Le type m’attendait dans un des fauteuils du salon.
— « C’est vous, le Tenancier ? Sa voix émanait de
derrière une main aux doigts marron de jus de clopier et une paresseuse volute
bleutée.
— Qui le demande ?
Le type jette une carte plastifiée en travers de la table
basse. Il a mal évalué son jet et la carte atterrit par terre. Après m’être
baissé, je lis :
Service des Vermotiseurs
Direction des calembours
Bureau des dissonances
Service des recouvrements
On est prié de prêter assistance à tout porteur de la présente carte
|
Pas de nom. Le type semble avoir deviné :
— Vous n’avez pas besoin de savoir.
— Et le fait que vous picoliez dans mes verres ?
— Un des agréments du métier. Vous savez pourquoi je suis
là ?
— Ouais.
— Ah…
— Vous venez cloper dans le salon alors que j’ai pas de
cendrier, vous bourrer la gueule alors que j’ai pas un rond pour refaire le
plein et, visiblement vous l’êtes assez — bourré — pour même pas savoir
balancer une carte sur la table sans vous planter. Juste une question, comme
ça : c’est pour m’impressionner ou vous me prenez pour un
impresario ? C’est fou ce que je suis curieux, du coup, parce que je ne
sais pas pour quel spectacle je pourrais vous proposer, si j’étais ce genre de gars.
Clodo, lecteur de Céline ? Remarquez, ça revient au même, non ?
— Vous posez beaucoup de questions…
— Sans blague ? Entre nous, je suis plutôt timide
d’ordinaire, mais quand un déchet vient camper sur mon canapé, je ne sais pas…
ça doit me désinhiber.
— Vous avez tort de me parler comme ça.
— Alors, on va se dire que les torts sont partagés,
voilà ! Et comme on est dans une spirale d’amabilités, le monsieur il va se
lever, me dire au revoir et puis…
— Je viens parler de George WF Weaver.
— Qu’est-ce qu’il a, George ?
— Vous avouez que vous êtes en relation avec lui ?
— Et alors ?
— Vous savez que c’est un pseudonyme ?
— Rrrhhôô sans blague ? Bon, c’est pas le tout, mais
comme je le disais à l’instant, le monsieur, il va se barrer…
Le type se lève calmement, jette son mégot par terre et
l’écrase.
— Ce n’est pas bien, ce que vous faites, de résister comme
ça. Nous à la Brigade, nous sommes plutôt à la coule, vous savez. On vient, on
constate, on verbalise éventuellement et on s’en va. Bien sûr, si vous êtes de
mauvaise composition ça peut aller plus loin.
— En admettant — je dis bien “ en admettant ”,
hein — que vous n’êtes pas une version pouilleuse d’une escroquerie quelconque,
j’aimerais biens avoir de quoi vous parlez.
— De ses calembours.
— Oui, il en fait. Et alors ?
— Eh bien on verbalise !
— Bien. Je crois qu’on va y passer la nuit si je ne mets pas
les forceps. Vous respirez un bon coup et vous m’expliquez.
— Ahem… Le dénommé George WF Weaver, pseudonyme d’un pervers
notoire sévissant sur votre blog et quelques autres s’est rendu coupable d’une
trentaine d’à peu près et pas moins d’une dizaine de calembours de
Stade Quatre, les pires. Notre service
de recension a beaucoup travaillé à cette occasion. Vous savez je disais tout à
l’heure “ on constate, on verbalise, on s’en va ”, là je suis bien
obligé de dire que nous allons passer directement à une étape...
— “ On s’en va ” ?
— Non : “on verbalise”.
— En quoi ça me concerne.
— Oh, vous savez, ça c’est un peu de votre faute. Vous
déclarez tout net sur votre blog que vous êtes solidaire des propos que vous
laissez passer. C’est tout à votre honneur, mais comme nous ne pouvons
atteindre l’auteur de l’infraction, nous sommes bien obligés d’adresser nos
procès-verbaux à un responsable, c'est-à-dire vous.
— Vu votre dégaine, ça ne doit pas porter loin. Je veux bien
faire l’aumône, cela dit. Ce qui m’emmerde le plus, ce sont toutes les
simagrées qu’on est obligé de supporter pour en arriver là. Et puis, quand même,
vous êtes entré par effraction chez moi.
— La Brigade a tout pouvoir en cas de constat d’infraction.
C’est dans le Code.
— Combien ?
Le type sort un papier miraculeusement immaculé de sa poche,
une vision qui touche à l’épiphanie, tellement elle est improbable. Je lis. Je
défaille.
— Vous vous foutez de moi ?
— Oh vous savez, je suis fonctionnaire.
— Lequel de mes potes vous a commandité pour ce canular ?
— Personne, je vous l’assure.
— Allez vous rasseoir, je reviens ».
Le type se retourne pour regagner mon fauteuil déjà
dégueulassé. Il s’arrête distraitement, toujours en me tournant le dos, et
prend un paquet de tiges dans sa poche. Je ne lui laisse pas le temps d’en
allumer une parce que je le fais à coup de bouteille sur son crâne. Le type s’écroule. J’ai
juste le temps de l’attacher et de le bâillonner qu’il reprend connaissance. Ces
petits yeux en boutons de bottine tournent dans tous les sens.
J’empoigne le téléphone :
— « Les gars, j’en ai eu un. Faut que vous radiniez
pour me donner un coup de main. Vu qu’on a un jardin, ici, ça va être plus
facile… Ouais… Ouais… non, ça va j’ai une bêche ».
Je raccroche. La Brigade des Vermotiseurs ne vas pas tarder
à prendre le relais : Otto et George vont venir achever le type à coups de
calembours. Après, ce n’est plus qu’une formalité, la chair attendrie se
décomposera mieux au fond du potager.