Canalis
est un petit homme sec, de tournure aristocratique, brun, doué d’une
figure vituline, et d’une tête un peu menue, comme celle des
hommes qui ont plus de vanité que d’orgueil. Il aime le luxe, l’éclat,
la grandeur. La fortune est un besoin pour lui plus que pour tout
autre. Fier de sa noblesse, autant que de son talent, il a tué ses
ancêtres par trop de prétentions dans le présent. Après tout, les
Canalis ne sont ni les Navarreins, ni les Cadignau, ni les Grandlieu,
ni les Nègrepelisse. Et cependant, la nature a bien servi ses
prétentions. Il a ces yeux d’un éclat oriental qu’on demande aux
poëtes, une finesse assez jolie dans les manières, une voix
vibrante ; mais un charlatanisme naturel détruit presque ces
avantages. Il est comédien de bonne foi. S’il avance un pied très
élégant, il en a pris l’habitude. S’il a des formules déclamatoires,
elles sont à lui. S’il se pose dramatiquement, il a fait de son
maintien une seconde nature. Ces espèces de défauts concordent à une
générosité constante, à ce qu’il faut nommer le paladinage, en
contraste avec la chevalerie. Canalis n’a pas assez de foi pour
être don Quichotte ; mais il a trop d’élévation pour ne pas
toujours se mettre dans le beau côté des questions. Cette poésie, qui
fait ses éruptions miliaires à tout propos, nuit beaucoup à ce poëte
qui ne manque pas d’ailleurs d’esprit, mais que son talent empêche de
déployer son esprit ; il est dominé par sa réputation, il vise à
paraître plus grand qu’elle. Ainsi, comme il arrive très souvent, l’homme est en désaccord complet avec les produits de sa pensée. Ces morceaux câlins, naïfs, pleins de tendresse, ces vers calmes, purs comme la glace des lacs ; cette caressante poésie femelle a pour auteur un petit ambitieux, serré dans son frac, à tournure de diplomate, rêvant une influence politique, aristocrate à en puer, musqué, prétentieux, ayant soif d’une fortune afin de posséder la rente nécessaire à son ambition, déjà gâté par le succès sous sa double forme : la couronne de laurier et la couronne de myrte. Une place de huit mille francs, trois mille francs de pension, les deux mille francs de l’Académie, et les mille écus du revenu patrimonial, écornés par les nécessités agronomiques de la terre de Canalis, au total quinze mille francs de fixe, plus les dix mille francs que rapportait la poésie, bon an, mal an ; en tout vingt-cinq mille livres. Pour le héros de Modeste, cette somme constituait alors une fortune d’autant plus précaire, qu’il dépensait environ cinq ou six mille francs au delà de ses revenus ; mais la cassette du roi, les fonds secrets du ministère avaient jusqu’alors comblé ces déficits. Il avait trouvé pour le Sacre un hymne qui lui valut un service d’argenterie. Il refusa toute espèce de somme en disant que les Canalis devaient leur hommage au Roi de France. Le Roi Chevalier sourit, et commanda chez Odiot une coûteuse édition des vers de Zaïre : Ah !
Versificateur, te serais-tu flatté
Dès cette époque, Canalis avait, selon la pittoresque expression des
journalistes, vidé son sac. Il se sentait incapable d’inventer une
nouvelle forme de poésie. Sa lyre ne possède pas sept cordes, elle n’en
a qu’une ; et, à force d’en avoir joué, le public ne lui laissait
plus que l’alternative de s’en servir à se pendre ou de se taire. De
Marsay, qui n’aimait pas Canalis, se permit une plaisanterie qui laissa
dans le flanc du poëte sa pointe envenimée. D’effacer Charles dix en générosité ? — Canalis, dit-il une fois, me fait l’effet de l’homme le plus courageux, signalé par le grand Frédéric après la bataille, ce trompette qui n’avait cessé de souffler le même air dans son petit turlututu ! Canalis, aux oreilles de qui cette épigramme arriva, voulut devenir général. Combien de fois un mot n’a-t-il pas décidé de la vie d’un homme ? L’ancien président de la république Cisalpine, le plus grand avocat du Piémont, Colla s’entend dire, à quarante ans, par un ami, qu’il ne connaît rien à la botanique ; il se pique, devient un Jussieu, cultive les fleurs, en invente, et publie la Flore du Piémont, en latin, l’ouvrage de dix ans. — Après tout, Canning et Chateaubriand sont des hommes politiques, se dit le poëte éteint, et de Marsay trouvera son maître en moi ! Canalis aurait bien voulu faire un grand ouvrage politique ; mais il craignit de se compromettre avec la prose française, dont les exigences sont cruelles à ceux qui contractent l’habitude de prendre quatre alexandrins pour exprimer une idée. De tous les poëtes de ce temps, trois seulement : Hugo, Théophile Gautier, de Vigny ont pu réunir la double gloire de poëte et de prosateur que réunirent aussi Racine et Voltaire, Molière et Rabelais, une des plus rares distinctions de la littérature française et qui doit signaler un poëte entre tous. Donc, le poëte du faubourg Saint-Germain faisait sagement en essayant de remiser son char sous le toit protecteur de l’Administration. |
Honoré de Balzac : Modeste Mignon
(1844) |
Ça envoie !
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