lundi 3 novembre 2014

Les mains dans le cambouis (ou presque)

ArD a attiré notre attention sur cette émission animée par Charles Dantzig sur France Culture et qui donne la parole au patron de l'imprimerie Floch sur son métier et les techniques d'impression contemporaine pour les gros tirages dont sa maison est spécialiste.



Le Tenancier remercie Ard de lui avoir signalé cette émission tout en regrettant que celle-ci se fasse rare par ici...

Sable

Sable : Estomac. (Halbert.) — Vieux mot, d'où notre verbe sabler : boire.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Sable (Être sur le) : Sans travail, en chômage.

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)

(Index)

Où le Tenancier s'interroge sur Rimbaud et le psittacisme — Ce qui ressort de sa péroraison — Ses conjectures — Ses hommages et ses compliments

Il est des attitudes chez des journalistes que l’on espérait éteintes non par l’éveil soudain à une conscience éthique mais parce que la simple prudence commande désormais de faire attention à ce que l’on écrit. Cette prudence est largement motivée par le fait que les informations qui circulent ne sont généralement plus à l’usage exclusif d’une profession mais également accessibles au tout venant des curieux. On rétorquera avec raison que le traitement de l’information de ces professionnels diffère de ce qu’en fait généralement le simple quidam, à savoir l’astreinte au recoupement et à la vérification. C’est une donnée fondamentale du journalisme : si l’on doit rendre compte d’un sujet on doit savoir de quoi l’on parle. Si l’on trouve éventuellement à redire sur la pratique journalistique, il est une catégorie de cette profession qui s’assure une impunité plutôt spectaculaire. On veut parler ici du critique littéraire appointé par un journal. Passent la mauvaise foi ou le manque d’objectivité, le copinage ou l’usage immodéré du copier/coller des prières d’insérer du service de presse… Ces pratiques-là réclament de l’indulgence. Le critique a des factures à régler comme nous tous et sans doute une famille. Qui alors n’a pas eu la tentation d’aller au plus simple ? Et qui somme nous pour priver le petit Kevin de sa glace à la pistache, mmmhhh ?
Il est en revanche un pratique irritante, un sport curieux auxquels se livres d’autres personnes qui se sont insinuées dans la profession par on ne sait quelle voie mystérieuse. Faire le résumé d’un ouvrage pas encore paru nous semble non pas le symptôme d’une malhonnêteté insigne — quoique ce type d’action relève du manifeste —  mais d’une sottise sanctuarisée en posture idéologique (car nous n'osons croire à la malhonnêteté qui commettrait des sottises, ce serait trop injuste). Que l’on nous entende bien lorsque nous évoquons un livre « pas encore paru » : Il s’agit d’un ouvrage d’Eddie Breuil qui pose la question de l’attribution des Illuminations de Rimbaud qui serait en grande partie redevable à Germain Nouveau. Notre source nous a assuré que l’ouvrage n’avait pas été distribué en service de presse ni sous forme de bonne feuille (en papier ou en fichier pdf) le jour de la parution de la critique. Or ce « critique » publie un papier qui se résume à une charge malencontreuse et qui a de grandes chances d’être injustifiée — du moins est-ce l’impression de ce qui ressort des premiers témoignages de lecteurs du livre.
On passerait encore sur le doute que cette personne jette sur le travail de l’auteur, on s’irriterait alors d’autant sur l'accent employé qui clôt la notule. On vous livre ce passage sans supplément :
 «  Le ton de Breuil est dans l’air du temps : anti-élitisme, paranoïa anti-critique. Les " universitaires" – Breuil en est un, qui va soutenir une thèse sur Histoire et théories de l’édition critique des textes modernes — et les critiques sont des perroquets qui vont répétant les mêmes erreurs fondées sur les mêmes présupposés. Encore un chevalier blanc. » 
On pourrait rétorquer à peu de frais que le psittacisme de ce critique est lié à un extraordinaire don de télépathie puisqu’il se prononce sur un livre dont il n’a pas vu la couleur. Au fond, nous retrouvons la même frilosité qui s’empare d’un certain milieu, qu’on hésite à accoler à la notion de littérature et d’érudition, et qui, se délestant de tout scrupule critique, s’empresse de dénigrer ce qui pourrait éventuellement bousculer le piédestal du Grandautheur, à savoir ici Rimbaud. On sent confusément le désarroi d’un besogneux devant cette possible révision, la remise en question du dogme qui veut que tout ce qu’il a lu d’un auteur est forcément de lui et à jamais et particulièrement à propos d’écrivains ou de poètes inamovibles dans le panthéon littéraire. Pour des auteurs dits mineurs, cela passe un peu mieux, voire on s’en amuse comme de Michel Verne réécrivant nombre de livres de son père. Mais Rimbaud, songez-y… C’est que la réfutation après coup peut s’avérer difficile ; alors nous assistons à de ces pathétiques tentatives de discrédit par prétérition. Le confort plutôt que la réflexion.
Votre Tenancier n’a pas lu l’ouvrage et il se gardera donc d’en exposer la teneur en détail même si maintenant des critiques plus honnêtes sont parues. Allez les lire. Ce qu’il en a compris — et certainement pas par l’article évoqué plus haut — est suffisamment intéressant pour qu’il en envisage l’emplette un de ces jours. Il se fera une opinion mais ne la partagera pas car ce n’est ni un spécialiste de Nouveau ni de Rimbaud. Le Tenancier est un simple pékin en pantalons de nankin à prendre avec des baguettes. Il biche toutefois à la probable perspective d’un examen critique de la part de Grégory Haleux, homme perspicace dont on aimerait par ailleurs observer la rencontre avec Eddie Breuil, si elle pouvait se faire un jour. Nous réservons dès maintenant notre strapontin.

Eddie Breuil : Du nouveau sur Rimbaud — Honoré Champion

Site de l'éditeur.

  • Pour consulter l'article dont nous parlons c'est ici. (Philippe Lançon : Haro sur Rimbaud — Libération du 30 octobre 2014)
  • On vous conseillera un article plus documenté et honnête sur le site actualitté.com, cliquez .

mardi 28 octobre 2014

Quantum

Quantum : Caisse, somme d'argent. — Latinisme. — « Encore cent mille francs ! il est allé faire une saignée nouvelle à son quantum. » (Ricard.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

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lundi 27 octobre 2014

Misery : écrire pour survivre — Troisième partie & fin

Chapitres précédents :
Introduction
I. Les livres sacrés

II. « »

III.  Écrire ou mourir

     Dans son ouvrage L'écrit au cinéma, Michel Chion écrit : « les écritures dactylographiées – peu importe si l'on écrit avec dix doigts, deux pouces, ou un index – effacent les traces des gestes qui les ont créées » (p.107). La première image du roman Misery met en scène la machine à écrire de manière frontale. Toute la part d'humanité à disparu. On ne voit plus l'homme derrière la machine, seulement les lettres noires s'incruster sur le papier blanc. La saga des Misery sont des livres de commande de l'éditeur, c'est une écriture sous la contrainte. Cette retenue de la créativité est le fil directeur de toute la relation d'Annie et de Paul. Misery ne doit pas mourir, c'est une loi à ne pas transgresser sous peine de mort dans d'affreuses souffrances. L'écriture devient un chantage, une torture. Dans la maison de sa ravisseuse, le nouveau bureau de Paul est placé à côté de la fenêtre de sa chambre. Enfermé à clé toute la journée dans ce nouvel espace, la solitude, l'angoisse et l'obligation de création côtoient le sentiment de liberté, d'évasion provenant de la montagne enneigée où se situe le chalet.
      Sur l'affiche officielle du film on peut lire : « Paul Sheldon écrivait pour gagner sa vie. Maintenant, il écrit pour rester en vie ». L'épisode de Misery arrive dans la vie de Paul Sheldon au moment où il décide de plus gagner sa vie en écrivant sa fameuse saga, mais en s'orientant vers un autre type d'écrit, plus personnel. C'est donc au moment où il décide de ne plus, d'une certaine manière, gagner sa vie mais plutôt de vivre sa vie, que ses romans deviennent le début de sa fin. L'un des premiers plans met en scène ce mot « fin ». À la dernière page de son roman dactylographié, la main de l'écrivain tenant un crayon à papier entre dans le cadre, et écrit sur la feuille. On constate l'évolution du rapport à l'écriture. De notre perception d'une machine autonome, on a l'introduction d'une part humaine. Cette cohabitation sera le mot d'ordre du processus de création chez Annie. La machine à écrire du chalet n'a plus la lettre « n ». Il faudra les rajouter par la suite. À l'écriture standard s'ajoute l'écriture manuscrite, c'est à dire la variation, le hasard. Même avec des écritures personnelles, toutes nos lettres ne sont pas toujours formées de la même manière. L'écriture formatée semble désigner un destin tout tracé, une mort certaine, tandis que l'apport manuscrit est un pas, une chance de survivre. Et c'est justement sur cette oscillation entre espoir et fatalité que Rob Reiner va jouer dans sa mise en scène globale. Le spectateur est également associé au déroulement de la rédaction du roman. Sur son écran, il peut voir défiler les chapitres (« chapitre 5 », « chapitre 12 »...), et peut attraper au vol quelques mots.
      D'autres indices annoncent l'écriture comme une destruction. En revenant du magasin, Annie rapporte du papier à son écrivain. La fibre fait baver l'encre. C'est une représentation explicite de la perte de sens et d'une histoire qui sera vouée à l'échec avant même d'avoir démarré. À nouveau le doigt de l'écrivain se glisse dans le cadre. Anticipation sur le fait que l'homme sera à l'origine de l'anéantissement : Annie séquestre et torture physiquement Paul, il la tuera psychologiquement dans un premier temps en brûlant son roman sous ses yeux, puis dans un deuxième temps physiquement en utilisant sa machine à écrire pour lui fracasser le crâne à deux reprises.
     Enfin, l'image cinématographique tisse un lien avec l'adaptation de Shining de 1980 par Kubrick. Cette fois le sujet est l'écrivain qui n'écrit plus. Dans un huis clos, un univers qui en somme n'est pas humain dans le sens où il ne respecte pas les droits de l'homme, l'homme se retrouve seul face à lui-même. Paradoxalement, cette rencontre n'est pas fructueuse. L'enfermement laisse place à la folie. Dans Shining, Jack Torrance se laisse embarquer dans une folie meurtrière, tandis que dans Misery, Annie est la réincarnation d'un démon. Cette (dé)possession de l'esprit, influe sur l'acte de création et rend le langage écrit vide et répétitif.    


     Chaque histoire de Stephen King, est marquée par une présence impalpable et omniprésente. Dans Christine, elle rend un adolescent amoureux de sa voiture. Les animaux de Simetierre, reviennent à la vie. Et c'est cette présence qui conduit les gardiens de l'hôtel de Shining à commettre des meurtres. Annie Wilkes est l'incarnation de ce phénomène mystique et maléfique. Elle est d'autant plus effrayante qu'elle semble réelle. Sa relation avec le personnage de fiction Misery la rend humaine et participe à un procédé d'identification avec le spectateur. En effet on a tous été fan d'un personnage de fiction. Cependant cette relation s'évapore dès qu'Annie s'intéresse de plus près au travail de Paul. Le côté psychotique du personnage apparaît. L'écriture sera affectée par cette pathologie et la représentation sera tiraillée entre des plans sur la machine à écrire avec une police formatée, et un côté plus humain avec l'introduction dans le cadre des mains de l'auteur.
     Annie, Paul et Misery forment un trio inséparable. Si le personnage de la fiction littéraire meurt, ceux de la fiction cinématographique meurent également. Paul est brûlé et Annie est anéantie. Rob Reiner réussit à l'écran à recréer ce lien étroit que Stephen King imaginait en 1987. Une autre connexion naît trente ans plus tard et rapproche Annie de N. Tous les deux psychotiques ont des troubles obsessionnels du comportement. Cette démence semble être véhiculée par la lettre « n ». Comme un poison, une maladie héréditaire, il ne serait pas étonnant de la retrouver dans la descendance littéraire de ces deux personnages.



Fiche technique

Titre : Misery
Réalisation : Rob Reiner
Scénario : William Goldman d'adapté un roman de Stephen King
Acteurs : James Caan (Paul Sheldon, Kathy Bates (Annie Wilkes), Lauren Bacall (Marcia Sindell), Richard Farnsworth (Buster), Frances Sternhagen (Virginia)...
Pays : États-Unis
Durée : 1h47 min
Musique : Marc Shaiman
Directeur de la photographie : Barry Sonnefeld
Montage : Robert Leighton
Budget 20 millions de dollars
Genre : Thriller, Horreur, Drame



Sources

http://sitecoles.formiris.org/?WebZoneID=590&ArticleID=1807
Dictionnaire des symboles, J. Chevalier et A. Gheerbrant — Robert Laffont, coll. Bouquins, 1997
La Bible de Jérusalem — Les éditions du Cerf, 1998
L'écrit au cinéma, Michel Chion — Armand colin, 2013
DVD Shining, Stanley Kubrick, 1980
DVD Misery, Robb Reiner, 1990


dimanche 26 octobre 2014

P. (Faire le)

P. (Faire le) : Faire mauvaise mine (Grandval.) V. Pet.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

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vendredi 24 octobre 2014

Misery : écrire pour survivre — Deuxième partie

II. « »

     Face à la progression de l'écriture du nouveau roman, les réactions d'Annie Wilkes peuvent paraître des plus étranges. Il semblerait que la présence (et l'absence) de la lettre « n » soient la clef de ses troubles du comportement. La représentation de cette lettre n'est pas au centre du film de Rob Reiner, il est cependant intéressant de s'y attarder, car « n » est l'introduction de la présence de Dieu dans la narration. C'est cet aspect qui régit le comportement d'Annie, et donc son rapport à l'écriture ainsi que les choix de plans et de montage cinématographique évoqués notamment dans la première partie.
      « N » is my Name, i'm insane... En 2008, Stephen King publie un recueil de nouvelles, Juste avant le crépuscule. Contrairement aux autres, la huitième est inédite, elle est intitulée N. La nouvelle relate le traitement psychiatrique d'un comptable, photographe amateur, qui est persuadé d'être le gardien d'un portail entre deux mondes situé sur le terrain Ackerman. Après s'être rendu là-bas pour une séance photo, l'homme, par des événements inexplicables en est ressorti complètement névrosé. Durant ses séances, son médecin est de plus en plus intrigué par l'histoire de son patient. Il se rend également à l'emplacement décrit par N. Il est alors affecté des mêmes troubles obsessionnels compulsifs. Leur folie respective les mènera tous les deux au suicide. L'héritage de la folie au centre de cette histoire semble puiser son origine dans Misery. Annie Wilkes souffre de troubles affectifs et dans une certaine mesure de bipolarité. Quotidiennement, elle passe d'un état irrité, colérique, à une joie, une surexcitation exacerbée. Ces symptômes se révèlent dès le début de l'histoire, la première fois que Paul Sheldon l'autorise à lire quelques page de son écrit. L'euphorie laisse vite place à une rage incommensurable quand elle découvre la mort de Misery. Elle se sent personnellement offensée.
Misery appartient au domaine de la fiction et Annie est là pour ressentir les choses à sa place. Reiner multiplie les gros plans sur le visage de l'actrice, ce qui permet aux spectateurs de voir avec précision les variations instantané de ses expressions. La mort de l'héroïne secoue Annie dans son fort intérieur. Comme l'incarnation réelle du personnage, elle se sent étouffée, enterrée vivante, et crie de rage et de douleur pour se faire entendre par Paul.
      Elle peut également passer d'une phase suicidaire à un comportement enfantin et naïf quand elle présente à Paul son cochon nommé Misery. Annie répond à des critères de troubles de la personnalité de type schizophrénique. Elle vit seule bien loin de la ville, elle n'a pas d'amis proches et de relations avec l'extérieur. Elle préfère la compagnie de son cochon à celle des humains. À presque la cinquantaine, elle saute dans tous les sens de manière très enfantine quand elle est heureuse mais redeviens tout de suite plus adulte dès qu'il s'agit d'émotions négatives telle que la frustration. Un autre aspect très important est qu'Annie ne ressent aucune empathie et ne semble en aucun cas avoir de regrets pour son comportement destructeur. Elle pense que Paul est heureux avec elle. Sa perception de la vie et la réalité des relations humaines est en décalage, fantaisiste, certainement du à la relation qu'elle entretient avec Dieu. Elle considère sa rencontre avec Paul divine :
« J'ai demandé à Dieu et Dieu m'a dit je te l'ai amené pour que tu puisses lui montrer le chemin »
À nouveau on pourrait citer comme illustration de cette idée la mise en place de l'autel dédiée à Paul dans son salon.
     La schizophrénie et la présence de Dieu sont également introduites par la lettre « N ». La machine à écrire que Annie apporte à Paul de possède plus de « n ». Dans la mise en scène de Reiner, cet objet « amputé » nous est présenté dans un cadre très serein. Les deux acteurs jouent avec un grand sourire. Pour Annie, c'est le signe que elle et son auteur fétiche devaient se rencontrer. « n » est une réconciliation. L'infirmière parle calmement et se met au service de l'écrivain pour collaborer à l'écriture du roman : elle voudrait rajouter la lettre manquante manuellement. Mais peu importe à qui appartiendrait la main intervenant sur le manuscrit. Cette main ici renverrait à trois personnalité, trois esprits, et ce serait ce « n » qui définirait qui pourrait intervenir sur le manuscrit ou non. On retrouve la lettre dans Paul SheldoN et ANNie. Pourquoi deux « n » dans Annie ? Car elle est possédée. Dieu l'habite. Les gros plans sur son visage illuminé peuvent nous faire penser aux icônes religieuses. Le duo du huis clos évolue alors en un trio humain et divin, comme un manque à combler.
     « N » comme négation... Dans une réflexion plus large, on peut constater que le livre en lui même ne se suffit plus: les romans sont adaptés à l'écran. La nouvelle N. est transposée en bande dessinée. Dans notre société iconophage, où nous avons constamment le besoin de voir les choses, l'apport visuel donne à l’œuvre une crédibilité.
Dans Misery, le « n » est présent pour nous rappeler que toute œuvre n'existerait pas sans l'être créateur. Le « n » manquant de la machine à écrire renvoie à la nécessité de l'acte d'écrire pour l'être humain, et l'invention de toute fiction. Toutes les histoires que nous lisons proviennent de l'imaginaire de quelqu'un. Le « n » des noms des personnages seraient alors la marque que l'homme est la créature de Dieu. Or il faut noter que l'ordre du monde est bouleversé par cette créature qu'est l'être humain. Les paroles saintes sont ou mal interprétées ou transgressées. Dans la Bible, Adam et Ève goûtent au fruit interdit. Dieu les punit :
« Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d’Éden pour cultiver le sol d'où il avait été tiré. Il bannit l'homme et il posta devant le jardin d’Éden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie. » (Genèse 3, 23-24)
     Dans Misery, Annie pense devoir guider Paul. Il s'agirait de faire renaître par le feu donc, son personnage fétiche, puis se suicider après avoir tiré sur l'écrivain. Il est difficile de trouver une réponse au suicide dans la Bible aux vues de des morts héroïques et autres martyrs. Le terme en lui-même n'existe pas. Cependant dans la première épître aux Corinthiens, il est dit que la vie d'un chrétien ne lui appartient pas, elle appartient à Dieu :
« Si son œuvre est consumée, il en subira la perte ; quand a lui il sera sauvé, mais comme à travers le feu. Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu'un détruit de temple de Dieu, celui-là Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c'est vous » (Corinthiens 3, 15-17)
« Ainsi donc, que nul ne se glorifie dans les hommes ; car vous êtes à vous, Soit Paul, soit Apollos, soit Céphas, soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit le présent soit l'avenir. Tout est à vous ; mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (Corinthiens 3, 21-22)
     À l'échelle de la fiction, Annie envisagerait sa mort et celle de Paul comme une révérence. D'un point de vu extérieur, elle est donc dans un acte totalement à l'encontre des pratiques d'un bon chrétien. Mais elle qui est « n », créée par Dieu, devient alors son propre ennemi et celui de son entourage. « N » is your enemy...

lundi 20 octobre 2014

Objectif

Objectif : But. — On a fait un abus incroyable de ce mot depuis 1870, époque où le général Trochu s'en servit fréquemment dans ses rapports militaires. « Napoléon III protesta que son objectif était l'alliance avec l'Angleterre. » (Figaro.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

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samedi 18 octobre 2014

Misery : écrire pour survivre — Première partie

(Une nouvelle venue sur le blogue, pour le plus grand plaisir des amateurs de cinoche...)
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« L'acte d'écrire peut ouvrir tant de portes, comme si un stylo n'était pas vraiment une plume mais une étrange variété de passe-partout »
 Stephen King, La Ligne Verte
   
     Paul Sheldon est l'auteur de la saga Misery. Après un accident de voiture, il est recueilli par sa plus grande fan, Annie Wilkes, ancienne infirmière. En possession des dernières aventures de son héroïne, il accepte de laisser cette femme lire cet opus. En découvrant la mort de son personnage fétiche, Annie séquestre, torture et oblige Paul à réécrire son livre et à ressusciter le personnage de Misery. Dans ce huis clos infernal, les mois passent. Paul travaille complètement isolé à son nouveau bureau sur une machine sans lettre « n ». Pour éviter toute fuite, Annie brise les jambes de Paul, l'attache à son lit et l'enferme à double tour. La seule issue est d'écrire pour survivre. Entre temps, le shérif de la ville, Buster, apprend la disparition de l'écrivain. Il va enquêter en commençant par se renseigner sur ces romans à succès.
     Quatre ans après l'adaptation de la nouvelle Le corps (The Body) de Stephen King, donnant naissance au film Stand By Me, Rob Reiner s'intéresse à Misery. À l'inverse d'écrivain qui n'écrivent pas comme Barton Fink (Joel et Ethan Coen (1991), Gil Pender dans Minuit à Paris (Woody Allen, 2011), ou bien Hall Baltimore dans Twixt (Francis Ford Coppola, 2011), Paul est un auteur prolifique. Il l'est avant sa rencontre avec Annie, il le reste durant son kidnapping et, à la fin, on devine le succès de son roman relatant son cauchemar. Cependant cette écriture chez sa fan ne se fait pas sans peine. Une atmosphère mystique et divine pèse sur la maison. Elle affectera la relation entre Annie, Paul et leur travail sur l'écriture du nouveau roman. Comment cette ambiance mystique et malsaine va-t-elle s'immiscer dans la représentation de l'écriture à l'écran ? En quoi la relation que les personnages entretiennent avec les romans de Misery va-t-elle les mener à leur propre fin ? Tout d'abord la mise en scène sacralise les objets ayant un rapport avec le thème de l'écriture, puis l'absence de lettre « n » sur la machine nous emmène vers un univers psychotique, enfin le chantage d'Annie impose à Paul un nouvel impératif : écrire ou mourir.

I. Les livres sacrés

     La sacralisation de l'écriture dans le film s'établit à travers trois types d'objet : la photo dédicacée de Paul Sheldon qu'Annie arbore fièrement dans son salon, les livres de la saga Misery, l'album souvenir.



     Les premières fois que le manuscrit du nouveau livre apparaît à l'écran, il est encore dans la sacoche de Paul. Robb Reiner insiste sur cet objet. Durant les sept premières minutes du film, la sacoche est mise en scène quatre fois. Les photogrammes 1 et 2 montrent sont utilisation comme simple moyen de transport, tandis que la représentation 3 nous indique une valeur sentimentale, elle est « une vieille amie », et peut être une confidente à qui il confierait des secrets. La scène se déroule dans le bureau de son éditrice. Une affiche de Misery est placardée en arrière-plan de l'image. La pièce est imprégnée de ce personnage de fiction. Paul dit avoir transporté son premier ouvrage dans cette sacoche. Elle renvoie donc à un avant Misery, ce qui lui permet de l'associer à son métier d'écrivain, à ce qu'il est. Elle devient une extension de Paul lui-même. Enfin, dans la mise en scène 4 se situe juste après le dérapage de la voiture de Paul. On voit Annie le sortir du véhicule, le réanimer, puis la caméra suit son déplacement et le spectateur la voit attraper la sacoche et la ranger à toute vitesse dans son manteau, comme si elle savait déjà ce qu'elle contenait. La sacoche protège son contenu mais également d'une certaine manière son créateur : le livre survit miraculeusement à l'accident et Paul est également vivant. Mais à peine ouverte par Annie, l'auteur est mis à nu, sans défense, il est dépossédé de sa création, et elle peut le manipuler à sa guise.
   
     Le livre devient l'objet de toute convoitise à partir du moment où Annie rencontre Paul. La femme est obsédée par le roman. Pour elle, l'héroïne Misery Chastain est un guide, une complice, une vraie amie. Au retour de sa première excursion en centre ville, elle revient avec un exemplaire de la saga : Misery's Child (l'enfant de Misery). On la voit le brandir fièrement comme un trophée, comme une révélation. Misery est son Messie. La caméra suit la femme avec le livre à la main. Le plan n'est jamais coupé car elle ne peut pas être dissociée de ces romans, il font partie d'elle comme la sacoche de Paul faisait partie de lui.
      Après un début de lecture du nouvel essai de son écrivain préféré, Annie est dévastée par la découverte de la mort de SON personnage. À partir de ce moment, le film sombre dans un thriller psychologique, une folie dévastatrice qui n'aurait pour finalité que la purification par le feu. Ces flammes ont un rôle central dans la représentation de l'écriture dans Misery. Annie est une femme très pieuse. On remarque dans sa maison un autel dédié à Paul Sheldon et à sa saga romanesque. Au centre, un portrait dédicacé. On ne peut que penser à un lieu de recueillement, de confession. Dans la Bible, les flammes sont sources de lumière, de destruction mais également de délivrance, de purification ou de châtiment pour les infidèles. Dans l'Espagne du XVe siècle, à la fin de la Reconquista chrétienne, les tribunaux de l’Inquisition instaurent des exécutions par le feu des hérétiques du pays. Ce feu de colère détruit tout ce qui va à l'encontre de la volonté de Dieu. Ainsi les villes de Sodome et Gomorrhe, où règnent vice et corruption, sont ravagées par les flammes :
    « Au moment où le soleil se levait sur la terre et que Lot entrait à Coar, Yahvé fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du souffre et du feu venant de Yahvé, depuis le ciel, et il renversa ces villes et toute la Plaine, tous ses habitants et la végétation du sol » (Genèse 19, 23-25)
      Ici le péché est le meurtre du personnage de Misery. Annie refuse qu'un meurtre se déroule sous son toit. Soit Paul accepte de brûler son livre, impie, emprunt de péché et de haine, soit elle carbonise l'homme dans son lit, elle se débarrasse de l'assassin. Le livre sera sacrifié. Cependant, on ne le voit pas totalement se réduire en cendre. La purification n'a pas atteint sa fin, il reste quelque chose de pourri dans cette relation à l'écriture. L'écrivain le démontre à la fin du film, juste avant de dévoiler le grand final du nouvel ouvrage co-écrit avec Annie. Il y met le feu, devant son visage paniquée. La scène se termine dans un excès de violence où il lui fera manger les cendres de l'objet consumé avant de la tuer à coups de machine à écrire. Tous les éléments qui ont servis à ressusciter Misery se retourne contre Annie. Sa prière, son désir de revoir un jour son personnage n'a pas été exécuté dans une logique saine et pieuse, mais plutôt satanique. Elle réanime l'héroïne romanesque après un acte de destruction par les flammes de l'ancien roman. Ce procédé n'est purificateur qu'à la fin, lorsque le nouveau roman et la femme démoniaque qui en est à l'origine, sont tous les deux de retour à l'état de poussière. Le livre se consume et la femme en avale les cendres étendue au sol. Les allumettes et le petit bidon aux inscriptions « allume feu » sont deux objets récurrents dans le film. Dans la scène d'ouverture, juste après avoir rangé son nouvel essai dans sa sacoche, on voit Paul allumer une cigarette. Suite à ces heures et des heures de travail devant sa machine, la cigarette permet une relaxation, une purification en somme. Quant à Annie, elle s'en sert une première fois en menaçant Paul de le brûler si il ne sacrifie pas son livre, et un renversement de situation finale donne à Paul l'opportunité de les utiliser pour mettre fin à son calvaire.
     L'écriture s'inscrit dans une relation de manipulation et d'interdépendance. Celui qui détient le livre a le pouvoir, est possédé. En arrivant chez sa fan, Paul se voit justement dépossédé de son écrit et de sa créativité, d'une part car l'objet écrit est emmené hors de la pièce (on voit dans un plan fixe Annie sortir de la chambre avec la sacoche sous le bras), d'autre part car la nouvelle histoire lui sera imposée. Ce jeu de domination apparaît à plusieurs reprises.
     Annie est le personnage le plus mystique habitée par la fiction. L'écriture progressive la rend tantôt surexcitée comme une enfant attendant ses cadeaux de Noël au pied du sapin, tantôt hors d'elle, violente, telle une rage animée par un démon.
     Un deuxième exemple de cette possession mystique se retrouve vers la fin du film. La scène se concentre sur le travail de Paul face à sa nouvelle obligation. On le voit dans une frénésie, une dynamique créative et physique. Jambes immobilisées dans le plâtre, ses doigts tapent à une vitesse vertigineuse. Il reprend le contrôle de son écrit. La fin du livre signifie le retour à la liberté. Rob Reiner utilise le procédé de l'ellipse pour nous signifier une longue période de travail, seul les temps forts sont présentés à l'écran, menés par un concerto de piano de Tchaïkovski. Le morceau composé en majeur et le tempo allegro ajoutent à la scène une dynamique créatrice et positive. Les lettres tapées défilent à l'écran. Le spectateur est associé à l'écriture, et comme le personnage de Paul, il voit enfin un échappatoire à ce huis clos qui pour le moment n'était source que de destruction. Pour en revenir à la notion d'interdépendance, une phrase permet de tisser un lien entre ce que l'on pourrait nommer une « Trinité Littéraire ».
« Il y a une justice supérieure à celle des hommes, c'est LUI qui me jugera »
     Cette phrase, extraite d'un roman de Misery, apparaît une première fois dans la bouche du Shérif Buster. Le titre exact du roman qu'il est en train de lire est Misery's Trial (Le procès de Misery). Au fil de ses recherches sur la disparition de Paul Sheldon, le shérif redécouvrira dans un article à la bibliothèque, cette phrase, juste en dessous d'un article concernant l'inculpation d'infanticide d'Annie, à l'hôpital où elle travaillait. Elle l'aurait proclamée à la sortie de son procès. Mais à l'origine écrits par Paul Sheldon, ces mots ne devraient appartenir qu'au domaine de la fiction, et pourtant ils ont pour la femme une importance cruciale : la justice « terrestre » l'indiffère, elle ne s'en remet qu'à celle de Dieu. L'album souvenir que Paul feuillette un peu plus tard dans le film, retrace l'ensemble des accusations dont Annie a fait l'objet au cours de sa vie. Elle préserve avec soin le moindre article la concernant. Paul y découvre à la suite, la conservation de tous les reportages en lien avec sa disparition dans la région. Tout cela apparaît comme une trace, un rapport de ses actions, de ses « missions » sur Terre, au vu du Jugement Dernier. Chaque page de son album représente une étape dans son parcours professionnel et personnel. Les articles sont systématiquement associés à des dessins, parfois enfantins, qui refont surgir la dimension religieuse.


     Annie dit que Dieu lui parle, que Dieu lui a envoyé son écrivain fétiche, qu'il les a réunis pour écrire cette nouvelle aventure du personnage de Misery. Dans ce huis clos on en a alors la certitude, la tension ne réside plus entre deux personnages mais bien trois : l'écrivain, Annie et Dieu.

(A suivre)

Nageoir

Nageoir : Poisson. (Vidocq.) — Il nage.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

(Index)

vendredi 17 octobre 2014

Une contrepèterie de George

Proust ne mangeait pas casher (ni hallal, évidemment). À preuve, voici comment il demandait à Céleste de lui mitonner un bon sauté de porc :

« Du sauté de "chez couenne" »