Pissenlits par la racine (Les) : Entendons-nous. En élaborant
cette notice, on a tout à fait conscience de la trivialité de cette expression
eut égard à l’objectif avoué de ce dictionnaire, lequel est de présenter un
vade-mecum pour le mourant de bonne éducation. La question se pose tout de même
au-delà de la forfanterie de l’appellation. Est-il décent et honorable pour le
défunt d’avoir des notions d’horticulture ? Hors celles de la rhétorique
morbide ou bien celles emballées dans du cristal de fleuriste, le mort peut-il
compter les fleurs dans l’horizon noir de son non devenir ? Certes la
fleur de cimetière n’est pas qu’une allongée ou une demi-mondaine, elle
pousse également dans les caveaux désertés ou bien abonde sur les tombes des
pauvres. Le mort de bonne éducation ne devra en aucun cas laisser au hasard
l’occupation de la surface de son lieu de repos. On ne glosera pas ici plus
avant sur la nécessité de s’adjoindre les services d’un jardinier, voire d’un paysagiste.
La chose semble aller de soi. On veillera seulement à ne laisser l’occupation
de la tombe qu’à des plantes qui ne s’enracinent point trop. Quel désagrément
de voir le bel agencement de nos ossatures transformé en jeu de mikado et
d’osselets par la prégnante investigation de racines… En vérité, et à notre
avis, il faut renoncer aux charmes de la nature. Notre condition ultime ne peut
s’agréer que dans le marbre et le stuc. En ce cas, on peut fort bien admettre
rinceaux, pampre, mousse pour agrémenter la frise de nos tombeaux. Parions même
sur leur pérennité, point soucieuse du soin de l’arrosage et ne nécessitant que
le ciseau du sculpteur et non point ceux de l’horticulteur, ce qui n’appelle
pas la même fréquence. La fleur en plastique est à bannir. On s’autorisera à
peine quelque follet chrysanthème en vasques de porphyre.
Yves Letort : Encyclopédie du mourant de qualité.
Yves Letort : Encyclopédie du mourant de qualité.