Certains sites de vente de livres transmettent parfois les
offres et les demandes de renseignements des visiteurs : demandes d'estimations
(qui ont peu de chances d'être satisfaites), recherches d'ouvrages, offres de
ventes aux termes desquels le encoure une affligeante désillusion. En
l'occurrence ce que l'on croyait une rareté n'est guère qu'une bondieuserie
invendable dont personne ne voudra s'encombrer. Autant d'ouvrages qui
s'afficheront en vain sur des sites de ventes aux enchères : encyclopédies aux
reliures en pur plastique, authentique vie de Rama Krishna par M. Paul Vishnou
de l'Institut des Études Quasi orientales de Saint-Locdu-Le-Vieux... des
annonces déprimantes, des livres inutiles, obsolètes sur lesquels le vendeur a
fondé quelque espoir et dont le libraire découragé ne pourra donner un avis ou une
offre, tant il y en a.
Et puis, il arrive que des annonces vous touchent un peu plus, soudainement, comme celle de cet artisan qui vend une trentaine d'ouvrages concernant son métier. Il l'a exercé une vingtaine d'années, est contraint de l'abandonner pour raison de santé. Alors, voilà, il connaît la valeur de ses livres, certains sont anciens, il n'a pas envie de les vendre pour rien, mais il y a cette phrase, celle que l'on trouve si rarement dans les propositions de vente :
Entendons-nous bien : je suis acheteur de bibliothèques, parfois, lorsque l'occasion se présente et lorsque ces livres représentent un intérêt pour moi. Il arrive que ces achats se fassent à la suite du décès du propriétaire ou dans le meilleur des cas pour un déménagement (Il est d'autres raisons, dont certaines philosophiques, qui, pour autant qu'elles soient intrigantes, se justifient pleinement). Je pense que la crise économique que nous traversons va occasionner quelques ventes déchirantes pour des bibliophiles ou des bibliomanes... Mais tout cela ne concerne en somme que les bibliothèques de loisir, de celles que l'on constitue peu à peu au gré du goût et du hasard. La faim ou les incendies pourraient en avoir raison, mais la mémoire du lecteur, de l'amateur demeure et il lui sera loisible de la reconstituer en tout, ou en parties, s'il est encore vivant, bien sûr. Acquérir ces bibliothèques est affaire de consentement.
Bien différente est la bibliothèque professionnelle. Souvent — surtout lorsqu'il s'agit d'artisanat — ces ouvrages sont rares et fragiles du fait de leur ancienneté. Peux d'éditeurs envisagent des réimpressions parce que leur lectorat est réduit. Il s'agit là de rayonnages dont la moindre dispersion peut être fatale à la somme des connaissances qui y sont enfermées. Et puis, il y a ce dialogue désormais en péril entre le créateur et ses sources... cette soudaine séparation est une façon de larguer définitivement les amarres, de dire adieux.
Imaginez : la calèche est en bas, on vient chercher les orphelins. On ne saura comment ils seront traités dans l'institution et s'ils seront séparés au bout du compte.
Temps de dire adieu... du Dickens.
Ce billet — légèrement remanié — a été publié sur le blog Feuilles d’automne, au temps où le Tenancier était encore libraire, en janvier 2009.
Et puis, il arrive que des annonces vous touchent un peu plus, soudainement, comme celle de cet artisan qui vend une trentaine d'ouvrages concernant son métier. Il l'a exercé une vingtaine d'années, est contraint de l'abandonner pour raison de santé. Alors, voilà, il connaît la valeur de ses livres, certains sont anciens, il n'a pas envie de les vendre pour rien, mais il y a cette phrase, celle que l'on trouve si rarement dans les propositions de vente :
« Pouvez-vous me dire si vous seriez d'accord pour examiner l'achat de ces livres ?Je ne cherche pas ici à m'étonner de cette disposition d'esprit. Seulement, je note avec plaisir cette justesse de vue, voire cette humilité, alors que cet homme cède une partie de ce que fut son existence, un métier d'artisan — un métier d'art, même, mais c'est tout ce que m'autorise à vous dire la discrétion de ma profession — une partie de sa vie. Ce message annonce un renoncement, un accident de l'existence au terme duquel il faudra passer à autre chose, se séparer de la plupart de ses outils et de ses livres. L'annonce ne s'adressait pas à moi particulièrement. A vrai dire, j'aurai éprouvé les pires difficultés à aborder cette acquisition sans avoir l'impression d'entériner une sorte de défaite.
Si je suis conscient de la valeur de certains de ces bouquins je ne néglige pas la rémunération de votre expertise...
Je suis à la recherche d'un compromis équitable... »
Entendons-nous bien : je suis acheteur de bibliothèques, parfois, lorsque l'occasion se présente et lorsque ces livres représentent un intérêt pour moi. Il arrive que ces achats se fassent à la suite du décès du propriétaire ou dans le meilleur des cas pour un déménagement (Il est d'autres raisons, dont certaines philosophiques, qui, pour autant qu'elles soient intrigantes, se justifient pleinement). Je pense que la crise économique que nous traversons va occasionner quelques ventes déchirantes pour des bibliophiles ou des bibliomanes... Mais tout cela ne concerne en somme que les bibliothèques de loisir, de celles que l'on constitue peu à peu au gré du goût et du hasard. La faim ou les incendies pourraient en avoir raison, mais la mémoire du lecteur, de l'amateur demeure et il lui sera loisible de la reconstituer en tout, ou en parties, s'il est encore vivant, bien sûr. Acquérir ces bibliothèques est affaire de consentement.
Bien différente est la bibliothèque professionnelle. Souvent — surtout lorsqu'il s'agit d'artisanat — ces ouvrages sont rares et fragiles du fait de leur ancienneté. Peux d'éditeurs envisagent des réimpressions parce que leur lectorat est réduit. Il s'agit là de rayonnages dont la moindre dispersion peut être fatale à la somme des connaissances qui y sont enfermées. Et puis, il y a ce dialogue désormais en péril entre le créateur et ses sources... cette soudaine séparation est une façon de larguer définitivement les amarres, de dire adieux.
Imaginez : la calèche est en bas, on vient chercher les orphelins. On ne saura comment ils seront traités dans l'institution et s'ils seront séparés au bout du compte.
Temps de dire adieu... du Dickens.
Ce billet — légèrement remanié — a été publié sur le blog Feuilles d’automne, au temps où le Tenancier était encore libraire, en janvier 2009.