vendredi 21 octobre 2022

Métaphysique du pilchard



Le plaisir de figurer dans certaine publications réside également dans le voisinage. Ainsi, votre Tenancier figure au sommaire du numéro 3 de la revue Lard-Frit (nouvelle formule bi-fluorée) pas très loin d’un article que Jean-Pierre Bouyxou consacre à la revue Fascination dont on aurait tant aimé posséder la collection complète. Certes, d’autres contributeurs ne déméritent pas dans le cahier érotique, comme l’évocation de la collection La Brigandine, par Vincent Roussel... Bref, avec l’âge, le Tenancier se sent polisson. Mais voilà, on peut vouloir, mais il faut pouvoir, on s’est contenté d’une modeste nouvelle : Métaphysique du pilchard, exclue à juste titre du dossier érotique, car, n’est-ce pas, il en faut pour tous les goûts…
Lard-Frit n°3, à commander ici.
… et à ceux pour lesquels ce titre rappellerait de bons souvenirs, on peut se rafraîchir la mémoire.

mercredi 12 octobre 2022

Une historiette de Béatrice

La mère et sa toute jeune fille dans la boutique, déambulant et consultant avec délicatesse. L'une au rayon sciences humaines, l'autre devant la poésie. Puis le coin histoire de France, longuement, et la littérature. Les beaux-arts, puis l'antiquité.
Calme, silence, lecture.
Et là, le relou qui entre en trombe avec son agitation et ses réflexions sur le « foutoir dans ces bouquineries ».

samedi 1 octobre 2022

La nécrogène et autres miniatures

Votre Tenancier a vite adopté un mode de publication désuet pour ses nouvelles. En effet, il se soumet très souvent à la «prépublication», c’est-à-dire par les périodiques, magazine ou revues, qui forment une sorte de banc d’essai et une possibilité de repentir pour une éventuelle et future édition en volume. La pratique se révélait courante par le passé, mais présente une tendance à se raréfier de par le fait que la presse n’héberge plus de fiction, ou dans les marges, locales ou très spécialisées. Ajoutons à cela que le soussigné à de la chance, celle de plaire à ses rédac’ chefs, au point que sa bibliographie se trouve presque entièrement constituée de parutions en périodiques. Fort heureusement, quelques volumes rassemblent ces textes, ce qui évite aux amateurs des récits du Fleuve, par exemple, un infini travail de collationnement. L’ouvrage ci-dessous compile des histoires de divers écrivains, publiées sur le site Les deux Zeppelins entre 2017 et 2018 et quelques une plus récentes. La répugnance habituelle de votre Tenancier à confier ses fictions en ligne fut surmontée par la présence de quelques auteurs, au sommaire, qu’il appréciait. Par ailleurs, la règle selon laquelle on ne devait pas franchir une certaine limite de signes (pas plus de 2000) devenait une formidable stimulation au terme de laquelle il fournit dans cette période 59 récits, dont une trentaine s’enchaînait en feuilleton (non repris dans ce livre), 10 chroniques du Fleuve, etc. Quelques textes ont été réédités depuis, révisés et développés de façon plus ample dans d’autres revues, voire dans un futur recueil. Toujours est-il que le site hébergeur, Les deux Zeppelins, était devenu une formidable aubaine pour laisser courir le clavier sur courte distance, un peu comme un test d’effort. On ne recommandera jamais assez ce type d’exercice qui mène à la concision, à l’économie de mots, au sein d’une tendance au délayage que procurent les facilités du traitement de texte. Hélas, il semble que le site ne publie plus que de façon sporadique, son maître d’œuvre étant accaparé par sa profession et une vie de famille (quelle idée!). Ainsi, tout de même, un court récit de votre serviteur parut en ligne en 2022, que l’on retrouvera d’ailleurs dans ce volume, également. L’exercice, profitable, confortait le goût de votre Tenancier pour la concision et qu’il emmagasinait par la même occasion un certain nombre de nouvelles à développer. Certaines n’ont toujours pas été revues.
Voici la liste des histoires de votre serviteur qui y figurent :
 
— Les tourbières, repris et augmenté in revue L’Ampoule n° 6, Ambarès-et-Lagrave, 2019 — Récit du Fleuve
— La créature, repris, augmenté et illustré par Céline Brun-Picard in revue L’Ampoule n° 5, Ambarès-et-Lagrave, 2019 — Récit du Fleuve
— Les artefacts — Récit du Fleuve
— Le pyroscaphe — Récit du Fleuve
— Les enfants morts — Récit du Fleuve
— La fièvre, repris et augmenté in Le Novelliste n° 5, Tourcoing, 2021 — Récit du Fleuve
— L’îlot — Récit du Fleuve
— La pluie — Récit du Fleuve
— Le pont — Récit du Fleuve
— Les bocaux, repris in revue Amer n° 9, 2021 — Récit du Fleuve
— Du dressage des enfants     — Introduction    — Du refus    — Des maladies    — De la sélection    — De l'ennui    — De la contrainte    — De la terreur    — Du conditionnement    — De la punition    — De l'hyperactivité         repris et augmenté sous le titre «Diverses propositions afin de parer au fléau infantile, par un citoyen inquiet»
        in revue L’Ampoule n° 9, Ambarès-et-Lagrave, 2021

— Rapport remis à M. Edward Heath sur les événements de Wallington le 23 février 1972,
— L’effet Kowalski
— Les gens
— Apparition de brune matinale
— Mais ils sont tout petits!
— Manifeste pour un cinéma d’horreur écologique,
— Mémoire sur la migration des parapluies en zone boréale, hommage à John T. Sladek
— Robert
— Un crachat — Récit du Fleuve (paru en 2022)
 

vendredi 30 septembre 2022

48 dédicaces modèles pour tous les usages

Renouons avec nos annonces, négligées depuis bien longtemps, en vous signalant les contributions (à six reprises) de votre cher Tenancier à l'ouvrage suivant :


Ajoutons que cette collection est une émanation des éditions Deleatur. En conséquence, votre Tenancier se rengorge, pavane et a des chances de devenir insupportable.
Espérons que cet opuscule sera secourable à l'écrivain en panne sèche...

mardi 20 septembre 2022

Ah, c'est vous, l'écrivain ?

Heureux possesseurs de téloche qui ne manquent jamais les reportages sur les autheurs… Le Tenancier qui ne se sert de ce fenestron que pour réviser ses classiques cinématographiques tombe parfois d’un coup de zapette fortuit sur ce type d’intermède où l’on découvre l’écrivain, l’essayiste ou tout autre clampin le nez dans son bouquin, ce qui le fait doucement rigoler. Pourquoi pas avec une plume dans le postère ou changé en fildefériste ? Eh bien non, le journaliste se croyant inspiré, soulignera par l’image que le type, là, a bien rédigé le bouquin puisqu’il est en train de le lire sous vos yeux, tant il s’avère que tout auteur passe son temps à retourner vers des textes déposés chez l’éditeur un ou deux ans auparavant après en avoir eu ras-le-bol en écrivant le mot fin et après une longue période d’écriture et de révisions. On sait que ce genre d’image correspond au vocabulaire d’un certain journalisme paresseux, au même titre que les micros-trottoirs ou l’interview d’un syndicaliste policier fasciste (je m'essaye au pléonasme) après un fait divers plutôt qu’une investigation sérieuse.
Nous resterons tout de même surpris le jour où l’on abordera ce genre de chose d’une manière différente.

dimanche 18 septembre 2022

Scoumoune

« Tu vois ce gars-là ?
— Ouais, eh bien ?
— Tu me crois si je t’affirme qu’il fait partie des meilleurs romanciers contemporains ?
— Qu’est-ce qu’il a publié ?
— Trois romans, à ce que je sais.
— Ah, mais parce que tu ne les as pas lus ? Alors comment peux-tu prétendre qu’il est bon ?
— Tout de même si, je peux. J’en ai parcouru des bouts, quoi ! Il vérifie l’adage selon lequel il ne suffit pas d’avoir du talent. Avoir du bol aide aussi. Son premier bouquin, comme attendu, ne rencontre pas son public, comme on le glisse de façon pudique, pour consoler. Il faut avouer que le jour du lancement correspond au début d’une série d’attentats dans la ville…
— En effet, ça ne favorise pas.
— Il oublie son deuxième opus dans un taxi, une photocopie. Je te rappelle que tout cela se passe avant l’informatique…
—… et le plantage des disques durs.
— Ouais. Il traîne avant de reproduire son original, parce que ce genre de facétie coûte un peu et qu’il ne roule pas sur l’or. Le temps que le manuscrit parvienne au comité de lecture, un bouquin paraît avec de curieuses similitudes. Impossible de prouver l’antériorité. Il se retrouve marron, avec un éditeur qui le soupçonne de magouiller.
— Je sens la suite : il abandonne et se remet à un autre roman, juste ?
— C’est ça. Tout se déroule selon ses vœux. Le comité de lecture se montre élogieux, il rencontre l’attaché de presse qui lui promet des articles ici et là.
— Et alors ?
— Alors : liquidation judiciaire pour la maison d’édition. Le boss est parti avec la caisse. Le bouquin, déjà imprimé, ne sort pas de l’entrepôt, sauf une palette qu’il a achetée en empruntant. Il envoie des exemplaires à des journalistes et rien en retour, ou alors un entrefilet du genre : “livres reçus par notre rédaction”.
— Le prochain, je devine une invasion extraterrestre ou une guerre atomique.
— N’exagérons pas. Il tombe amoureux et perd son style en même temps, semble-t-il, que son pucelage. Le roman, retoqué partout, finit en autoédition. Il renonce à racheter des exemplaires. Heureusement, il se lasse de l’objet de son émoi et retrouve son écriture. Je te passe les Bérézinas successives, ça nous attristerait. Pour une discussion d’apéro, cela ne sied pas. Enfin, à force de patience, il parvient à entrevoir un moyen de vivre de sa plume, en la mettant à louer.
— Adieu la création…
— Oh, ça limite, mais n’empêche en rien le travail pour soi. Bref, on lui confie la réécriture du bouquin d’un boss de labo pharmaceutique, du gré à gré, sans passer par un éditeur puisque publié par les potards eux-mêmes.
— Bien.
— Ouais. Le livre rencontre un certain succès. Il faut dire que le contenu de départ ne se révèle pas trop honteux par rapport à la norme. Il est convoqué au bureau directorial afin de recevoir un petit tas de talbins qui va lui permettre de travailler pour lui pendant quelques semaines. Le boss est au téléphone et il invite notre gars à s’asseoir pendant que l’engueulade continue dans le combiné. Passe-moi l’expression, mais ça chie dans le ventilo. Le labo a produit un excédent de gélules anti diarrhéiques à ne plus savoir qu’en faire. De plus la péremption arrive dans six mois. C’est là que la grande idée lui apparaît.
— À qui ?
— Eh bien, à notre auteur ! Suis un peu ! Bref, il propose au boss de le rémunérer avec ce stock en excédent : 10 000 gélules ! Tu parles, que celui-ci saute sur l’occasion ! Il lui cède même un bout d’entrepôt, du moment que ça n’apparaît plus sur son bilan.
— Qu’est-ce qu’il compte en faire ?
— Pour lui, c’est l’idée du siècle : il va refourguer ça comme des aphrodisiaques. Ne me questionne pas sur son cheminement de pensée et comment il se retrouve devant un trafiquant de médicaments deux semaines plus tard. L’affaire foire.
— Comment ça ?
— Ce n’est pas parce que tu fais dans la contrebande pharmacologique en Afrique que tu deviens obligatoirement con. Le type connaît très bien la marchandise. Il flaire l’arnaque. Lui, sa spécialité, c’est de vendre du générique au prix du haut de gamme. Les marges restent serrées, mais régulières. Il refuse tout net. L’autre, qui pensait aller sur du velours manque se retrouver le bec dans l’eau, étant donné que sa fréquentation des trafiquants de médocs ne se révèle pas étendue, loin de là. Comme par charité, on lui propose de prendre la camelote au prix du transport pour l’amener au port.
— Il accepte, bien sûr.
— Le moyen de passer outre ? Il perd tout en une seule mise. Mais ce n’est pas tout.
— Il se fait serrer par les douanes ?
— Pas du tout. L’auteur rentre chez lui, catastrophé, après avoir paumé son fric, très potentiel, bien entendu. Je te passe ses affres. Pendant ce temps là, dans le pays natal du trafiquant, se déclenche une épidémie de dysenterie mahousse. Celui-là arrive comme un sauveur providentiel et… présidentiel, puisqu’il soigne le chef du gouvernement avec ses gélules acquises à vil prix. Et ça marche ! Comme le médicament ne lui a rien coûté, il offre son stock à la nation. Pour la peine, le voici promu ministre de la Santé par un président qui préfère titulariser un sauveur plutôt que de le retrouver dans l’opposition : voiture de fonction, secrétaire, appartement, et même la possibilité de continuer ses trafics !
— Bien vu !
— N’est-ce pas ? 10 000 gélules, cela reste un peu bref face à une épidémie. Je t’ai signalé qu’il connaissait son métier. Il remonte jusqu’au labo et passe un contrat pour une fourniture régulière. Le boss, qui a flairé l’histoire, se rappelle que tout cela a commencé avec l’idée saugrenue de l’auteur. Pas chien, il lui alloue un revenu constant : une petite somme, entendons-nous !
— C’est toujours ça. Il aurait pu jouer les ignorants.
— Ouais. Sauf que…
— La scoumoune, encore ?
— À ce point, on frise l’indécence. Trois mois plus tard, le labo est poursuivi pour une tapée d’infractions au code des impôts, des douanes et toutes ces choses. Bien sûr, l’émargement de notre auteur se révèle injustifié.
— Mais il a réécrit un bouquin, tout de même !
— Pas déclaré !
— Le pauvre. Qu’est-ce qu’il fait, maintenant ?
— Il écrit des nouvelles. Ça ne paye pas plus, mais le risque reste moindre. Sinon, il rédige des notices de motoculteurs. Pour l’instant, R.A.S. Je te tiendrai au courant si jamais…»

mardi 6 septembre 2022

Comme ça, en passant

Ainsi, privé du privilège de la mémoire étendue, me voici, tout Tenancier que je reste, renvoyé au rang de vulgaire pékin, terme qui donne envie de se laver la bouche. Pouah. Rassurons-nous toutefois : l’écrit n’est pas réservé qu’aux chiens et l’art de la liste ne s’éteindra pas comme cela dans ces colonnes. Un autre engouement a quitté votre serviteur depuis bien longtemps, celui de la nouveauté, depuis qu’il avait quitté la librairie de neuf. Mais, un sentiment connexe a bien voulu se manifester de nouveau lors d’une conversation de vive voix en compagnie de ce très cher George Weaver au sujet de certains livres que le succès rend suspects et donc indignes de notre attention. Entendons-nous sur la notion de succès. Nous n’évoquons pas les débilités usuelles d’un Werber ou les petites stupidités bourgeoises distillé par les pharmacies littéraires, mais de ces ouvrages tombés de nulle part et qui par leur singularité plaisent au plus grand nombre sans pour autant déchoir. On ne peut s'empêcher d’y déceler un loup, malgré les indices favorables, peut-être à cause d’une frilosité due aux vantardises réitérées autour de merdes érigées en chef d’œuvre. Alors, on temporise, à un point que l’on peut laisser un livre s’épuiser. Cela se produit dans les vies sentimentales, aussi. Enfin, à moi ça m’est arrivé, plus souvent en matière de livres, mais...
Je vous raconte ça en passant. Je me mets en jambes, histoire de me familiariser de nouveau avec l’exercice régulier du blogue, une sorte d’exercice, si vous voyez ce que je veux dire, histoire de prétendre un jour que le Tenancier aura atteint son satori, ou alors qu'il vous aura désennuyé.

mercredi 31 août 2022

Perte de mémoire

Votre Tenancier chéri a abandonné le métier de libraire depuis pas mal d’années, désormais. Il constate la perte progressive de certains processus mémoriels qui étaient liés au boulot. En effet, la chose s’entretient presque malgré soi lorsque, lâché entre les rayonnages la stimulation vient de toute part. Ce type de mémorisation (titre, auteur, éditeur, distributeur, date, tirage, etc.) reste curieuse dans sa structure, elle entraîne à des petites manies «cladistiques» qui déborde parfois sur le quotidien, au point d’être possédé par la pulsion de classer sa propre bibliothèque. Signe de déshérence, celle de votre serviteur se bordélise, abandonne la rigueur pour une sorte de schéma vague qui ferait plus confiance à l’instinct qu’à l’ordre pour retrouver ce nom de dieu de putain de bouquin qu’il cherche depuis des mois (il est sous ton nez, ballot!) À cela s’ajoute l’accumulation propre au bibliophage qui décourage également toute tentative de rangement des ouvrages, sinon par strates, prenant alors un référencement temporel : les plus vieux en dessous de la pile. Bref, on le constate, le soussigné opère avec brio l’abandon complet d’un métier pour lequel il n’éprouve plus d’attrait. Non que le livre en tant que matériau ou que contenu le désintéressent, mais sans doute n’a-t-il plus la patience de supporter la dévotion bêtasse qui se déploie autour cette activité. Et puis, entre nous, on aurait l’air fin de revenir à un métier que l’on a en apparence renié (pas du tout, en réalité, seulement auprès de certains lecteurs approximatifs, constat qui ne décourage même plus votre Tenancier qui ne veut plus perdre son temps). En réalité, on respecte ici le libraire qui opère des choix, qui a envie, quitte à ce qu’il en paye les conséquences.
Alors, en effet, une certaine qualité de mémoire se dilue, tandis que l’on tente de s’entretenir intellectuellement. D’un autre côté, cette déperdition quitte sa dimension aliénante : plus de pulsions chronologiques ou thématiques, l’oubli participe à un fonctionnement spéculatif qui permet de revenir sur un sujet, de le considérer sous un autre angle, sans le frein de l’indexation. Et puis, tout de même, la capacité demeure, même marginale, et se dirige sur des sentiers différents, plus savoureux, plus sensuels, parfois. Cette sorte de renouveau confirme le fait que l’on s’est lassé de classer, que l’on a délaissé une névrose pour d’autres, que l’on espère plus jouissives. Cela dit, ce n’est pas gagné...

mercredi 10 août 2022

Peplum

 « Car, selon la coutume des rois de Bithynie, il [Verrès] se faisait porter dans une litière à huit porteurs. On trouvait dans cette litière un coussin d’étoffe de Malte transparente, bourrée de roses. Lui-même avait une couronne de roses sur la tête, une autre autour du cou, et il approchait de ses narines un sachet de lin le plus fin, aux mailles minuscules, plein de roses. Après avoir accompli tout son voyage dans ces conditions, à son arrivée dans une ville, il se faisait porter, toujours dans sa litière, jusque dans sa chambre. C’est là que venaient les magistrats siciliens, là que venaient les chevaliers romains, comme de nombreux témoins vous l’ont déclaré sous la foi du serment. Les litiges lui étaient soumis à huis clos et peu après, en public, on emportait les décisions. Puis après avoir un court moment rendu dans sa chambre quelques arrêts où il tenait compte des sommes reçues plus que de l’équité, il pensait que dès lors le reste de son temps était dû à Vénus et à Bacchus.
Ici il ne faut pas, il me semble, passer sous silence l’activité extraordinaire et tout à fait particulière de notre illustre général. Sachez qu’il n’y a pas en Sicile de ville où l’on n’ait choisi de femme — et non des moindres familles — pour les débauches de ces personnages. Ainsi quelques unes parmi elles s’exhibaient ouvertement dans les banquets. Si d’autres étaient plus réservées, elles choisissaient leur moment pour éviter la lumière et la réunion. Les banquets n’avaient pas lieu dans le silence qu’on observe d’ordinaire à la table des prêteurs et des généraux du peuple romain, ni avec cette réserve qu’on trouve habituellement dans les repas des magistrats, mais au milieu des cris et des éclats de voix. Parfois même l’affaire dégénérait en bataille, on en venait aux mains. Car ce prêteur sévère et actif, qui n’avait jamais obéi aux lois de l’État, observait scrupuleusement celles qu’on établissait pour la boisson. À la fin du banquet, les esclaves devaient emporter dans leurs bras tel convive qui paraissait sortir d’une bataille ; un autre était laissé pour mort ; la plupart, étalés à terre, gisaient sans conscience ni sentiment. À ce spectacle on aurait cru voir non le repas du prêteur, mais la bataille de Cannes de la débauche. »
 
Cicéron : Des supplices (70 av. JC)
Trad. Michel Malicet

lundi 8 août 2022

Les provocateurs

 « Reconnaître un provocateur n’exige aucun talent vraiment excessif. Dans une ardeur protestataire, le provocateur s’attache volontiers à dénoncer un méfait particulier du système — à l’exclusion de tout le reste, qui le produit pourtant, l’exige même et suscite d’autres calamités tout aussi remarquables. Le provocateur ne se contente pas de décrier telle source d’énergie au profit de telle autre qui serait moins immédiatement dévastatrice, mais rejette obstinément la question élémentaire : à quoi servent aujourd’hui ces quantités  monstrueuses d’énergie ? Dans l’« épidémie » d’immuno-dépression actuelle (recrudescence mondiale des infections et des cancers) le provocateur met en avant le « scandale du sang contaminé » qui n’a pris une telle importance médiatique que parce qu’il soutenait apparemment la cause virale d’un désastre morbide dont les cofacteurs sont tout autres. Le provocateur dénonce encore avec véhémence les mafias de la drogue, leur personnel et leurs complices pour masquer ce scandale principal que tant de gens ont besoin de drogues aujourd’hui pour supporter leurs conditions effroyables d’existence. Le provocateur dénonce donc beaucoup de scandales particuliers pour cacher ce scandale absolu : comment les hommes peuvent-ils êtres contraints de vivre ainsi ?
Quand il arrive au contraire au provocateur d’évoquer la cohérence du système qui l’inclut, il se montre cette fois étonnamment incapable d’utiliser ses lumières pour exposer utilement un quelconque effet fâcheux de ce système. Sa science factice lui coupe littéralement le sifflet. Il n’en a pas l’usage parce que le sujet de cette connaissance lui est si étranger qu’il est sincèrement convaincu de son inexistence.
Ce sujet de la critique à partir duquel se dévoile la cohérence du monde et la possibilité de le transformer, se connaît donc suffisamment à ce qu’il produit, qui est son critère d’authenticité et son blanc-seing. Au contraire, le provocateur présente de soi-même une image falsifiée, épurée, améliorée, pour coïncider après coup avec le rôle qu’il croit être le sien : simple label pour une publicité.
Le provocateur dont il est question ici est certainement différent de l’agent de police du siècle dernier. Celui-ci travaillait pour un service spécialisé qui le rémunérait à la tâche. Le provocateur moderne travaille d’abord, et plus efficacement encore, pour une machine qui le programme sans cesse à son usage. Ainsi, il n’est pas trop difficile de reconnaître très vite un provocateur à qui croit devoir s’en donner la peine. Mais cette peine est peut-être désormais superflue. »

Michel Bounan : L’art de Céline et son temps (1997)

vendredi 8 juillet 2022

La mission du Tenancier

Un phénomène se produit de façon récurrente lorsque dans une assemblée, même informelle comme une dînette sur le pouce avec des personnes que vous ne connaissez pas vraiment, ceux-là, vous découvrant comme «écrivain», vous parent de quelque mission sacralisant la manière de dire, le quotidien ou toute autre vertu que confère les fantasmes du lecteur. Avec soudaineté, vous voici écrasé sous le poids de la charge de la preuve par le biais d’un acquiescement aux assertions diverses sur la nature de la mission de l’écrivain : rendre compte de la réalité, l’art pour l’art, le miroir le long du chemin, etc. Alors que vous essayez de finir ce p’tit verre de rouge dont vous n’avez pas réussi à découvrir de quoi il s’agissait (trop de bouteilles ouvertes en même temps), vous voici acculé à un acquiescement catégorique, histoire que l’on vous foute la paix quand vous picolez et aussi afin de tranquilliser l’interlocuteur, parce qu’au fond, vous ne désirez pas plus que ça de passer pour un revêche ou un contradicteur. En résumé, l’on vous somme de confirmer, gentiment, hein. Vous pourriez répondre — et nous ne trouvons pas loin de ce que pense votre Tenancier — que vous écrivez parce que, en définitive, vous en avez l’occasion et que le résultat ne vous paraît pas trop moche pour la somme de travail accordée. Vous pourriez affirmer qu’écrire correspond certainement à une mission intellectuelle ou morale, l’enjeu d’un affrontement ou d’un défi de soi, de l’approche sensible du monde et de toutes ces choses qui font plaisir à l’interlocuteur. La seule réplique qui vous vient à l’esprit à ces moments, parce que vous êtes de plus en plus perdu à l’oral pour ce genre de conversation, reste : «Oh vous, savez, j’aime surtout écrire des histoires…»
Mais vous ne le direz pas parce que vous ne tenez pas à décevoir et que vous avez envie de passer à autre chose, à un autre interlocuteur ignorant votre casquette de littérateur, ou à déguster ce verre de pinard que vous ne connaissez pas, ce qui, entre nous, ne peut étonner, étant donné que votre Tenancier boit de moins en moins.