Woody Allen
Extrait de
Annie Hall
(Pardon pour la mauvaise qualité du début, mais ce n'est pas de la faute du Tenancier)
Il arrive un moment, lorsque l’on écrit, où l’on se pose la question de la pertinence de son propos. En quoi ce que l’on couche sur le papier apporte-t-il quelque chose d’utile à soi et aux autres ? Si l'interrogation semble superflue pour ce qui concerne la littérature de divertissement assumée comme telle, on se trouve tôt ou tard confronté à « la quête de sens » et même, au bout du compte, au bord du renoncement, laisser tomber devenant un pis-aller plutôt que d’affronter les contradictions entre la volonté d’élever le débat suscité par ses propres écrits et les limites de chacun. Bien entendu, l’idée affleure de façon périodique et ne s’enterre jamais vraiment, peu importe l’argutie utilisée. On en a vu, comme Alain Nadaud, écrire pour signaler qu’ils arrêtaient d’écrire, paradoxe apparent, mais qui dévoilait un renoncement aux territoires de la fiction et également la soumission du texte a autrui… et puis la lassitude de l’auteur face à l’indifférence critique, et à celle des éditeurs qui ne se payent guère d’audace (on songe toujours à Nadaud et à ses vitupérations contre un système de commercialisation qui vaut autant pour la littérature que pour les savonnettes). On peut encore se trouver peu d’allant pour partir en guerre contre soi, se faire violence, se contenter de produire à l'identique. Est-ce bien la solution ? Mais ne vaut-il pas mieux s’essayer à progresser au-delà de on assise ? Bien sûr… celui qui n’a pas compris cela, que fait-il, à écrire encore ? Ces moments de crises restent profitables à partir du moment où on les dépasse. Ils ne sont pas perçus de façon claire par l’entourage et les lecteurs, à cause de la décantation, de la latence et de l’adaptation vers d’autres paradigmes d’écritures. Il arrive aussi que l’on échoue à cette prétention, mais au moins l’on a tenté de se rédimer de son laisser-aller, même si en apparence, les productions restent identiques encore un temps aux yeux du lecteur. La crise peut se révéler abrupte dès lors que l’on décide de s’éloigner d’un genre que beaucoup aiment rencogner dans un « imaginaire » si trompeur que les stéréotypes y abondent plus souvent qu’à leur tour. La nécessité de larguer les amarres se pose. Elle ne mène pas à une renonciation, mais à une réflexion, sur le sens de ce que l’on produit et sur les menus tourments que cela occasionne : tempête dans un verre d’eau ! On sait bien où cela aboutit, c'est-à-dire à demeurer à la même place aux yeux des autres et puis à constater qu’au bout du compte on s’est agité pour pas grand-chose. On retrouve des ornières identiques. Mais, au moins, l’on a ressenti l’envie de se dérober, comme parfois les personnages que l’on fait naître dans certains récits. Reste le sentiment confus de ces velléités, qui rejailliront, qui sait, un peu plus tard… |
Victor Bérard : Les navigations
d’Ulysse
Peter Fleming : Courrier de Tartarie Peter Matthiesen : Le léopard des neiges Nicolas Bouvier : Œuvres |
1er mars 1954
à Paul Brooks, Houghton Mifflin Co. … Il faudra qu’un jour on
m’explique le principe des
maquettes reproduites sur les couvertures de livres. J’imagine que leur
but est
d’attirer l’œil, sans poser de problèmes trop compliqués à l’esprit,
mais leur
symbolisme en pose trop de profonds pour moi. Pourquoi y a-t-il du sang
sur la
petite idole ? D’ailleurs pourquoi cette petite idole est-elle
là ?
Et que signifient les cheveux ? Et pourquoi l’iris de l’œil est-il
vert ?
Ne me répondez pas, vous n’en savez probablement rien non plus.
Raymond Chandler : Lettres
|
« J’ai
remarqué, en observant ce soir la numérotation des
pages, que j’avais commencé à écrire sur le feuillet numéro treize — et
cela
m’inspire une vague insatisfaction. J’ai lu, au passage, un paragraphe
dans un
journal qui parle d’écrivains moitié fous. Zola, dit l’auteur, était
l’un
d’eux. On le considère comme moitié fou parce qu’il additionnait les
nombres à
l’arrière des fiacres qui passaient devant lui dans la rue.
Personnellement,
c’est une chose que je fais sans cesse — et je sais très bien que je le
fais
pour m’apaiser l’esprit. C’est une pratique narcotique, en quelque
sorte.
Johnson, nous le savons, touchait les poteaux de sa rue dans un certain
ordre : cela était encore une manière d’échapper à de tristes
pensées. Et
nous savons tous comment, étant enfants, nous avons obéi à l’injonction
mystérieuse nous intimant de marcher sur les lignes entre les pavés de
la rue…
Mais les enfants ont un avenir. Il est bon qu’ils rendent propice le
mystérieux
Tout-Puissant. En leur temps, Johnson et Zola avaient eux aussi un
avenir. Il
était bon que Johnson fît ses “touches” contre la malchance, que Zola
mît son
esprit à l’abri de nouveaux problèmes. Chez moi, c’est simplement le
fruit de
l’idiotie. Car je n’ai pas d’avenir. »
Joseph Conrad — Ford Madox Ford : La nature d’un crime (1909) (Trad : Maxime Rovere) |