L'acidité est le plus grave et le plus vaste problème concernant la
pérennité du livre. Ce phénomène provoque la dégradation du papier qui
devient cassant, s’émiette, se transforme en poussière dès que vous
ouvrez le livre. Le problème touche, semble-t-il, près de trois
millions d’ouvrages conservés à la Bibliothèque Nationale. On peut
penser que la majorité des bibliothèques conservant un fonds un peu
ancien est également touchée par le problème puisque l’acidité atteint
tous les ouvrages publiés entre la moitié du XIXe siècle jusqu’aux
années 80.
Au cours de l’année 1840, une pénurie de papier sévit en France. La production traditionnelle à base de chiffon ou de lin ne pouvait plus faire face à l’essor spectaculaire de la presse et de l’édition. A cette véritable révolution éditoriale il fallut répondre par des techniques de production alternatives. Les industriels proposèrent en 1844 un procédé de production du papier à partir de bois de résineux, le liant étant opéré par un mélange de colophane et de sulfate d’aluminium en milieu acide. Or ce procédé engendre avec le temps des acides qui hydrolysent la cellulose. Cette destruction lente est inégale selon les éditeurs, les ouvrages ou même parfois à l’intérieur d’un tirage. Aucun procédé de conservation simple et bon marché n’est satisfaisant. La plupart des ouvrages que nous lisons encore maintenant dureront moins qu’un ouvrage publié au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Il vous suffit, pour vous en convaincre, d’ouvrir l’un de ceux-là et de le comparer à un titre sur bouffant d’édition publié ne serait-ce qu’il y a une trentaine d’années.
De même, on ne s’étonnera pas de voir certains ouvrages du Mercure de France de la période symboliste s’émietter en une sorte de neige brune lorsqu’on en entrouvre les pages.
Le seul recours à cette destruction est un procédé par autoclave qui libère les acides, qu’utilise la Bibliothèque Nationale. Mais ces systèmes sont longs et ne permettront de ne sauver que les parties les plus précieuses des collections. Des choix devront être faits. L’autre solution est la numérisation des textes. Les curieux et les amateurs se reporteront avec bonheur au site de la Bibliothèque Nationale et sa bibliothèque numérisée GALLICA. Cette solution est destructrice, elle impose un démembrement des ouvrages ou, à tout le moins une cassure des dos. Elle implique – et ce sera certainement le sujet d’un autre article – que le choix du format électronique soit lui-même pérenne. Pour notre part, nous avons du mal à penser que les formats en vigueur soient définitifs et craignons plutôt que les normes de numérisation ne deviennent rapidement obsolètes…
En réalité, bien que les éditeurs et les imprimeurs n’y eurent pas songé en apparence, une technique de conservation du papier était déjà à l’œuvre bien avant 1844. Il s’agissait tout simplement de la manie de décliner les éditions en tirages de luxe. Ainsi, la plupart des beaux papiers utilisés provenaient — même encore maintenant — de productions semi-artisanales excluant la pulpe de bois : Hollande, Japon, Vergé, Pur Fil, Chine, etc. ont gardé leur fraîcheur tandis que les tirages ordinaires brunissent et s’effacent sous leur encre.
La bibliophilie est un facteur de conservation des livres, mais nous savions déjà que ce n’était pas qu’une activité de dangereux maniaques.
A l’heure, actuelle, on a de plus en plus recours à des papiers qui excluent la pulpe de bois. Ces normes internationales sont de plus en plus adoptées par les éditeurs. L’exemple le plus célèbre en France est l’édition courante de Harry Potter. J’ai assisté, lors d’un voyage en Finlande, à la fabrication de ce type de papier.
Il est désormais temps de retrousser nos manches et de faire des réimpressions de nos éditions préférées. Elles pourront être lues alors que nous-mêmes aurons été mordus définitivement par l’acidité du temps.
Cet articulet n'aurait pu être rédigé sans la lecture enrichissante de l'article de Bertrand Lavédrine : "Comment sauver les livres ?", publié dans le numéro 323 de la revue Pour La Science (septembre 2004). On trouvera également un long développement sur les normes du papier permanent ici.
Publié en octobre 2008 sur le blog Feuilles d'automne, ce billet fit l'objet d'un commentaire d'Otto Naumme :
Au cours de l’année 1840, une pénurie de papier sévit en France. La production traditionnelle à base de chiffon ou de lin ne pouvait plus faire face à l’essor spectaculaire de la presse et de l’édition. A cette véritable révolution éditoriale il fallut répondre par des techniques de production alternatives. Les industriels proposèrent en 1844 un procédé de production du papier à partir de bois de résineux, le liant étant opéré par un mélange de colophane et de sulfate d’aluminium en milieu acide. Or ce procédé engendre avec le temps des acides qui hydrolysent la cellulose. Cette destruction lente est inégale selon les éditeurs, les ouvrages ou même parfois à l’intérieur d’un tirage. Aucun procédé de conservation simple et bon marché n’est satisfaisant. La plupart des ouvrages que nous lisons encore maintenant dureront moins qu’un ouvrage publié au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Il vous suffit, pour vous en convaincre, d’ouvrir l’un de ceux-là et de le comparer à un titre sur bouffant d’édition publié ne serait-ce qu’il y a une trentaine d’années.
De même, on ne s’étonnera pas de voir certains ouvrages du Mercure de France de la période symboliste s’émietter en une sorte de neige brune lorsqu’on en entrouvre les pages.
Le seul recours à cette destruction est un procédé par autoclave qui libère les acides, qu’utilise la Bibliothèque Nationale. Mais ces systèmes sont longs et ne permettront de ne sauver que les parties les plus précieuses des collections. Des choix devront être faits. L’autre solution est la numérisation des textes. Les curieux et les amateurs se reporteront avec bonheur au site de la Bibliothèque Nationale et sa bibliothèque numérisée GALLICA. Cette solution est destructrice, elle impose un démembrement des ouvrages ou, à tout le moins une cassure des dos. Elle implique – et ce sera certainement le sujet d’un autre article – que le choix du format électronique soit lui-même pérenne. Pour notre part, nous avons du mal à penser que les formats en vigueur soient définitifs et craignons plutôt que les normes de numérisation ne deviennent rapidement obsolètes…
En réalité, bien que les éditeurs et les imprimeurs n’y eurent pas songé en apparence, une technique de conservation du papier était déjà à l’œuvre bien avant 1844. Il s’agissait tout simplement de la manie de décliner les éditions en tirages de luxe. Ainsi, la plupart des beaux papiers utilisés provenaient — même encore maintenant — de productions semi-artisanales excluant la pulpe de bois : Hollande, Japon, Vergé, Pur Fil, Chine, etc. ont gardé leur fraîcheur tandis que les tirages ordinaires brunissent et s’effacent sous leur encre.
La bibliophilie est un facteur de conservation des livres, mais nous savions déjà que ce n’était pas qu’une activité de dangereux maniaques.
A l’heure, actuelle, on a de plus en plus recours à des papiers qui excluent la pulpe de bois. Ces normes internationales sont de plus en plus adoptées par les éditeurs. L’exemple le plus célèbre en France est l’édition courante de Harry Potter. J’ai assisté, lors d’un voyage en Finlande, à la fabrication de ce type de papier.
Il est désormais temps de retrousser nos manches et de faire des réimpressions de nos éditions préférées. Elles pourront être lues alors que nous-mêmes aurons été mordus définitivement par l’acidité du temps.
Cet articulet n'aurait pu être rédigé sans la lecture enrichissante de l'article de Bertrand Lavédrine : "Comment sauver les livres ?", publié dans le numéro 323 de la revue Pour La Science (septembre 2004). On trouvera également un long développement sur les normes du papier permanent ici.
Publié en octobre 2008 sur le blog Feuilles d'automne, ce billet fit l'objet d'un commentaire d'Otto Naumme :
Quelques remarques sur la numérisation :
— il y a belle lurette qu'on sait numériser un livre sans lui casser le dos ; j'imagine que ce sont les méthodes utilisées par la BN, que je ne vois pas massacrer sciemment des ouvrages précieux. Faut dire que ce sont pas les mêmes scanners que ceux dont on dispose à la maison. C'est plus lent, mais ça casse rien.
— en ce qui concerne les formats numériques : oui, ça évoluera dans le temps, on passera des actuels Jpg ou Pdf à quelque chose d'autre. Mais le transfert d'un format numérique à un autre n'est pas bien compliqué, il s'agit juste de convertir. Ça peut prendre du temps, c'est tout.
Pour le reste, si j'avais su dans mes jeunes années que le papier était acide, j'aurai léché les pages ! Coooooool, man...
Auquel je répondis :
Vos remarques sont très justes, et je crains de m'être un peu trop avancé pour ce qui concerne la numérisation, d'autant que j'avais vu déjà de tels appareils fonctionner.
Pour les formats, certes, une conversion est toujours envisageable, bien que cela consiste à passer le plus souvent d'un format "propriétaire" à un autre. Je me demande s'il ne serait pas préférable d'opter pour une norme et un format libres pour la conservations des données du patrimoine publique.
Par ailleurs, se pose également la question de la pérennité des supports matériels de l'information.
Enfin, cher Otto, je vous avoue mes lacunes en matière de buvards...
— il y a belle lurette qu'on sait numériser un livre sans lui casser le dos ; j'imagine que ce sont les méthodes utilisées par la BN, que je ne vois pas massacrer sciemment des ouvrages précieux. Faut dire que ce sont pas les mêmes scanners que ceux dont on dispose à la maison. C'est plus lent, mais ça casse rien.
— en ce qui concerne les formats numériques : oui, ça évoluera dans le temps, on passera des actuels Jpg ou Pdf à quelque chose d'autre. Mais le transfert d'un format numérique à un autre n'est pas bien compliqué, il s'agit juste de convertir. Ça peut prendre du temps, c'est tout.
Pour le reste, si j'avais su dans mes jeunes années que le papier était acide, j'aurai léché les pages ! Coooooool, man...
Auquel je répondis :
Vos remarques sont très justes, et je crains de m'être un peu trop avancé pour ce qui concerne la numérisation, d'autant que j'avais vu déjà de tels appareils fonctionner.
Pour les formats, certes, une conversion est toujours envisageable, bien que cela consiste à passer le plus souvent d'un format "propriétaire" à un autre. Je me demande s'il ne serait pas préférable d'opter pour une norme et un format libres pour la conservations des données du patrimoine publique.
Par ailleurs, se pose également la question de la pérennité des supports matériels de l'information.
Enfin, cher Otto, je vous avoue mes lacunes en matière de buvards...
Profitons de l'occasion qui nous est donnée pour saluer chaleureusement par de gros poutous rieurs notre cher Otto!
RépondreSupprimerBéatrice
Merci bien, très chère Béatrice.
SupprimerJe vous adresse à mon tour de mêmes gros poutous rieurs !
Otto Naumme
Tsss.
RépondreSupprimerY'en a toujours pour les mêmes...
C'est parce que je suis beau même quand je ne suis pas en colère, cher Tenancier.
SupprimerOtto Naumme
Mais tout le monde est beau ici.
SupprimerBéatrice
Sauf moi, à part quand je suis en colère.
RépondreSupprimer