jeudi 16 septembre 2021

Gotham

... et comme le Tenancier n'est pas rancunier, l'on vous présente ici l'épisode d'une série qui fut diffusée sur France Culture il y a quelques années.

mercredi 15 septembre 2021

Le Tenancier ronchonne

  Outre qu’elle se fait le porte-voix d’une certaine béatitude technophile globalisée et où ses animateurs se déclarent des « lovers » lors de jamboree radiophonique consacrées aux « industries culturelles », france culture(1) s’adonne au recyclage d’anciennes émissions ou d’invités —, pas forcément les mêmes, mais interchangeables — où le conceptuel people s’adonne à l’entre-soi des marchands de primeurs. Étrange phénomène qui déprécie la bourgeoisie sans qu’il soit besoin de lui donner un coup de main, comme si, tout à coup, le vieux réac ou la conscience de gôche se diluaient dans une sorte de libéralisme vaguement orienté « droit-culture/patrimoine ». Pourquoi pas ? Tout cela se veut efficace. Malheureusement, l’on se trouve bien court, quand bien même l’on rabâche, et il faut meubler d’autant qu’après avoir viré la création, l’on compresse le personnel depuis des éons. Le miracle des redifs reste à cet égard une providence, entre deux émissions de variété déguisées et après quelques estimables léchouilles et quelques prudhommeries. On recycle et ce qui distingue l’industrie d’une création réside justement dans cette réutilisation ad nauseam de vieux machins sans que la qualité s’améliorât (au moins dans le cinoche, nous sommes passés au parlant et au Technicolor, le son FM pour la radio devenant un très médiocre progrès pour les logorrhées). Doit-on jeter la pierre à ceux qui affectionnent ces rediffusions ? Ah mais non, d’autant que le soussigné en fait partie! Mais il fatigue, aussi. Il aimerait bien rêver un peu, qu’on l’enchante avec de l'imagination. Et là, on peut estimer que votre Tenancier peut toujours courir.
  — Mais pourquoi ronchonnez-vous, Tenancier ?
  — Parce que c’est mon plaisir.
(1) Des caps., vous croyez ?

mardi 14 septembre 2021

Dispositions ante mortem

   Toujours est-il qu’Archibald Rapoport lorsqu’il entre dans sa trente-sixième année vit seul, occupe ses loisirs à philosopher, exerce le métier de malfaiteur, pratique le vol à main armée. Il aime, dans sa condition de voyou, qu’elle ne soit pas conforme à sa nature, qu’elle y soit étrangère. Je hais la violence, pense-t-il et les humiliations que j’inflige m’écorchent et me bouleversent. Je suis fait pour l’étude et le silence, la science, et j’ai passé ma vie à violer, à meurtrir en moi les intimes tendances qui me poussent aux plaisirs paisibles du savoir et du bonheur, j’en ai constamment étranglé les nostalgiques sursauts. Mais il jouit du contraste incongru qui oppose ses inquiétudes philosophiques et les préoccupations criminelles attachées à son existence de bandit professionnel : il est dans une absurdité palpable, un déchirement concret qui l’extasie d’une voluptueuse amertume.
  Mais il advint qu’un jour il fut saisi d’une frayeur profonde, métaphysique : il désira qu’on sût ce qu’il avait été. Il désira qu’on le connût, enfin, après sa mort : il fallait qu’il meure pour que cette connaissance publique ne le violât point. Il forma le projet d’écrire, et de périr pour que le récit de sa vie pût être publié. L’écriture regarde la mort, pensait-il, l’idée de la mort, sa vision, la pénètre et transperce de toutes part, et le nom des écrivains sur la couverture des livres, préfigure leur pierre tombale : je donnerai un sens à cette image. Il avait toujours connu le désir endeuillé d’écrire et, parmi les raisons qui avaient empêché qu’il le fit, il y avait surtout la sensation qu’écrire était une lâcheté, une façon d’assouvir désirs, fantasmes et rêves dans une fiction susbtitutive, au lieu de les accomplir. « J’aime trop vivre, disait-il, pour pouvoir écrire. » (« J’écrirai quand je ne banderai plus », disait-il aussi.) Et la publicité de l’écriture, qui abolit l’anonymat, supposait, lui semblait-il, le désir terrifié d’échapper aux signes funèbres de la solitude. Mais il n’écrirait qu’au moment où il serait dans une confrontation inévitable et cristalline avec la mort — qui inclurait une contemplation constante —, il écrirait quand sa vie consisterait exclusivement à mourir, il ferait seulement le récit de sa vie et son livre ne paraîtrait qu’il eût, lui, disparu : il avait décidé qu’en vertu des multiples articles du Code pénal relatifs au châtiment du meurtre, il serait condamné à mort et exécuté. (Ainsi il n’aurait pas sépulcre manifeste et son corps scindé pourrait, dans une fosse commune, au carré des suppliciés de quelque cimetière parisien, pourrir. Et il éviterait ainsi l’insupportable attente de la mort naturelle qui, telle un fondamental cancer, le dévorait.) Je tuerai un policier, chaque jour, six jours durant, avait-il résolu et pensé un matin, les yeux figés sur le suave roulement de hanche d’une capiteuse courtisane qu’il avait séduite.
  Alors commence vraiment l’ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport, l’aventure cassée d’un penseur qui tue pour écrire, meurt pour être lu et défini. Il va pourtant de soi qu’Archibald possédait quelques autres raisons diverses, de vouloir mourir et d’œuvrer en faveur de cette mort.

Pierre Goldman : L’ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport (1977)
(Réédition en 2019, éditions Séguier)

lundi 13 septembre 2021

10/18 : Vernon Sullivan : Elles se rendent pas compte




Vernon Sullivan

Elles se rendent pas compte

Traduction de Boris Vian

n° 829

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume double

194 pages
Dépôt légal : 1er trimestre 1974
Achevé d'imprimer : 30 septembre 1978

(Contribution du Tenancier)
Index

samedi 11 septembre 2021

Les bibliophiles

Philologie et histoire naturelle
 
  Deux individus s’affrontent et gesticulent : deux tomates explosives. Soudain cette tornade devient bonace : ces deux citoyens, également français, s’aperçoivent qu’ils ne parlent pas la même langue — d’où leur différend — mais qu’ils se trouvent d’accord cependant ! Ils se réconcilient, s’embrassent ; ainsi la plupart de nos querelles viennent de ce que l’on ne s’entend pas exactement sur le sens des mots.
  Le mot de Bibliophile n’échappe pas à cette règle. Évidemment, l’étymologie nous enseigne que Bibliophile veut dire « qui aime les livres ». Mais il y a tant de façons d’aimer les livres ! Chacun aime les livres à sa façon et affirme de cette manière sa personnalité et son sens de la langue… Dis-moi qui tu lis, je te dirai qui tu es. Le livre est une pierre de touche. Et puis il y a aussi les gens qui aiment les livres et qui ne lisent que leur journal et leur livre de comptes…
  La définition du Bibliophile devient donc difficile. Nous avons renoncé à en énoncer une qui satisfasse tout le monde. Tout au plus peut-on dire que le Bibliophile est un mammifère, bipède et bimane, à langage articulé. On en compte deux espèces : le Bibliophile qui lit et le Bibliophile qui ne lit pas. Chacune de ces espèces comporte plusieurs variétés dont on trouvera plus loin la description.
  On rencontre aussi des sujets qui échappent à toute classification : ce sont des hybrides nés du croisement de deux variétés différentes. Du point de vue scientifique ils offrent un intérêt de curiosité, leur rareté même est un attrait ; du point de vue social ils sollicitent moins l’attention, car, comme tous les mulets, ils n’ont aucune progéniture.

André Delpeuch : Bibliophiles ? (1926)
(À suivre)

vendredi 10 septembre 2021

Une historiette de Béatrice

C'était bien cette conversation entre mon papotin de l'autre jour qui est revenu (je pensais avoir rencontré l'individu le plus bavard, mais non) et ce monsieur à la recherche d'ouvrages ésotériques qui lui a expliqué ses contacts directs avec Kardec et sa théorie de la circulation de l'énergie dans les corps de nos morts.

jeudi 9 septembre 2021

Une historiette de Béatrice

Bon voilà, je reviens dans votre boutique, je suis très long vous savez. J'ai besoin de voir, de revoir, de lire, de relire, éplucher, sentir, réfléchir. Chacun a son rapport au livre, c'est le mien. Je suis très long avant de me décider. Ca ne vous dérange pas que je passe un moment dans votre librairie ? Bla bla bla et cette poétesse bla bla bla et ce romancier bla bla bla et ce pseudo-philosophe mais il est vivant lui et la vie si vous saviez et ce livre trouvé chez votre confrère bla bla bla et je m'intéresse à la philo bla bla bla.
Mais vous n'êtes pas très loquace madame.

mercredi 8 septembre 2021

Jeu

Allons allons, nous n'avons jamais prétendu de ce côté-ci de l'écran que les jeux que nous proposons devaient se déclarer difficiles ou même s'abstenir de se répéter. Ainsi l'on vous demande de quel film provient cette image de librairie. On peut même se contenter d'une réponse évasive, comme la dernière fois, ce qui avait amusé votre Tenancier.


lundi 6 septembre 2021

dimanche 5 septembre 2021

Vonnegut x 11 + 1

S’il existe un écrivain singulier qui mérite quelque attention dans l’élaboration des couvertures de ses ouvrages, c’est bien Kurt Vonnegut. La maison Bantam Doubleday avait confié à Carin Goldberg le soin de travailler sur le design de la série d’ouvrages (ca : 1990/2000) du romancier américain, avec une unité assez intéressante et plutôt sobre, malgré tout.


On peut cliquer sur chaque image pour l'agrandir

L’idée la plus élégante revient toutefois au designer Alex Camlin qui, travaillant pour un autre éditeur (Da Capo Press) au sujet de souvenirs autour de Kurt Vonnegut par Loree Rackstraw (2009), opère un discret rappel de la maison concurrente et des oeuvres de l'auteur par trois bandes en travers de la couverture.
(Sources : Book Cover Archive)


samedi 4 septembre 2021

Une bibliothèque populaire

  M. Torndike, qui tenait une bibliothèque populaire dans Staple Inn, regardait pour la mille et unième fois les étranges maisons à façade de bois qui faisaient face à son officine.
  Il n’y avait personne, autour des tables de bois noir surchargées de livres, à qui il eût pu, pour la énième fois, répéter qu’il prisait le style Tudor de ces bâtisses et qu’elles étaient les seules ayant survécu aux incendies et aux tourments de la City, depuis le XVe siècle.
  Personne…
  Ce n’était pas une vérité absolue, mais l’unique client qui feuilletait d’un doigt nonchalant les tomes gras et luisants ne comptait guère pour le bouquiniste.
  Le docteur Baxter Brown était un simple médecin de quartier habitant Churchstreet, où il occupait deux chambres dans une des hautes et blêmes maisons bordant Clissold Park, ne disposant ni de bibliothèque ni de laboratoire et recevant sa maigre clientèle dans un misérable salon aux fauteuils de crin noir. Deux fois par semaine, il entreprenait, à travers la métropole, un long et triste voyage qui l’amenait à Holborn, dans l’établissement poussiéreux de M. Torndike où il passait une ou deux heures avant d’emporter un livre de location à six pence.
  Il bruinait, ce jour-là, et à sa table de lecture se trouvait dans le coin le plus sombre de la bibliothèque populaire. Mais M. Torndike ne songeait pas à allumer les une des lampes à abat-jour vert pour un aussi pauvre client.
  Baxter-Brown faisait bruisser les épaisses feuilles d’une Histoire d’Angleterre qu’il ne lisait pas mais, d’une main prudente, il glissait sous le volume un mince opuscule, tavelé de rouille et mordu par le taret des livres.
  À ce moment, Miss Bowes entra et M. Torndike s’inclina fort bas. Non seulement elle prenait en location des livres coûteux et rares, mais encore, elle aimait faire un bout de causette qui permettait toujours au bibliothécaire de faire valoir ses connaissances historiques.
  — Nous parlions de Wren, la dernière fois que j’eus l’honneur et le plaisir de vous voir dans ma modeste maison, Miss Bowes, et, à propos de Guildhall, qu’il rebâtit après l’incendie de 1666…
  Baxter-Brown se leva ; il avait fait glisser le mince cahier dans la poche de son pardessus et tenait à la main un quelconque roman de récente édition.
  — Merci, Monsieur, au revoir, Monsieur, dit sèchement le bouquiniste en prenant du bout des doigts la pièce de monnaie que lui tendait le médecin.
  La silhouette trapue du docteur se fondait dans la bruine d’Holborn.
  — On ne mangerait pas du mouton tous les jours avec une pratique du genre, grommela M. Torndike en le voyant disparaître.
  Puis, retrouvant son sourire, il reprit sa conférence au profit de sa bonne cliente.
  — Il faut pourtant reconnaître que les tours ajoutées par Wren à l’Abbaye de Westminster ne sont gère en harmonie avec la majesté…
[…]

Jean Ray : Le miroir noir (1943)