Portrait par Félix Vallotton |
On
vous trompe. On vous dit que la dernière Chambre composée d'imbéciles et de filous, ne représentait pas la majorité
des électeurs. C'est faux.
Une chambre composée de députés jocrisses
et de députés truqueurs représente, au contraire, à merveille les électeurs que
vous êtes. Ne protestez pas: une nation a les délégués qu'elle mérite.
Pourquoi les avez-vous nommés ?
Vous ne vous gênez pas, entre
vous, pour convenir que plus ça change, et plus c'est la même chose, que vos
élus se moquent de vous et ne songent qu'à leurs intérêts, à la gloriole ou à
l'argent.
Pourquoi les renommez-vous demain
?
Vous savez très bien que tout un
lot de ceux que vous enverrez siéger vendront leurs voix contre un chèque et
feront le commerce des emplois, fonctions et bureaux de tabac.
Mais pour qui les bureaux de
tabac, les places, les sinécures si ce n'est pour les Comités d'électeurs que l'on paye ainsi ?
Les entraîneurs des Comités sont
moins naïfs que le troupeau.
La Chambre représente l'ensemble.
Il faut des sots et des
roublards, il faut un parlement de ganaches et de Robert Macaire pour
personnifier à la fois tous les votards professionnels et les prolétaires
déprimés.
Et ça, c'est vous !
On vous trompe, bons électeurs,
on vous berne, on vous flagorne quand on vous dit que vous êtes beaux, que vous
êtes la justice, le droit, la souveraineté nationale, le peuple-roi, des hommes
libres. On cueille vos votes et c'est tout. Vous n'êtes que des fruits... des Poires.
On vous trompe encore. On vous
dit que la France est toujours la France. Ce n'est pas vrai.
La France perd, de jour en jour,
toute signification dans le monde, toute signification libérale. Ce n'est plus
le peuple hardi, coureur de risques, semeur d'idées, briseur de culte. C'est
une Marianne agenouillée devant le trône des autocrates. C'est le caporalisme renaissant plus hypocrite
qu'en Allemagne : une tonsure sous le
képi.
On vous trompe, on vous trompe
sans cesse. On vous parle de fraternité, et jamais la lutte pour le pain ne fut plus âpre et meurtrière.
On vous parle de patriotisme, de
patrimoine sacré à vous qui ne possédez
rien.
On vous parle de probité; et ce
sont des écumeurs de presse, des journalistes à tout faire, maîtres fourbes ou
maîtres chanteurs, qui chantent l'honneur national.
Les tenants de la République, les
petits bourgeois, les petits seigneurs sont plus durs aux gueux que les maîtres
de régimes anciens. On vit sous l'oeil
des contremaîtres.
Les ouvriers aveulis, les
producteurs qui ne consomment pas, se contentent de ronger patiemment l'os sans
moelle qu'on leur a jeté, l'os du suffrage universel. Et c'est pour des
boniments, des discussions électorales qu'ils remuent encore la mâchoire, la
mâchoire qui ne sait plus mordre.
Quand parfois des enfants du
peuple secouent leur torpeur, ils se trouvent, comme à Fourmies, en face de notre vaillante armée... Et le
raisonnement des lebels leur met du plomb dans la tête.
La Justice est égale pour tous.
Les honorables chéquards du Panama roulent carrosse et ne connaissent pas le
cabriolet. Mais les menottes serrent
les poignets des vieux ouvriers que l'on arrête comme vagabonds !
L'ignominie de l'heure présente
est telle qu'aucun candidat n'ose défendre cette Société. Les politiciens
bourgeoisants, réactionnaires ou ralliés, masques ou faux-nez, républicains,
vous crient qu'en votant pour eux ça marchera mieux, ça marchera bien. Ceux qui
vous ont déjà tout pris vous demandent encore quelque chose :
Donnez vos voix, Citoyens !
Les mendigots, les candidats, les
tire-laine, les soutire-voix ont tous un moyen spécial de faire et refaire le
Bien public.
Écoutez les braves ouvriers, les
médicastres du parti : ils veulent conquérir les pouvoirs... afin de les mieux
supprimer.
D'autres invoquent la Révolution,
et ceux-là se trompent en vous trompant. Ce ne seront jamais les électeurs qui
feront la Révolution. Le suffrage
universel est créé précisément pour empêcher l'action virile. Charlot s'amuse à
voter...
Et puis quand même quelque
incident jetterait des hommes dans la rue, quand bien même, par un coup de
force, une minorité ferait acte, qu'attendre ensuite et qu'espérer de la foule
que nous voyons grouiller : la foule
lâche et sans pensée.
Allez.! allez, gens de la foule !
Allez, électeurs ! aux urnes... Et ne vous plaignez plus. C'est assez.
N'essayez pas d'apitoyer sur le sort que vous vous êtes fait. N'insultez pas,
après coup, les Maîtres que vous vous
donnez.
Ces Maîtres vous valent, s'ils vous volent. Ils valent sans doute
davantage : ils valent vingt-cinq francs par jour, sans compter les petits
profits. Et c'est très bien :
L'Electeur n'est qu'un Candidat raté.
Au peuple du bas de laine, petite
épargne, petite espérance, petits commerçants rapaces, lourd populo domestique,
il faut un Parlement médiocre qui monnaie et qui synthétise toute la vilenie nationale.
Votez, électeurs ! Votez ! Les
parlements émanent de vous. Une chose est parce quelle doit être, parce qu'elle
ne peut pas être autrement. Faites la Chambre à votre image. Le chien retourne
à son vomissement - retournez à vos députés...
Zo d'Axa : Vous n'êtes que des poires, in : La Feuille (1898)
(Et pour continuer les lectures réjouissantes, nous vous incitons à vous rendre sur la page indiquée par un de nos lecteurs, Karl-Groucho D. : Le Gouvernement du Peuple, ou Plan de constitution pour la République universelle par John Oswald.)
(Et pour continuer les lectures réjouissantes, nous vous incitons à vous rendre sur la page indiquée par un de nos lecteurs, Karl-Groucho D. : Le Gouvernement du Peuple, ou Plan de constitution pour la République universelle par John Oswald.)
Aaaah ! Merci.
RépondreSupprimerUne page de Jo d’Axa chaque matin, ça revigore le corps (pas fatalement électoral — À bas toutes les religions !).
Et merci pour le Valotton en vignette !
Dans un autre genre, sur les mystères de la représentation, on peut lire chez John Oswald (Anglo-franc, commandant du premier bataillon de piquiers, au service de la République française, dans « Le gouvernement du Peuple, ou Plan de constitution pour la République universelle ») :
« [...] J’avoue que je n’ai jamais pu réfléchir sur ce système de représentation sans m’étonner de la crédulité, je dirais presque la stupidité avec laquelle l’esprit humain avale les absurdités les plus palpables. Si un homme proposait sérieusement que la nation pissât par procuration, on le traiterait de fou ; et cependant penser par procuration est une proposition que l’on entend, non seulement sans s’étonner, mais qu’on reçoit avec enthousiasme.
Nous ne saurions nous acquitter les uns pour les autres des fonctions les plus viles de l’existence animale : est-il donc en notre pouvoir d’exercer les uns pour les autres les fonctions les plus relevées de l’existence intellectuelle ? Mais le fait est, que quoiqu’il nous soit aussi impossible de penser les uns pour les autres, que d’aimer les uns pour les autres, de boire ou de manger les uns pour les autres, cependant l’habitude de déléguer à autrui le soin de penser pour nous, nous fait insensiblement désapprendre à penser tout à fait : et ceci répond merveilleusement bien à l’intention charitable de ces messieurs, qui veulent nous épargner la peine de penser par nous-mêmes — Et voilà le grand secret de la représentation ! [...] »
De plus larges extraits ici
http://www.athene.antenna.nl/ARCHIEF/NR03-Parijs/OSWALD%20-%20Gouvernement.htm
Texte publié par l’imprimerie des Révolutions de Paris en 1793, réédité par Les Éditions de la Passion, Paris, en 1996.
Karl-Groucho D.
J'aime bien votre texte, cher Tenancier (enfin, quand je dis "votre", comprenez "celui que vous avez mis sur votre blogue").
RépondreSupprimerEt celui proposé par ce cher Karl-Groucho me semble tout aussi pertinent.
Mais, en fait, peut-être me laisse-je influencer, qui sait ?
Otto Naumme