dimanche 9 mai 2021

André Breton vous parle



Entretien de 1950
Si quelqu'un en connaît la source, on la mentionnera avec plaisir ici.
Mise à jour : consultez les commentaires d'Annie et de George qui vous renseigneront...

mercredi 5 mai 2021

Une historiette de Béatrice

« Oh c'est ma grand-mère qui va être contente ! Je crois bien que je viens de trouver le livre de Maurois qu'elle cherche depuis des années.... Et en poche en plus, elle préfère. Je l'appelle tout de suite pour vérifier. »
J'adore mon boulot.
Une jeune fille heureuse, sa grand-mère heureuse.

lundi 3 mai 2021

Une enfance et un paradoxe temporel...

Patrick Denieul écrit des romans, Patrick Denieul chronique dans 813, Patrick Denieul rêve, Patrick Denieul enseigne, Patrick Denieul reste jovial, Patrick Denieul imagine (et cela déborde !), Patrick Denieul se promène dans la vie avec des ailes minuscules dans le dos.

  Si nous passons de vie en vie pour apprendre des choses, alors c’est toujours Mozart qui me fait renaître. Dans tous les cas, j’essaie de boire le moins possible l’eau du Léthé. J’ai quatre ans. Je suis allongé sur cet affreux canapé marron en cuir, strié comme si un chat fabuleux avait fait ses griffes, ou comme si l’artisan l’avait collé par erreur, puis déplié dans un ultime geste pathétique. Sur la vieille platine disque, il y a ce 45 tours, « la petite musique de nuit », Mozart donc. Et je me réveille de mon sommeil éternel. La moquette est grisâtre, les murs sont peints en une sorte de vert débile et, dans mon dos, je le sais, je le sens, il y a une collection intégrale de grands livres rouges, avec un planète sur le dos. Je me lève, je vais changer le disque, je suis très fort ou mes parents totalement inconscients et absents, plus sûrement la deuxième hypothèse. Les Tout L’univers — quand je saurai lire, je l’apprendrai — sont les seuls livres de la maison. Bien des années plus tard, ma mère achètera les volumes, rouges encore, de « l’Aventure Mystérieuse », par quel cheminement, voilà ce qui m’intrigue à rebours, mais dans mes enfances, il n’en est rien. Si je veux lire, j’ai les Tintin et les Astérix, offerts à mes sœurs à chaque Noël et anniversaire, et les petits livres d’images des années 60. C’est tout. Et donc, les Tout l’Univers.
  Pour les attraper, il faut se hisser sur le canapé, puis tirer fortement sur le volume que l’on veut lire. Pas simple, je suis jeune, gros, pas tellement costaud, tout le contraire d’aujourd’hui où je suis vieux, toujours gros et nettement plus imposant. Mais j’y arrive. J’aime caresser leur couverture granuleuse avant de les ouvrir et de plonger dedans. Les dessins, les schémas me fascinent. Je me souviens d’une page double où j’apprenais que si on tuait son père jeune en remontant dans le temps, cela pouvait créer un paradoxe. On pouvait ne pas se rencontrer plus tard. Je ne voulais pas tuer mon père. Il est d’ailleurs mort tout seul comme un grand. Mais cela m’intriguait. Quel type avait pu écrire ça ? Et c’était qui, ce Einstein, qui avait eu cette idée débile ? Dans la même page, on apprenait aussi qu’un astronaute dans l’espace vieillissait moins vite qu’un type resté sur Terre, preuve à l’appui. Moi, je voulais rester jeune, pas trop à cette époque, je comptais les demis entre deux anniversaires. Mais quand même, je le trouvais tarte, le gus enfermé dans sa capsule. Tout ça pour gagner des années et être plus jeune que son fils. Il y a des gens bien compliqués.
  Je me souviens aussi de la page des dinosaures, bien sûr. De celle des Aztèques, qui avaient mis les bouts mystérieusement après avoir assassiné des tas de jolies filles dans des temples mal fichus. À bien y réfléchir, il y avait quand même de sacrés tarés dans les pages de Tout l’Univers. Des Goths, des Huns, des Empereurs Romains qui en trucidaient d’autres, des Papes. Même Napoléon. Pas de quoi pavoiser. La Vie s’annonçait rude.
  Mais mon chat Nouchka et moi, on s’en fichait, en fin de compte. J’avais sept ans, je jouais de la flûte traversière parce qu’un connard avait jugé que j’avais les doigts trop courts pour faire de la guitare ou du piano comme tout le monde. Mon prof polonais parlait mal le français et mon chat détestait la flûte dans ses oreilles, mais comme il m’aimait bien, il restait sur mes genoux par sympathie. On buvait des laits-fraises et pendant que Papa matait le Tour de France, j’épluchais systématiquement de A à Z, les volumes, même les plus abscons, la liste des addendas, par exemple. Je savais tout de la Troisième République, du Congo Belge, de Nostradamus, du Phylloxera et du Commerce du Bois d’Ébène. Si le Tout L’Univers était un virus, alors je l’ai attrapé. Ça m’a donné une culture générale de malade. J’en souffre encore aujourd’hui quand personne ne comprend ce que je raconte.
  Nouchka a fini par mourir, sans doute écrasé par la bagnole de mon père et ma mère, toujours prévenante, m’a assuré avoir vu un type le ramasser pour vendre sa peau, car il avait une fourrure duveteuse et sombre. Ce salaud-là, je l’ai longtemps guetté dans la chambre de ma sœur, la seule chambre qui donnait sur la rue, en vain. Puis je suis tombé sur les disques discos de ma sœur, j’ai découvert que je pouvais aller à la Bibliothèque du Château, j’ai mis les pieds dans le premier bibliobus de ma vie, j’ai lu « Pas de bisous pour maman » de Tomi Ungerer, premier choc esthétique, je suis tombé amoureux d’Agnès, puis de Marie-Lise, puis de Marie-Pierre, puis de Mathilde, puis d’Ingrid, mais ça n’a pas duré, puis de Catherine, puis de Muriel, puis de Vin-Tran, mais je me la suis faite souffler, puis de Stéphanie, à nouveau de Stéphanie, encore de Stéphanie, jamais la même, toujours une autre, puis j’ai eu mon bac, j’ai quitté la maison, j’ai oublié que j’avais lu autrefois Tout L’Univers, et l’Univers s’est vengé : un matin, ça avait disparu. La colonne de gauche était vide. Le tableau de biches dans le sous-bois rapporté d’Algérie par un oncle traumatisé avait été jeté. On avait changé le canapé, et plus encore, il n’y avait plus de cloison entre le salon et ma chambre. Ma chambre d’enfant s’était volatilisée. À la place, une vieille commode à côté de la fenêtre qui donnait sur le mur de la maison d’à-côté, où j’avais tant fantasmé. Les choses avaient repris leur place. La cloison montée à la va-vite, si sonore que je pouvais suivre de mon lit les émissions de télé comme à la radio, avait été abattue. L’espace précaire où on avait logé mon existence imprévue s’était démantelé, exactement comme le type resté sur Terre, face à son père astronaute qui se baladait dans le ciel. Et quand le mien a disparu, j’y ai vu une drôle de coïncidence. Comme si toute chose était vouée au changement. Ma mère a vendu la maison, j’ai soldé mon souvenir de l’encyclopédie mythique, le canapé vert, mon chat Nouchka, mais jamais, jamais je n’ai oublié la petite musique de nuit obsédante de Mozart. Tome 12, page 584. Entre Michel-Ange et le Mozambique.


Patrick Denieul


 

jeudi 29 avril 2021

Manières de finir

La parution du Tenancier possède une saveur particulière. Les Bocaux, publié aux bons soins du passionnant Ian Geay dans sa revue finissante, Amer, en termine le sommaire. Cet opus du Fleuve, par ailleurs, achève le cycle (ce qui ne veut pas dire que d’autres nouvelles ne s’intercaleront pas) qui avait commencé par La Station souterraine il y a quelques années.
En toute chose, il faut considérer la fin : terminer dans une revue finissante par un point final prend valeur d’achèvement. De ce côté du clavier, on s’en réjouit. 


 
On reviendra sur le sommaire, aquatique, méandreux et riche.
Yves Letort : Les Bocaux — Revue Amer, n°9 (2021)
 
Pour les autres publications des Âmes d’Atala, c’est ici.

dimanche 25 avril 2021

Mousse & Pampre

Le Tenancier a terminé un manuscrit important, raison pour laquelle il fait campo. Il va poursuivre sa pause encore un jour ou deux, le temps de fêter ça.


vendredi 23 avril 2021

Une historiette de Béatrice

— Tiens, tu ne veux pas une BD ? Regarde, il y a des Alix, c'est si bien dessiné, regarde.
— Non, c'est celui-ci que j'aime.
— Mais tu peux choisir une autre BD si tu ne veux pas d’Alix ! Repose celui-là, tu vois bien qu'il est tout vieux et sans image. Papa désolé.
— Ah bon ? Tu t'intéresses aux poètes du XIXe siècle ? Maman moqueuse.
— Mais prends donc une BD, tu ne sais pas lire correctement ! Papa lourdingue.
— Mais moi je m'intéresse aux histoires aux de quand on n'était pas encore nés. J'aime les jolis livres. Enfant déterminé.
Son grand frère a eu trois BD, et lui est reparti fièrement avec son anthologie, et un immense sourire. Content aussi d'avoir croisé quelqu'un qui l'écoute.

lundi 19 avril 2021

Une historiette de Béatrice

« Allô oui bonjour, dites-moi est-ce que vous rachetez les romans grands formats ? Parce-que je lis tellement vous comprenez, j'achète des Pléiades maintenant, c'est formidable le gain de place, et du coup je vends les titres que j'ai en double.
— Et quels sont ces titres s'il vous plaît ?
— Oh, j'en ai plein, de Sulitzer par exemple, vous voyez. »
Oui, je crois que je vois.

samedi 17 avril 2021

Abréviations : Lettre D

définit.
déd.
défr.
des., dess.
décomp.
demi-rel.
dent.
dent. int.
dépl.
dérel.
dir.
d.-b.
d.-ch.
d.-m.
d.v.
dor.
dos.fr.

















définitif
dédicace
défraîchi
dessins
décomposition
demi-reliure
dentelle
dentelle intérieure
dépliant
dérelié
direction
demi-basane
demi-chagrin
demi-maroquin
demi-veau
doré
dos frotté

jeudi 15 avril 2021

Une historiette de Béatrice

— Quatre et trois, sept euros s'il vous plaît.
— Vous me faites un prix ?
— Non madame.
Les affaires reprennent.

vendredi 9 avril 2021

Tout l'univers

Sandrine Scardigli est autrice, éditrice, tenancière d'un blog et officie en librairie. Elle excelle dans toutes ces matières (on prie le lecteur de prendre cet avis comme autorisé, étant donné la proximité du Tenancier avec toutes ces activités).

Pierre-Paul au mas

Pas facile, la vie de représentant… Dégoter de nouveaux contrats oblige à bien des âneries, du type sortir des sentiers battus – au sens littéral du terme.
Qu’est-ce que je suis venu fiche ici ? grogne in petto Pierre-Paul, dernière recrue en date de la force commerciale destinée à inonder le monde de la prestigieuse encyclopédie Tout l’univers, alors que sa voiture fait des embardées dans le chemin caillouteux. Tandis qu’il passe devant un hangar près duquel sont garés tracteurs boueux et camions poussiéreux en cette fin d’après-midi, il a toutefois bon espoir : personne ne l’aura devancé ici. Tout en conduisant lentement, il scrute les lieux : la grande maison en pierres devant laquelle trône un véhicule de marque allemande lui laisse espérer que le sentier mal entretenu cache un mas où il y a peut-être du bien ; la grande balançoire dans le jardin lui fait deviner au moins un enfant.
Pas de librairie ni bibliothèque dans à moins d’une heure de route, un enfant, de l’argent… ça devrait le faire sans problème.
À peine le temps de ranger sa voiture sous les grands chênes qu’un énorme berger allemand se précipite sur lui. Ah oui, à l’entrée du sentier, il y avait bien une pancarte, mais bon… Il attend calé dans son siège, sous les aboiements furieux de l’animal. Il a l’habitude, il sait que quelqu’un va venir.
Ça ne manque pas. Une grand-mère vient de sortir sur la terrasse et a rappelé le chien qui se tient à ses pieds, immobile mais prêt à bondir. Elle, petite, toute fine dans sa blouse à fleurs, au visage émacié, regard perçant, silencieuse : il devine que son apparente fragilité doit cacher une main de fer. Pas le genre à qui on raconte n’importe quoi.
Après avoir remis sa cravate en place, il sort de sa voiture dont il extirpe sa mallette en cuir et une grosse valise en tissu, et il s’adresse à la dame :
« Bonjour. Je m’appelle Pierre-Paul Dubouluc, je suis représentant en encyclopédies… »
Le show peut commencer.
 
***
 
Tout a pourtant bien démarré pour Pierre-Paul : visiblement, la dame connaît le mot encyclopédie et ne lui a pas renvoyé le berger allemand aux fesses. L’arrivée d’un gamin aux lunettes démesurées, mal coiffé, aux genoux cagneux et aux pieds plats y a été peut-être pour quelque chose. C’est lui qui a répondu « Bonjour monsieur, vous venez montrer des livres ? » avec un sourire jusqu’aux oreilles.
Vendre, pas seulement montrer j’espère, a eu envie de lui répondre Pierre-Paul, mais ça n’est pas le moment.
« C’est ça, tu as tout compris. Comment tu t’appelles ?
— Moi c’est Sandrine. Elle, c’est Marraine. »
Sandrine ? Merde alors, j’aurais juré un gars ! Première boulette évitée, ouf.
 
Là, ils sont installés dans les vieux fauteuils tapissés d’un tissu passé. Il a ouvert la grande valise dans laquelle sont rangés avec soin les précieux exemplaires de démonstration. Autour de lui, outre le gamin, heu non la gamine et la vieille dame sont arrivés ceux qu’il a d’abord pensé être le grand-père, la mère, la grande sœur et le grand frère du – de la môme. Là aussi, boulette évitée lorsqu’au premier « papa », il a compris que les deux adolescents sont en fait les parents.
Il y a de quoi être déstabilisé. Il a un peu de mal à dérouler son argumentaire, d’autant que la gamine, en pleine observation de l’exemplaire qu’il lui a tendu, paraît ailleurs. Elle n’a pas ouvert le livre, mais se contente de caresser doucement la couverture rouge, de regarder la reliure, de… renifler livre ?! Elle est peut-être autiste ?
Bon, où j’en suis moi ? Ah oui, l’importance de la culture générale, le fait qu’on apprend toujours… Zut, où est cette page sur les marsupiaux ? Tant pis, je vais faire avec celle-ci…
« On apprend sans cesse ! Par exemple, quand on demande aux enfants quels sont les plus gros poissons, ils répondent… »
La double-page ouverte est illustrée d’un superbe dessin de baleines.
Au mot « enfant », Sandrine a enfin lâché son livre pour tourner son regard vers lui.
Il insiste :
« Alors, le plus gros poisson du monde ?
— Ben je ne sais pas. Mais là, ce que vous me montrez, ce sont des mammifères marins. »
Ou comment passer pour un con à cause d’une sale môme.
 
Tout l’Univers et moi
Ma rencontre avec cette encyclopédie s’est donc faite ce jour-là, lorsque j’ai saboté en une phrase l’argumentaire mal monté d’un représentant qui me semblait peu sympathique.
Sa piètre prestation n’a pas empêché qu’au premier regard, je suis tombée amoureuse de ces livres, de leurs couvertures au grain particulier, de leurs dorures, de ce signet rouge, de cette odeur… Et les adultes qui m’aidaient à grandir n’ont sans doute pas été convaincus par les talents du vendeur, plutôt par ma réaction émerveillée devant ces volumes non seulement beaux, et dont le contenu m’ouvrait des fenêtres sur « tout l’univers ».
Ces tomes que je lisais intégralement dès qu’ils arrivaient chez nous m’ont accompagnée jusqu’en hypokhâgne. J’ai alors dû renoncer à eux et passer à « plus sérieux » – comme  me l’avait dit, avec un petit air dédaigneux, une de mes camarades de classe – à savoir la magistrale feue Encyclopedia Universalis, que je consultais dans les médiathèques et bibliothèques universitaires, bien avant que tout le savoir de l’humanité n’entre dans nos téléphones portables grâce à Wikipedia.
 
Les superbes tomes de Tout l’Univers sont parmi les premiers livres qui sont entrés dans la maison parentale. Près de quatre décennies plus tard, ils y trônent encore dans une magnifique bibliothèque à leur mesure, et font les délices de mes neveux.
Et comme j’arrive au bout de ce texte, je donnerais cher pour effacer les mille kilomètres qui m’en séparent et caresser du bout du doigt leur couverture.