jeudi 14 juillet 2016
vendredi 1 juillet 2016
Toujours rien...
Oui, toujours rien.
Mais que l'on ne se fasse pas de bile, c'est simplement que le Tenancier est un peu pris.
Mais que l'on ne se fasse pas de bile, c'est simplement que le Tenancier est un peu pris.
vendredi 3 juin 2016
Jean-François
Un ami vient de disparaître. Il avait bien voulu nous donner quelques textes pour le blog. Je célèbrerai le souvenir d'une homme sensible et intelligent, féru d'art que j'admirais et que j'aimais.
Merci, Jean-François, d'avoir été là.
Merci, Jean-François, d'avoir été là.
Pacquelin, Pacqulinage, Pacqulineur, neuse
Pacquelin, Paclin, Pasquelin : Pays. (Vidocq, Halbert.)
Pacquelinage : Voyage. (Idem.)
Pacquelineur, neuse : Voyageur, voyageuse. (Idem.)
Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881
Pacquelin s. m.
Pays natal. Mot emprunté à l'argot des voleurs. « Un suage est à
maquiller la sorgue dans la tolle du ratichon du pacquelin... — Un coup
est à faire, la nuit dans la maison du curé du pays ...» (Lettre d'un
assassin à ses complices.) C'est donc à tort que quelques-uns disent Patelin.
Eugène Boutmy — Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883
(Index)
jeudi 2 juin 2016
Une historiette de Béatrice
— « Je suis passé la semaine dernière, c’était fermé,
pour une fois que je viens à Bayonne…
— Vous n’avez pas vu le mot sur la porte ? J’étais en congés.
— Oui mais bon, c’est comme vos horaires, on ne sait jamais…
— Regardez monsieur, ils sont affichés sur la porte.
— Oui mais bon….
— La prochaine fois, passez donc un coup de fil avant de venir, pour vous assurer de ma présence.
— Oui mais bon…. »
— Vous n’avez pas vu le mot sur la porte ? J’étais en congés.
— Oui mais bon, c’est comme vos horaires, on ne sait jamais…
— Regardez monsieur, ils sont affichés sur la porte.
— Oui mais bon….
— La prochaine fois, passez donc un coup de fil avant de venir, pour vous assurer de ma présence.
— Oui mais bon…. »
Cette historiette a été publiée pour la première fois en octobre 2012 sur le blog Feuilles d'automne.
dimanche 29 mai 2016
Petite absence
Le Tenancier tient à présenter ses excuses à l'assistance publique. Un peu souffrant ces derniers temps, il était dans l'incapacité de s'occuper du blog. Tout va rentrer dans l'ordre sous peu.
(Le Tenancier et son voisin de chambre après le naufrage de l'hôpital flottant)
vendredi 13 mai 2016
Naturalibus (in)
Naturalibus (in) : Dans l'état de nature, nu. — Latinisme. — « Mon Joseph eut avec elle un tête-à-tête in naturalibus. » (Beaufort, Elle et Moi, Troyes, an VIII.) — « L'autre regardant à l'horizon in naturalibus. » (Commerson.)
mercredi 11 mai 2016
Sur les routes — IV
A la fin août 1932, je décide
d’entreprendre en Allemagne un grand
voyage à pied, sac au dos, selon les rites germaniques. Avec le camarade qui
m’accompagnera, nous nous y préparons avec ardeur. Au pied du fort de Romainville,
notre voisin, le canal de l’Ourcq étale sa ligne droite. Pour mieux nous
entraîner, nous revêtons notre tenue complète de marcheurs à pied, blouson,
culotte courte de velours, lourds brodequins et grosses chaussettes de
laine : nous chargeons notre rucksack du poids respectable qu’il pèsera
effectivement au cours de notre périple. Et, carte en main, nous repérons
exactement, sur les berges du canal, une distance de 12 km 500. D’une allure
souple et régulière, redressant la tête, creusant les reins, bombant le torse,
nous franchissons chaque jour cette distance. Parvenus au point d’arrivée, nous
esquissons un demi-tour quasi militaire et repartons en sens inverse, le même
kilométrage, indifférents au soleil ou aux intempéries, prêts à tout affronter.
Et c’est enfin le départ, le soir du 9 août 1932. Une camionnette qui fait chaque nuit le trajet Paris-Strasbourg a bien voulu nous charger dans son « poids lourd ». L’énorme véhicule saute avec un bruit de ferraille sur le pavé de Pantin. Dans la remorque, entre deux rouleaux de linoléum, à l’imposant diamètre, nous avons, mon compagnon et moi, logé nos corps meurtris, nos sacs bourrés et difformes que surmonte une gamelle. Au volant, dans la cabine où nous les rejoignons de temps à autre pour faire la causette, de grands gars d’Alsace, placides et blonds. Il suffit de soulever la bâche de notre remorque pour prendre connaissance avec le paysage. Mais, le plus souvent, rois fainéants vautrés sur des colis rugueux, nous laissons dérouler le fil des heures. Et quant la nuit venue, les conducteurs, harassés, font halte au bord de la route, nous courons dans un champ voisin d’où nous rapportons, pour arrondir les angles et amortir les chocs, de moelleuses gerbes de blé fraîchement coupé.
Au seuil de la Forêt-Noire, je déborde d’un optimisme que les vicissitudes des luttes sociales n’ont pas encore ébranlé et que mon compagnon, petit bourgeois sceptique et insouciant, ne partage guère. Après une si longue période d’inaction stérile, dans un vieux pays dégénéré, je vais peut-être enfin me trouver au cœur de l’action, dans cette Allemagne jeune, moderne et dynamique que, depuis ma jeunesse, je n’ai cessé d’admirer. C’est ici que s’est formée la classe ouvrière la mieux organisées, la plus cultivée du monde. Ici que les contradictions économiques et sociales ont atteint un point de tension extrême. Ici que va sonner l’heure de l’explication décisive entre le bloc formidable du salariat et les mercenaires du grand capital.
Et pourtant les germes d’une maladie mortelle minent déjà cette chair en apparence resplendissante. L’atmosphère est lourde, les oiseaux volent bas, comme avant l’orage. Plus je m’enfoncerai au cœur du pays, plus je déchanterai. En vérité, malgré ça et là quelques apparences trompeuses, tout annonce, tout fomente — sans que j’en aie encore une pleine conscience — la victoire du fascisme hitlérien.
Et c’est enfin le départ, le soir du 9 août 1932. Une camionnette qui fait chaque nuit le trajet Paris-Strasbourg a bien voulu nous charger dans son « poids lourd ». L’énorme véhicule saute avec un bruit de ferraille sur le pavé de Pantin. Dans la remorque, entre deux rouleaux de linoléum, à l’imposant diamètre, nous avons, mon compagnon et moi, logé nos corps meurtris, nos sacs bourrés et difformes que surmonte une gamelle. Au volant, dans la cabine où nous les rejoignons de temps à autre pour faire la causette, de grands gars d’Alsace, placides et blonds. Il suffit de soulever la bâche de notre remorque pour prendre connaissance avec le paysage. Mais, le plus souvent, rois fainéants vautrés sur des colis rugueux, nous laissons dérouler le fil des heures. Et quant la nuit venue, les conducteurs, harassés, font halte au bord de la route, nous courons dans un champ voisin d’où nous rapportons, pour arrondir les angles et amortir les chocs, de moelleuses gerbes de blé fraîchement coupé.
Au seuil de la Forêt-Noire, je déborde d’un optimisme que les vicissitudes des luttes sociales n’ont pas encore ébranlé et que mon compagnon, petit bourgeois sceptique et insouciant, ne partage guère. Après une si longue période d’inaction stérile, dans un vieux pays dégénéré, je vais peut-être enfin me trouver au cœur de l’action, dans cette Allemagne jeune, moderne et dynamique que, depuis ma jeunesse, je n’ai cessé d’admirer. C’est ici que s’est formée la classe ouvrière la mieux organisées, la plus cultivée du monde. Ici que les contradictions économiques et sociales ont atteint un point de tension extrême. Ici que va sonner l’heure de l’explication décisive entre le bloc formidable du salariat et les mercenaires du grand capital.
Et pourtant les germes d’une maladie mortelle minent déjà cette chair en apparence resplendissante. L’atmosphère est lourde, les oiseaux volent bas, comme avant l’orage. Plus je m’enfoncerai au cœur du pays, plus je déchanterai. En vérité, malgré ça et là quelques apparences trompeuses, tout annonce, tout fomente — sans que j’en aie encore une pleine conscience — la victoire du fascisme hitlérien.
Par une belle fin d’après-midi s’achève notre première étape outre-Rhin. Déjà vingt-cinq kilomètres dans les jambes et, sur les épaules, malgré que nous nous soyons entraînés pour cette distance, les courroies pèsent un peu. Nous traversons un village qui paraît coquet en comparaison des nôtres, avec ses maisonnettes blanches fraîchement repeintes, ses fenêtres garnies de géraniums. Tel le cheval qui sent l’écurie, nous marchons d’un pas plus allègre lorsqu’à la sortie de la petite agglomération, à l’écart et entouré d’arbres, apparaît le gîte que nous cherchions : l’auberge de la jeunesse. Chaque soir, de la même manière, nous nous retrouverons comme chez nous.
La salle commune est déjà pleine : jeunes de quinze à vingt ans, cheveux blonds, voix mâles, visages volontaires. Une chemise de sport kaki ou verte, aux manches retroussées, découvre leurs avant-bras bronzés par le soleil. des genoux sculpturaux émergent d’une culotte courte en velours ou en peau que complète souvent une paire de bretelles tyroliennes avec sa large plaque de cuir rectangulaire, formant comme un pont entre les pectoraux. Les jambes sont halées, muscles tendus et durs. De grosses socquettes retombent sur de forts souliers de marbre. certains ont conservé sur la tête, posée crânement, une petite calotte de type ecclésiastique, en feutre gris, découpée dans le fond d’un vieux chapeau.
Nous ne tardons pas à lier connaissance. Notre qualité de français nous vaut un accueil fraternel.
— Franzose ? Pas possible ! On voit des Franzosen si rarement.
Puis c’est une volée de questions :
— Chez vous aussi il y a beaucoup de chômage ?
— Est-il vrai, ce qu’on dit, que les Français sont si riches, qu’ils ont tant d’or ?
— Vous avez le service militaire obligatoire ?
— Comment donc nous appelez-vous ? Des…. des… Boches ?
Nous répondons tant bien que mal. Autour de nous, le cercle s’est formé, un cercle au centre duquel je me sens bien. Je lis dans les regards un besoin de communication directe, par-delà les frontières artificielles, les journaux et les discours mensongers, un étonnement de se sentir pareils.
Sur une table, un « livre d’or. Chacun est invité à y inscrire son nom, à laisser une trace — pensée, poésie ou dessin — de son passage. Sur le feuillet de garde, ce vain avertissement : « On est prie d’oublier la politique au seuil de ce livre ». Pourtant, quant je le feuillet, je vois la politique sourdre à chaque page. Elle tourmente ces jeunes au point qu’ils ne peuvent, malgré l’ambiance neutre de l’auberge, s’en abstraire. Un main a écrit : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. » Mais un autre a biffé l’appel d’un trait de plume rageur. Ailleurs ce sont les trois flèches socialistes qui transpercent la croix gammée. On nous explique que cette passion est plutôt récente.
Quand je décris, en comparaison, la jeunesse française indifférente, ignorante, engourdie par l’opium des journaux sportifs, on me répond qu’il n’y a pas si longtemps la jeunesse allemande s’intéressait plus aux champions et aux stars qu’à Hitler ou à « Teddy » Thalmann. Mais le chômage, la misère, l’entrée en scène tapageuse du national-socialisme ont tout changé. Au fond des regards de mes jeunes compagnons d’un soir, je lis, parce qu’ils ont dix-huit ans, la joie de vivre, mais aussi l’angoisse et la faim. Ces auberges, luxueusement aménagées, dans lesquelles de beaux fourneaux sans emploi contrastent avec les ceintures qui se serrent, suggèrent un monde périssable. La contagion du fanatisme politique a gagné jusqu’aux impubères. Un gamin de treize ans me crie son amour pour le Führer, une fillette m’explique gravement le dernier discours du chancelier von Papen. Peu ou prou de non-engagés. Chacun a pris parti. La salle commune s’est vidée peu à peu. Pourtant aux extrémités opposées, deux groupes demeurent. Dans la pénombre, de petits écoliers tiennent un recueil de chansons à la main. Sous la conduite de leur magister, ils entonnent des airs martiaux où il est question de héros victorieux et d’ennemis en déroute. Trois solides gaillards de Westphalie, prolétaires sans nul doute, les écoutent avec satisfaction puis, avec eux, reprennent en chœur le refrain. A l’autre bout de la salle, d’autres « ajistes », indisposés par cette démonstration, observent, muet, renfrognés. L’un d’eux serre dans ses doigts crispés la Rote Fahne, le quotidien communiste. Et comme j’essaie, en vain, de le faire parler, il me montre, d’un signe de tête, le camp adverse et hausse les épaules. Jusqu’à l’heure réglementaire de l’extinction des feux, nazis et révolutionnaires resteront en face à face, dans un état de veillée d’armes.
Un jeune, plus loquace, ou plus lucide, murmure à mon oreille, tandis que nous gagnons nos dortoirs :
— Vois-tu, nous sommes dressés les uns contre les autres. Les passions sont chauffées à blanc au point qu’il nous arrive de nous entre-tuer, mais nous voulons au fond la même chose…
— Vraiment ?
— Oui, la même chose, un monde nouveau, radicalement différent de celui d’aujourd’hui, un monde qui ne détruise plus le café et le blé, tandis que des millions d’hommes ont faim, un nouveau système. Mais l’un croit dur comme fer qu’Hitler le lui donnera et l’autre que ce sera Staline. Il n’y a entre nous que cette différence…
Et c’est pourquoi dans la chambrée, avant que les lumières ne s’éteignent, retentira de cinquante coffres sonores, un vieux chant de vagabonds de la route, que le nazi entonne avec autant de conviction que le socialiste ou le communiste :
Quand nous cheminons côte à côteUnanimité à peine fêlée par la discordance des trois cris antagonistes, proférés ensemble, tel un bonsoir ou un final défi :
Et chantons les airs anciens
Dont les bois nous renvoient l’écho
Alors, nous le sentons, il faut que cela arrive :
Avec nous viennent les temps nouveaux !
Avec nous viennent les temps nouveaux !
— Heil Hitler !
— Freiheit !
— Rot Front !
Pourtant les dilettantes, les poètes, les rescapés romantiques et littéraires de la Jugendbewegung (« mouvement de jeunesse ») d’avant 1914 n’ont — pas encore — totalement disparu. Témoin ce groupe d’étudiants, que nous rencontrons le lendemain sur la route, vêtus d’un simple short, à peu près nus sous un soleil de plomb. Une invraisemblable vaisselle s’accumule sur leurs échines bronzées. On dirait une caravane de chameaux porteurs de denrées. Ces joyeux lurons s’entêtent à préférer le naturisme aux controverses politiques. Et ils susurrent, en s’accompagnant d’une guitare, ces vers, si pacifiques, d’un poète tombé au front1 :
Et mon cœur, mon cœur chante
Un air qui lui aussi monte vers le ciel,
Un air très léger et très doux,
Un air aussi délicat, aussi tendre
Qu’un petit nuage fuyant à travers l’azur
Comme un flocon de duvet dans la brise…
Daniel Guérin : La peste brune — 1954.
Macaire
Macaire : Malfaiteur affectant les dehors d'un homme du monde. Le mot date du drame de l'Auberge des Adrets
; il doit moins sa fortune à Frederick Lemaître, créateur du rôle de
Macaire, qu'aux nombreuses caricatures qui ont ensuite fait de
l'assassin Macaire le type du filou cynique. — « Ils se croyaient des
Macaires et n'ont été que des filous. » (Luchet.)
lundi 9 mai 2016
Là-bas
Là-bas : Maison de correction de Saint-Lazare. — « Julia à Amandine
: comme ça c'est pauvre Angèle est là-bas ? — Ne m'en parle pas. Elle
était au café Coquet à prendre un grog avec Anatole. Voilà un monsieur
qui passe, qui avait l'air d'un homme sérieux avec des cheveux blancs
et une montre. Il lui offre une voiture, elle accepte, un cocher
arrive, et... emballée ! Le monsieur était un inspecteur ! » (Les Cocottes, 64.)
Là-bas : Au bagne. — « Ils croyaient m'avoir vu là-bas. Là-bas, cela veut dire au bagne. » (Lacenaire, 36.)
Là-bas : Au bagne. — « Ils croyaient m'avoir vu là-bas. Là-bas, cela veut dire au bagne. » (Lacenaire, 36.)
samedi 7 mai 2016
Sur les routes — III
Comme nous nous éloignions toujours davantage de la
capitale, le trajet de mes envoyés devenait chaque fois plus long. Après
cinquante jours de route, l’intervalle entre l’arrivée d’un messager et celle
du suivant était devenu sensiblement plus grand : alors qu’au début tous
les cinq jours l’un d’eux rejoignait le camp, il fallait désormais attendre
vingt cinq jours ; le bruit de ma ville s’affaiblissait de cette sorte
toujours davantage ; des semaines entières passaient sans qu’aucune
nouvelle me parvînt.
Quand j’en fus au sixième mois de mon voyage — nous avions déjà franchi les monts Fassani — l’intervalle entre l’arrivée de chacun de mes messagers s’accrut à quatre bons mois. Désormais, ils ne m’apportaient que des nouvelles lointaines, ils me tendaient des lettres toutes chiffonnées, roussies par les nuits humides que le messager devait passer à même les prairies.
Nous marchions toujours. Je tentais en vain de me persuader que les nuages qui roulaient au-dessus de ma tête étaient encore ceux-là mêmes de mon enfance, que le ciel de la ville lointaine ne différait en rien de la coupole bleue qui me surplombait, que l’air était semblable et semblable le souffle du vent, et semblable le chant des oiseaux. Les nuages, le ciel, l’air, les vents, les oiseaux m’apparaissaient en réalité comme des choses nouvelles ; et je me sentais étranger.
En avant, en avant ! Des vagabonds rencontrés sur les plaines me disaient que les frontières n’étaient plus loin. J’incitait mes hommes à continuer la route sans répit, faisant mourir sur leurs lèvres les mots désabusés qu’ils s’apprêtaient à dire. Quatre ans avaient passé ; quelle longue fatigue ! La capitale, ma demeure, mon père, étaient curieusement éloignés, je n’y croyais même presque plus. Vingt bons mois de silence et de solitude séparaient désormais les retours successifs des messagers. Ils m’apportaient de curieuses missives jaunies par le temps, dans lesquelles je découvrais des noms oubliés, des tournures de phrases insolites, des sentiments que je ne parvenais pas à comprendre. Et le lendemain matin, après une seule nuit de repos, tandis que nous reprenions notre route, le messager partait dans la direction opposée, portant vers la ville une lettre préparée par moi depuis longtemps.
Mais huit ans et demi ont passé. Ce soir je soupais seul sous ma tente quand est entré Dominique, qui parvenait encore à me sourire malgré cette fatigue qui le terrassait. Je ne l’avais pas revu depuis près de sept ans. Et pendant ces sept ans-là, il n’avait que courir, à travers les prairies, les forêts et les déserts, changeant Dieu sait combien de fois sa monture, pour m’apporter ce paquet d’enveloppes que je n’ai pas encore eu à cette heure l’envie d’ouvrir. Déjà il s’en est allé dormir, il repartira demain matin à l’aube.
Il repartira pour la dernière fois. J’ai calculé sur mon carnet que, si tout va bien, si je continue ma route comme je l’ai fait jusqu’ici et lui la sienne, je ne pourrai revoir Dominique que dans trente-quatre ans. J’en aurais alors soixante-douze. Mais je commence à ressentir ma lassitude et la mort probablement m’aura cueilli avant. Ainsi donc je ne pourrai jamais plus le revoir.
Dino Buzzati : Les sept messagers — 1966
Traduit de l’italien par Michel Breitman
Quand j’en fus au sixième mois de mon voyage — nous avions déjà franchi les monts Fassani — l’intervalle entre l’arrivée de chacun de mes messagers s’accrut à quatre bons mois. Désormais, ils ne m’apportaient que des nouvelles lointaines, ils me tendaient des lettres toutes chiffonnées, roussies par les nuits humides que le messager devait passer à même les prairies.
Nous marchions toujours. Je tentais en vain de me persuader que les nuages qui roulaient au-dessus de ma tête étaient encore ceux-là mêmes de mon enfance, que le ciel de la ville lointaine ne différait en rien de la coupole bleue qui me surplombait, que l’air était semblable et semblable le souffle du vent, et semblable le chant des oiseaux. Les nuages, le ciel, l’air, les vents, les oiseaux m’apparaissaient en réalité comme des choses nouvelles ; et je me sentais étranger.
En avant, en avant ! Des vagabonds rencontrés sur les plaines me disaient que les frontières n’étaient plus loin. J’incitait mes hommes à continuer la route sans répit, faisant mourir sur leurs lèvres les mots désabusés qu’ils s’apprêtaient à dire. Quatre ans avaient passé ; quelle longue fatigue ! La capitale, ma demeure, mon père, étaient curieusement éloignés, je n’y croyais même presque plus. Vingt bons mois de silence et de solitude séparaient désormais les retours successifs des messagers. Ils m’apportaient de curieuses missives jaunies par le temps, dans lesquelles je découvrais des noms oubliés, des tournures de phrases insolites, des sentiments que je ne parvenais pas à comprendre. Et le lendemain matin, après une seule nuit de repos, tandis que nous reprenions notre route, le messager partait dans la direction opposée, portant vers la ville une lettre préparée par moi depuis longtemps.
Mais huit ans et demi ont passé. Ce soir je soupais seul sous ma tente quand est entré Dominique, qui parvenait encore à me sourire malgré cette fatigue qui le terrassait. Je ne l’avais pas revu depuis près de sept ans. Et pendant ces sept ans-là, il n’avait que courir, à travers les prairies, les forêts et les déserts, changeant Dieu sait combien de fois sa monture, pour m’apporter ce paquet d’enveloppes que je n’ai pas encore eu à cette heure l’envie d’ouvrir. Déjà il s’en est allé dormir, il repartira demain matin à l’aube.
Il repartira pour la dernière fois. J’ai calculé sur mon carnet que, si tout va bien, si je continue ma route comme je l’ai fait jusqu’ici et lui la sienne, je ne pourrai revoir Dominique que dans trente-quatre ans. J’en aurais alors soixante-douze. Mais je commence à ressentir ma lassitude et la mort probablement m’aura cueilli avant. Ainsi donc je ne pourrai jamais plus le revoir.
Dino Buzzati : Les sept messagers — 1966
Traduit de l’italien par Michel Breitman
Idiot
Idiot : Insulte vague; Elle
peut s'adresser à des gens d'esprit. — « Il a l'air d'un chien de
chasse. Est-il idiot, hein ? — Aussi, tu l'agaces, ma chère.. » (E.
Villars.)
Une historiette de Béatrice
Halènes
Halènes : Outil de voleur. —Allusions aux halènes de cordonniers ? — « Crois-moi, balance tes halènes. » (Vidocq.)
vendredi 6 mai 2016
Gadoue
Gadoue : Salope(*). — Du vieux mot gadoue : ordure. — « File, mon fiston, roule ta gadoue, mon homme, ça pue. » (Catéchisme Poissard, 44.)
Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881
(Index)
(* ) Salope adjectif et nom. Malpropre. Sitôt qu'il fût parti, la servante de l'auberge se déclara grosse de son fait. C'était une vilaine salope. (J-J. Rousseau) Il se faisait gloire d'être salope. (Hamilton) | Duchesne/Leguay : La Surprise, dictionnaire des sens perdus, 1990
(Index)
(* ) Salope adjectif et nom. Malpropre. Sitôt qu'il fût parti, la servante de l'auberge se déclara grosse de son fait. C'était une vilaine salope. (J-J. Rousseau) Il se faisait gloire d'être salope. (Hamilton) | Duchesne/Leguay : La Surprise, dictionnaire des sens perdus, 1990
jeudi 5 mai 2016
Sur les routes — II
Nous quittâmes la maison le jour fixé et nous atteignîmes
dans la soirée Malaucène, au pied de la montagne, en direction du nord. Nous y
restâmes une journée, et aujourd’hui, enfin, nous avons entrepris, non sans
peine, l’ascension, aidés chacun d’un serviteur. La masse du mont, un
amoncellement de rochers, est fortement escarpée et presque inaccessible ;
mais le poète l’a bien dit, « labeur opiniâtre vient à bout de
tout ». La longue journée, la température clémente, l’enthousiasme, la vigueur,
l’agilité du corps, tout favorisait notre escalade ; seule faisait
obstacle la nature du terrain. Dans une petite vallée, nous rencontrâmes un
vieux berger qui tenta de mille manières de nous dissuader de monter, nous
racontant que lui aussi, cinquante ans auparavant, poussé par la même ardeur
juvénile, il avait fait l’ascension jusqu’au sommet, qu’il n’en avait rapporté
que larmes et sueur, le corps et les vêtements déchirés par les pierres et les
ronces, et qu’il n’avait jamais entendu dire que d’autres, avant ou après lui,
eussent tenté pareille expédition. Mais, ainsi est la jeunesse, sourde à tout
conseil, plus il criait pour nous mettre en garde, plus nous sentions croître
notre désir de passer outre. Alors, quand le vieillard eut compris que ses
efforts étaient vains, s’avançant un petit peu parmi les rochers, il nous
montra du doigt un sentier abrupt, tout en réitérant ses avertissements, et il
nous en prodiguait encore, que nous lui avions depuis longtemps tourné le dos.
Ayant laissé près de lui les vêtements et les objets qui pouvaient gêner notre
marche, nous nous apprêtons à monter seuls et nous avançons d’un bon pas. Mais
comme il arrive souvent, à un effort violent succède une brusque fatigue, et
nous voici contraints de faire halte sur une roche toute proche. Puis nous
reprenons notre progression, mais plus lentement ; moi surtout, qui
grimpais d’un pas plus lourd, tandis que mon frère, qui coupait en longeant la
crête, s’élevait toujours plus. Moi, peinant, je descendais et, quand il
m’appelait pour m’indiquer le chemin le plus direct, je lui répondais que
j’espérais trouver un sentier plus facile de l’autre côté de la montagne et
qu’il ne me déplaisait pas de faire une route plus longue, pourvu qu’elle fut
plate. Je prétendais ainsi excuser ma paresse et, alors que mes compagnons
étaient déjà au sommet, moi, j’errais par les vallées, sans distinguer nulle
part de sentier plus amène ; la route, en réalité, montait, et l’inutile
fatigue m’accablait. Las d’errer, je décidai de me diriger directement vers le
haut, et quand, épuisé et haletant, j’eus réussi à rejoindre mon frère qu’une
longue pause avait ragaillardi, nous fîmes un bout de chemin ensemble. Nous
avions à peine quitté ce col que moi, oublieux de mes précédentes errances, je
me sens à nouveau tiré vers le bas et, tandis que je traverse à nouveau la
vallée à la recherche d’un sentier plat, je me précipite dans de graves
difficultés. Je voulais différer la fatigue de la montée, mais la nature ne
cède pas à la volonté humaine, et il est impossible pour un corps de gagner les
hauteurs en descendant. Bref, en peu de temps, sous les rires de mon frère et
dans mon abattement, cela m’arriva trois fois ou plus. Découragé, je m’asseyais
souvent dans quelque creux et là, passant rapidement des choses du corps à celles
de l’esprit, je me faisais ce genre de réflexions : « Ce que tu as
tant de fois tenté aujourd’hui en escaladant cette montagne se répétera pour
toi et pour tant d’autres qui veulent toucher à la béatitude ; si les
hommes ne s’en rendent pas compte aussi facilement, cela vient du fait que les
mouvements du corps sont visibles, tandis que ceux de l’esprit sont invisibles
et cachés. La vie que nous appelons heureuse occupe les hauteurs et, comme dit
le proverbe, “ étroite est la route qui y mène ”. Nombreux aussi sont les cols
qu’il faut passer, de même nous devons avancer par degrés, de vertu en
vertu ; sur la cime est la fin de toutes choses, le but vers lequel nous
dirigeons nos pas. Tous veulent l’atteindre, mais comme dit Ovide, “vouloir est
peu ; il faut, pour parvenir, désirer ”. Toi, bien sûr, si tu ne te
trompes pas une fois de plus, non seulement tu veux, mais tu désires. Qu’est-ce
donc qui te retient ? Rien d’autre, évidemment que la route plus plate qui
passe par les bas plaisirs terrestres et qui semble à première vue plus
facile ; mais quand tu auras beaucoup erré, il te faudra monter vers la
cime de la béatitude en peinant sous le poids d’une fatigue fâcheusement
différée, ou bien tomber d’épuisement dans les vallées de tes péchés ; et
si — je frémis à cette pensée — les ténèbres et l’ombre de la mort s’emparent
de toi, tu devras vivre une nuit éternelle de perpétuelles tourments ». Je ne
puis dire à quel point cette pensée me redonna courage et force pour le reste
du chemin. Puissé-je accomplir avec mon âme ce voyage auquel jour et nuit
j’aspire, comme je l’ai accompli après avoir surmonté les difficultés avec mon
corps ! Et j’ignore si ce que l’âme peut réaliser en un clin d’œil et sans
bouger quoi que ce soit, en laissant agir sa nature immortelle, est plus facile
que ce que doit accomplir dans le temps un corps promis à la mort et qui croule
sous le poids de ses membres.
Pétrarque — L’ascension du mont Ventoux — 1353
Traduit du latin par Denis Montebello.
Pétrarque — L’ascension du mont Ventoux — 1353
Traduit du latin par Denis Montebello.
Factionnaires
Factionnaires : Excréments
déposés aux abords de certains murs ; comme un factionnaire, ils
empêchent d'y passer. — « Dans les escaliers, elle vous pose des
factionnaires qui ne crient pas : qui vive ! aux passants. » (Dalès.)
mardi 3 mai 2016
Ébouriffant
Ébouriffant : Excessif au point de faire ébouriffer les cheveux sur la tête. C'est une variante de à faire dresser les cheveux sur la tête qui a paru sans doute trop connu.
— « Menez une jeune fille au bal, tous les yeux flambent autour d'elle,
et vous lui dites : tu ne brûleras pas !... vous êtes ébouriffant, ma
parole d'honneur ! » ( Physiol. des Amoureux. 41.)
Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881
(Index)
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