Il m’a été donné de montrer mon exaspération à plusieurs
reprises dans le présent blogue et celui qui le précédait au sujet du commerce
du livre et de la librairie, position que l’on jugera légitime si l’on se
souvient que je suis dans ce métier depuis 1979, ou bien anormale si l’on
considère mon éloignement des pratiques de la librairie de neuf ou toute autre
métier s’y rapportant depuis quelques années. Je m’aperçois avec la distance
que l’énervement ou l’inquiétude que je manifestais ne se rapportait pas tant
aux pratiques qu’aux mentalités qui prévalent toujours dans ce milieu et qu’il
m’arrive de constater souvent lorsque je rentre dans certaines librairies, ou
bien lorsque j’ai affaire professionnellement à elles — pas trop souvent, fort
heureusement. Que l’on ne se méprenne pas sur ces précautions oratoires ;
par ce préambule j’énonce simplement l’endroit « d’où je parle » et
je ne cherche pas un instant à me conférer une quelconque légitimité en matière
de commerce de livre. A la vérité, cette distance a été entérinée il y a des
années, lorsque j’ai déclaré que jamais je ne retournerai en librairie de neuf.
Partant de cela, je ne vais pas non plus me réfugier dans une sorte de fausse
modestie. J’ai bouffé du livre à toutes les sauces depuis à peu près trente-cinq
ans, vendu des merdes immondes ou des livres sublimes, des populaires ou des
tirages de tête, tenu des stands de BD (Les Humanoïdes, s’il vous plaît !)
et me suis un peu torché lors d’une convention de SF (et n’en suis pas fier),
édité des livres fabriqués par un grand artisan du livre, critiqué, fabriqué
très modestement des bouquins fautifs avec des coquilles dans le coin de mon
burlingue, et j’en ai lus aussi. J’ai appris finalement que le déluge pouvait
tomber après moi parce que j’aurai mon comptant de livres jusqu’à ce que on me
balance dans le trou et que je vais finir avec un retard de lecture abyssal,
jouissance de la plénitude jamais assouvie, assez masochiste, en somme. Tout cela m’appartient, y compris
le fait que j’ai fini par savoir ce qu’est un livre correct. Non, je ne sais
pas ce qu’est un livre. Je ne suis
pas cuistre à ce point. Ce savoir là est détenu par l’artisan que je cite plus
haut ou bien par des personnes qui portent l’amour du livre jusqu’à en avoir
des exigences d’amant. Moi, je me contenterai du livre correct, celui qui ne se
fout pas de la gueule du monde, qui respecte le lecteur et son auteur, dont la
mise en page observe quelques règles, dont le brochage ne sort pas de chez
Barnum, dont la maquette et l’allure générale ne fait pas dans cette fausse
frugalité qui recouvre l’impéritie. Voici ce que j’écrivais en commentaire d’un de mes
billets il y a cinq ans :
Ce billet constitue une réponse au billet d’un blog d’éditeur ; je ne le citerai pas et ne mettrai pas de lien. Il m’est arrivé d’avoir de ses productions entre les mains. Il m’est arrivé d’en avoir vendu (à la Librairie Delatte, déjà citée dans ce blogue). Il m’est même arrivé d’en critiquer l’aspect publiquement et de m’être attiré le courroux d’un auteur ami et publié par celui-ci. Le conflit pour le conflit ne m’intéresse pas. Une chose est sûre, j’ai acheté un livre par amitié et un autre il y a longtemps pour compléter une connaissance. A mon avis, on ne m’y reprendra pas parce que ce sont des livres qui ne me respectent pas.
« Allons au bout de notre pensée, pour ne point trop être sibyllin : se moquer de la fabrication d'un livre c'est accepter qu'il soit fabriqué n'importe comment, c'est donc abaisser son critère d'exigence au plus petit dénominateur commun avec le papier hygiénique. Mépriser la fabrication du livre, sa mise en page, ses formats, sa composition, sa typo, s'est se disqualifier définitivement lorsque l'on vient me vanter du livre en tant que matériaux irremplaçable de la lecture. Certes, cela n'empêchera personne de lire que de le faire sur du papier dégueulasse, une mise en page déséquilibrée, etc. Mais l'enjeu de sa pérennité est là. En ne vivant que dans la précarité du présent, la plupart des libraires de neuf que je croise encore n’ont aucune idée de la tradition du livre, de son passé et de ses créateurs. Et ces libraires mêmes condamnent leur outil de travail par indifférence affichée.Il s’avère que cette appréciation agacée que je livrais à l’encontre des libraires peut fort bien se reporter à certains éditeurs qui, croyant pourfendre les libraires refusant de prendre leurs ouvrages semblent ne pas vouloir s’apercevoir de la médiocrité de ce qu’ils fabriquent. Ces mêmes éditeurs ont beau traiter les libraires de boutiquiers, il n’en demeure pas moins qu’ils ne valent pas mieux lorsque l’on contemple ce qu’ils osent appeler des « livres ».
Alors, oui, on peut ne pas savoir faire une différence entre un in-8° et in-4°, entre une reliure et un cartonnage, entre un livre de la Pléiade et un beau livre... Mais ne venez pas vous plaindre que, vendant des livres de merde, ils le soient sur des supports aussi indigents. Et demandez-vous pourquoi les éditeurs de bibliophilie contemporaine, les créateurs qui travaillent main dans la main : typographes, graveurs, poètes ou écrivains, lithographes, etc., ne se reconnaissent qu'à peine dans vos activités de libraires... et pourquoi ces livres se retrouvent hors de vos rayons. »
Ce billet constitue une réponse au billet d’un blog d’éditeur ; je ne le citerai pas et ne mettrai pas de lien. Il m’est arrivé d’avoir de ses productions entre les mains. Il m’est arrivé d’en avoir vendu (à la Librairie Delatte, déjà citée dans ce blogue). Il m’est même arrivé d’en critiquer l’aspect publiquement et de m’être attiré le courroux d’un auteur ami et publié par celui-ci. Le conflit pour le conflit ne m’intéresse pas. Une chose est sûre, j’ai acheté un livre par amitié et un autre il y a longtemps pour compléter une connaissance. A mon avis, on ne m’y reprendra pas parce que ce sont des livres qui ne me respectent pas.