jeudi 5 février 2015

Histoire de bonniche — 3

La personnalité infantile de Bécassine dessine en creux le paysage fantasmé de la domesticité au XIXe siècle, celle d’une classe à la limite de la classe dangereuse, une sorte de passerelle, poreuse, facile à traverser pour ceux qui en font partie et une confrontation presque sans risque pour la bourgeoisie. Seul le dévoiement individuel peut opérer une rencontre effective, comme ce qu’il arrive à Georges Randal dans Le Voleur de Georges Darien. Il nous suffit de renverser le moindre caractère de la domestique bretonne pour trouver les craintes et les menaces qui pèsent sur le foyer. L’apparentement de l’état de domestique à la prostitution, même s’il doit beaucoup à une fantasmatique liée à la littérature n’est pas si éloigné que cela. De même l’éventualité d’un débordement ancillaire, allant jusqu’au crime alimente la presse à sensation, comme — certes plus tardivement — le cas des sœurs Papin…
Faut-il alors vouer la lecture de Bécassine à une sorte de bannissement, comme certains ont voulu faire interdire la publication de Tintin au Congo ? Mais pourquoi faire ? Ce serait même l’aveu d’un échec pour ceux qui entreprendraient une telle démarche. La meilleure réponse est très certainement le désintérêt généré par la reconnaissance de ce que recouvrait les histoires de Bécassine, renvoyant tout cela à l’histoire d’un type de narration (la BD) et à une technique (la Ligne claire), parce qu’éliminer un livre, un terme ou une idée de l’espace publique ne les a jamais empêchés d’exister, le désintérêt si.
On ne saurait quitter le sujet sans évoquer de nouveau le destin de nombreuses jeunes femmes atterrissant à Paris et qui se retrouvent rapidement dans les réseaux de prostitution. La pute bretonne est aussi célèbre que la domestique de la même origine, elle ne réside pas qu’à Paris et navigue, comme toutes ses consœurs issues des autres provinces, dans toute la France au fur et à mesure de ses réaffectations dans les bordels. Cette imagerie est véhiculée par Carco, Charles-Louis Philippe et de nombreux autres auteurs, bien éloignée de la description de la prostituée mondaine telle qu’on la retrouve dans Nana de Zola ou Le troupeau de Clarisse de Paul Adam…
Cette prostitution-là revêt des atours tragiques, même si des chansonniers comme Georgius parodient volontiers les goualantes sur les pierreuses (On l’appelait « Fleur des Fortifs »), on la retrouve également dans le même décor — les Fortifs — au cinéma et notamment dans certains passages de Fantômas ou des Vampires, illustrant par ailleurs la perméabilité entre la condition de domestique et de prostituée… A l’image lénifiante de Bécassine, on opposera enfin le destin d’une de ses compatriotes littéraires :
« On l’appelait Marie la Nèfle, parce qu’elle manquait de fraîcheur. Si les surnoms étaient toujours inspirés par la sympathie, on l’aurait nommée Marie la Douce ou Marie Bon-Cœur.
Elle avait le teint plombé, les cernes bistres des noctambules, la bouche très triste, et ses épaules tombaient. Les passants acceptaient volontiers ses offres de bonheurs pervers. A ne réaliser que l’indispensable de ses promesses, elle gagnait de quoi mal se nourrir, payer sa logeuse, renouveler sa jupe brune, son tablier noir et les rubans qui étaient le luxe de sa parure. Elle les choisissait du bleu le plus céleste : celui des bannières de la Vierge au Grand Pardon de Sainte-Anne-la-Palud. Ses yeux d’enfant n’avaient rien contemplé d’égal à leur magnificence. On eût dit que ses yeux de femme en gardaient un reflet dans leur couleur délavée. Malgré les souillures, ils conservaient devant Paris l’expression surprise qu’ont les regards des toutes petites filles en Bretagne.
L’année de sa confirmation, elle avait quitté Douarnenez pour être bonne d’enfant, aux gages de parisiens modestes venus là tremper d’iode et de sel marins les scrofules des jumeaux nés de leur œuvres.
Il y avait peu de joie dans ce ménage. Marie se réveillait en larmes, à l’étroit d’un cabinet sans air où elle étouffait la nuit, rêvant de la baie, des landes, d’espaces dorés par les ajoncs fleuris. Son maître vint la consoler. Il accompagna ses paroles paternelles de gestes qu’elle ne  détourna point, tant elle était ingénue, par effroi du diable dont il avait menacé ses timides résistances. Quand il la laissait, elle priait en breton et elle attendait le sommeil, étonnée un peu qu’il lui fallût contenter les caprices du père après ceux des enfants. Elle remplissait ce devoir étrange avec l’humilité d’une servante naïve encore, comme elle participait aux jeux des petits, lavait le linge ou la vaisselle.
Son incroyable candeur la fit tout avouer à sa maîtresse qu’un doute travaillait. Et elle se trouva sur le pavé de Grenelle, un soir pluvieux de novembre, honteuse pour la première fois d’avoir « obéi à Monsieur », embarrassée du paquet de ses hardes, et riche d’une pièce de cinq francs au lieu du quintuple qu’on lui devait. La tête bourdonnante des invectives, des prophéties, des vœux détestables dont l’épouse trahie l’avait accablée avant de la mettre dehors, — elle restait sous l’averse froide.
Quelqu’un l’emmena. Il en alla de même, le lendemain et ensuite, sauf qu’elle avait loué une chambre d’où elle regardait le puits artésien, les tramways et les gens, du matin au soir. Elle noua des amitiés, parmi les femmes qu’elle rencontrait dans ses promenades. Leurs avis l’armèrent contre la mauvaise foi des hommes et elle acquit de l’assurance. Une « payse » acheva de lui signaler les risques de la profession, et elle lui enseigna la coquetterie agréable aux civils et aux militaires, l’art de les apprivoiser, les parages de bonne chasse, et le goût de boire. Un agent des mœurs, enfin, compléta son éducation ; car la mansuétude d’un État démocratique s’étend aux plus humbles.
Rien ne la rebutait, de cette vie qu’elle n’avait pas désirée ? Elle oubliait la face des inconnus dont les vifs transports ne l’émouvaient guère, et elle semblait toujours les reconnaître, par courtoisie. Pourtant, à voir ses pareilles aimer, toutes, l’élu entre mille, qui les rançonnait et les frappait, un immense besoin de chérir couvait en elle. Il partageait son cœur, avec le regret du port natal et la mémoire des fêtes religieuses. Parfois, dans la puanteur, le tohu-bohu et la désolation d’un cabaret, elle retrouvait des parfums d’encens, l’hymne des cloches et la vision d’un paysage maritime. Elle aspirait à l’amour avec cette passion mystique qui maintenait son âme au-dessus des nécessités malpropres de son existence basse.
Un dimanche, elle marcha tout l’après-midi derrière un quartier-maître de la flotte, fascinée par le béret et le large col bleu, espérant toujours qu’il abandonnerait pour la suivre le vieux couple dont il était flanqué ? Elle manqua défaillir, de demeurer toute seule sur le trottoir, quand ils furent entrés dans une maison qu’elle guetta jusqu’à la nuit close, sans déplacer ses pieds.
Elle se donna à plusieurs, dans l’espoir d’une liaison durable, de violences qui lui permettraient, en les racontant, d’apitoyer ses amies, et augmenteraient la saveur des caresses prochaines. Ils la volaient et ne revenaient plus. La plupart la raillaient durement, si l’occasion d’une rencontre l’amenait à formuler des reproches.
— On t’a assez vue, La Nèfle, disaient-ils.
Ou bien :
— T’es trop moche, la rouquine, pour qu’on y retourne à te faire boum ! C’est bon quand on est sur le sable, fauché de sa largue et dans la mouise, à claquer des dominos à vide !
Néanmoins, elle renouvelait ses tentatives, avec l’obstination de sa race. Le soldat, l’ouvrier, les commis imberbes et des collégiens barbus, luis passaient les taches de rousseur dont elle était masquée, pour l’attrait de sa chevelure fauve où des mèches pâles avivaient les lueurs éclatantes de la masse. Elle connaissait d’ailleurs l’influence de sa peau fine sur la sensibilité des clients et que les moins délicats admiraient la teinte laiteuse de son corps.
[…]
Elle parvint à s’attacher un apprenti, gouailleur et dégingandé, qu’elle détourna facilement de l’atelier où il aidait au raccommodage de bicyclettes. Il l’aima deux longs mois. Ce furent les meilleurs jours de Marie : ses sacrifices à l’ardeur des citoyens avait un but, dans la personne du cher petit homme aux joues roses, pareilles à des pêches. Elle était fière de l’exhiber dans les bals, la kermesse des Invalides et chez les restaurateurs où le cercle de ses relations fréquentaient.
Il la meurtrit de coups, au retour d’une échappée à Clamart, sous prétexte de jalousie, l’accusant de complaisance envers un zouave qu’il avait invité à leur table, par politesse et par amour de la cocarde. Le zouave, après boire, avait galamment assailli la femme et nargué son chevalier dont le rire sonnait faux, parce qu’il se devinait trop faible pour frapper. Il égara l’importun dans le bois et, bousculant Marie, hargneux, muet, il l’avait ramenée jusqu’en leur chambre où des sévices immédiats préludèrent à l’explication qu’elle réclamait depuis des heures :
— Ah ! Rouchie ! te faudrait la carotte d’Afrique et je tourne en poire jaune !... Après le turbin, t’es à moi, mets-toi bien ça dans la citrouille !... Les michetons, faut qu’y gantent... ou tu prendras la pipe !...
Les joues cuisantes, les côtes sensibles, elle l’écoutait en pleurant, et heureuse. Son corset, brisé dans la lutte, lui pinçait les chairs. Elle accueillit cette épreuve nouvelle comme une autre marque du grand amour qu’elle provoquait enfin ! Une tendresse infinie l’alanguissait et jamais elle n’adora autant son maître, que jaloux et brutal. Elle vit avec joie se former des taches violettes ou il l’avait frappée, songeant que leur vue exciterait la pitié de ses amies ; et la certitude d’en être plainte à son tour lui était précieuse et douce.
Mas la fatalité pèse sur quelques êtres avec une invraisemblable persévérance. Une mauvaise toux secoua ce joli amant de cœur et l’emporta en moins de rien, pâle, mince et grave. Ses yeux étincelants de lumière gaie, l’incarnat de ses pommettes plus appétissantes que des cerises, Marie les revoyait sans cesse et elle croyait l’entendre gouailler entre deux quintes ou faire de projets. Retenue par ses sentiments religieux, elle abandonna Grenelle pour Reuilly, au lieu de suivre dans la mort le cher fantôme de ses premiers amours. »
(Charles-Henry Hirsch : Le Tigre et Coquelicot, 1904-1905)


Correspondance amusante, ce roman a également cent dix ans et, pour ma part j’y trouve infiniment plus d’intérêt que le vide installé par Bécassine.  


Pour lire dans l'ordre :

Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3 

mercredi 4 février 2015

Histoire de bonniche — 2

Pourquoi cet acharnement sur Bécassine ? Si l’image de la domestique à la fois sotte et roublarde prête à rire, c’est également la représentation de cette domesticité détachée de son contexte qui pose un véritable problème. Comme je le signalais en préambule, la veille de la Grande Guerre est considérablement inégalitaire — et ne laisse pas de ressembler, cent ans après, à la nôtre — et comme on la vu, « l’ascenseur social » n’existe tout bonnement pas… Certes, Bécassine n’est qu’une histoire pour enfant, publié dans la Semaine de Suzette, dont le lectorat n’est pas vraiment populaire. Cela sous-tend alors que cette représentation populaire n’est pas destinée du tout à la population qu’elle est censée représenter. Ce constat est presque une tautologie, il ne se pose même pas à l’époque de ces publications tant la mentalité de la bourgeoisie ne comprend les interactions avec les classes inférieures que par l’intermédiaire de la domesticité et des métiers qui s’y rapportent et également au travers de « l’égout séminal » de la prostitution. Prostitution opportuniste qui peut franchir parfois le seuil de l’office avec les bouquetières, par exemple, mais également dans l’asservissement sexuel de la domesticité, même si, dans ce cas, elle a une large part fantasmatique. Alain Corbin, dans Les Filles de Noce, modère beaucoup cette imagerie. Certes, Bécassine n’est pas un modèle sexuel, elle représente plutôt un idéal de chasteté et de bienséance — aseptisée, également — auprès des petites lectrices de la revue. La réalité est tout de même différente :
« Une autre époque a déjà subi pareille fascination : la fin du siècle dernier. Jamais on n’a tant parlé du service domestique et du ménage qu’au temps de l’Affaire Dreyfus. Omniprésente dans la littérature que Jean Borie qualifiait naguère de célibataire, la bonne entre dans les austères revues de droit civil, devient sujet dramatique ; le discours psychanalytique lui-même est truffé de références aux femmes domestiques.
Cependant, celles qui font tant parler sont alors condamnées au mutisme le plus total : leur identité perdue, elles se fondent dans les familles qui les emploient et auxquelles elles sont attachées par un lien que Pierre Guiral et Guy Thuillier (La Vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, 1978) qualifient de quasi féodal. De toute manière, elles n’auraient pas le temps de se raconter ; ce temps désormais de plus en plus strictement contrôlé à l’aube du taylorisme domestique.
Si le discours bourgeois s’y réfère inlassablement, c’est d’abord parce que la servante rassure ; elle symbolise la permanence de l’ordre social. Sentinelles vigilantes qui défendent le foyer contre la menace extérieure, la bonne et le larbin se trouvent ainsi promus gardiens d’un code qu’ils ont parfaitement assimilé et qu’ils sauront, au besoin, rappeler au maître désinvolte. Vestale bougonne, la « servante-pelican » a pour mission de transmettre ; elle assure le lien entre les générations. Celle qui a fermé les yeux du père manifeste par sa seule présence le maintien des valeurs qui ont assuré la grandeur et la prospérité de la famille.
L’existence de la bonne atteste de la hiérarchie sociale ; l’humilier, c’est affirmer et légitimer tout à la fois le pouvoir petit-bourgeois ; se reposer sur elle, user d’un subtil paternalisme, c’est aussi désamorcer la menace prolétarienne. La servante dévouée est le résultat d’une métamorphose ; elle incarne le peuple dressé, domestiqué par le contact quotidien des maîtres. Il est rassurant de lire Bécassine par-dessus l’épaule des enfants.
Là ne se borne pas l’explication de cette fascination insolite. On ne fait qu’entrevoir aujourd’hui le rôle immense dans la formation des jeunes bourgeois. Substitut partiel de la mère lointaine et mystérieuse, la domestique rompt la belle harmonie du triangle œdipien ; elle transmet à l’enfant une confuse culture somatique, référence conflictuelle qui ne cessera de le hanter. C’est une nourrice morvandelle qui lui a prodigué les premiers soins ; c’est une servante qui soignera sa rougeole ou sa coqueluche, guidera ses jeux au jardin public ; « Du trou de serrure de la salle de bain aux amours cachés et illégales de la bonne, une image sexuée de la femme lui est présentée. »
(Alain Corbin : L’archéologie de la ménagère et les fantasmes bourgeois, in Critique, juin-juillet 1980, repris dans Le temps, le désir et l’horreur, 1991)

Si la domesticité est omniprésente dans le roman bourgeois du XIXe, elle se présente parfois sous des jours moins avenants que la représentation courante du dévouement (dont on retrouve maints exemples dans les romans de Verne, par exemple). Ainsi la menace permanente de la « réappropriation individuelle » par la domesticité règne en permanence dans les mentalités. Le vol vient s’ajouter à la cohorte de fléaux qui pèsent sur le foyer, paramètre primordial  pour la gestion de l’économie domestique par la maîtresse de maison. Si, par ailleurs, Bécassine est la version asexuée de la bonniche destinées aux petites filles des milieux aisés, les lecteurs plus mûrs se souviendront plus assurément  du Journal d’une femme de chambre de Mirbeau sur lequel il est inutile de faire un résumé, je pense… Le danger représenté par la domesticité a beau est subreptice, il est néanmoins omniprésent, c’est le marchepied des classes dangereuses, illustré par la soubrette faillie à sa sensualité, ainsi dans la représentation littéraire :
« Tandis que Marthe s’efface, la chair pulpeuse de Marie-Madeleine se fait obsédante. La servante s’incarne ; son corps capte le désir masculin. La jeunesse de ses formes sous son tablier accessible engendre le fétichisme. Reléguée dans une chambre de bonne, elle y a gagné en liberté. Dès lors, le sixième étage devient le lieu géométrique des fantasmes du mâle de la bourgeoisie. Espace de voyeurisme et de séduction mais aussi de promiscuité et de crime où s’élabore une confuse sociabilité prolétarienne, il propose l’image effrayante et délicieuse de l’insécurité du sommeil féminin. La tentation ancillaire est devenue l’un des thèmes majeurs du roman ; elle reflète tout à la fois l’obsession du ménage chez le célibataire petit-bourgeois et le désir d’ »amour vénal à domicile qui tenaille l’époux blasé ou l’adolescent boutonneux.
Dans ce long discours masculin, domesticité et prostitution se mêlent inextricablement ; les enquêtes quantitatives ne montrent-elles pas que le personnel de service est un des plus riches viviers de l’amour vénal et que nombreuses sont alors les servantes qui pratiquent une prostitution intermittente ? Une telle marée discursive a-t-elle pu se faire productrice de comportements ?
Question qui nous renvoie au vécu quotidien de la servante et de la prostituée. A l’évidence, les similitudes sont nombreuses. La conscience de ne pas exercer un véritable métier engendre, chez l’une et l’autre, la honte d’avouer sa condition et le désir de s’en évader. Victimes d’un mépris commun — la plupart des congrégations leurs sont fermées au XIXe siècle —, enkystées dans l’espace bourgeois, domestiques et filles publiques ne peuvent alors se définir, élaborer les formes de protestation sans que celles-ci apparaissent insolites, voire dérisoires. Il est révélateur que les surréalistes se soient tant intéressés aux bonnes. Si le législateur du XIXe siècle s’est toujours refusé à traiter de la prostitution comme de la domesticité, c’est guidé par la conviction que, dans les deux cas, une évolution des attitudes impliquait un bouleversement radical de l’ordre social et moral. »
(Alain Corbin : Ibid.)

Que deviendrait donc Bécassine si son aspect physique et mental n’était proche de la néoténie, c’est-à-dire sans les caractères liés à l’enfance ? Perdant cette innocence « originelle », elle rejoindrait immédiatement l’univers menaçant des classes dangereuses, la moindre sottise devenant une menace pour la progéniture dont elle a la garde. Renvoyée du foyer de Mme de Grand-Air, il est fort probable que l’imaginaire l’enverrait immédiatement à la rue, voir à une maison d’abattage, à essorer le permissionnaire… La réalité est plus nuancée, certes. Mais il faut garder à l’esprit ce caractère juvénile, infantilisant, utilisé par la suite envers les autres représentants de l’immigration, tel le nègre grand enfant, le tirailleur Banania que Bécassine ne peut éviter de rencontrer (« Bécassine — Banania, destins croisés », 2 siècles de stéréotypes. Le Havre, octobre 1996). Cette représentation infantilisante se perpétue au-delà du stéréotype de la bonne bretonne, comme par exemple lors des « Trente Glorieuses » où, le tourisme sortant des frontières, on va chercher sa bonniche espagnole ou portugaise comme on le faisait en Bretagne au siècle précédant. Cet exotisme se retrouve dans l’espèce de nostalgie réactionnaire exprimée par Les femmes du 6e étage de Klapisch, dont on ne peut évidemment pas exiger une réflexion aboutie sur la question de la domesticité…

(A suivre...)




Pour lire dans l'ordre :

Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3

Histoire de bonniche — 1

Il y a trois jour, je tombe sur la page d’accueil de Google avec une illustration (paraît que ça s’appelle un Doodle) représentant le 110e anniversaire de la première publication de Bécassine. Déjà, on est intrigué par le fait que l’on marque une telle commémoration, 110 n’étant pas tout à fait un chiffre rond pour ce genre de rappel. On se doute que si notre interrogation s’arrêtait à ce genre de constat, on ne prendrait même pas la peine d’écrire un seuil mot à ce sujet. On se dirait simplement qu’une entreprise comme Gautier Languereau — si tant est que cet éditeur s’occupe toujours de sa publication — a simplement besoin de relancer les ventes, histoire de protéger des droits qui vont commencer à entrer en dans le domaine public (Pichon, le dessinateur meurt en 1953) dans une dizaine d’années. Peu nous chaut d’ailleurs. Que cette série appartienne au domaine public ou fasse les choux gras de ce qui est devenue depuis belle lurette une filiale d’Hachette nous importe somme toute assez peu.


Ce qui nous gêne, c’est que la représentation de ce personnage et ce qu’elle recouvre continue de ne pas être perçu à sa juste mesure. Tout au plus y voit-on l’image de la gentille provinciale arrivée à Paris et dont le bon sens, la droiture et les maladresses ont fait les beaux jours de la Semaine de Suzette et l’objet de transmissions familiales jusqu’à nos jours. Mais qui est donc Bécassine ? Elle fait partie de cette cohorte de bonniches bretonnes arrivées à Paris à la Belle Époque gare Montparnasse. Bécassine fait exception, puisqu’il semble qu’on soit allé la chercher dans son plou lors d’une villégiature. Elle échappe en partie aux risques inhérents à l’exil des jeunes femmes vers la capitale à l’ouverture des lignes de chemin de fer de l’Ouest, bouleversement qui allait implanter une communauté bretonne dans le même quartier Montparnasse. Elle échappe également aux rabatteurs qui cueille nombre de jeunes filles au sortir du train — l’imaginaire indique des voyages en wagons à bestiaux, on a connu des immigrations ultérieures en pires conditions — pour les vouer à la prostitution. Ces rabatteurs parlent le breton, parfois, disposition rassurante pour quelqu’un jamais sorti d’un milieu rural débarquant soudainement en pleine vie citadine. Nous y reviendrons. Bécassine donc est le produit d’une société où la répartition des richesses, l’accession à la culture est accaparée par une minorité sociale. Cette fin du XIXe est dure pour une population issue du prolétariat ou de la paysannerie et dans un pays comme la Bretagne, bien souvent asservie à l’ordre de la religion — l’expulsion des congrégation en 1880 et la séparation de l’église et de l’État en 1905 sont certes contemporaine de Bécassine, mais il faut compter sur une grande inertie sociale dans les communautés rurales reculées comme certains coins de Bretagne. Cette soumission à un ordre moral et social très rigide provoque d’une part le maintien d’un niveau culturel si bas qu’il revient à néant, à une reproduction en circuit fermé d’un système oppressif (Je compte pour ma part dans cette génération pas moins de quatre religieuses dans une famille de douze enfants parmi mes aïeux, débouché naturel pour les filles sans dot ou sans perspective de mariage et reproduction du système par « endogamie », si l’on peut dire…) et qui provoque une immigration de l’intérieure très importante tant vers Paris que dans certaines autres régions de France. La Bretagne est à ce moment un pays qui souffre d’une arriération sociale dont on fera énormément de représentations dans la littérature populaire — La description du village de Kergario dans La conspiration des milliardaires (1899-1900) de Gustave Le Rouge est édifiante à ce titre :
« Rares étaient les habitants de ce village qui n’y fussent point nés. Jamais un livre ni un journal n’y pénétraient. les pauvres paysans ignoraient même sous quel gouvernement ils vivaient. Ils ne connaissaient rien du restant de l’univers
Une année, des artistes séduit parla sauvage beauté des paysages environnants, essayèrent de s’y installer. Ils durent bientôt partir.
Dès les premiers jours, les enfant leurs avaient jeté des pierres, les femmes les avait injuriés et les paysans les avaient poursuivis armés de fourches et de bâtons. »
 De même, dans le pays des lettres plus « nobles », Remy de Gourmont se gausse des Bretons qui croient à l’influence de la Lune sur les marées. On pardonne volontiers à Gourmont, comme à Le Rouge, tant le préjugé sur l’arriération de la Bretagne et du Breton est prégnante à l’époque et vérifiable parfois (même si Gourmont rate ici, effectivement, son coup !)
Bécassine véhicule les pires clichés sur les Bretonnes à la fin du XIXe siècle et il serait peut être bon à ce sujet d’ouvrir ici des guillemets :
« On croit à tort que les pouvoirs ont toujours souhaité un Breton assimilé. En fait, il faut distinguer deux périodes : avant la société de consommation — et aujourd’hui.
Au cours de la première période, la bourgeoisie fabrique des inférieurs nommés. Elle en est encore au mercenariat artisanal ou domestique qui réclame une soumission motivée : le prolétaire doit se reconnaître dépendant et pour cela, rien de mieux que l’exotisme. Les Madames françaises exigent de leur bonne bretonne qu’elle serve en coiffe. D’abord pour le spectacle, quand on a des invités ; ensuite et surtout, pour que cette fille n’oublie pas ses origines. Elle est servante puisque Bretonne, renier son pays serait refuser sa condition ; nous l’avons ramenée de nos vacances, sans nous elle pataugerait encore dans ses gadoues avec ses cochons, elle nous doit la gratitude ; et puis, sa coiffe répond de ses vertus, tant qu’elle les portera, elle gardera un pied en Bretagne, ne s’émancipera pas, ne nous jouera pas le tour affreux de cesser de croire en Dieu et en nous. La Bretagne garantit le Breton. Il importe même qu’il soit un peu niais, effaré : ce grand enfant se donnera à son patron comme à un père. Toutefois, sa différence ne doit point excéder le pittoresque car alors, il ferait figure d’étranger, donc d’adulte. Il se récupérerait, ne nous appartiendrait plus.
Observez l’immortelle Bécassine : elle ne prononce guère que trois mots de Breton, Ma doue beniguet ; mais ces trois mots suffisent à composer son personnage, la Bretonne risible mais bien-pensante, solide comme un menhir. Tous les attributs de l’indigène apprivoisé, Bécassine les cumule : le servage (mais supérieur, en maison bourgeoise), la naïveté roublarde (on la croit idiote mais elle trompe son monde), la rondeur ébaubie, le dévouement total à ses maîtres, enfin la religion — ça ne nuit jamais. En 1939 des protestation s’élèveront en Bretagne contre un film qui représente cette ilote, et les producteurs éberlués reprendront point par point ce catalogue : « Pourquoi cette indignation ? Bécassine n’incarne-t-elle pas les vertus bretonnes, la piété, le dévouement sans limite, la simplicité rustique ? » Simple, en effet : Bécassine vit hors du temps et du monde, dans le cocon de sa dévotion à Mme de Grand-Air : ce cocon n’est autre que sa Bretagne qu’elle a transportée avec elle et qui la préserve des « tentations ». L’extérieur est pour elle l’enfer, les trains, les bateaux, la grande ville, ma doue beniguet, l’épouvantent ; toute rencontre lui inspire méfiance, elle ferme l’oreille à tout propos qui ne concerne pas son service domestique : quand la guerre de 14 éclate, elle demande à Firmin et à Zidore la signification du mot boche qu’elle n’a jamais entendu.
Caricature ? Soit. Mais sur fond de vérité : car pareil chef-d’œuvre s’usine en Bretagne même — et s’usine en français. Importée de Paris et répandue dans les cinq départements, toute une littérature, Bonne Presse, bulletins paroissiaux, livres de Prix, éduque dès l’enfance le futur prolétaire. Son but est de fabriquer des Bécassins et des Bécassinnes : le huis clos britto-patronal du « bon ouvrier », de la « servante au grand cœur » — la Bretagne elle-même servante exemplaire, sainte Anne de la buanderie. Chaque Breton susceptible de quitter la glèbe se voit ainsi pourvu d’une sorte de dictionnaire-viatique où les mots qu’il risque d’entendre à la ville lui sont d’avance traduits, accompagnés d’un commentaire péjoratif qui exalte contre eux les vertus du terroir. Feuilletons ce florilège : « Qu’est-ce que le socialisme ? C’est simple, ôte-toi de là que je m’y mette. Cet égoïsme-là n’est pas breton » (Bulletin d’Auray, 1907) « Plutôt la mort que la souillure ! noble devise de ta petite patrie ! Oui, plutôt mourir que de souiller son âme par le péché d’envie et de rébellion ! » (La Flamme des Bretons, 1902.) « Jamais Breton ne fit trahison, voilà ce que tu répondras fièrement à ceux qui te pousseront à faire la grève. » (Yannick mon ami, 1905.) Un saint nouveau s’inscrit au calendrier : « Saint Anne protège les Bretons mais saint Dicat les envoie en enfer. » (Bulletin de Sainte-Luce, Loire-Inférieure.) « Tu devras choisir, Maryvonne : Saint Yves qui t’emmène au paradis ou saint Dicat qui t’emmène au bal. » (Le Pèlerin). D’édifiantes « histoires vécues » illustrent cette doctrine, ramenant toutes à la Bretagne en conclusion. Pierre, le mauvais génie de Yannick, se laisse tenter par les meneurs, les suit au cabaret, sombre avec eux dans l’ivrognerie et l’anarchisme et « sa vieille mère en en coiffe » en meurt de chagrin ; pour avoir une seule fois oublié ses pâques, Fanchette la petite Quimpéroise, vole et meurt repentante en prison, « quelle honte pour son village ! » Vers 1920, les jeunes Bretonnes commencent à se lasser du métier de servante, étudient la dactylographie, la mécanographie ; en hâte, un bon abbé Cadic les en dissuade : à quoi bon traîner dans les rues de Paris en quête de situations qui ne se rencontrent jamais ? » « Déjà quelques unes, parmi les plus sages d’entre vous, ont retrouvé le chemin de la domesticité. Faites comme elles. »
(Morvan Lebesque : Comment peut-on être Breton, 1970)

On me pardonnera cette longue parenthèse mais elle prêche par son éloquence quant à la condition des Bretons, et plus spécialement de la femme en Bretagne à cette époque, mais aussi, bien sûr, dans les autres régions de France. On le voit, Bécassine est l’épiphénomène d’une institution bien établie à la Belle Époque et qui ne se borne pas qu’à l’accroissement spectaculaire de la domesticité dans les maisons bourgeoises mais également qui instaure la sujétion de toute une classe sociale fraîchement immigrée dans la capitale.

(A suivre...)




Pour lire dans l'ordre :

Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3

mardi 3 février 2015

Vague

Vague n.f. Poche ○ EXEMPLE : Rue d'Aubervilliers, en 1900, vous étiez certain, passé dix plombes, de vous faire retourner les vagues par les malfrats riverains, dont c'était le turbin de père en fils.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

dimanche 1 février 2015

Les pétochards

Je compte toujours sur la France éternelle parce que je n’en suis jamais déçu, comme lorsque, par l’effet d’une pétoche abjecte, on y devance les désirs du pégreleux en visite. Il y a eu la rédaction de la Liste Otto pendant l’Occup’, dressée par des français soucieux de se montrer bien avec les nouvelles autorités. Il y a désormais ces annulations d’expositions artistiques qui seraient attentatoires à la croyance religieuse, des fois qu’un sourcil se froncerait quelque part dans le fantasme d’une banlieue proche-orientale, des fois que le fantasme soit aussi vrai que dans la littérature des classes moyennes (des fois que Houllebecq se vérifierait). Je note que ce sont en définitive toujours les mêmes, les donneurs de leçons, les pétochards, les tenants de l’ordre qui nous font le coup.
Pour notre bien, n’est-ce pas ?
Le pire est que cette France-là n’en finit pas de nous encombrer avec sa peur pavillonnaire et son envie de nous embrigader. Et pour cause, qu’elle n’en finit pas : c’est la France éternelle…

Tabasser

Tabasser v.a. Frapper longuement et durement (formé sans doute en partant de «passer à tabac ») ○ EXEMPLE : Les mecs d'avant 14 frayaient moins les musettes pour guincher que pour se tabasser à la décarrade.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

samedi 31 janvier 2015

Une historiette de Béatrice

— « 15, 16, 17... tu peux me dépanner de 2 euros, je ne vais pas avoir assez ?
— Ah non, débrouille-toi et vite, tu vas nous mettre en retard !
— C’est que nous allons à la messe madame, je garde ma monnaie pour la quête. »

Cette historiette a été publiée pour la première fois en janvier 2012 sur le blog Feuilles d'automne

Sabord (Coup de)

Sabord (Coup de) loc. Regard scrutateur, jeté dans le but de s'assurer de l'identité des personnages présents dans un lieu ○ EXEMPLE : Au premier coup de sabord, je ne gaffais pas de frime inquiétante dans ce tapis, ni malfat, ni poulet.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

Barbarella

Piqué dans la revue Fascination n° 30 (1986)

Rabat

Rabat : Manteau. — Allusion au grand collet des manteaux anciens qui se rabattait à volonté sur la tête et les épaules.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Rabat : Il rabat. Baisser piteusement la tête ou le nez. (En amour, s'entend)..

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)



Rabat n.m. Rabatteur. Personne généralement polyglotte qui oriente moyennant une commission les étrangers cossus vers les boîtes de nuit, les maisons galantes ou les tripots. ○ EXEMPLE : Maintenant que sa taule était bourrée tous les soirs, Léone virait les rabats. Elle voyait pas la nécessité de se mouiller de bouquets pour des clilles qui rallégeaient d'autor.
Synonyme d'« inter » (voir ce mot).

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

vendredi 30 janvier 2015

Voltaire, mon cul !...

On connaît tous la citation : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. » attribuée à Voltaire et qui se révèle apocryphe. On se reportera si l’on veut à l’article de Wikipédia qui éclaircit un peu l’affaire de ce côté-là...
Il se trouve que votre Tenancier, par l’effet d’un inexplicable masochisme, s’est retrouvé dans ce qui aurait dû être un débat avec la section locale de la Ligue des Droits de l’Homme — en réalité sept personnes autour d’une table et dont votre serviteur était le seul étranger — consacré à « l’après Charlie » semble-t-il. En fait, ce fut le déroulé d’un quasi-monologue d’un des membres qui avec une voix de stentor couvrait les propos plus intéressants d’un de mes voisins, ou d’autres objections fort raisonnables. Parmi les pires conneries qu’on puisse entendre d’un cuistre infatué de sa suffisance* on releva la citation apocryphe citée plus haut, signalée comme telle par votre Tenancier. Il lui fut répondu « qu’un mensonge était après tout très acceptable si cela pouvait servir la cause ». Le même, quelques temps après, alors que le Tenancier s’opposait sur certains points à ses analyses de bistrot lui fut rétorqué par le même que « dans un débat il y en a toujours un qui a raison et un autre qui a tort » avec un plaisir que nous n’avons pas voulu troubler plus avant. Nous sommes partis presque sur la pointe des pieds en nous demandant toutefois où nous avions bien pu tomber (Il faut dire que, par son passé militant, le Tenancier avait des souvenirs d’échanges d’une autre qualité avec la LDH…) Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps et un con ne résume pas forcément une volonté commune. Il se peut que le Tenancier soit tombé sur un îlot, propice aux impasses évolutives ou bien sous l’effet d’une endogamie alpestre. Mais la soirée fut bien longue…
Moralité : La prochaine fois qu’on lui fera le coup de la démocratie en danger, le Tenancier montrera son cul, ce qui vaut mieux que subir les Beria de sous-préfecture.
Du reste, on le sait, le Tenancier n'est pas « démocrate ».
____________________
 
: Justifiant une éventuelle intervention militaire française en Syrie, par exemple ce qui est assez baroque en soi et qui l’est encore plus quand cette assertion n’est même pas modérée par la présidente de la section locale…

Toasts

Le 20, un grand dîner d’adieu fut donné au docteur Fergusson et à Kennedy par la Société Royale de Géographie. Le commandant Pennet et ses officiers assistaient à ce repas, qui fut très animé et très fourni en libations flatteuses ; les santés y  furent portées en assez grand nombre pour assurer à tous les convives une existence de centenaires. Sir Francis M… présidait avec une émotion contenue, mais pleine de dignité.
A sa grande confusion, Dick Kennedy eut une large part dans les félicitations bachiques. Après avoir bu « à l’intrépide Fergusson, la gloire de l’Angleterre », on dut boire « au non moins courageux Kennedy, son audacieux compagnon ».
Dick rougit beaucoup, ce qui passa pour de la modestie : les applaudissements redoublèrent. Dick rougit encore davantage.
Un message de la reine arriva au dessert ; elle présentait ses compliments aux deux voyageurs et faisait des vœux pour la réussite de l’entreprise.
Ce qui nécessita de nouveaux toasts « à sa Très Gracieuse Majesté ».
A minuit, après des adieux émouvants et de chaleureuses poignées de main, les convives se séparèrent.

Jules Verne : Cinq semaines en ballon (1862) — Chapitre VIII
(Sommaire) 

Quart

Quart n.m. Commissariat de police (voir « lardu »). Découle de « quart d'œil », dont on donne deux étymologies possibles. Selon Lorédan-Larchey (1872), ce mot composé serait un rappel, dans une orthographe en forme de rébus, de l'ancienne robe des commissaires de police, appelée « cardeuil ». Un autre auteur soutient que « quart d'œil » aurait été formé à l'époque où chaque arrondissement de Paris, venant d'être doté de quatre commissariats, chaque commissaire assurait le « quart » de la surveillance (?) ○ EXEMPLE : Depuis la liaison radio entre le quart et les tires de patrouille, les braquage est devenu très glandilleux.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

jeudi 29 janvier 2015

Quand le Tenancier emballait comme une bête...

Du temps où votre serviteur était encore en pleine activité pour sa librairie, il faisait des paquets quotidiennement, ou presque. Voici un billet exhumé du feu blog Feuilles d'automne qui date du mois d'août 2008. Une occasion pour chacun de faire des travaux pratiques. On voudra bien noter que le chat est encore là et qu'il est toujours aussi collant !

Ah la la ! Si vous imaginez que gagner sa croûte de libraire en chambre, c’est facile tous les jours… Moi aussi, je fais ma comptabilité et toutes ces menues choses qui font le délice du petit commerçant. Rassurez-vous, tout de même, je ne vais pas vous faire le couplet « Ah mon bon Monsieur, c’est ben difficile de nos jours, allez ! ».
Non, aujourd’hui, je vais vous montrer des travaux pratiques : l’art de faire les paquets à la librairie Feuilles d’automne (bonsoir, quelle librairie !).
L’emballage des livres est le passage obligatoire pour mon activité. Quelques envois sont expédiés sous « enveloppe-bulle », mais les trois-quarts le sont selon la méthode que je vais vous décrire ci dessous, pour ma plus grande délectation…


Tout d'abord, il faut bien vérifier que l'ouvrage que vous allez emballer est bien celui que vous destiniez à votre client. Au bout d'une dizaine de paquets, il arrive que l'on s'emmêle quelque peu. La facture et les documents doivent être insérés à cheval sur la couverture pour que la personne qui les reçoit ne les rate pas. (Argol, pousse-toi, le chat !)


Ensuite, vous découpez un morceau de papier kraft aux dimensions de l'ouvrage, ici un in-12° assez facile à emballer, ma foi. (Bon, le chat, t'es gentil, mais tu vas ailleurs, hein ?)


Emballage du livre... (Pff...)


Ne pleurons pas sur le ruban adhésif. Ce n'est pas qu'une question d'esthétique. (La vache, y'a des morceaux de poils de chats coincés dans le scotch, maintenant, purée !)


On passe ensuite à la deuxième couche. Le kraft sert essentiellement à protéger le livre de l'encre du papier journal. Le journal, lui, va servir à rembourrer et rigidifier le paquet. (Un quart de table pour ma pomme et le reste pour le greffier, oh !)


Suite de l'opération...


Découpage d'un morceau de carton aux dimensions du livre emballé. Pour plus de précision, on le fera avec une solide paire de ciseaux et non un cutter dont la coupe est assez erratique et peut toujours taillader vos belles mains d'artistes. (Moi, c'est pas le cutter, c'est les griffes de chats)


Toujours faire en sorte que le crénelage du carton soit dans le sens du pli. Cela permet de plier plus facilement le bout de carton et de l'ajuster au livre. (Pousse-toi, Argol !)


On maintient le carton par de l'adhésif brun. Choisissez une marque assez solide et, si possible, équipez vous d'un dévidoir comme le modèle ci-dessus, qui permet quelques économies, notamment en énervements. (C'est le chat qui a repris le flambeau...)


Consolidation des extrémités. A noter que pour les paquets importants, on peut glisser un bout de carton plié dans cet espace et ensuite le consolider avec de l'adhésif. Les paquets doivent résister aux chocs. La taille du livre implique ipso facto une plus grande proportion de carton et de bourrage. Ainsi, un dictionnaire sera emballé avec du carton à double crénelage et le journal sera remplacé par des feuilles plastiques à bulles. En fait, la quantité de matériel utilisé pour un fort in-4° n'est pas proportionnelle à ce que vous utiliseriez pour un in-12°.


Avant-dernière opération : on recouvre (si le chat veut bien...) le tout d'une autre feuille de kraft, elle aussi découpée sur mesure.


Suite de l'opération...


Un coup d'adhésif pour fermer la feuille. (C'est une impression, ou il prend de plus en plus de place ?)


Idem pour fermer les extrémités...


Il n'y a plus qu'a coller l'étiquette. (Bon, maintenant, c'est le bâton de colle blanche qui est plein de poils de chat. C'est plus un bâton, c'est un bonnet à poils !)


Le paquet est terminé. Il n'y a plus qu'à remplir le bordereau d'expédition qui sera collé par le vaillant guichetier de la Poste à la réception de mes colis.
L'opération peut sembler longue et elle est à déconseiller lorsque l'on expédie des livres de poche ou de peu de valeur. Mais la plupart des livres que je vends ont besoin de cette protection. Il est parfois dommage que, sous prétexte d'économie - cela se joue parfois sur 2,00 € - on renonce à ce type d'emballage et que l'on fasse courir des risques aux livres que l'on a commandé. Il me faut en moyenne un quart d'heure pour traiter une commande, entre la sortie du bordereau et le collage de l'étiquette d'expédition. Il va de soi que mes confrères qui s'occupent de livres de poche ou d'ouvrages courants aient recours aux enveloppes-bulles ou bien aux emballages tout-prêts... La vitesse d'exécution et d'expédition est importante.
Mais, par ailleurs, j'ai la faiblesse de tenir encore à ce type d'emballage qui est un lien entre vous et moi, une manière de vous passer un message, puisque je ne suis qu'un "libraire virtuel" : "merci", et "continuez d'aimer les livres comme je les aime". J'ai remarqué que l'on appréciait.

Euh...

Ah oui ! Si vous trouvez un jour un chartreux dans votre paquet, soyez gentils, renvoyez le. C'est que j'aurais été à la bourre, ce jour là.

Pacqsif

Pacqsif n. m. 1. Paquet. ○ EXEMPLE : La noire était là. Dix pacqsifs d'un kilo, bien alignés. On attendait le potard qu'allait la chanstiquer en morphine-base, puis en héroïne.
2. « Mettre le pacqsif » : déployer toutes sa force, employer tous les moyens.○ EXEMPLE : Pour contraindre la tierce de la Popinque à cesser son contrecarre, y allait falloir mettre le pacqsif.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Voir aussi Pacson)

(Index)

mercredi 28 janvier 2015

Anglicisme

Tysbers s’estut une grande pose.
Si vous dit que ce fu la cose
Qui plus le mat et plus le donte.
Li cuers li dist qu’il avra honte
Et grant anui et grant vergoigne.
Tant doute Renart et resoigne
Qu’il n’ose entrer en sa maison.
Par defors contre sa raison,
Mais il n’iavra ja gaing :
« Renars, fait-il, biaus dous conpains,
Di moi, es tu donc la dedens ? »
Ce dist Renars entre ses dens
Tout coiement que nuls ne l’oie :
« Tysbers, par vostre male joie
Et par vostre male aventure
Soiés entrés en ma pasture !
Si serés vous, s’engiens n’i faut. »
Et puis a respondu en haut :
« Tysbert, fait Renars, Villecome,
Comme se vous veniés de Roùme
Ou de Saint Gile novelement,
Bien soié venus hautement,
Et s’il fust jours de Pentecouste ! »
Que bials parlers rien ne li couste,
Ains le salue humelement.

Tibert s’arrêta un bon moment. Je vous assure que c’est là ce qui l’abat et le mate le plus. Son cœur lui dit qu’il va connaître la honte, de grands tourments et un terrible déshonneur. Il redoute et craint tellement Renart qu’il n’ose pénétrer dans sa demeure. Il lui tient son discours de l’extérieur, mais il n’y gagnera rien : « Renart, dit-il, très cher compagnon, dis-moi es-tu donc là ? » Renart marmonna entre ses dents, à voix basse pour n’être entendu de personne : «  Tibert, puissiez-vous être entré sur mon territoire pour votre tristesse et pour votre malheur ! C’est ce qui vous arrivera si j’ai assez d’habileté. » Puis il répond à haute voix : « Tibert, welcome ! comme si vous reveniez tout juste de Rome ou de Saint-Gilles, ou comme si c’était le jour de la Pentecôte, soyez le très bienvenu ! » car il ne lui coûtait rien de faire le beau parleur, et il le salue avec humilité.

Le Jugement de Renart
 
in : Le Roman de Renart
ed. publiée sous la direction d’Armand Strubel

Obligado

Obligado adv. Obligatoire. Impératif. ○ EXEMPLE : Chez Bébé d'Amiens, les julots qui venaient le samedi relever les comptées de leurs dames mettaient, obligado, une roteuse sur la carante. C'était le bon genre.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

Une historiette de George

Un jeune homme élégant, fine moustache et regard vif, entre et demande avec un fort accent italien :
— Bonjour, auriez-vous un livre de Victor Hugo qui s'appelle Le sourire, ou quelque chose comme ça ?
— […] Euh… Hugo… Le sourire, vous êtes sûr ?
— Non, en italien le titre est Il Sorriso mais en français je ne sais pas…
— Et… vous savez de quoi ça parle ?
— Euh… un garçon qui sourit…
— Ah ! l'histoire de Gwynplaine ! Le titre original français, c'est L'homme qui rit. Très beau roman… Mais désolé, non, je ne l'ai pas pour l'instant.
(Fierté et pointe d'orgueil du libraire d'abord un tantinet désarçonné mais qui remet fissa sa cervelle sur les rails)

Nana

Nana n.f. Primitivement fille galante exerçant sous l'autorité d'un jules. Tend de nos jours à désigner n'importe quelle femme jeune et séduisante. ○ EXEMPLE : A droite, les voyous. A gauche, les nanas. Au centre, entourés de cierges aussi mastards que de jeunes arbres, les deux cercueils drapés de noir. (Auguste Le Breton, Du rififi chez les hommes.)

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

Gaston Leroux

(Je Sais Tout, 1910)

lundi 26 janvier 2015

Où le Tenancier a du chien...

Lâche-nous (La mère)

Lâche-nous (La mère) loc. Expression signifiant à un radoteur, un raseur, d'avoir à se taire. ○ EXEMPLE : Au rade de Charlot le fort, Pepito commençait :
— C'était sur la frontière de l'Uruguay...
Pour la millième fois on allait avoir droit aux débuts de ce pante aux Amériques. Pas résigné, le taulier demanda :
— Dis... tu la connais la mère lâche nous?...


Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

Une historiette de Béatrice

— « Oh le Seigneur des Anneaux !
— Mais ma fille, tu ne vas rien comprendre, c’est en italien. »
— Euh non madame, c’est en basque. »

Cette historiette a été publiée pour la première fois en janvier 2012 sur le blog Feuilles d'automne

dimanche 25 janvier 2015

La Saint Barthélémy des Clebs

« En un sens, la bonne petite Lucette avait quelque chose d’une souris innocente, avec ses yeux ronds, ses dents de petite rongeuse qui semblaient déborder un peu sur sa lèvre inférieure. Elle était fraîche, sentimentale, elle aimait tout… Sauf les clébars !
Alors là, c’était une allergie profonde, un permanent conflit inter espèces, où il n’y avait qu’une solution : la mort !
Elle l’expliquait à son Ciss distrait. Là-bas, dans sa cambrousse, elle avait passé toute son enfance à proximité immédiate d’un chenil, avec gueulements quasi continus de quinze à vingt horribles cannibales qui fonçaient ébranler les grilles de tout ce qui ne leur apportait pas la bidoche.
— Les voisins ne râlent pas ?
— Non, tous les pécores, ils ont des clébars encore plus cons !
Dans une moleskine gris clair, résidu d’un imper, la bonne Lulu avait taillé, cousu et liseré un petit calot avec le sigle « Air France ». Elle s’en coiffait un peu de travers. Elle se voyait sur la ligne Roissy-Los Angeles, survolant la Terre de Baffin. Elle cambrait son petit cul.
— Cher Monsieur Ciss, il fait soixante degrés sous zéro, dehors ? Vous désirez casser la graine ?
— Monsieur Ciss désire baiser l’hôtesse, sans supplément.
— Ho, Monsieur ! Les Français pas sérieux !
Deux mômes heureux ! Et lorsque l’affreux Ciss flagada, se constatait l’éjaculation molle, il se mettaient doucettement à la confection des boulettes de mort subite. Gants plastique et petits sachets de feuille d’aluminium, ils avaient la même joie du bon boulot que les mecs et les gonzesses en blouse blanche préparant la bonne guerre biologique  « dans l’intérêt supérieur de la Nation. »
Ca enfin c’était bien une croisade, et autrement valable que le mignotage de ces connes de guerres destinées à exterminer des humains innocents. Le bon toutou est le toutou crevé, un point, c’est tout ! On voit ça tous les jours, mais il est vrai qu’il s’agit seulement de gens qui n’ont pas le même bon Dieu…
Mort aux clébars, donc !
La caractéristique des ces horribles bestioles, c’est qu’elles n’étaient bonnes à rien d’autre qu’à bouffer. Dudule et Mimir en étaient un bel exemple. A part ça, ils cacataient, pissotaient, dans les courtes promenades où il fallait les tenir, les prier, parfois supplier de lâcher leurs lourdes crottes lorsque le régime du Bistro les constipaient.
— Fais ton gros caca, mon trésor ! encourageait la Tata.
Et Ciss ne pouvait s’empêcher de penser aux centaines de millions, aux milliards de trésors qui bouffaient ainsi le pain du pauvre pour aller le chier plus loin.
On était envahi jusqu’aux intermèdes pubs d’une super télé. Que voyait-on entre les mérites d’un tampon périodique, d’une pastille à bulles gazeuses pour l’hygiène des râteliers, ou d’un produit à récurer les vécés dégueulasses ? Mais voyons il n’y en avait que pour les « trésors » ! La bouffe Oua-oua rendait à fond, en coquilles, en crottes compressées. On voyait d’ignobles clebs se farcir en trois secondes des plâtrées garanties pur bœuf et céréales enrichies, avec bruits de déglutition qui auraient valu la paire de mornifles au môme ordinaire pour lui apprendre les bonnes manières.
— Il adore ça à tous les repas ! Voyez comme il en rote de satisfaction !
Et sans doute toutes les mémères devaient fondre dans leur slip, car le commerce Oua-oua prenait une ampleur phénomène. Les rayons s’agrandissaient, se multipliaient dans les grands magasins, mais aussi jusqu’aux plus humbles boutiques. Et pour quoi faire, tout ce tintouin ? Pour aller redéposer ces ingrédients digérés sous la semelle des promeneurs indulgents, qui auraient par contre trouvé scandaleux qu’un môme se débraguette au long d’un arbre.
Asservissement ! Il n’y avait pas d’autre mot. Les seigneurs et maîtres à quatre pattes pouvaient publiquement, stupidement aboyer, ça faisait simplement partie d’un paysage, c’était admis et reconnu. Ces bestioles étaient des êtres supérieurs !
Même les grandes dames aux noms à rotules des temps jadis, où les palais ignoraient les latrines devaient pissoter sous elles dans les couloirs, à l’abri de leur robe à vertugadin. Là, vertugadin nib ! Pas même l’ombre d’un tutu ! La gueule, le pénis, la vulve, les crottes, tout à l’air !
Le Roi est nu ! Le Roi se répand !
Pourquoi s’étonner de ce qu’il y ait que des mômes innocents pour le constater ? »
 
Jean Amila : Le chien de Montargis
 

Jacot

Jacot n. m. Pince à pied-de-biche, dite pince-monseigneur, servant à l'effraction des portes. ○ EXEMPLE : Le vieux Tintin paume la mémoire. Le v'là qui monte sur un casse en emportant son jacot, mais il oublie les encoinstas dans sa table de nuit.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

samedi 24 janvier 2015

Aphorisme

Tous les cannibales vous le diront :
C'est dans les vieux potes qu'on fait la meilleure soupe.

jeudi 22 janvier 2015

Ils (sont pas là)

Ils (sont pas là) loc. verb. Signifie : je manque d'argent. Rapprocher comme construction de « aller les chercher », « ils » et « les » étant employés à la place du synonyme masculin d'argent monnayé ou de monnaie, difficile à identifier ( « sous », « biffetons », « talbins », etc. ). ○ EXEMPLE : Je monterais bien avec vous à Deauville, seulement ils sont pas là !

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

samedi 17 janvier 2015

H (De l')

H (De l') loc. Héroïne (stupéfiant). ○ EXEMPLE : C'est vers 1930 que les trafiquants de stup's constatant que les camés à la blanche se désintoxiquaient à la rigolade, ont, sur le marché, introduit l'H, qui donne un manque insupportable.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

mardi 13 janvier 2015

Mathilde

Le Tenancier continue ses frasques dans la fiction et dans un catalogue qui comporte ma foi du beau linge. Cet opus-ci est plutôt noir et un peu finiséculaire. Il faut varier dans les plaisirs. Déjà trois titres à Sous La Cape. Le Tenancier se rengorge...


Yves Letort 
Mathilde
  Édition numérique ou papier à commander sur le site de
 Sous La Cape.

Pour les autres textes du Tenancier, allez donc voir .

Ébouzer

Ébouzer p.a. Abattre, terrasser, anéantir. ○ EXEMPLE : Milo de Plaisance s'était fait ébouzer une belle noye, d'une seule giclée de P. 38 par un petit barbiquet qu'ignorait sa cote de caïd.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

lundi 12 janvier 2015

Rendons service à Fabrice...

« Les confidences de Lucchini », L'Obs n° 2648 du 8 janvier 2015

Oui, rendons-lui service en l'orientant vers un endroit où il aura quelques éléments de compréhension, c'est-à-dire ici, par exemple. Nous comptons sur nos lecteurs pour lui en indiquer d'autres et surtout sur ce qui devrait être compris d'un poème. Enfin bref...
Autrement, je m'interroge sérieusement sur l'intérêt de déclarer que son chauffeur de taxi était Marocain. Était-ce pour souligner l'exceptionnelle attention du chauffeur en qualité de taxi, de Marocain, ou de transporteur de cabot ?
Hasard des hasards, se pointait en couverture du même canard un autre de ceux que nous avions représenté dans nos « vœux », avec la « une » la plus sombrement hilarante de ces derniers jours :


Comme quoi on devrait se méfier : quand on évoque la sottise, on prend le risque d'être très tendance...

dimanche 11 janvier 2015

Ce qu'on voudrait de l'avenir

 
Plutôt Étant donné que des méta-données.

Cabane

Cabane n.f. 1. Domicile. ○ EXEMPLE : Si Fredo vient me voir, dis-lui qu'il passe à la cabane, je décarre jamais avant deux plombes.
2. Maison de tolérance. ○ EXEMPLE : Les frangines qu'Arthur avait filées en cabane se comptaient plus. Il les levait dans les gares, aux durs du matin, arrivant de leur campagne pour se placarder chez les bourgeois. En moins de jouge, au baratin, il chanstiquait leur vocation.
3. Prison ○ EXEMPLE : A trente piges, Léonce les petits pieds en avait déjà passé dix en cabane.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Index)

samedi 10 janvier 2015

Je ne suis pas Charlie

Sans avoir pu le contacter, je m'autorise tout de même à reproduire l'article de Claude Guillon à partir de son site, puisqu'il a été repris au moins six fois par d'autres blogs. Je ne me doutais pas qu'en lisant La Terrorisation démocratique dont il est l'auteur, je me retrouverais à en éprouver rapidement les effets qu'il y décrit si bien. 


Je ne doute pas qu’il existe des « Charlie » sympathiques et plein(e)s de bonnes intentions. Je suis inondé, comme tout le monde, de leurs courriels indignés. Je n’en suis pas.
Je ne suis pas Charlie, parce que je sais que l’immense majorité de ces Charlie n’ont jamais été ni Mohamed ni Zouad, autrement dit aucun de ces centaines de jeunes assassinés dans les banlieues par « nos » policiers (de toutes confessions, les flics !) payés avec « nos » impôts. Si je recours aux outils du sociologue, je comprends pourquoi il est plus immédiatement facile pour des petits bourgeois blancs de s’identifier avec un dessinateur connu, intellectuel et blanc, qu’avec un enfant d’immigrés ouvriers du Maghreb. Comprendre n’est ni excuser ni adhérer.

Je ne suis pas Charlie, parce que je refuse de me « rassembler », sur l’injonction du locataire de l’Élysée, avec des politicards, des flics et des militants d’extrême droite. Je ne parle pas en l’air : une connaissance m’explique que sur son lieu de travail, ce sont des militants cathos homophobes de la dite « Manif pour tous » qui s’impliquent dans l’organisation d’une minute de silence pour l’équipe de Charlie Hebdo.

Je ne suis pas Charlie, parce que je refuse de pleurer sur les cadavres de Charlie Hebdo avec un François Hollande qui vient d’annoncer que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sera construit, autrement dit qu’il y aura d’autres blessé(e)s graves par balles en caoutchouc, et sans doute d’autres Rémi Fraisse.

Je ne suis pas Charlie, parce que je suis viscéralement — et culturellement — hostile à toute espèce d’ « Union sacrée ». Même les plus sots des journalistes du Monde ont compris qu’il s’agit bien de cela ; ils se demandent simplement combien de temps cette « union » peut durer. Se « rassembler » derrière François Hollande contre la « barbarie islamiste » n’est pas moins stupide que de faire l’union sacrée contre la « barbarie allemande » en 1914. Quelques anarchistes s’y sont laissés prendre à l’époque ; ça va bien comme ça, on a donné !

Je ne suis pas Charlie, parce que le « rassemblement » est l’appellation néo-libérale de la collaboration de classes. Certain(e)s d’entre vous s’imaginent peut-être qu’il n’existe plus de classes et moins encore de lutte entre elles. Si vous êtes patron ou chef de quelque chose (bureau, atelier…), il est normal que vous prétendiez ça (et encore ! il y a des exceptions) ou que vous puissiez le croire. Si vous êtes ouvrier, ouvrière, contraint(e) à des tâches d’exécution ou chômeur/chômeuse, je vous conseille de vous renseigner.

Je ne suis pas Charlie, parce que si je partage la peine des proches des personnes assassinées, je ne me reconnais en aucune façon dans ce qu’était devenu, et depuis quelques dizaines d’années, le journal Charlie Hebdo. Après avoir commencé comme brûlot anarchisant, ce journal s’était retourné — notamment sous la direction de Philippe Val — contre son public des débuts. Il demeurait anticlérical. Est-ce que ça compte ? Oui. Est-ce que ça suffit ? Certainement pas. J’apprends que Houellebecq et Bernard Maris s’étaient pris d’une grande amitié, et que le premier a « suspendu » la promotion de son livre Soumission (ça ne lui coûtera rien) en hommage au second. Cela prouve que même dans les pires situations, il reste des occasions de rigoler.

Je ne suis pas Charlie, parce que je suis un militant révolutionnaire qui essaie de se tenir au courant de la marche du monde capitaliste dans lequel il vit. De ce fait, je n’ignore pas que le pays dont je suis ressortissant est en guerre, certes sur des « théâtres d’opération » lointains et changeants. De la pire manière qui soit, puisque partout dans le monde et jusque dans mon quartier, des ennemis de la France peuvent me considérer comme leur ennemi. Ce qui est parfois exact, et parfois non. Au moins, sachant que la France est en guerre, je n’éprouve pas le même étonnement que beaucoup de Charlie à apprendre qu’un acte de guerre a été commis en plein Paris contre des humoristes irrespectueux envers les religions.

Je ne suis pas Charlie, parce que faute de précisions, et du fait même de l’anonymisation que produit la formule « Je suis Charlie », cette formule s’entend nécessairement, et au-delà des positions sans doute différentes de tel ou telle, comme un unanimisme « antiterroriste ». Autrement dit : comme un plébiscite de l’appareil législatif dit « antiterroriste », instrument de ce que j’ai appelé terrorisation démocratique.

Je ne suis pas Charlie. Je suis Claude. Révolutionnaire anarchiste, anticapitaliste, partisan du projet communiste libertaire, ennemi mortel de tous les monothéismes — mais je sacrifie à Aphrodite ! — et de tout État. Cela suffit à faire de moi une cible pour les fanatiques religieux et pour les flics (j’ai payé pour le savoir).

Je suis disposé à débattre avec celles et ceux pour qui la tuerie de Charlie Hebdo est une des horreurs de ce monde, auxquelles il est inutile d’ajouter encore de la confusion, à forme d’émotion grégaire.

Claude Guillon.
C'est la dernière fois avant longtemps que j'aborde le sujet sur ce blog, ne voulant pas participer à l’obscénité générale ni à la validation de ce que je réprouve : la guerre, la répression et le racisme entre autres. Mais la date du 7 janvier 2015 sera un marqueur, celui qui consacrera le retour d'un esprit critique que j'avais un peu trop tendance à mettre sous le boisseau, et sans doute, aussi, un engagement que j'ai trop différé par le passé.

vendredi 9 janvier 2015

Où Grégoire écrit à sa Tata...

[...] « Ensuite j'ai filé m'inscrire chez Paul Emp', après ma préinscription sur internet. Et là, tantine, là ! devine sur qui je tombe ??
Un conseiller pôle-emploi-tout-en-cravate-blanche, tant qu'on se serait dit à un mariage antillais, qui en visionnant mon C.V. relève la tête et me dit : "vous avez publié un livre ?"
— Oui m'sieur. En 2013, éditions L'Harmattan, ma tante est orhtophonistopédiatricotypographologue, on a fait du super boulot.
— J'adore la littérature, que me répond l'encravaté, j'écris moi aussi, des polars, en auto-édition seulement, mais j'ai quand même gagné le prix de la bibliothèque de Rumilly (un coin perdu à côté d'Annecy, je ne savais même pas qu'ils z'avaient une bibliothèque dans ce trou.)
— Bravo, dis-je.
— Je vais commander votre livre. Je lis trente pages tous les soirs, sinon je dors pas.
— Moi je dors pas tout court, trente pages ou non.
Bref, la moitié du rendez-vous, on a parlé littérature, polar, Fajardie, Stephen King, puis classique, Camus, Henri Michaux, qu'il affectionne...
À la fin, je lui dis que pour la recherche active d'emploi, bon, faut pas trop non plus compter sur bibi, j'essaie d'écrire.
— Oui, je comprends bien. je vais m'occuper de votre cas et mettre ce qu'il faut en termes de recherches pour que ça cible difficilement, ça vous laissera du temps pour écrire. Continuez, c'est cool des jeunes qui écrivent !
 
Ah, merci Paul Emp'. »

jeudi 8 janvier 2015

Gueule de bois.

J'ai réagi hier à la tuerie qui s'était déroulée à Charlie Hebdo. J'ai aussi contemplé en peu de temps l'instrumentalisation de ce crime à des fins qui ne me concernent pas. La mort de ces gens me concernait, pas la pantalonnade qu'on nous prépare et ses suites répressives.
Ci joint un communiqué de gens qui me sont proches dans les idées :

Nous ne hurlerons pas avec les loups !

publié le : 8 Jan 2015

L’attentat commis à Charlie Hebdo ce mercredi 7 janvier dans la matinée par quelques individus se réclamant de l’Islam ne doit pas nous faire perdre toute raison, malgré l’émotion bien compréhensible de nombre de nos camarades que nous partageons. Si à une époque le milieu libertaire, tout particulièrement notre organisation, a été proche de ces héritiers d’Hara Kiri, leur émanation contemporaine a cessé de nous faire rire depuis longtemps.
Nous n’avons pas choisis et nous ne choisirons pas entre des intégristes et des désinhibiteurs d’un racisme « de gauche ». Nous ne choisirons pas entre des réactionnaires religieux dont nous connaissons bien les pratiques quelle que soit leur secte et un journal véhiculant l’islamophobie sous couvert de lutte en faveur de la laïcité et de la liberté d’expression. Depuis son origine notre organisation combat toutes les religions et leurs émanations intégristes d’où qu’elles viennent. Nous ne tomberons pas dans le piège grossier de l’unité nationale contre « l’ennemi commun ».
Notre solidarité va vers ceux qui vont subir le contrecoup de cet assassinat imbécile et criminel à plus d’un titre. L’hallali a déjà sonné et tout ce qui retient le pouvoir « socialiste » de s’y joindre pleinement c’est la crainte de ne pas être ceux qui en récolteront les fruits aux prochaines élections. Nous voyons déjà fleurir les discours sur la guerre civile, quelques heures à peine après cet attentat.
Nous ne choisissons pas non plus le camp d’une extrême-gauche qui confond dans sa connerie essentialiste et politicienne des réalités aussi diverses que le prolétariat, l’Islam, le racisme, les sans-papiers ou les « jeunes de banlieue », fantasmant sur un soi-disant potentiel révolutionnaire des musulmans.
Cet attentat intervient dans une période de stigmatisation vis à vis des musulmans ou assimilés comme tel. Il faut rappeler que l’islamophobie est un outil du pouvoir visant à diviser notre classe et ses luttes. Elle ne se développe pas en réaction à un soit disant « problème musulman ». Le mouvement anti-Islam allemand « Pegida » qui prend de l’ampleur est ici caractéristique de cette psychose, la population « musulmane » de ce pays représentant moins de cinq pour cent de la population.
C’est pourtant principalement sur ce sentiment d’invasion, « d’islamisation », que l’extrême droite se structure depuis ces dernières années. Nul doute que la tuerie réactionnaire de Charlie Hebdo renforcera ce phénomène et donnera au FN et ses satellites, une plus grande légitimité à prôner le conflit ethnique comme problème de fond, et la préférence nationale comme solution.
Dans cette période troublée, nous anarchistes devons garder la tête froide et maintenir une ligne de démarcation claire entre nous et nos ennemis : intégristes de toutes les chapelles, xénophobes de gauche comme de droite, sexistes de tous horizons, et soi-disant communistes versant dans la réconciliation nationale et l’inter-classisme.
 Le groupe Regard noir – Fédération anarchiste
 J'adhère à cette position.

vendredi 2 janvier 2015

Vache

Vache : Prostituée avachie. — « Les jours de dispute, elle traitait très-bien sa mère de chameau et de vache. » (Zola.) V. Blagueur, Veau.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

(Index)

jeudi 1 janvier 2015

2015

Pour la nouvelle année, le Tenancier a le plaisir de vous présenter tous ces vieux :


 Allez, bonne année quand même, hein...