samedi 6 juillet 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

Le Tenancier vous avait promis du neuf, mais par ailleurs il ne résiste jamais à l’attrait de quelques livres d’occasion, d’autant que celui d’aujourd’hui détient un intérêt particulier. En effet, le César de Gérard Walter date de 1947 pour sa première édition et l’on peut gager que des études sur le personnage ont bénéficié de beaucoup d’apports en plus de soixante-quinze ans, mais qu’importe, parce que l’on y trouve l’événement suivant : Jules devient l’otage de pirates, paye une rançon élevée et promet de les exécuter, presque en plaisantant, ce à quoi il s’emploie une fois libéré. L’épisode est très résumé par nos soins, il se révèle plus animé sous la plume de Plutarque (Les Vies parallèles) et fort bien rapporté par Walter. Votre Tenancier, la première fois qu’il était tombé sur cette péripétie — sans doute dans Plutarque, il y a des années de cela — s’est toujours demandé pourquoi une telle histoire n’avait jamais été adaptée en péplum par un Cottavafi, un Freda ou autre. À la réflexion, un cinéaste étasunien aurait peut-être plus convenu… Il est vrai que l’image de César au cinoche demeure très codifiée, à son apothéose sanglante ou à ses incartades égyptiennes (Ah, Claudette Colbert ou Élisabeth Taylor, surgissant du tapis déroulé…) Mais reconnaissons que les débuts sont prometteurs, non ? Bref, le Romain savait s’amuser.
 

Il reste toujours passionnant de voir éclore un véritable écrivain et c’est le cas lorsque l’on se confronte au troisième roman de Grégoire Domenach, récit d’un exil en Asie centrale, plus exactement au Kirghizstan où l’on sent et l’on sait que l’auteur y possède des attaches. Cependant, rien ne laisse pressentir que celles-ci procèdent de la malignité dans leur utilisation. Un peu d’honnêteté ne messied pas au milieu d’une pléthore de textes qui prétendent rapporter et qui ne racontent rien sinon le moi encombrant — et encombré — de plagiaires choyés par la presse. On a pensé ici à Kessel et à nombre de livres où l’on traverse un paysage palpable, habité par des personnages véritables, non parce qu’ils existeraient, peu importe, mais en raison de leur cohérence et de l’habileté avec laquelle ils apparaissent au fil de la narration. Même si le récit est une fiction, le cadre, lui, s’ancre dans le réel. Le lecteur attentif découvrira également que l’auteur possède un don pour l’évocation historique. Derrière ce clavier, l’on garde un souvenir très vif du compte-rendu de l’attaque de la poste de Dantzig, comme une annexe dans un premier roman encore maladroit, mais qui laisse pressentir ses potentialités. Dans le présent, l’on assistera, en introduction, au martyre de deux diplomates britanniques face à l’Émir de Boukhara et l’on se demande encore la raison pour laquelle Grégoire Domenach n’y a pas consacré un récit entier. L’histoire, vous ne dites rien de l’histoire, Tenancier ! Elle demeure simple, c’est une pérégrination où l’on voit et où l’on rencontre et où l’aventure se pare d’une mélancolie que tout lecteur du Manuel du parfait aventurier de Mac Orlan doit connaître. « Tenancier, vous citez Kessel et Mac Orlan, l’évocation est lourde ». Oui, mais elle se justifie par bien des aspects.

 
Il arrive que l’acquisition de livres s’effectue par une sympathie spontanée non envers un auteur, mais à l’égard de celui qui les a collationnés dans sa maison d’édition. À cet égard, la brève entrevue avec Marc Nagels qui dirige les Terres du Couchant et le plaisir d’un échange fugace se prolonge dans la lecture de ses productions. L’on n’a pas tout lu pour le moment, la rencontre est récente et l’on dose son contentement. Mais ce qui a attiré tout d’abord l’œil de votre Tenancier se résume à la sobriété des livres, tous établis sous la même charte graphique et typographique, avec cette petite touche d’élégance qui consiste à glisser un marque page intimement lié au titre. Est-ce de la bibliophilie ? On a déjà souvent ici prétendu que cette vilaine manie relevait du goût personnel et non de canons arbitraires et à cet égard l’élégance visuelle de toute la collection ajoute au plaisir d’un choix très soigné. On a lu pour l’instant La fugue à Noto de Le Guillou (méditation sur la solitude) et Horn d’Alain Emery (un portrait dans un style très soutenu que l'on va relire, car découvert au milieu de la foule et des interruptions). On connaissait le premier, à cause de ses rapports avec Gracq, on a découvert le deuxième à travers son style précis qui ne peut que ravir votre Tenancier chéri, suscitant même une ou deux pointes de jalousie sur le choix de mots ou l’agencement d’une phrase. On dispose d’un autre ouvrage de celui-ci, un de Roland Goeller, qui fréquente comme votre serviteur les colonnes de la revue l’Ampoule et enfin un roman plus épais d’Yves Fravalo, conseillé parMarc Nagels. À vrai dire, ce qui semble lier l’éditeur à ses auteurs réside dans la référence constante à Julien Gracq considéré comme une figure tutélaire. Puisque, par ailleurs, la marchandisation d’un de nos écrivains favoris va bon train à coup de fac-similés pourris, on trouvera le réconfort dans la découverte de ses continuateurs, infirmant en cela que Gracq fut le dernier représentant d’une certaine conception de la littérature. En effet, la rencontre se révèle importante et l’on s’offre le plaisir d’une prolongation avec des lectures enthousiasmantes. Cela rassure.



 Bien entendu, votre Tenancier ne professe aucune ambition de critique lorsqu’il expose ses acquisitions dans ce blogue. Cela se résumerait plutôt à un « état » de sa curiosité et tant mieux s’il en parle en détail parfois. Mais, déjà, rentrer un livre chez soi procède d’une certaine estime…
 
Gérard Walter : César — Marabout (1980)
Grégoire Domenach : Refuge au crépuscule — Bourgois (2024)
Philippe Le Guillou : La fugue à Noto — Terres du couchant (2024)
Alain Emery : Horn — Terres du couchant (2021)
Alain Emery : Quatre rivières — Terres du couchant (2022)
Roland Goeller : Prenez garde à l’intervalle entre le marchepied et le quai — Terres du couchant (2021)
Yves Fravalo : Et les printemps pourtant — Terres du couchant (2019)

vendredi 5 juillet 2024

Une circulation secrète

Une certaine facilité tendrait à considérer que l’itinéraire d’un livre, partant de l’imprimeur ou même du fabricant de papier s’arrêterait à l’étal du libraire, où le client se révélerait la destination finale. Certes, l’on évoque leur seconde vie, confrontés à la soudaine désertion du lecteur par décès plus ou moins subit ou par mort sociale : prison, chômage, etc. Ce sursis dans l’occasion est rappelé souvent par incidente et concerne moins le livre lui-même que les problèmes que posent sa survie, malgré tout et parfois aux politiciens et également à ceux qui aimeraient leur disparition au profit de leur camelote goncourisée et œuvrant en chœur dans ce sens. On pourrait causer à longueur de colonnes, de cette vie visible et de ses vicissitudes, de sa survie, aussi, dans un monde qui s’enfonce de plus en plus dans la sottise prudhommesque — allez voir certaines historiettes de Béa dans le présent blogue — lorsqu’il ne se révèle pas fasciste.
Il existe cependant une circulation intime des livres qui, une fois arrivés entre les mains du lecteur, accomplissent un destin varié selon leur contenu. Si quelques-uns gagnent tout de suite le rayonnage d’une bibliothèque pour diverses raisons, d’autres effectuent un trajet qui va de la table, juste après l’achat, vers le bureau du chroniqueur ou au chevet pour le vulgaire lecteur ; vulgarité toute relative qui entretient plus de rapport avec l’humilité qu’à l’omniscience des ignares. Ensuite, si la bibliothèque n’en peut mais, il rejoindra une pile posée à même le sol qui sera écrémée lorsque celle-ci deviendra branlante ou trop haute, si l’on se montre habile et ordonné pour ce deuxième cas. L’excédent se retrouvera chez le bouquiniste, à la recyclerie, etc., et entamera la troisième partie de son existence ou l’enjeu de sa survie dépendra de son contenu, de la mode, ou d’autre chose encore. Reste cette circulation endogène, parfois si lente qu’elle se compte en poussière accumulée sur les tranches ou sur les plats ou bien en infimes incidents ou même la chiure de mouche devient un indice d’ancienneté sans ignorer non plus la décoloration des dos. Certains vivent ainsi dans les marges d’un désintérêt qui se veut momentané et qui dure au-delà de la motivation initiale qui avait présidé à leur choix. L’on redécouvre alors et l’on se demande. Mais la bibliothèque que nous avons négligée ne devient pas pour autant le cimetière que l’on peut imaginer, au large de cette circulation discrète. On y prélève, on s’y livre à des révisions, on y évolue à la mesure de son contenu. Tel lecteur extraira un essai découvert des éternités auparavant, le laissera traîner un moment non loin de lui, caressera en pensée la saveur ancienne, ouvrira quelques pages et se rendra compte de sa déception : ce n’était que cela. Nous avons perdu depuis longtemps derrière nous ce qui formait la substance de la rêverie ou de la pensée qui s’y attachait. Le lecteur est volage, tant mieux pour lui et tant pis pour le volume qui regagnera le rayonnage si son détenteur est reconnaissant ou bien sera « désherbé » avec une pointe de regret.
Nombre de livres se déplacent ainsi simultanément chez le curieux, de façon presque étrange, comme une représentation matérialisée d’un cheminement dialectique qui empilerait des jalons livresques, parfois cornés par des gougnafiers quand ils ne sont pas annotés. On y témoigne aussi de passions renaissantes : relire Conrad, relire London ou Flaubert, ou Balzac, des titres jamais lus ou des promesses dont on s’acquitte à l’égard d’auteurs contemporains qui ont paru un peu emmerdants après achat — et puis « ça y’est », on marche dans la combine du style et de la narration. Les livres réapparaissent aussi, de façon fortuite, au hasard d’une recherche : le bouquin d’à côté attire et interroge. On s’étonne du temps qui passe et des livrées de couvertures si datées, parfois, que l’on se dit que le réflexe de la sobriété de certains maquettistes épargne bien de petites hontes à ses lecteurs. L’esprit s’égare encore, en rencontrant un livre en travers d’un rayonnage, pas à sa place, peut-être posé là à la hâte en cherchant autre chose ; on s’intrigue de ces générations spontanées, mais à peine, puisque nous sommes rompus depuis l’enfance au phénomène. Peut-être faudrait-il une atteinte psychique spéciale qui nous mettrait dans la disposition d’établir des schémas de circulation et d’en déduire une sorte de conspiration de l’intelligence dont nous deviendrions les instruments inconscients.
Tout cela nous échappe, en somme.

mercredi 3 juillet 2024

Note de service

Votre Tenancier, loin d'être frappé de stupeur par la situation présente, a choisi de ne pas trop se mêler des conneries électoralistes, sachant depuis environ l'âge de 16 ans que le véritable combat antifasciste ne consiste pas à faire sa petite cochonceté dans l'urne de temps en temps. Alors, en attendant de savoir quoi faire avec les bonnes personnes — qu'on se rassure, le Tenancier abhorre la violence — il bricole des trucs dans son coin, comme refaire son site d'auteur de fond en comble.
Cliquez donc sur l'image...


Pour le reste, on recausera de la longueur de la laisse, peut-être ici, peut-être ailleurs, mais un peu plus tard...