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lundi 27 avril 2015

Acidité du papier

L'acidité est le plus grave et le plus vaste problème concernant la pérennité du livre. Ce phénomène provoque la dégradation du papier qui devient cassant, s’émiette, se transforme en poussière dès que vous ouvrez le livre. Le problème touche, semble-t-il, près de trois millions d’ouvrages conservés à la Bibliothèque Nationale. On peut penser que la majorité des bibliothèques conservant un fonds un peu ancien est également touchée par le problème puisque l’acidité atteint tous les ouvrages publiés entre la moitié du XIXe siècle jusqu’aux années 80.
Au cours de l’année 1840, une pénurie de papier sévit en France. La production traditionnelle à base de chiffon ou de lin ne pouvait plus faire face à l’essor spectaculaire de la presse et de l’édition. A cette véritable révolution éditoriale il fallut répondre par des techniques de production alternatives. Les industriels proposèrent en 1844 un procédé de production du papier à partir de bois de résineux, le liant étant opéré par un mélange de colophane et de sulfate d’aluminium en milieu acide. Or ce procédé engendre avec le temps des acides qui hydrolysent la cellulose. Cette destruction lente est inégale selon les éditeurs, les ouvrages ou même parfois à l’intérieur d’un tirage. Aucun procédé de conservation simple et bon marché n’est satisfaisant. La plupart des ouvrages que nous lisons encore maintenant dureront moins qu’un ouvrage publié au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Il vous suffit, pour vous en convaincre, d’ouvrir l’un de ceux-là et de le comparer à un titre sur bouffant d’édition publié ne serait-ce qu’il y a une trentaine d’années.
De même, on ne s’étonnera pas de voir certains ouvrages du Mercure de France de la période symboliste s’émietter en une sorte de neige brune lorsqu’on en entrouvre les pages.
Le seul recours à cette destruction est un procédé par autoclave qui libère les acides, qu’utilise la Bibliothèque Nationale. Mais ces systèmes sont longs et ne permettront de ne sauver que les parties les plus précieuses des collections. Des choix devront être faits. L’autre solution est la numérisation des textes. Les curieux et les amateurs se reporteront avec bonheur au site de la Bibliothèque Nationale et sa bibliothèque numérisée GALLICA. Cette solution est destructrice, elle impose un démembrement des ouvrages ou, à tout le moins une cassure des dos. Elle implique – et ce sera certainement le sujet d’un autre article – que le choix du format électronique soit lui-même pérenne. Pour notre part, nous avons du mal à penser que les formats en vigueur soient définitifs et craignons plutôt que les normes de numérisation ne deviennent rapidement obsolètes…
En réalité, bien que les éditeurs et les imprimeurs n’y eurent pas songé en apparence, une technique de conservation du papier était déjà à l’œuvre bien avant 1844. Il s’agissait tout simplement de la manie de décliner les éditions en tirages de luxe. Ainsi, la plupart des beaux papiers utilisés provenaient — même encore maintenant — de productions semi-artisanales excluant la pulpe de bois : Hollande, Japon, Vergé, Pur Fil, Chine, etc. ont gardé leur fraîcheur tandis que les tirages ordinaires brunissent et s’effacent sous leur encre.
La bibliophilie est un facteur de conservation des livres, mais nous savions déjà que ce n’était pas qu’une activité de dangereux maniaques.
A l’heure, actuelle, on a de plus en plus recours à des papiers qui excluent la pulpe de bois. Ces normes internationales sont de plus en plus adoptées par les éditeurs. L’exemple le plus célèbre en France est l’édition courante de Harry Potter. J’ai assisté, lors d’un voyage en Finlande, à la fabrication de ce type de papier.
Il est désormais temps de retrousser nos manches et de faire des réimpressions de nos éditions préférées. Elles pourront être lues alors que nous-mêmes aurons été mordus définitivement par l’acidité du temps.

Cet articulet n'aurait pu être rédigé sans la lecture enrichissante de l'article de Bertrand Lavédrine : "Comment sauver les livres ?", publié dans le numéro 323 de la revue Pour La Science (septembre 2004). On trouvera également un long développement sur les normes du papier permanent ici.



Publié en octobre 2008 sur le blog Feuilles d'automne, ce billet fit l'objet d'un commentaire d'Otto Naumme :

Quelques remarques sur la numérisation :
— il y a belle lurette qu'on sait numériser un livre sans lui casser le dos ; j'imagine que ce sont les méthodes utilisées par la BN, que je ne vois pas massacrer sciemment des ouvrages précieux. Faut dire que ce sont pas les mêmes scanners que ceux dont on dispose à la maison. C'est plus lent, mais ça casse rien.
— en ce qui concerne les formats numériques : oui, ça évoluera dans le temps, on passera des actuels Jpg ou Pdf à quelque chose d'autre. Mais le transfert d'un format numérique à un autre n'est pas bien compliqué, il s'agit juste de convertir. Ça peut prendre du temps, c'est tout.
Pour le reste, si j'avais su dans mes jeunes années que le papier était acide, j'aurai léché les pages ! Coooooool, man...

Auquel je répondis :

Vos remarques sont très justes, et je crains de m'être un peu trop avancé pour ce qui concerne la numérisation, d'autant que j'avais vu déjà de tels appareils fonctionner.
Pour les formats, certes, une conversion est toujours envisageable, bien que cela consiste à passer le plus souvent d'un format "propriétaire" à un autre. Je me demande s'il ne serait pas préférable d'opter pour une norme et un format libres pour la conservations des données du patrimoine publique.
Par ailleurs, se pose également la question de la pérennité des supports matériels de l'information.
Enfin, cher Otto, je vous avoue mes lacunes en matière de buvards...

vendredi 11 juillet 2014

Les perles de l'Amérique (1)

Parfois, et même assez fréquemment en vérité, l'Otto que je suis aime aller à baguenauder dans divers pays, histoire de découvrir leurs attraits supposés ou réels. Il y a peu, en mai dernier pour être précis, ce sont les Etats-Unis que j'ai explorés. Un long et beau voyage. Mais, pour venir encombrer les pages de notre cher Tenancier, je ne raconterai pas ma vie, je vous épargnerai le "road trip" entre Chicago et Austin, le festival de rock psychédélique ou les aspects factices d'Hollywood. Parce que l'un des plus beaux moments de ce voyage a eu rapport avec les livres. À ma grande surprise : mes amis à Los Angeles nous avaient proposé (à ma douce et à moi) de visiter le Huntington Garden. Un endroit absolument fabuleux, avec des jardins japonais, chinois, des bonsaïs, d'immenses étendues boisées ou fleuries et, surtout un incroyable jardin (plus de dix hectares, quand même…) de cactées, de toutes les couleurs, formes, tailles, un endroit totalement hors du temps, comme un paysage extra-terrestre.
 

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A l'abri d'un kiosque du jardin chinois,
une musicienne joue un air traditionnel

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La surprise, j'y viens, c'est qu'au beau milieu de cet immense parc se dresse l'une des bibliothèques les plus fascinantes qu'il m'ait été donné de visiter. (photo n°4).
En lui-même, le bâtiment n'a rien d'impressionnant, ni de l'extérieur, ni à l'intérieur (photo n°5). Mais ce sont les ouvrages exposés qui coupent le souffle, alors que, pourtant, seule une centaine des plus de neuf millions de volumes (!) que contient la bibliothèque sont exposés au regard du public. Mais quels volumes !


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Dans une première salle se trouvent des ouvrages "classiques", en premier lieu une bible de Gutenberg (photo n°6), une édition de 1521 du Passional Christi und Antichristi de Martin Luther (photo n°7), une édition du début du XVe siècle du Livre des heures (photo n°8), une originale des œuvres de William Shakespeare (photo n°9), un manuscrit de Jack London (photo n°10) (qui côtoyait du reste un "tas de cendres" du même : un manuscrit qu'il avait mis dans le coffre d'une banque parce qu'il craignait les incendies qui détruisaient régulièrement les maisons en bois du coin où il vivait – et c'est la banque qui a brûlé…) et de multiples autres volumes pour la plupart dotés d'enluminures somptueuses (photo n°11) (j'ai "intelligemment" oublié de noter le titre de ce livre…).


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Une seconde salle est pour sa part réservée aux ouvrages scientifiques et médicaux au fil des siècles. On peut ainsi y voir une édition de 1279 du Grand livre de Ptolémée (photo n°12), une originale de 1609 de l'Astronomia Nova de Johannes Kepler (photo n°13), un Arabum medicorum principis d'Avicenne de 1595 (photo n°14)… Et un immense espace est réservé à Charles Darwin, où figurent plusieurs dizaines d'éditions différentes de son Origine des espèces (photo n°15).


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Le plus ahurissant, dans toute cette richesse culturelle et historique, c'est dans un vague couloir dirigeant vers la sortie qu'on le trouve : alors que tous les autres ouvrages sont protégés sous verre, trône dans ce passage un volume de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, feuilletable à loisir ! (photo n°16) Certes, comme me l'a fait remarquer à juste titre notre cher Tenancier, cette encyclopédie n'est pas rarissime et un livre doit "vivre". Mais quand même ! Un ouvrage de 1765 dont tout un chacun peut tourner les pages à volonté, ça ne se voit pas partout. Et c'est plutôt émouvant.
Et l'endroit est absolument à voir pour qui se rend à Los Angeles. Absolument !
 
Otto Naumme
 
NB : le lecteur pardonnera la piètre qualité des photos, prises sans flash dans un souci de respecter ces ouvrages. Et non traitées avec un logiciel de retouche, parce que je suis un flemmard.