des ennemis de la France peuvent me considérer comme leur ennemi. Ce qui est parfois exact, et parfois non. Au moins, sachant que la France est en guerre, je n’éprouve pas le même étonnement que beaucoup de Charlie à apprendre qu’un acte de guerre a été commis en plein Paris contre des humoristes irrespectueux envers les religions.Je ne suis pas Charlie, parce que faute de précisions, et du fait même de l’anonymisation que produit la formule « Je suis Charlie », cette formule s’entend nécessairement, et au-delà des positions sans doute différentes de tel ou telle, comme un unanimisme « antiterroriste ». Autrement dit : comme un plébiscite de l’appareil législatif dit « antiterroriste », instrument de ce que j’ai appelé terrorisation démocratique.Je ne suis pas Charlie. Je suis Claude. Révolutionnaire anarchiste, anticapitaliste, partisan du projet communiste libertaire, ennemi mortel de tous les monothéismes — mais je sacrifie à Aphrodite ! — et de tout État. Cela suffit à faire de moi une cible pour les fanatiques religieux et pour les flics (j’ai payé pour le savoir).Je suis disposé à débattre avec celles et ceux pour qui la tuerie de Charlie Hebdo est une des horreurs de ce monde, auxquelles il est inutile d’ajouter encore de la confusion, à forme d’émotion grégaire.Claude Guillon.Site : Lignes de force
Nous ne hurlerons pas avec les loups !
publié le : 8 Jan 2015
L’attentat commis à Charlie Hebdo ce mercredi 7 janvier dans la matinée par quelques individus se réclamant de l’Islam ne doit pas nous faire perdre toute raison, malgré l’émotion bien compréhensible de nombre de nos camarades que nous partageons. Si à une époque le milieu libertaire, tout particulièrement notre organisation, a été proche de ces héritiers d’Hara Kiri, leur émanation contemporaine a cessé de nous faire rire depuis longtemps.Nous n’avons pas choisis et nous ne choisirons pas entre des intégristes et des désinhibiteurs d’un racisme « de gauche ». Nous ne choisirons pas entre des réactionnaires religieux dont nous connaissons bien les pratiques quelle que soit leur secte et un journal véhiculant l’islamophobie sous couvert de lutte en faveur de la laïcité et de la liberté d’expression. Depuis son origine notre organisation combat toutes les religions et leurs émanations intégristes d’où qu’elles viennent. Nous ne tomberons pas dans le piège grossier de l’unité nationale contre « l’ennemi commun ».Notre solidarité va vers ceux qui vont subir le contrecoup de cet assassinat imbécile et criminel à plus d’un titre. L’hallali a déjà sonné et tout ce qui retient le pouvoir « socialiste » de s’y joindre pleinement c’est la crainte de ne pas être ceux qui en récolteront les fruits aux prochaines élections. Nous voyons déjà fleurir les discours sur la guerre civile, quelques heures à peine après cet attentat.Nous ne choisissons pas non plus le camp d’une extrême-gauche qui confond dans sa connerie essentialiste et politicienne des réalités aussi diverses que le prolétariat, l’Islam, le racisme, les sans-papiers ou les « jeunes de banlieue », fantasmant sur un soi-disant potentiel révolutionnaire des musulmans.Cet attentat intervient dans une période de stigmatisation vis à vis des musulmans ou assimilés comme tel. Il faut rappeler que l’islamophobie est un outil du pouvoir visant à diviser notre classe et ses luttes. Elle ne se développe pas en réaction à un soit disant « problème musulman ». Le mouvement anti-Islam allemand « Pegida » qui prend de l’ampleur est ici caractéristique de cette psychose, la population « musulmane » de ce pays représentant moins de cinq pour cent de la population.C’est pourtant principalement sur ce sentiment d’invasion, « d’islamisation », que l’extrême droite se structure depuis ces dernières années. Nul doute que la tuerie réactionnaire de Charlie Hebdo renforcera ce phénomène et donnera au FN et ses satellites, une plus grande légitimité à prôner le conflit ethnique comme problème de fond, et la préférence nationale comme solution.Dans cette période troublée, nous anarchistes devons garder la tête froide et maintenir une ligne de démarcation claire entre nous et nos ennemis : intégristes de toutes les chapelles, xénophobes de gauche comme de droite, sexistes de tous horizons, et soi-disant communistes versant dans la réconciliation nationale et l’inter-classisme.
Le groupe Regard noir – Fédération anarchiste