lundi 17 novembre 2014

Dans lequel le Tenancier commence à vitupérer, se fait meneuse de revue et finit par vouloir faire un communiqué

— « Euh… dites, Tenancier…
— Quoi encore ?
— Quelle est votre opinion sur…
— Ah non, ça ne va pas recommencer ? L’autre fois, vous me demandez mon avis sur une connerie ministérielle et paf deux jours après, qu’est-ce qui déboule ? Christine Angot qui cite Duras dans Libération sur le même sujet ! Pour le coup, je me sens mal, moi, j’ai l’air d’adhérer par anticipation. Partant du même principe, comme je vais répondre à vos questions à la noix, on risque de se retrouver à faire de la table tournante en compagnie de Maurice Druon, Michel Droit et Jean Dutourd ! Du gore en direct. Bientôt quand je vais vous voir arriver, faudra que je fasse provision de pattes de lapin ! Merdalors, Christine Angot ! Duras ! Libération ! La scoumoune, quoi.
— Je ne peux pas dire le contraire, Tenancier, mais qu’est-ce que vous êtes ronchon, vous alors !
— Quand on m’importune, toujours.
— Je peux vous poser la question, oui ou non ?
— Vous pouvez toujours essayer, pas sûr que je réponde.
— Alors, c’est Jean-Luc Mélenchon qui…
— Je vois. Laissez tomber.
— Eh bien quoi ?
— Vous alliez me dire que Mélenchon n’aime pas Assassin Creed parce que ça dit du mal de Robespierre, c’est ça ? Alors ne vous fatiguez pas parce qu’encore une fois vous me posez des questions sur les conneries proférées par mes contemporains et que je m’en bats un peu les choses, voyez-vous.
— Tout de même…
— Pfff… Qu’est-ce que vous voulez que je dise ?... En plus ça va me mettre mal avec des gens que j’aime bien, même s’ils aiment un peu trop les Jean-Luc. En gros, le stalinien au petit pied, là, il est dans son rôle : ça bat de l’estrade, ça vitupère à bon compte, et puis quoi ? On va retirer le jeu de la vente ?
— Oui, mais les valeurs de la République…
— Ouais, les anachronismes relevés par les historiens, les portrait caricaturaux… si vous voulez une analyse sérieuse allez donc voir du côté des historiens. Tenez, il y a un blog consacré à la Révolution, jetez un oeil , on en parle et c’est intéressant. Cela dit, c’est aussi à côté de la plaque, selon moi, au sujet de ce jeu. Et puis, votre République, hein, demandez donc à la Ligue des Droits de l’Homme, vous en aurez des nouvelles.
— Pourquoi « à côté de la plaque ».
— Parce que tout le monde feint de penser que ce jeu qui consiste à dessouder ses — presque — contemporains serait une œuvre de l’esprit. Or ce machin est un produit ludique, distribué certes par une boîte française mais dont la zone de chalandise est le monde entier.
— Et alors ?
— Faut tout vous dire, à vous ? Vous avez souvent l’intention de venir me faire votre numéro ? Bon, j’explique : ces jeux empruntent des marqueurs qui n’appartiennent ni à l’histoire ni à la culture réelle. Les archétypes utilisés — guillotines, drapeau tricolore, Bastille — sont utilisés pour baliser le jeu, ce sont simplement quelques briques disposées pour le repère du joueur, pour lui vendre de « l’exotisme ». Ces éléments font partie d’un fonds qui doit plus aux lieux communs que la complexité du réel.  Ce n’est pas une thèse pour faire réfléchir Kevin sur le côté LOL de la période thermidorienne. Tiens, c’est comme Notre Dame de Paris.
— Ah, Hugo…
— Non ! Disney.
— Une de vos comparaison, encore ?
— Oui : vous vous souvenez de la cathédrale, dans le truc honteux qu’ils osent appeler « dessin animé » ?
— Vaguement.
— Le beau parvis, devant, qui a été dégagé sous… Viollet Le Duc, par exemple ?
— Anachronisme, voilà.
— Oui, mais voulu ! Aussi volontaire que les archétypes utilisés pour Assassin Creed ! Kevin se tape comme de sa première cartouche Sega de l’histoire de la Révolution française. Mathiez ? Inconnu au bataillon. Fume c’est du conventionnel. En revanche on y retrouve toute l’imagerie idiote qui traîne dans le monde entier et c’est normal, c’est un produit avec des vrais morceaux d’artefacts virtuels dedans, c’est du reconstitué après lyophilisation mondialisante, sachant que la première clientèle pour ces machins est anglo-saxonne et qu’Assassin Creed doit plus aux histoires du Mouron Rouge de la Baronne Orczy qu’à un livre d’Histoire de l’école primaire. C’est de l’imagerie à touriste, rien d’autre. Bref, de la connerie en barre, mon cher. Même pas de quoi s’insurger, c’est un produit calibré issu de l’économie libérale, fabriqué pour aliéner un chouïa et certainement pas pour conscientiser l’éventuel utilisateur. Ils ne vont tout de même pas se tirer une balle dans le pied… Du reste le peuple y semble considéré comme une bande de salauds. Tiens ! Comme dans Métronome de Lorant Deutsch.
— Sauf que ce dernier fait de l’histoire…
— … comme je suis meneuse de revue à l’Alcazar. Et à mon avis, j’ai plus mes chances. Au fait, à propos de trucs intelligents, vous vous souvenez de la loi sur les publications destinées à la jeunesse ?
— Oui, enfin, je crois. Vous voulez faire allusion au fait que le moindre journal devait contenir quelques pages à vocation pédagogiques, quelque chose comme ça ?
— Vous vous souvenez des rubriques « Le Saviez-vous ? » dans Météor, dans Battler Britton, etc. ? Eh bien, vous savez quoi ?
— Non, mais je ne vais pas tarder…
— Tout juste. Eh bien on dirait qu’il n’y a pas de rubrique pédagogique dans Assassin Creed. Étonnant, non ? Mais il est vrai que c'est un produit classé « 18 ans et plus ». Je me résume : aucun alibi pédagogique, produit industriel calibré, marchandise spectaculaire, une bonne daube contemporaine, quoi.
— Donc, Mélenchon…
— Merci de me remettre sur les rails, mon vieux. En définitive, je lui donne raison de ne pas être content. Étant donné qu’on nage dans le bonheur, que le stade ultime de la lutte des classes a abouti à l’utopie socialiste, les seuls moments d’exaltations militantes se situent bien au niveau de la critique d’un jeu vidéo.
— Vous persiflez.
— Moi ? Jamais ! Je ne me permettrais pas, voyons. N’empêche que je me ferais bien une partie. J’ai vu des mômes jouer sur des versions antérieures, c’était assez bluffant.
— Vous jouez, Tenancier ? J’aurais jamais cru.
— De temps en temps sur des jeux de stratégie, mais attention, hein, y’aurait de quoi redire sur les manœuvres des hastatis dans la légion romaine, c’est pas du tout crédible, je trouve !
— Ah ?
— D’ailleurs, je vais faire un communiqué ! Faut pas déconner avec la légion romaine… »

(Post scriptum quelques heures après :  au même moment, le blog Le Moine Bleu fait un billet sur le Jean-Luc. On adore).

4 commentaires:

  1. Anonyme08:33

    J'aime beaucoup votre intervention, cher Tenancier.
    Peu porté sur la glose, comme vous le savez, interpellé comme vous le fûtes, je me serais contenté d'un "ben, c'est un jeu vidéo, pas un livre d'histoire".
    J'aime bien l'allusion au pseudo travail historique de Deutsch, par ailleurs...

    Otto Naumme

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  2. Merci Otto, vos appréciations du matin me font toujours plaisir.

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  3. Vous dégainez vite, cher Tenancier, mais peut-être un peu trop vite et tirez dans les jambes. Je dis ça parce qu'il semble que vous n'ayez lu ni Alexis Corbière ni Jean-Luc Mélenchon. Si cela avait été le cas, j'ose espérer que votre argumentation - ce n'est qu'un jeu vidéo donc pas fait pour conscientiser, pas de pédagogie dans ce jeu, la futilité de critiquer un jeu.. -, n'aurait pas été la même... C'est bien dommage... car il y a autrement plus intéressant à commenter... (je ne pense pas seulement à l'éloge, par Mélenchon, de la "littérature de gare", que vous n'auriez pas manqué de relever...)

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  4. Naturellement, mon très cher Grégory, je vous attendais là ! A qui donc pouvait s'adresser cette allusion à un amateur de Jean-Luc (au pluriel !) ? J'ai vu le texte rédigé après coup par machin. J'y ai découvert des trucs désopilants du genre "Bilal, le Rembrandt de la vignette". Quant à l'éloge de la littérature de gare... je me souviens fort bien de Marchais filmé sur une plage en train de lire Zorro en bd, donc rien de neuf. Que l'on flatte la littérature populaire devant moi me laisse indifférent, vous savez et, du reste, je ne réponds pas à l'indignation supposée de votre héros dans les mêmes termes que je défendrais une ouvre de fiction, parce qu'Assassin Creed n'en n'est pas une. C'est effectivement une propagande libérale ou plus exactement une "émanation" et non quelque chose animée par un déterminisme quelconque. Ce produit est réactionnaire comme l'était Mireille Mathieu quand elle déclarait "ne pas faire de politique"... cela tient de l'idiotie et de l'inconscience. Y répondre c'est passer par les fourches caudines de ce qu'on dénonce. Et il y a autre chose à branler (pardon pour l'expression) que de pourfendre une connerie pareille. Ça ne risque pas, cependant car l'utilité de Melanchon se situe précisément ici et pas ailleurs. Ça se saurait, sinon.
    Que cela n'entame pas la vive amitié que je vous porte, hein. Mais franchement, vous méritez mieux et plus libre que cette brochette d’apparatchiks déchus, sans blague.

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