Bien que votre
Tenancier se soit beaucoup intéressé à la science-fiction (il a tenu
une émission sur le sujet sur près d’une vingtaine d’années), il s’est
peu à peu éloigné du genre. Certes, de temps à autres, il lui arrive de
rédiger une histoire qui pourrait s’apparenter à cette littérature,
sachant par ailleurs qu’il ne la considère pas comme un genre, mais
plutôt un mode de narration. D’ailleurs, qui se préoccupe de connaître
la nature de ce qu’on lit, pourvu que cela remplisse sa mission (et
vous pouvez investir ce que vous voulez dans cette notion de « mission
») ? Je suis toutefois intrigué par l’usage que l’on assigne désormais
à la SF et le fait que certains de ses acteurs obéissent à l’injonction
de conforter la réalité, comme si, tout à coup la SF devenait un
laboratoire conjectural pour un secteur de Recherche &
Développement (mais après tout, la SF reprend certains archétypes de la
classe moyenne, y compris parfois la béatitude entrepreneuriale) et non
une littérature qui navigue surtout au large de notre contemporanéité,
possédant plus une valeur testimoniale que d’injonction « sociétale »
ou technologique. Il semble que votre Tenancier se goure. Ainsi,
n’est-il plus rare de voir fleurir des tables rondes dans les festivals
qui confrontent les thèmes plus ou moins classique de la SF au fait
social. Il devient intrigant de songer que l’on demande à cette
littérature une compétence et un point de vue là où d’autres champs
littéraires sont priés de ne pas fourrer leur nez, sans doute par
incompétences, alors que les auteurs en question possèdent sans nul
doute autant de conscience sociale et politique qu’un écrivain de SF
moyen. Le phénomène conserve toutefois un aspect anodin et même
sympathique, à rechercher perpétuellement une respectabilité ailleurs
que dans le monde des lettres, où son image s’est démonétisée (en
partie par sa faute, mais ceci est une autre histoire).
mardi 29 novembre 2022
lundi 7 novembre 2022
V.
Votre Tenancier, certes, accorde peu
de soins à ce blog. Il faut
en trouver la raison à quelques occupations annexes qui le retiennent ailleurs
comme, par exemple, la confection d’une anthologie vampirique. On
espère
revenir à un peu plus de constance dans les temps à venir…
V.
Une anthologie vampirique préparée et présentée par Yves Letort
Une anthologie vampirique préparée et présentée par Yves Letort
Yves Letort Avant-propos
Benjamin Desmares Bloodkovski
Florent Liau
Heureux
les
affamés de justice
Jean-Hughes Oppel Aux
vampires anonymes
Céline
Maltère
Atalef
Patrick
Denieul
Au Club des
Chirurgiens
Sandrine
Scardigli La Marche
vers la longue nuit : une demi-étoile
Didier
Pemerle
Anesthésie,
ou Boire à la source
Taddeusz
Hiddinko
Considérations sur l'épieu
Chantal
Rabutin
Une
correspondance ferroviaire
Sylvain-René
de La Verdière Casus Belli
Dolmancé Gode
Dracula !
Léo Kennel VampireS de
craie
Pierre Laurendeau Végan, le
vampire qui n'aimait pas le sang
Nicolas Liau
Gris
des
épines
Fabienne Leloup Hologramme
Patrick Boman
L'innommable
vendredi 21 octobre 2022
Métaphysique du pilchard
Le plaisir de figurer dans certaine
publications réside
également dans le voisinage. Ainsi, votre Tenancier figure au sommaire
du
numéro 3 de la revue Lard-Frit (nouvelle formule bi-fluorée) pas très
loin d’un
article que Jean-Pierre Bouyxou consacre à la revue Fascination dont on
aurait
tant aimé posséder la collection complète. Certes, d’autres
contributeurs ne
déméritent pas dans le cahier érotique, comme l’évocation de la
collection La
Brigandine, par Vincent Roussel... Bref, avec l’âge, le Tenancier se
sent
polisson. Mais voilà, on peut vouloir, mais il faut pouvoir, on s’est
contenté
d’une modeste nouvelle : Métaphysique
du pilchard, exclue à juste titre du dossier érotique, car,
n’est-ce pas,
il en faut pour tous les goûts…
Lard-Frit n°3, à commander ici.
… et à ceux pour lesquels ce titre rappellerait de bons souvenirs, on peut se rafraîchir la mémoire là.
Lard-Frit n°3, à commander ici.
… et à ceux pour lesquels ce titre rappellerait de bons souvenirs, on peut se rafraîchir la mémoire là.
mercredi 12 octobre 2022
Une historiette de Béatrice
La mère et sa toute jeune fille dans
la boutique, déambulant et consultant avec délicatesse. L'une au rayon
sciences
humaines, l'autre devant la poésie. Puis le coin histoire de France,
longuement, et la littérature. Les beaux-arts, puis l'antiquité. Calme, silence, lecture. Et là, le relou qui entre en trombe avec son agitation et ses réflexions sur le « foutoir dans ces bouquineries ». |
vendredi 7 octobre 2022
samedi 1 octobre 2022
La nécrogène et autres miniatures
Votre Tenancier a vite adopté un mode
de publication désuet pour
ses nouvelles. En effet, il se soumet très souvent à la « prépublication »,
c’est-à-dire par les
périodiques, magazine ou revues, qui forment une sorte de banc d’essai
et une
possibilité de repentir pour une éventuelle et future édition en
volume. La
pratique se révélait courante par le passé, mais présente une tendance
à se
raréfier de par le fait que la presse n’héberge plus de fiction, ou
dans les
marges, locales ou très spécialisées. Ajoutons à cela que le soussigné
à de la
chance, celle de plaire à ses rédac’ chefs, au point que sa bibliographie se
trouve presque entièrement constituée de parutions en périodiques. Fort
heureusement, quelques volumes rassemblent ces textes, ce qui évite aux
amateurs
des récits du Fleuve,
par exemple, un infini travail de collationnement. L’ouvrage
ci-dessous compile des histoires de divers écrivains, publiées sur le
site
Les deux Zeppelins entre 2017 et 2018 et quelques une plus récentes. La
répugnance habituelle de votre Tenancier à confier ses fictions en
ligne fut
surmontée par la présence de quelques auteurs, au sommaire, qu’il
appréciait. Par
ailleurs, la règle selon laquelle on ne devait pas franchir une
certaine limite
de signes (pas plus de 2000) devenait une formidable stimulation au
terme de
laquelle il fournit dans cette période 59 récits, dont une trentaine
s’enchaînait
en feuilleton (non repris dans ce livre), 10 chroniques du Fleuve, etc.
Quelques textes ont été réédités depuis, révisés et développés de façon
plus
ample dans d’autres revues, voire dans un futur recueil. Toujours
est-il que le
site hébergeur, Les deux Zeppelins, était
devenu une formidable aubaine pour laisser courir le clavier sur courte
distance, un peu comme un test d’effort. On ne recommandera jamais
assez ce
type d’exercice qui mène à la concision, à l’économie de mots, au sein
d’une
tendance au délayage que procurent les facilités du traitement de
texte. Hélas,
il semble que le site ne publie plus que de façon sporadique, son
maître d’œuvre étant
accaparé par sa profession et une vie de famille (quelle idée !). Ainsi,
tout de même,
un court récit de votre serviteur parut en ligne en 2022, que l’on
retrouvera d’ailleurs
dans ce volume, également. L’exercice, profitable, confortait le goût
de votre
Tenancier pour la concision et qu’il emmagasinait par la même occasion
un
certain nombre de nouvelles à développer. Certaines n’ont toujours pas
été
revues.
Voici la liste des histoires de votre serviteur qui y figurent :
— Les tourbières, repris et augmenté in revue L’Ampoule n° 6, Ambarès-et-Lagrave, 2019 — Récit du Fleuve
— La
créature, repris,
augmenté et illustré par Céline Brun-Picard in revue
L’Ampoule n° 5,
Ambarès-et-Lagrave, 2019 — Récit du
Fleuve
— Les
artefacts — Récit du Fleuve
— Le
pyroscaphe — Récit du Fleuve
— Les
enfants morts — Récit du
Fleuve
— La
fièvre, repris et augmenté in
Le Novelliste n° 5, Tourcoing,
2021 — Récit du Fleuve
— L’îlot — Récit
du
Fleuve
— La
pluie — Récit du Fleuve
— Le
pont — Récit du Fleuve
— Les
bocaux, repris in revue Amer n° 9,
2021 — Récit du Fleuve
— Du
dressage des enfants
— Introduction
— Du refus
— Des maladies
— De la sélection
— De l'ennui
— De la contrainte
— De la terreur
— Du conditionnement
— De la punition
— De l'hyperactivité
repris et augmenté sous le titre « Diverses
propositions afin de parer au fléau infantile, par
un citoyen inquiet »
in revue L’Ampoule n° 9, Ambarès-et-Lagrave, 2021
—
Rapport remis à M. Edward Heath sur les événements de Wallington
le 23
février 1972,
— L’effet
Kowalski
— Les
gens
— Apparition
de brune matinale
— Mais
ils sont tout petits !
— Manifeste
pour un cinéma d’horreur écologique,
— Mémoire
sur la migration des parapluies en zone boréale,
hommage à John T. Sladek
— Robert
— Un crachat — Récit du Fleuve
(paru en 2022)
Voici la liste des histoires de votre serviteur qui y figurent :
— Les tourbières, repris et augmenté in revue L’Ampoule n° 6, Ambarès-et-Lagrave, 2019 — Récit du Fleuve
in revue L’Ampoule n° 9, Ambarès-et-Lagrave, 2021
vendredi 30 septembre 2022
48 dédicaces modèles pour tous les usages
Renouons avec nos annonces, négligées
depuis bien longtemps, en vous signalant les contributions (à six
reprises) de votre cher Tenancier à l'ouvrage suivant :
Ajoutons que cette collection est une
émanation des éditions Deleatur. En conséquence, votre Tenancier se
rengorge, pavane et a des chances de devenir insupportable.
Espérons que cet opuscule sera secourable à l'écrivain en panne sèche...
Espérons que cet opuscule sera secourable à l'écrivain en panne sèche...
mardi 20 septembre 2022
Ah, c'est vous, l'écrivain ?
Heureux possesseurs de téloche qui ne manquent jamais les reportages
sur les autheurs… Le Tenancier qui ne se sert de ce fenestron que pour réviser
ses classiques cinématographiques tombe parfois d’un coup de zapette fortuit sur
ce type d’intermède où l’on découvre l’écrivain, l’essayiste ou tout autre
clampin le nez dans son bouquin, ce qui le fait doucement rigoler. Pourquoi pas
avec une plume dans le postère ou changé en fildefériste ? Eh bien non, le
journaliste se croyant inspiré, soulignera par l’image que le type, là, a
bien rédigé le bouquin puisqu’il est en
train de le lire sous vos yeux, tant il s’avère que tout auteur passe son
temps à retourner vers des textes déposés chez l’éditeur un ou deux ans
auparavant après en avoir eu ras-le-bol en écrivant le mot fin et après une longue
période d’écriture et de révisions. On sait que ce genre d’image correspond au
vocabulaire d’un certain journalisme paresseux, au même titre que les
micros-trottoirs ou l’interview d’un syndicaliste policier fasciste (je m'essaye au pléonasme) après un fait divers
plutôt qu’une investigation sérieuse.
Nous resterons tout de même surpris le jour où l’on abordera ce genre de chose d’une manière différente.
Nous resterons tout de même surpris le jour où l’on abordera ce genre de chose d’une manière différente.
dimanche 18 septembre 2022
Scoumoune
« Tu vois ce gars-là ?
— Ouais, eh bien ?
— Tu me crois si je t’affirme qu’il fait partie des meilleurs romanciers contemporains ?
— Qu’est-ce qu’il a publié ?
— Trois romans, à ce que je sais.
— Ah, mais parce que tu ne les as pas lus ? Alors comment peux-tu prétendre qu’il est bon ?
— Tout de même si, je peux. J’en ai parcouru des bouts, quoi ! Il vérifie l’adage selon lequel il ne suffit pas d’avoir du talent. Avoir du bol aide aussi. Son premier bouquin, comme attendu, ne rencontre pas son public, comme on le glisse de façon pudique, pour consoler. Il faut avouer que le jour du lancement correspond au début d’une série d’attentats dans la ville…
— En effet, ça ne favorise pas.
— Il oublie son deuxième opus dans un taxi, une photocopie. Je te rappelle que tout cela se passe avant l’informatique…
—… et le plantage des disques durs.
— Ouais. Il traîne avant de reproduire son original, parce que ce genre de facétie coûte un peu et qu’il ne roule pas sur l’or. Le temps que le manuscrit parvienne au comité de lecture, un bouquin paraît avec de curieuses similitudes. Impossible de prouver l’antériorité. Il se retrouve marron, avec un éditeur qui le soupçonne de magouiller.
— Je sens la suite : il abandonne et se remet à un autre roman, juste ?
— C’est ça. Tout se déroule selon ses vœux. Le comité de lecture se montre élogieux, il rencontre l’attaché de presse qui lui promet des articles ici et là.
— Et alors ?
— Alors : liquidation judiciaire pour la maison d’édition. Le boss est parti avec la caisse. Le bouquin, déjà imprimé, ne sort pas de l’entrepôt, sauf une palette qu’il a achetée en empruntant. Il envoie des exemplaires à des journalistes et rien en retour, ou alors un entrefilet du genre : “livres reçus par notre rédaction”.
— Le prochain, je devine une invasion extraterrestre ou une guerre atomique.
— N’exagérons pas. Il tombe amoureux et perd son style en même temps, semble-t-il, que son pucelage. Le roman, retoqué partout, finit en autoédition. Il renonce à racheter des exemplaires. Heureusement, il se lasse de l’objet de son émoi et retrouve son écriture. Je te passe les Bérézinas successives, ça nous attristerait. Pour une discussion d’apéro, cela ne sied pas. Enfin, à force de patience, il parvient à entrevoir un moyen de vivre de sa plume, en la mettant à louer.
— Adieu la création…
— Oh, ça limite, mais n’empêche en rien le travail pour soi. Bref, on lui confie la réécriture du bouquin d’un boss de labo pharmaceutique, du gré à gré, sans passer par un éditeur puisque publié par les potards eux-mêmes.
— Bien.
— Ouais. Le livre rencontre un certain succès. Il faut dire que le contenu de départ ne se révèle pas trop honteux par rapport à la norme. Il est convoqué au bureau directorial afin de recevoir un petit tas de talbins qui va lui permettre de travailler pour lui pendant quelques semaines. Le boss est au téléphone et il invite notre gars à s’asseoir pendant que l’engueulade continue dans le combiné. Passe-moi l’expression, mais ça chie dans le ventilo. Le labo a produit un excédent de gélules anti diarrhéiques à ne plus savoir qu’en faire. De plus la péremption arrive dans six mois. C’est là que la grande idée lui apparaît.
— À qui ?
— Eh bien, à notre auteur ! Suis un peu ! Bref, il propose au boss de le rémunérer avec ce stock en excédent : 10 000 gélules ! Tu parles, que celui-ci saute sur l’occasion ! Il lui cède même un bout d’entrepôt, du moment que ça n’apparaît plus sur son bilan.
— Qu’est-ce qu’il compte en faire ?
— Pour lui, c’est l’idée du siècle : il va refourguer ça comme des aphrodisiaques. Ne me questionne pas sur son cheminement de pensée et comment il se retrouve devant un trafiquant de médicaments deux semaines plus tard. L’affaire foire.
— Comment ça ?
— Ce n’est pas parce que tu fais dans la contrebande pharmacologique en Afrique que tu deviens obligatoirement con. Le type connaît très bien la marchandise. Il flaire l’arnaque. Lui, sa spécialité, c’est de vendre du générique au prix du haut de gamme. Les marges restent serrées, mais régulières. Il refuse tout net. L’autre, qui pensait aller sur du velours manque se retrouver le bec dans l’eau, étant donné que sa fréquentation des trafiquants de médocs ne se révèle pas étendue, loin de là. Comme par charité, on lui propose de prendre la camelote au prix du transport pour l’amener au port.
— Il accepte, bien sûr.
— Le moyen de passer outre ? Il perd tout en une seule mise. Mais ce n’est pas tout.
— Il se fait serrer par les douanes ?
— Pas du tout. L’auteur rentre chez lui, catastrophé, après avoir paumé son fric, très potentiel, bien entendu. Je te passe ses affres. Pendant ce temps là, dans le pays natal du trafiquant, se déclenche une épidémie de dysenterie mahousse. Celui-là arrive comme un sauveur providentiel et… présidentiel, puisqu’il soigne le chef du gouvernement avec ses gélules acquises à vil prix. Et ça marche ! Comme le médicament ne lui a rien coûté, il offre son stock à la nation. Pour la peine, le voici promu ministre de la Santé par un président qui préfère titulariser un sauveur plutôt que de le retrouver dans l’opposition : voiture de fonction, secrétaire, appartement, et même la possibilité de continuer ses trafics !
— Bien vu !
— N’est-ce pas ? 10 000 gélules, cela reste un peu bref face à une épidémie. Je t’ai signalé qu’il connaissait son métier. Il remonte jusqu’au labo et passe un contrat pour une fourniture régulière. Le boss, qui a flairé l’histoire, se rappelle que tout cela a commencé avec l’idée saugrenue de l’auteur. Pas chien, il lui alloue un revenu constant : une petite somme, entendons-nous !
— C’est toujours ça. Il aurait pu jouer les ignorants.
— Ouais. Sauf que…
— La scoumoune, encore ?
— À ce point, on frise l’indécence. Trois mois plus tard, le labo est poursuivi pour une tapée d’infractions au code des impôts, des douanes et toutes ces choses. Bien sûr, l’émargement de notre auteur se révèle injustifié.
— Mais il a réécrit un bouquin, tout de même !
— Pas déclaré !
— Le pauvre. Qu’est-ce qu’il fait, maintenant ?
— Il écrit des nouvelles. Ça ne paye pas plus, mais le risque reste moindre. Sinon, il rédige des notices de motoculteurs. Pour l’instant, R.A.S. Je te tiendrai au courant si jamais…»
— Ouais, eh bien ?
— Tu me crois si je t’affirme qu’il fait partie des meilleurs romanciers contemporains ?
— Qu’est-ce qu’il a publié ?
— Trois romans, à ce que je sais.
— Ah, mais parce que tu ne les as pas lus ? Alors comment peux-tu prétendre qu’il est bon ?
— Tout de même si, je peux. J’en ai parcouru des bouts, quoi ! Il vérifie l’adage selon lequel il ne suffit pas d’avoir du talent. Avoir du bol aide aussi. Son premier bouquin, comme attendu, ne rencontre pas son public, comme on le glisse de façon pudique, pour consoler. Il faut avouer que le jour du lancement correspond au début d’une série d’attentats dans la ville…
— En effet, ça ne favorise pas.
— Il oublie son deuxième opus dans un taxi, une photocopie. Je te rappelle que tout cela se passe avant l’informatique…
—… et le plantage des disques durs.
— Ouais. Il traîne avant de reproduire son original, parce que ce genre de facétie coûte un peu et qu’il ne roule pas sur l’or. Le temps que le manuscrit parvienne au comité de lecture, un bouquin paraît avec de curieuses similitudes. Impossible de prouver l’antériorité. Il se retrouve marron, avec un éditeur qui le soupçonne de magouiller.
— Je sens la suite : il abandonne et se remet à un autre roman, juste ?
— C’est ça. Tout se déroule selon ses vœux. Le comité de lecture se montre élogieux, il rencontre l’attaché de presse qui lui promet des articles ici et là.
— Et alors ?
— Alors : liquidation judiciaire pour la maison d’édition. Le boss est parti avec la caisse. Le bouquin, déjà imprimé, ne sort pas de l’entrepôt, sauf une palette qu’il a achetée en empruntant. Il envoie des exemplaires à des journalistes et rien en retour, ou alors un entrefilet du genre : “livres reçus par notre rédaction”.
— Le prochain, je devine une invasion extraterrestre ou une guerre atomique.
— N’exagérons pas. Il tombe amoureux et perd son style en même temps, semble-t-il, que son pucelage. Le roman, retoqué partout, finit en autoédition. Il renonce à racheter des exemplaires. Heureusement, il se lasse de l’objet de son émoi et retrouve son écriture. Je te passe les Bérézinas successives, ça nous attristerait. Pour une discussion d’apéro, cela ne sied pas. Enfin, à force de patience, il parvient à entrevoir un moyen de vivre de sa plume, en la mettant à louer.
— Adieu la création…
— Oh, ça limite, mais n’empêche en rien le travail pour soi. Bref, on lui confie la réécriture du bouquin d’un boss de labo pharmaceutique, du gré à gré, sans passer par un éditeur puisque publié par les potards eux-mêmes.
— Bien.
— Ouais. Le livre rencontre un certain succès. Il faut dire que le contenu de départ ne se révèle pas trop honteux par rapport à la norme. Il est convoqué au bureau directorial afin de recevoir un petit tas de talbins qui va lui permettre de travailler pour lui pendant quelques semaines. Le boss est au téléphone et il invite notre gars à s’asseoir pendant que l’engueulade continue dans le combiné. Passe-moi l’expression, mais ça chie dans le ventilo. Le labo a produit un excédent de gélules anti diarrhéiques à ne plus savoir qu’en faire. De plus la péremption arrive dans six mois. C’est là que la grande idée lui apparaît.
— À qui ?
— Eh bien, à notre auteur ! Suis un peu ! Bref, il propose au boss de le rémunérer avec ce stock en excédent : 10 000 gélules ! Tu parles, que celui-ci saute sur l’occasion ! Il lui cède même un bout d’entrepôt, du moment que ça n’apparaît plus sur son bilan.
— Qu’est-ce qu’il compte en faire ?
— Pour lui, c’est l’idée du siècle : il va refourguer ça comme des aphrodisiaques. Ne me questionne pas sur son cheminement de pensée et comment il se retrouve devant un trafiquant de médicaments deux semaines plus tard. L’affaire foire.
— Comment ça ?
— Ce n’est pas parce que tu fais dans la contrebande pharmacologique en Afrique que tu deviens obligatoirement con. Le type connaît très bien la marchandise. Il flaire l’arnaque. Lui, sa spécialité, c’est de vendre du générique au prix du haut de gamme. Les marges restent serrées, mais régulières. Il refuse tout net. L’autre, qui pensait aller sur du velours manque se retrouver le bec dans l’eau, étant donné que sa fréquentation des trafiquants de médocs ne se révèle pas étendue, loin de là. Comme par charité, on lui propose de prendre la camelote au prix du transport pour l’amener au port.
— Il accepte, bien sûr.
— Le moyen de passer outre ? Il perd tout en une seule mise. Mais ce n’est pas tout.
— Il se fait serrer par les douanes ?
— Pas du tout. L’auteur rentre chez lui, catastrophé, après avoir paumé son fric, très potentiel, bien entendu. Je te passe ses affres. Pendant ce temps là, dans le pays natal du trafiquant, se déclenche une épidémie de dysenterie mahousse. Celui-là arrive comme un sauveur providentiel et… présidentiel, puisqu’il soigne le chef du gouvernement avec ses gélules acquises à vil prix. Et ça marche ! Comme le médicament ne lui a rien coûté, il offre son stock à la nation. Pour la peine, le voici promu ministre de la Santé par un président qui préfère titulariser un sauveur plutôt que de le retrouver dans l’opposition : voiture de fonction, secrétaire, appartement, et même la possibilité de continuer ses trafics !
— Bien vu !
— N’est-ce pas ? 10 000 gélules, cela reste un peu bref face à une épidémie. Je t’ai signalé qu’il connaissait son métier. Il remonte jusqu’au labo et passe un contrat pour une fourniture régulière. Le boss, qui a flairé l’histoire, se rappelle que tout cela a commencé avec l’idée saugrenue de l’auteur. Pas chien, il lui alloue un revenu constant : une petite somme, entendons-nous !
— C’est toujours ça. Il aurait pu jouer les ignorants.
— Ouais. Sauf que…
— La scoumoune, encore ?
— À ce point, on frise l’indécence. Trois mois plus tard, le labo est poursuivi pour une tapée d’infractions au code des impôts, des douanes et toutes ces choses. Bien sûr, l’émargement de notre auteur se révèle injustifié.
— Mais il a réécrit un bouquin, tout de même !
— Pas déclaré !
— Le pauvre. Qu’est-ce qu’il fait, maintenant ?
— Il écrit des nouvelles. Ça ne paye pas plus, mais le risque reste moindre. Sinon, il rédige des notices de motoculteurs. Pour l’instant, R.A.S. Je te tiendrai au courant si jamais…»
mardi 6 septembre 2022
Comme ça, en passant
Ainsi, privé du privilège de la mémoire étendue, me voici,
tout Tenancier que je reste, renvoyé au rang de vulgaire pékin, terme qui donne
envie de se laver la bouche. Pouah. Rassurons-nous toutefois : l’écrit n’est
pas réservé qu’aux chiens et l’art de la liste ne s’éteindra pas comme cela
dans ces colonnes. Un autre engouement a quitté votre serviteur depuis bien
longtemps, celui de la nouveauté, depuis qu’il avait quitté la librairie de neuf.
Mais, un sentiment connexe a bien voulu se manifester de nouveau lors d’une
conversation de vive voix en compagnie de ce très cher George Weaver au sujet
de certains livres que le succès rend suspects et donc indignes de notre attention.
Entendons-nous sur la notion de succès. Nous n’évoquons pas les débilités
usuelles d’un Werber ou les petites stupidités bourgeoises distillé par les
pharmacies littéraires, mais de ces ouvrages tombés de nulle part et qui par
leur singularité plaisent au plus grand nombre sans pour autant déchoir. On ne
peut s'empêcher d’y déceler un loup, malgré les indices favorables, peut-être à
cause d’une frilosité due aux vantardises réitérées autour de merdes érigées en
chef d’œuvre. Alors, on temporise, à un point que l’on peut laisser un livre s’épuiser.
Cela se produit dans les vies sentimentales, aussi. Enfin, à moi ça m’est
arrivé, plus souvent en matière de livres, mais...
Je vous raconte ça en passant. Je me mets en jambes, histoire de me familiariser de nouveau avec l’exercice régulier du blogue, une sorte d’exercice, si vous voyez ce que je veux dire, histoire de prétendre un jour que le Tenancier aura atteint son satori, ou alors qu'il vous aura désennuyé.
Je vous raconte ça en passant. Je me mets en jambes, histoire de me familiariser de nouveau avec l’exercice régulier du blogue, une sorte d’exercice, si vous voyez ce que je veux dire, histoire de prétendre un jour que le Tenancier aura atteint son satori, ou alors qu'il vous aura désennuyé.
mercredi 31 août 2022
Perte de mémoire
Votre Tenancier chéri a abandonné le
métier de libraire
depuis pas mal d’années, désormais. Il constate la perte progressive de
certains processus mémoriels qui étaient liés au boulot. En effet, la
chose s’entretient
presque malgré soi lorsque, lâché entre les rayonnages la stimulation
vient de
toute part. Ce type de mémorisation (titre, auteur, éditeur,
distributeur,
date, tirage, etc.) reste curieuse dans sa structure, elle entraîne à
des
petites manies « cladistiques » qui déborde
parfois sur
le quotidien, au point d’être possédé par la pulsion de classer sa
propre
bibliothèque. Signe de déshérence, celle de votre serviteur se
bordélise,
abandonne la rigueur pour une sorte de schéma vague qui ferait plus
confiance à
l’instinct qu’à l’ordre pour retrouver ce nom de dieu de putain de
bouquin qu’il
cherche depuis des mois (il est sous ton nez, ballot !) À cela
s’ajoute l’accumulation propre au
bibliophage qui décourage également toute tentative de rangement des
ouvrages,
sinon par strates, prenant alors un référencement temporel : les
plus
vieux en dessous de la pile. Bref, on le constate, le soussigné opère
avec brio
l’abandon complet d’un métier pour lequel il n’éprouve plus d’attrait.
Non que
le livre en tant que matériau ou que contenu le désintéressent, mais
sans doute
n’a-t-il plus la patience de supporter la dévotion bêtasse qui se
déploie autour
cette activité. Et puis, entre nous, on aurait l’air fin de revenir à
un métier
que l’on a en apparence renié (pas du tout, en réalité, seulement
auprès de
certains lecteurs approximatifs, constat qui ne décourage même plus
votre
Tenancier qui ne veut plus perdre son temps). En réalité, on respecte
ici le
libraire qui opère des choix, qui a envie, quitte à ce qu’il en paye
les
conséquences.
Alors, en effet, une certaine qualité de mémoire se dilue, tandis que l’on tente de s’entretenir intellectuellement. D’un autre côté, cette déperdition quitte sa dimension aliénante : plus de pulsions chronologiques ou thématiques, l’oubli participe à un fonctionnement spéculatif qui permet de revenir sur un sujet, de le considérer sous un autre angle, sans le frein de l’indexation. Et puis, tout de même, la capacité demeure, même marginale, et se dirige sur des sentiers différents, plus savoureux, plus sensuels, parfois. Cette sorte de renouveau confirme le fait que l’on s’est lassé de classer, que l’on a délaissé une névrose pour d’autres, que l’on espère plus jouissives. Cela dit, ce n’est pas gagné...
Alors, en effet, une certaine qualité de mémoire se dilue, tandis que l’on tente de s’entretenir intellectuellement. D’un autre côté, cette déperdition quitte sa dimension aliénante : plus de pulsions chronologiques ou thématiques, l’oubli participe à un fonctionnement spéculatif qui permet de revenir sur un sujet, de le considérer sous un autre angle, sans le frein de l’indexation. Et puis, tout de même, la capacité demeure, même marginale, et se dirige sur des sentiers différents, plus savoureux, plus sensuels, parfois. Cette sorte de renouveau confirme le fait que l’on s’est lassé de classer, que l’on a délaissé une névrose pour d’autres, que l’on espère plus jouissives. Cela dit, ce n’est pas gagné...
mercredi 10 août 2022
Peplum
« Car, selon la coutume des rois de Bithynie, il
[Verrès] se faisait porter dans une litière à huit porteurs. On trouvait dans
cette litière un coussin d’étoffe de Malte transparente, bourrée de roses.
Lui-même avait une couronne de roses sur la tête, une autre autour du cou, et
il approchait de ses narines un sachet de lin le plus fin, aux mailles
minuscules, plein de roses. Après avoir accompli tout son voyage dans ces
conditions, à son arrivée dans une ville, il se faisait porter, toujours dans
sa litière, jusque dans sa chambre. C’est là que venaient les magistrats
siciliens, là que venaient les chevaliers romains, comme de nombreux témoins
vous l’ont déclaré sous la foi du serment. Les litiges lui étaient soumis à
huis clos et peu après, en public, on emportait les décisions. Puis après avoir
un court moment rendu dans sa chambre quelques arrêts où il tenait compte des
sommes reçues plus que de l’équité, il pensait que dès lors le reste de son
temps était dû à Vénus et à Bacchus.
Ici il ne faut pas, il me semble, passer sous silence l’activité extraordinaire et tout à fait particulière de notre illustre général. Sachez qu’il n’y a pas en Sicile de ville où l’on n’ait choisi de femme — et non des moindres familles — pour les débauches de ces personnages. Ainsi quelques unes parmi elles s’exhibaient ouvertement dans les banquets. Si d’autres étaient plus réservées, elles choisissaient leur moment pour éviter la lumière et la réunion. Les banquets n’avaient pas lieu dans le silence qu’on observe d’ordinaire à la table des prêteurs et des généraux du peuple romain, ni avec cette réserve qu’on trouve habituellement dans les repas des magistrats, mais au milieu des cris et des éclats de voix. Parfois même l’affaire dégénérait en bataille, on en venait aux mains. Car ce prêteur sévère et actif, qui n’avait jamais obéi aux lois de l’État, observait scrupuleusement celles qu’on établissait pour la boisson. À la fin du banquet, les esclaves devaient emporter dans leurs bras tel convive qui paraissait sortir d’une bataille ; un autre était laissé pour mort ; la plupart, étalés à terre, gisaient sans conscience ni sentiment. À ce spectacle on aurait cru voir non le repas du prêteur, mais la bataille de Cannes de la débauche. »
Ici il ne faut pas, il me semble, passer sous silence l’activité extraordinaire et tout à fait particulière de notre illustre général. Sachez qu’il n’y a pas en Sicile de ville où l’on n’ait choisi de femme — et non des moindres familles — pour les débauches de ces personnages. Ainsi quelques unes parmi elles s’exhibaient ouvertement dans les banquets. Si d’autres étaient plus réservées, elles choisissaient leur moment pour éviter la lumière et la réunion. Les banquets n’avaient pas lieu dans le silence qu’on observe d’ordinaire à la table des prêteurs et des généraux du peuple romain, ni avec cette réserve qu’on trouve habituellement dans les repas des magistrats, mais au milieu des cris et des éclats de voix. Parfois même l’affaire dégénérait en bataille, on en venait aux mains. Car ce prêteur sévère et actif, qui n’avait jamais obéi aux lois de l’État, observait scrupuleusement celles qu’on établissait pour la boisson. À la fin du banquet, les esclaves devaient emporter dans leurs bras tel convive qui paraissait sortir d’une bataille ; un autre était laissé pour mort ; la plupart, étalés à terre, gisaient sans conscience ni sentiment. À ce spectacle on aurait cru voir non le repas du prêteur, mais la bataille de Cannes de la débauche. »
Cicéron : Des supplices (70 av. JC)
Trad. Michel Malicet
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