... et comme le Tenancier n'est pas rancunier, l'on vous
présente ici l'épisode d'une série qui fut diffusée sur France Culture il y a
quelques années.
jeudi 16 septembre 2021
mercredi 15 septembre 2021
Le Tenancier ronchonne
Outre qu’elle se fait le
porte-voix d’une certaine béatitude
technophile globalisée et où ses animateurs se déclarent des
« lovers »
lors de jamboree radiophonique consacrées aux « industries
culturelles »,
france culture(1) s’adonne au recyclage d’anciennes
émissions ou d’invités
—, pas forcément les mêmes, mais interchangeables — où le conceptuel
people s’adonne
à l’entre-soi des marchands de primeurs. Étrange phénomène qui déprécie
la
bourgeoisie sans qu’il soit besoin de lui donner un coup de main, comme
si,
tout à coup, le vieux réac ou la conscience de gôche se diluaient dans
une
sorte de libéralisme vaguement orienté
« droit-culture/patrimoine ».
Pourquoi pas ? Tout cela se veut efficace. Malheureusement, l’on
se trouve
bien court, quand bien même l’on rabâche, et il faut meubler d’autant
qu’après
avoir viré la création, l’on compresse le personnel depuis des éons. Le
miracle
des redifs reste à cet égard une providence, entre deux émissions de
variété
déguisées et après quelques estimables léchouilles et quelques
prudhommeries. On
recycle et ce qui distingue l’industrie d’une création réside justement
dans
cette réutilisation ad nauseam de
vieux machins sans que la qualité s’améliorât (au moins dans le
cinoche, nous
sommes passés au parlant et au Technicolor, le son FM pour la radio
devenant un
très médiocre progrès pour les logorrhées). Doit-on jeter la pierre à
ceux qui
affectionnent ces rediffusions ? Ah mais non, d’autant que le
soussigné en
fait partie! Mais il fatigue, aussi. Il aimerait bien rêver un peu,
qu’on l’enchante avec de l'imagination.
Et là, on peut estimer que votre Tenancier peut toujours courir.
— Mais pourquoi ronchonnez-vous, Tenancier ?
— Parce que c’est mon plaisir.
(1) Des caps., vous croyez ?
— Mais pourquoi ronchonnez-vous, Tenancier ?
— Parce que c’est mon plaisir.
(1) Des caps., vous croyez ?
mardi 14 septembre 2021
Dispositions ante mortem
Toujours est-il qu’Archibald Rapoport lorsqu’il entre dans
sa trente-sixième année vit seul, occupe ses loisirs à philosopher,
exerce le
métier de malfaiteur, pratique le vol à main armée. Il aime, dans sa
condition
de voyou, qu’elle ne soit pas conforme à sa nature, qu’elle y soit
étrangère.
Je hais la violence, pense-t-il et les humiliations que j’inflige
m’écorchent
et me bouleversent. Je suis fait pour l’étude et le silence, la
science, et
j’ai passé ma vie à violer, à meurtrir en moi les intimes tendances qui
me
poussent aux plaisirs paisibles du savoir et du bonheur, j’en ai
constamment
étranglé les nostalgiques sursauts. Mais il jouit du contraste incongru
qui
oppose ses inquiétudes philosophiques et les préoccupations criminelles
attachées à son existence de bandit professionnel : il est dans
une
absurdité palpable, un déchirement concret qui l’extasie d’une
voluptueuse
amertume. Mais il advint qu’un jour il fut saisi d’une frayeur profonde, métaphysique : il désira qu’on sût ce qu’il avait été. Il désira qu’on le connût, enfin, après sa mort : il fallait qu’il meure pour que cette connaissance publique ne le violât point. Il forma le projet d’écrire, et de périr pour que le récit de sa vie pût être publié. L’écriture regarde la mort, pensait-il, l’idée de la mort, sa vision, la pénètre et transperce de toutes part, et le nom des écrivains sur la couverture des livres, préfigure leur pierre tombale : je donnerai un sens à cette image. Il avait toujours connu le désir endeuillé d’écrire et, parmi les raisons qui avaient empêché qu’il le fit, il y avait surtout la sensation qu’écrire était une lâcheté, une façon d’assouvir désirs, fantasmes et rêves dans une fiction susbtitutive, au lieu de les accomplir. « J’aime trop vivre, disait-il, pour pouvoir écrire. » (« J’écrirai quand je ne banderai plus », disait-il aussi.) Et la publicité de l’écriture, qui abolit l’anonymat, supposait, lui semblait-il, le désir terrifié d’échapper aux signes funèbres de la solitude. Mais il n’écrirait qu’au moment où il serait dans une confrontation inévitable et cristalline avec la mort — qui inclurait une contemplation constante —, il écrirait quand sa vie consisterait exclusivement à mourir, il ferait seulement le récit de sa vie et son livre ne paraîtrait qu’il eût, lui, disparu : il avait décidé qu’en vertu des multiples articles du Code pénal relatifs au châtiment du meurtre, il serait condamné à mort et exécuté. (Ainsi il n’aurait pas sépulcre manifeste et son corps scindé pourrait, dans une fosse commune, au carré des suppliciés de quelque cimetière parisien, pourrir. Et il éviterait ainsi l’insupportable attente de la mort naturelle qui, telle un fondamental cancer, le dévorait.) Je tuerai un policier, chaque jour, six jours durant, avait-il résolu et pensé un matin, les yeux figés sur le suave roulement de hanche d’une capiteuse courtisane qu’il avait séduite. Alors commence vraiment l’ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport, l’aventure cassée d’un penseur qui tue pour écrire, meurt pour être lu et défini. Il va pourtant de soi qu’Archibald possédait quelques autres raisons diverses, de vouloir mourir et d’œuvrer en faveur de cette mort. |
Pierre Goldman : L’ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport (1977)
(Réédition en 2019, éditions Séguier)
lundi 13 septembre 2021
10/18 : Vernon Sullivan : Elles se rendent pas compte
Vernon Sullivan
Elles se rendent pas compte
Traduction de Boris Vian
n° 829
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume double
194 pages
Dépôt légal : 1er trimestre 1974
Achevé d'imprimer : 30 septembre 1978
(Contribution du Tenancier)
Index
Elles se rendent pas compte
Traduction de Boris Vian
n° 829
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume double
194 pages
Dépôt légal : 1er trimestre 1974
Achevé d'imprimer : 30 septembre 1978
(Contribution du Tenancier)
Index
samedi 11 septembre 2021
Les bibliophiles
Philologie et histoire
naturelle
Deux individus s’affrontent et gesticulent : deux tomates explosives. Soudain cette tornade devient bonace : ces deux citoyens, également français, s’aperçoivent qu’ils ne parlent pas la même langue — d’où leur différend — mais qu’ils se trouvent d’accord cependant ! Ils se réconcilient, s’embrassent ; ainsi la plupart de nos querelles viennent de ce que l’on ne s’entend pas exactement sur le sens des mots. Le mot de Bibliophile n’échappe pas à cette règle. Évidemment, l’étymologie nous enseigne que Bibliophile veut dire « qui aime les livres ». Mais il y a tant de façons d’aimer les livres ! Chacun aime les livres à sa façon et affirme de cette manière sa personnalité et son sens de la langue… Dis-moi qui tu lis, je te dirai qui tu es. Le livre est une pierre de touche. Et puis il y a aussi les gens qui aiment les livres et qui ne lisent que leur journal et leur livre de comptes… La définition du Bibliophile devient donc difficile. Nous avons renoncé à en énoncer une qui satisfasse tout le monde. Tout au plus peut-on dire que le Bibliophile est un mammifère, bipède et bimane, à langage articulé. On en compte deux espèces : le Bibliophile qui lit et le Bibliophile qui ne lit pas. Chacune de ces espèces comporte plusieurs variétés dont on trouvera plus loin la description. On rencontre aussi des sujets qui échappent à toute classification : ce sont des hybrides nés du croisement de deux variétés différentes. Du point de vue scientifique ils offrent un intérêt de curiosité, leur rareté même est un attrait ; du point de vue social ils sollicitent moins l’attention, car, comme tous les mulets, ils n’ont aucune progéniture. |
André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)
vendredi 10 septembre 2021
Une historiette de Béatrice
jeudi 9 septembre 2021
Une historiette de Béatrice
mercredi 8 septembre 2021
Jeu
Allons allons, nous n'avons jamais prétendu de ce côté-ci de l'écran que les jeux que nous proposons devaient se déclarer difficiles ou même s'abstenir de se répéter. Ainsi l'on vous demande de quel film provient cette image de librairie. On peut même se contenter d'une réponse évasive, comme la dernière fois, ce qui avait amusé votre Tenancier.
mardi 7 septembre 2021
lundi 6 septembre 2021
dimanche 5 septembre 2021
Vonnegut x 11 + 1
S’il existe un écrivain singulier qui
mérite quelque
attention dans l’élaboration des couvertures de ses ouvrages, c’est
bien Kurt
Vonnegut. La maison Bantam Doubleday avait confié à Carin Goldberg le soin de
travailler sur le design de la série d’ouvrages (ca : 1990/2000) du
romancier américain, avec une
unité assez intéressante et plutôt sobre, malgré tout.
On peut cliquer sur chaque
image pour l'agrandir
L’idée la plus élégante revient
toutefois au designer Alex
Camlin
qui, travaillant pour un autre éditeur (Da Capo Press) au sujet de
souvenirs autour de Kurt Vonnegut par Loree Rackstraw (2009), opère un
discret rappel de la maison concurrente et des oeuvres de l'auteur
par trois bandes en travers de la couverture.
(Sources : Book Cover Archive)
(Sources : Book Cover Archive)
samedi 4 septembre 2021
Une bibliothèque populaire
M. Torndike, qui tenait une bibliothèque populaire dans
Staple Inn, regardait pour la mille et unième fois les étranges maisons
à
façade de bois qui faisaient face à son officine. Il n’y avait personne, autour des tables de bois noir surchargées de livres, à qui il eût pu, pour la énième fois, répéter qu’il prisait le style Tudor de ces bâtisses et qu’elles étaient les seules ayant survécu aux incendies et aux tourments de la City, depuis le XVe siècle. Personne… Ce n’était pas une vérité absolue, mais l’unique client qui feuilletait d’un doigt nonchalant les tomes gras et luisants ne comptait guère pour le bouquiniste. Le docteur Baxter Brown était un simple médecin de quartier habitant Churchstreet, où il occupait deux chambres dans une des hautes et blêmes maisons bordant Clissold Park, ne disposant ni de bibliothèque ni de laboratoire et recevant sa maigre clientèle dans un misérable salon aux fauteuils de crin noir. Deux fois par semaine, il entreprenait, à travers la métropole, un long et triste voyage qui l’amenait à Holborn, dans l’établissement poussiéreux de M. Torndike où il passait une ou deux heures avant d’emporter un livre de location à six pence. Il bruinait, ce jour-là, et à sa table de lecture se trouvait dans le coin le plus sombre de la bibliothèque populaire. Mais M. Torndike ne songeait pas à allumer les une des lampes à abat-jour vert pour un aussi pauvre client. Baxter-Brown faisait bruisser les épaisses feuilles d’une Histoire d’Angleterre qu’il ne lisait pas mais, d’une main prudente, il glissait sous le volume un mince opuscule, tavelé de rouille et mordu par le taret des livres. À ce moment, Miss Bowes entra et M. Torndike s’inclina fort bas. Non seulement elle prenait en location des livres coûteux et rares, mais encore, elle aimait faire un bout de causette qui permettait toujours au bibliothécaire de faire valoir ses connaissances historiques. — Nous parlions de Wren, la dernière fois que j’eus l’honneur et le plaisir de vous voir dans ma modeste maison, Miss Bowes, et, à propos de Guildhall, qu’il rebâtit après l’incendie de 1666… Baxter-Brown se leva ; il avait fait glisser le mince cahier dans la poche de son pardessus et tenait à la main un quelconque roman de récente édition. — Merci, Monsieur, au revoir, Monsieur, dit sèchement le bouquiniste en prenant du bout des doigts la pièce de monnaie que lui tendait le médecin. La silhouette trapue du docteur se fondait dans la bruine d’Holborn. — On ne mangerait pas du mouton tous les jours avec une pratique du genre, grommela M. Torndike en le voyant disparaître. Puis, retrouvant son sourire, il reprit sa conférence au profit de sa bonne cliente. — Il faut pourtant reconnaître que les tours ajoutées par Wren à l’Abbaye de Westminster ne sont gère en harmonie avec la majesté… […] |
Jean Ray : Le miroir noir (1943)
10/18 — Boris Vian : L'écume des jours
Boris Vian
L'écume des jours
suivi de
Un langage-univers
par
Jacques Bens
n° 115
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume simple
184 pages (192 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1963
Achevé d'imprimer : 25 mars 1971
(Contribution du Tenancier)
Index
L'écume des jours
suivi de
Un langage-univers
par
Jacques Bens
n° 115
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume simple
184 pages (192 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1963
Achevé d'imprimer : 25 mars 1971
(Contribution du Tenancier)
Index
vendredi 3 septembre 2021
jeudi 2 septembre 2021
Une historiette de Béatrice
mercredi 1 septembre 2021
Le livre de l'entre-deux-guerres — III (et fin)
Voici le
mécanisme de la hausses des « premières »
éditions : un livre nouveau, épuisé en originale chez l’éditeur,
n’est pas
forcément épuisé chez tous les libraires. Une maison qui a souscrit
cent grands
papiers les écoule moins vite qu’une maison qui s’en est fait réserver
cinq ou
six. D’où résultent, presque à la sortie, pour les livres à succès, des
différences de prix entre les détaillants. Si vous vous adressez à un
libraire
qui a souscrit un gros paquet, il a encore de nombreux exemplaires sur
ses
rayons et vous vend le volume au prix de l’édition. Si vous commandez à
son
voisin, qui n’a pas eu confiance et a passé ses commandes sur vente
assurée,
celui-ci est obligé de rechercher votre volume, c'est-à-dire de le
racheter à
un confrère ou à un amateur. Le confrère qui, lui, a couru le risque de
souscrire en quantité, vendra l’ouvrage au prix fort, et l’amateur
entendra
réaliser lui aussi un bénéfice. D’où l’inévitable majoration et hausse
instantanée du libre demandé. La Musique
intérieure de Maurras, en « cahier vert » fut vendue, à
la
sortie, 80 francs au lieu de 10.
Certains s’imaginent assez naïvement que le métier de libraire de luxe est facile : « Le commerçant, se disent-ils, achète à l’éditeur de beaux livres avec une remise ; il les revend au prix fort et empoche la différence ; ou bien il met “en cave” les auteurs qui doivent “monter” et, les ressortant (après un délai normal) au double ou au triple du prix marqué, réalise à coup sûr des bénéfices considérables. » La réalité est un peu différente. En effet, tout libre numéroté est vendu à « compte ferme », c'est-à-dire sans possibilité de retour des invendus. Or aucun libraire ne peut savoir d’avance le nombre d’exemplaires qu’il écoulera. Les nouveautés d’auteurs cotés étant — au dire des éditeurs — entièrement souscrites le jour même où elles sont annoncées, le détaillant doit obligatoirement passer sa commande ferme avant d’avoir pris connaissance de l’œuvre nouvelle, de connaître la critique et d’avoir reçu aucun ordre de ses clients. Qu’arrive-t-il ? Ou le libraire est prudent et il s’engage au minimum, c'est-à-dire qu’il souscrit approximativement le nombre de volume correspondants à la demande habituelle. En ce cas, sitôt servis ses principaux clients, il manquera la vente pour tous les retardataires. Ou le libraire, audacieux, souscrit une quantité supérieure à son débit assuré, et si le livre n’est pas un succès, il lui restera une quantité d’invendus qui mettront des mois à s’écouler ou qui resteront pour compte alors qu’ils ont été payés cash à l’éditeur. Un des principaux libraires de luxe de Paris disait : « Nous réalisons un chiffre d’affaires très important, mais le bénéfice n’existe jamais en espèces, notre bénéfices, ce sont les livres qui nous restent. » Et il ajoutait : « Habituellement invendables ». Aux amateurs qui, d’autre part, sont persuadés que tous les libraires de luxe spéculent en mettant « en cave » des milliers de volumes, je révélerai que le cas est peu fréquent, parce que cette méthode exige un coup d’œil presque infaillible, un goût du risque peu répandu et qu’elle nécessite des investissements considérables. L’attribution des prix littéraires n’a qu’une influence temporaire sur la cote des livres. Il y a d’ailleurs dans ces opérations une cuisine assez bizarre : académies et jurys s’efforcent de faire le plus d’heureux possibles. Il y a donc ce qu’on appelle « les coups de chapeau » : les jurés, après s’être mis d’accord sur un nom, organisent en toute tranquillité des tours prétendus « précédents » pour distribuer aux divers postulants mentions honorables et accessits. L’influence du Goncourt varie suivant les titres et les auteurs. Il a imposé au grand public Proust, qui ne pouvait espérer qu’une audience restreinte, donné des beaux tirages à Béraud et à Constantin-Weyer, mais on n’a jamais révélé les tirages de Lucien Fabre, de Maurice Bedel ou de Thierry Sandre. Et, en général, le prix ne fait vendre qu’un titre, pas un auteur. Le plus curieux c’est que, sans aucun prix, certains livres d’inconnus sont lancés en quelques jours par la publicité orale : ce fut le cas du fameux Hôtel du Nord d’Eugène Dabit. Une catégorie de spéculateurs disparut assez rapidement : tous les profanes qui, vers 1926, achetaient par tonnes des beaux papiers sans s’inquiéter des valeurs littéraires, les fervents de « poésie pure » et les gros malins qui entassaient Bazin sur japon ou Valéry sur héliotrope. Lorsqu’ils désirèrent « réaliser » ces amateurs s’adressèrent aux libraires, leur offrant leurs pannes au double de la valeur d’achat. En vain. Les amateurs baissèrent leurs prétentions, mais, même à moitié de la valeur d’achat, les libraires ne se laissèrent pas tenter. Alors, les stockeurs imprudents s’avouèrent vaincus et disparurent du marché, à la satisfaction générale, se retirant dans leur « Cimetière marin » ou à l’ombre de leur « Garçonne » sur papier hygiénique. La librairie de luxe retrouva alors sa véritable clientèle, celle des amateurs de belles œuvres bien présentées, qu’ils retiennent à l’avance ou recherchent patiemment, sans fébrilité ni surenchère inutile. Les bibliophiles authentiques se retrouvèrent entre eux, enfin débarrassés des spéculateurs à la petite semaine. Tout se tassa. On fit la révision des valeurs et l’on se félicita de ne pas s’être laissé entraîner par contagion dans tel ou tel passager coup de bourse. […] |
Jean Galtier-Boissière : Mémoires d'un Parisien, tome II (1961)
Chapitre XVII : Souvenirs de mon commerce
lundi 30 août 2021
10/18 — Raymond Chandler : Lettres
Raymond Chandler
Lettres
traduites par Michel DOURY
préface de Philippe LABRO
n° 794
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume triple
309 pages (320 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1973
Achevé d'imprimer : 26 avril 1973
(Sauf erreur de notre part, ce volume ne contient pas de préface par Philippe Labro, mais un avant-propos de Dorothy Gardiner qui nous semble une heureuse substitution...)
(Contribution du Tenancier)
Index
Lettres
traduites par Michel DOURY
préface de Philippe LABRO
n° 794
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume triple
309 pages (320 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1973
Achevé d'imprimer : 26 avril 1973
(Sauf erreur de notre part, ce volume ne contient pas de préface par Philippe Labro, mais un avant-propos de Dorothy Gardiner qui nous semble une heureuse substitution...)
(Contribution du Tenancier)
Index
samedi 28 août 2021
Le livre dans l'entre-deux-guerres — II
Le
développement de l’édition sur beau papier fur la
conséquence des conditions économiques d’après-guerre. Si boulangers,
bouchers
et pompes funèbres n’hésitèrent pas à quintupler leur prix, sûrs qu’on
achèterait toujours du pain, du bifteck et des cercueils, les éditeurs
craignirent de perdre leur clientèle en suivant l’indice normal des
prix, leur
marchandise ne paraissant pas indispensable. Le livre courant vendu
avant la
guerre 3,50 fut timidement poussé à 6,75 ou 7,50, puis en 1926 à 12
francs. Il
résulta te cette pusillanimité que les éditeurs durent imprimer leurs
nouveautés sur des papiers de plus en plus médiocres. Or, toute une
classe de
Français a, par tradition, un goût de la bibliothèque qui se transmet
de
génération en génération. Sans être entiché de papiers extraordinaires
ou de
reliures de grand luxe, un sincère amateur de livres ne pouvait plus
constituer
de bibliothèque convenable avec les livres d’édition courante, dont le
papier équivalait
au torche-cul des livraisons populaires d’avant-guerre et ne manquerait
pas
d’être réduit en poussière au bout de quelques années. D’où l’habitude
prise
par un grand nombre de gens d’acheter leurs auteurs préférés en édition
sur un
papier supérieur, quitte si leur budget était restreint à n’acquérir
que deux
volumes au lieu de trois.
Avant la guerre, il était tiré pour de très rares amateurs trois Chine, cinq Japon et dix Hollande de certains ouvrages. Seules de grandes vedettes, tels Rostand, Loti ou France, connurent quelques tirages importants sur papier de luxe. Après la guerre, il devint normal de tirer certains ouvrages à plusieurs milliers d’exemplaires sur bon papier, destinés — non point comme certains l’ont cru — à des maniaques ou à des spéculateurs, mais à tout amateur désireux de conserver ses livres, l’édition courante devant être désormais réservée aux gens qui, dans le métro, coupent les livres avec leurs doigts ou les jettent par la fenêtre des trains après les avoir parcourus. Le prodigieux développement de l’édition dans l’après-guerre, d’autre part, modifia la situation des éditeurs vis-à-vis des dépositaires de leurs marchandises. Jadis, le libraire, pour exercer son commerce, était trop heureux de recevoir des nouveautés. Du jour où, dans une véritable lutte au couteau, ils entreprirent de rivaliser dans le lancement de leurs « cracks », les éditeurs dépendirent beaucoup plus du détaillant, dont il fallait s’assurer à tout pris le concours. D’où assaut d’amabilités, surenchère de remises et de délais de règlement. Avec le succès de l’édition de luxe, le rôle du libraire devint capital. La clientèle, en effet, ne dispose pas de ressources illimitées. Un grand libraire sait exactement le budget que chacun de ses clients s’alloue par an pour sa bibliothèque. Ce budget n’étant pas extensible, le client qui achète telle grosse pièce n’achètera pas telle autre. D’où l’importance de plus en plus grande du libraire, sinon du commis qui conseille l’acheteur ; et handicap forcé de toute nouvelle firme qui, en naissant, n’augmente nullement la capacité générale d’achat de la clientèle, mais réclame simplement, avec une assez candide inconscience, un nouveau partage du gâteau. La baisse du franc et la ruée des acheteurs sur toutes sortes de marchandises eut une autre conséquence sur l’édition de luxe, qui parut devoir procurer très rapidement de gros bénéfices. Quantité d’individus complètement ignares se lancèrent dans l’édition tandis que certains écrivains, grisés par le succès, s’efforçaient de tirer parti avec un complet cynisme de la vogue du moment. Côté éditeur, aurai-je la cruauté de citer certaines firmes montées en quinze jours pour éditer n’importe quoi sur n’importe quel papier, avec n’importe quelle typographie… mais pas à n’importer quel prix ? Côté auteur, certains écrivains, après avoir rédigé en sept semaine un roman comportant sept chapitres, firent paraître de mois en mois, dans des maisons différentes, chaque chapitre en plaquette de luxe, illustrée ou non, puis rassemblèrent ensuite en un volume — avec de nombreux grands papiers — les sept chapitres de leur roman, déjà édités séparément. C’étaient d’assez fâcheux procédés. Bernard Grasset, qui dans La Chose littéraire a tracé une sorte de panorama de la librairie pleins d’aperçus ingénieux et avec un détachement apparent des contingences commerciales, déclare que les deux facteurs du succès de l’édition furent : 1° L’esprit de spéculation : « Les Français, écrit-il, imaginèrent de monnayer en quelques sorte la postérité, en attribuant à tel ou tel livre, dès sa publication, une valeur qu’il aurait acquise, suivant la logique des choses, que deux ou trois cents ans après… » Il oublie de dire que c’est lui-même qui organisa la spéculation chez les petits avec le lancement de ses fameux Cahiers verts à 5 francs l’édition originale tirée à 7 000 exemplaires. 2° Le snobisme : « Dieu merci ! on n’achète pas seulement des livres pour les revendre : certains en achètent pour les montrer ! Et ici nous reconnaissons un autre trait de notre époque, la forme littéraire du snobisme. » |
Jean Galtier-Boissière : Mémoires d'un Parisien, tome II (1961)
Chapitre XVII : Souvenirs de mon commerce
vendredi 27 août 2021
Une historiette de Béatrice
jeudi 26 août 2021
mercredi 25 août 2021
lundi 23 août 2021
Le livre dans l'entre-deux-guerres — I
La
guerre avait appris à lire aux Français. Cinq années
s’étaient passées à attendre : les uns attendaient de partir au
front ou
d’être relevés des tranchés ; les autres attendaient le retour des
premiers. Pour tromper le temps, on lisait au front La Vie
parisienne et des romans tristement gais, et à l’arrière des
récits de guerre plus ou moins frelatés. Lorsque la paix éclata, une multitude de quasi-illettrés avaient pris l’habitude de lire et la demande de papier imprimé, immédiatement, dépassa l’offre. Or le nombre de faiseurs de livres n’avait pas augmenté dans la même proportion que celui des amateurs de lecture, les nouveaux auteurs de la guerre remplaçant tout juste les tués de la corporation. Certains éditeurs comprirent qu’avec l’appui d’une de ces publicités massives réservées jusque-là au lancement des spécialités pharmaceutiques, il devenait possible de rassembler sur leur seul nom un nombre immense de lecteurs. Alors que les maîtres de l’école naturaliste — Zola, par exemple — n’étaient arrivés en trente ans qu’à quelques tirages de 100 000 exemplaires, un Albin Michel, avec le coup de tam-tam approprié — « Regardez cet homme, il sera demain célèbre ! » — pur répandre les premiers romans d’aventure de Pierre Benoit à plusieurs centaine de mille. Et dans la suite, Maurice Dekobra surpassa sans doute Benoit. Il est à remarquer que le nombre des acheteurs de livres est beaucoup plus grand en Allemagne qu’en France. Trois livres de Bonsels — dont le fameux Voyage aux Indes — furent tirés en langue allemande à plus de 800 000 exemplaires, et Tomas Mann à peur près les mêmes chiffres. Certains livres de guerre ont connu outre-Rhin, des tirages considérables : Classe 22, d’Ernst Glaeser, 800 000 ; Krieg (« Guerre ») de Ludwig Renn, 150 000 ; Le Débat au sujet du sergent Grischa, d’Arnold Zweig, 300 000 ; enfin l’œuvre d’Erich Maria Remarque, Im Westen nichts Neues (« À l’Ouest rien de nouveau ») a battu tous les records du monde avec 975 000 exemplaires vendus en Allemagne seulement (et 3 ou 4 millions en traductions). Cet accroissement imprévu du nombre des acheteurs de livres en France explique les rapports nouveaux qui s’établirent entre auteurs, éditeurs et libraires. Avant la guerre, le jeune écrivain faisait longuement antichambre chez l’éditeur. S’il avait quelques disponibilités, on lui proposait gentiment de l’imprimer à compte d’auteur. Proust, Mauriac, Maurois, et tant d’autres, commencèrent de la sorte. Si le débutant était pauvre, il fallait que le tout-puissant éditeur lui trouvât des qualités exceptionnelles pour le lancer à ses risques et périls. Du jour ou, au lendemain de la guerre, la demande dépassa l’offre, la situation se trouva renversée. L’auteur ne se présenta plus en solliciteur honteux. C’est au contraire l’éditeur qui se mit à rechercher fébrilement tous les noircisseurs de papier capables de lui fournir la matière première de son commerce en plein essor. Bien entendu, ce ne furent pas les « vieux lutteurs » blanchis sous le harnois qui profitèrent du changement d’atmosphère, mais les jeunes qui, ignorant les usages d’avant-guerre, posèrent leurs conditions. Parmi les éditeurs, les uns, discernant la capacité d’absorption sans cesse accrue du grand public, se plaignaient de ne pas trouver assez de copie à imprimer ; les autres étaient pris d’une terreur panique de se laisser chiper par quelque rival l’un de ces nouveaux génies en mesure de faire la fortune d’une maison. L’affolement fut tel quel la trésorerie des principales maisons dut être totalement remaniée. Alors que jadis l’éditeur payait aux auteurs leurs droits une fois l’an après inventaire, toute maison « à la page », pour s’attacher les écrivains à succès, dut leur faire non seulement des avances, mais de véritables pensions. Ce fut surtout le cas des « poulains » de la N.R.F. (Drieu La Rochelle) et de Grasset (Radiguet). […] |
Jean Galtier-Boissière : Mémoires d'un Parisien, tome II (1961)
Chapitre XVII : Souvenirs de mon commerce
dimanche 22 août 2021
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