Un phénomène se produit de façon récurrente lorsque dans une
assemblée, même informelle comme une dînette sur le pouce avec des personnes
que vous ne connaissez pas vraiment, ceux-là, vous découvrant comme « écrivain », vous parent de quelque
mission sacralisant la manière de dire, le quotidien ou toute autre vertu que
confère les fantasmes du lecteur. Avec soudaineté, vous voici écrasé sous le
poids de la charge de la preuve par le biais d’un acquiescement aux assertions
diverses sur la nature de la mission de l’écrivain : rendre compte de la
réalité, l’art pour l’art, le miroir le long du chemin, etc. Alors que vous
essayez de finir ce p’tit verre de rouge dont vous n’avez pas réussi à
découvrir de quoi il s’agissait (trop de bouteilles ouvertes en même temps),
vous voici acculé à un acquiescement catégorique, histoire que l’on vous foute
la paix quand vous picolez et aussi afin de tranquilliser l’interlocuteur,
parce qu’au fond, vous ne désirez pas plus que ça de passer pour un revêche ou
un contradicteur. En résumé, l’on vous somme de confirmer, gentiment, hein. Vous
pourriez répondre — et nous ne trouvons pas loin de ce que pense votre
Tenancier — que vous écrivez parce que, en définitive, vous en avez l’occasion
et que le résultat ne vous paraît pas trop moche pour la somme de travail
accordée. Vous pourriez affirmer qu’écrire correspond certainement à une
mission intellectuelle ou morale, l’enjeu d’un affrontement ou d’un défi de
soi, de l’approche sensible du monde et de toutes ces choses qui font plaisir à
l’interlocuteur. La seule réplique qui vous vient à l’esprit à ces moments,
parce que vous êtes de plus en plus perdu à l’oral pour ce genre de conversation,
reste : « Oh
vous, savez, j’aime surtout écrire des histoires… »
Mais vous ne le direz pas parce que vous ne tenez pas à décevoir et que vous avez envie de passer à autre chose, à un autre interlocuteur ignorant votre casquette de littérateur, ou à déguster ce verre de pinard que vous ne connaissez pas, ce qui, entre nous, ne peut étonner, étant donné que votre Tenancier boit de moins en moins.
Mais vous ne le direz pas parce que vous ne tenez pas à décevoir et que vous avez envie de passer à autre chose, à un autre interlocuteur ignorant votre casquette de littérateur, ou à déguster ce verre de pinard que vous ne connaissez pas, ce qui, entre nous, ne peut étonner, étant donné que votre Tenancier boit de moins en moins.