dimanche 25 mai 2014

Lorsque le Tenancier éditait — I

J’animais depuis plusieurs années une émission sur la SF sur Radio Libertaire. Elle avait eu plusieurs titres, plutôt idiots d’ailleurs, comme Vous avez dit Bigeard, Les gros niquent les martiennes ou bien encore Bienvenue chez les Maîtres du Monde. Ces séries d’émissions étaient assez détendues, voire parfois bordéliques en diable. On s’y amusait et on était cependant sérieux la plupart du temps, ce n'était pas contradictoire. Nous y avons invité beaucoup d’auteurs et d’éditeurs sur plus d’une quinzaine d’années (il y eut des interruptions) entre 1982 et 2000.
Il s’avéra que j’avais eu envie à l’époque de prolonger le plaisir en créant une petite maison d’édition dont l’objectif était limité : publier des nouvelles à petit tirage dans un format soigné et avec des auteurs de SF prestigieux. Je projetais de ne publier que cinq ou six titres, guère plus, et ne pas dépasser le cap de 1995.
Cette entreprise n’aurait pu voir le jour sans le généreux mécénat de Sophie et Salim, des amis qui financèrent les premières publications. Ce fut la seule subvention extérieure que cette entreprise reçut, elle permit de démarrer et d’élaborer un catalogue plutôt sympathique. Si la question du financement fut résolue, restaient encore quelques obstacles à franchir. La question des auteurs fut résolue assez facilement parce que votre serviteur fréquentait de temps à autre les Déjeuners du Lundi, institution de la science fiction française qui consacrait la rencontre hebdomadaire de nombres d’acteurs du milieu. L’annonce du projet y fut accueillie avec bienveillance et la générosité des auteurs la confirma par la suite. L’autre question cruciale était de s’adjoindre la compétence d’un imprimeur qui répondrait à nos critères d’édition. Je ne pus mieux tomber en faisant appel à Christian Laucou qui, outre son métier d’imprimeur, s’employait à tenir à bout de bras les Éditions du Fourneau, devenues plus tard Fornax. Bien évidemment, toutes ces étapes ne se déroulèrent peut être pas avec la facilité que laisse entendre ce petit compte-rendu. Néanmoins, avec le recul, je suis encore étonné de l’aisance avec laquelle tout s’enchaîna. Il n’y eut plus qu’à déposer les statuts de l’association et déclarer au monde entier la « raison sociale » de notre micro maison d’édition.
Elle s’appela L’astronaute mort, hommage à une nouvelle de J.-G. Ballard, sans doute pas la meilleure de l’auteur mais qui dévoilait notre ambition pour ce qui concernait la qualité des textes et des auteurs que nous voulions accueillir.
Les statuts étaient déposés, les auteurs consentants, un compte ouvert, un excellent imprimeur à disposition… il fallait désormais constituer un catalogue.

(A suivre)

Talons

Talons : Avoir les talons courts : pour une femme, être de nature luxurieuse.
Mais la beauté de la Cour
C'est d'avoir les talons courts
(Parnasse des Muses)
Marie-François Le Pennec : Petit glossaire du langage érotique aux XVIIe et XVIIIe siècles (1979)

Un peu de dignité, Monsieur !

Cervelle qui fait de la chaise longue (Avoir la)

Cervelle qui fait de la chaise longue (Avoir la) : Être très fatigué et ne plus avoir les idées bien nettes.

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)

samedi 24 mai 2014

Jules Verne en 10/18

Les amateurs de l'irremplaçable collection 10/18 reconnaissent du premier coup ce qui en faisait à l'époque l’identité : le double filet séparant le nom de l’auteur et le titre, le logo, toujours de la même taille, se déclinant en couleurs différentes d’un volume à l’autre…
La série « Jules Verne inattendu » présente cependant quelques caractéristiques supplémentaires :
Le logo représentant un phare (emblématique de la production vernienne) situé au coin supérieur gauche, à côté du nom de l'auteur et du titre – cette idée sera également utilisée dans cette collection pour les ouvrages de Jack London (une tête de loup) ou d'autres auteurs.
Le sous-titre « maison » en long accolé à la marge gauche de la couverture.
Le fond bleu des couvertures.
Mais bien plus que l’aspect physique, c’est bel et bien la mise en œuvre de cette série qui doit retenir notre attention. La préface générale qui en ouvre le premier volume est explicite : il s’agit pour son maître d’œuvre, Francis Lacassin, de présenter un aspect méconnu, à l’époque, de l’œuvre de Verne. Il est à signaler que cette série – publiée sur quelques mois seulement – partait de la dynamique générée par de nombreuses publications au cours des années 70 et dont la plus remarquable fut peut être le numéro des Cahiers de L’Herne. Ne pas négliger non plus une manifestation importante qui fut sans doute le point d’orgue de la réévaluation de l’œuvre, avec le Colloque de Cerisy. Il était donc tout naturel que l’on assiste à l’apparition d’une collection qui allait présenter une autre facette de Verne, plus souterraine, avec des hypothèses et des conjectures sur les idées politiques et l’inconscient… Ces lectures différentes vont se retrouver tant dans les préfaces de Lacassin que dans les autres textes des spécialistes qui parsèment ces éditions. D'ailleurs, les sous-titres en long sur la couverture annoncent clairement les orientations de l'appareil critique. Une question, du reste, se pose. A cette époque, les seuls Verne disponibles à bon marché étaient ceux de la collection du Livre de Poche. On se prend à penser soudainement que la série « Jules Verne inattendu » a constitué une sorte de complément à la fois marginal et intelligent de cette collection grand public. Contrepoint bienvenu, avec notes, appareil critique et même quelques bibliographies. On se prend à rêver si la collection avait entreprit une édition des œuvres – complètes ? – avec le même appareil critique. Certes, désormais, le foisonnement des « lectures » de Verne s’est un peu atténué. On est revenu à une certaine mesure. Il faut penser à ces douze volumes comme une parenthèse curieuse et très récréative, fort bien dans la lignée de ce que publia Francis Lacassin en 10/18 pour d’autres auteurs (London, Stevenson) ou pour des thèmes précis (comme « L'aventure insensée », concernant la littérature populaire).
Découvrons maintenant les ouvrages de cette série publiée entre 1978 et 1979.
Notons que nombre de ces volumes sont encore aisés à trouver pour une somme modique à l’exception des « Textes oubliés ».
Les Naufragés du Jonathan
n° 1209
Famille-sans-nom
n° 1210
P'tit Bonhomme
n° 1220
L'île à hélice
n° 1221
Histoires inattendues
n° 1129
L'invasion de la mer, suivi de "Martin Paz"
n° 1239
César Cascabel
n° 1247
Sans dessus dessous
n° 1273
Un billet de loterie
n° 1274
Le pilote du Danube
n° 1286
Textes oubliés
n° 1294
Clovis Dardentor, suivi de Un neveu d'Amérique
n° 1308

Il s'avère après examen que notre rêve évoqué plus haut n'était pas si insensé puisque, au hasard de nos butinages dans les volumes de la série, nous avons relevé nombre de titres en préparation. Voici ce que nous avons trouvé dans Clovis Dardentor, dernier volume publié de la série :

— Claudius Bombarnac
— Souvenirs de voyage en Angleterre et en Écosse
— Les frères Kip
— Le Volcan d'Or
— Le Village aérien et M. de Chimpanzé
— Mirifiques aventures de Maître Antifer
— Le Superbe Orénoque
— Le Chemin de France
— L'Épave du « Cynthia »
— Seconde Patrie
— Le secret de Whilem Storitz
— Aventures de trois Russes et de trois Anglais
— L'Étonnante aventure de la mission Barsac
— Le Testament d'un excentrique
— L'Agence Thompson and Co.
— Bourse de voyage

La présence d'un telle liste n'indique pas forcément que ces textes allaient être publiés à coup sûr, mais réservait une possibilité à l'éditeur de ne pas être coiffé au poteau par un autre. Il faut donc relativiser le projet que constituait une telle liste. Du reste, Francis Lacassin développe les raisons de la disparition de cette série au sein de la collection : en résumé, le public n'avait pas suivi.

A cette présence de Verne en 10/18, on se devait d'ajouter trois volumes, à titres divers :
Tout d'abord le Colloque de Cerisy, publication guère exceptionnelle dans le corpus de cette collection puisque nombre de colloques sur des auteurs ou des sujets divers y furent déjà publiés. Cette publication consacra nombres d'avancées dans la recherche verniste. Comme je l'ai indiqué plus haut, on en sent même les effets dans la série « Jules Verne inattendu ». Quoi de plus naturel que d'ajouter encore le livre de Francis Lacassin consacré à quelques passagers clandestins de l'Histoire ou de la Littérature ? Verne y côtoie Mata Hari, Harry Dickson, Jack London et Gustave Le Rouge, par exemple. Et puisque nous citons Le Rouge, on ne pouvait manquer en conclusion de mentionner son amusant « Sous-marin Jules Verne », publication encore cornaquée par le même Lacassin...

Jules Verne : Colloque de Cerisy
n° 1233
Francis Lacassin : Passagers Clandestins /1
n° 1319
Gustave Le Rouge : Le sous-marin « Jules Verne »
n° 1245

Le Tenancier remercie tout particulièrement MM. Francis Ester et Vincent Reignier pour lui avoir fourni les volumes qui lui manquaient. On retrouvera chacun de ces volumes dans des bibliographies par titre et dans les bibliographies secondaires.

Grains

Grains : Génitoires. Être léger des deux grains : être châtré.

Marie-François Le Pennec : Petit glossaire du langage érotique aux XVIIe et XVIIIe siècles (1979)

On sait ce qu'on y perd...

Rien ne change et tout change. Ainsi, votre Tenancier s’occupe toujours de livres même s’il s’apprête sous peu à ne plus le faire sous la forme qui lui était coutumière (mais il ne sait trop encore comment cela va rebondir… on verra bien). Toujours est-il qu’il cause « livres » sur différents médias et donc sur Facebook où il lui arrive de fréquenter un aussi beau linge que céans. Il est vrai que votre serviteur fait gaffe de choisir ses potes. Et il fait bien. Mais, vous savez ce que c’est, les amis de nos amis, hein…
Tenez, l’autre fois, une copine que j’aime beaucoup relaie un message de blogue sur le fameux Petit manuel du parfait aventurier, de Mac Orlan. Pensez si je biche, car non seulement j’apprécie l’auteur mais j’adule ce petit texte au point que j’ai réussi à me procurer le volume des Éditions de la Sirène (1920) à une époque d’opulence.
Seulement, le billet avait l’air de présenter cet ouvrage comme étant de 1951. Pour être honnête, retranscrivons ce que nous avons pu lire dans ce billet :
« Le petit manuel du parfait aventurier est paru à la suite de l’édition de 1951 du recueil de brèves nouvelles grinçantes, La Clique du Café Brebis, une édition ultime ( ?) et, à la même époque, l’entré de Pierre Mac Orlan à l’Académie Goncourt ».
On admettra qu’une lecture hâtive pouvait amener à la même conclusion que la mienne : l’auteur du billet avait dégainé un peu vite. Je me fendis donc d’un commentaire en dessous du lien — accompagné de la couverture de mon exemplaire — se demandant ce que je devais faire de mon livre, entendant par là que je possédais sans doute un exemplaire uchronique. Je ne m’étalerai pas sur l’échange qui en a suivi et qui fut fort pénible car il s’est avéré que je touchais plus à la dignité offensée qu’au sérieux bibliographique. Cela aurait pu en rester là et j’avais d’ailleurs fais un pas dans ce sens, malgré le fait que l’on insinuait chez moi une disposition belliqueuse. Et là, cher lecteur qui me connaît, tu sais à quel point je peux l’être, c’est dire la retenue dont je fis preuve puisque je tentais par deux fois de « briser là ».
Mais voilà, on ne peut rien faire contre l’acharnement et voici in extenso l’amendement que je découvris dans le même billet :
« Pour faire suite à l'indignation d'un libraire érudit autant que tonitruant, je précise qu'il s'agit de cette édition. N'ayant pas de volume antérieur comme je le signale en tête de page, et ayant rédigé cette courte notule uniquement dans l'objectif de porter à la connaissance des amateurs une conception amusante de la profession de romancier, je n'ai pas pensé à chercher la date exacte de parution originale de ce texte amusant. Toutefois, après vérification soigneuse, j'affirme n'avoir jamais prétendu qu'il s'agissait de la date de parution originale. Je suis navrée si mes paroles ont pu être interprétées autrement et regrette de m'être mal exprimée. »
On pourrait répondre à l’auteur que ces qualificatifs sont outrés concernant ma personne, mais il l'étaient bien plus sur Facebook. Il est d’ailleurs difficile d’être tonitruant par écrit. Le souci se situe dans le manque de suite de l’auteur de ce blogue qui aurait peut être dû faire attention au reste de ses propos puisque juste au-dessus de la remarque me concernant il est écrit « Ce manuel date de l’âge d’après la Seconde Guerre Mondiale […] ». On pointera l’inconséquence du propos qui, niant avoir écrit une chose d’un côté, s’empresse de la confirmer de l’autre. J’en déduis donc que mon exemplaire du livre est bien uchronique ou alors que l'auteur du billet avait manqué quelque chose...
La profession de foi de ce blogue-là est paraît-il de partager, c’est du moins ce qui est indiqué en dessous de son titre. Comme on aurait pu dire dans les bousbirs chers A Mac Orlan : on sait ce qu’on y perd, mais on sait pas ce qu’on y trouve

vendredi 23 mai 2014

Dégauchir

Dégauchir : Trouver

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)

Un lancer d'espions

Croyez-le ou non, votre Tenancier a toujours considéré la collection Espionnage au Fleuve Noir comme une série crépusculaire. Sans doute cela est dû au fond noir des couvertures des débuts de la collection mais également au fait que cet univers avait toujours des corrélations intimes avec la nuit ou bien avec des univers en faillite. Bien évidemment, nous sommes loin des ouvrages de Le Carré et la lecture de ces livres ne nécessitent pas trop de ressources en intellect. Du reste, si l’on trouve pas mal d’ouvrages particuliers sur les collections policières ou de SF, on serait en peine de trouver une bibliographie un peu fouillée sur l'espionnage. Certes, votre Tenancier n’as nullement vocation à l’universalité et on pourra lui opposer tel source ou tel publication rien que pour le contrarier, certes… Mais augurez donc avec moi qu’on ne croule pas sous la quantité. Nous détenons une étude, un ouvrage général pour lequel on s’est empressé de distraire quelques sesterces, il s’agit de L’idéologie dans le roman d’espionnage, d’Érik Neveu. Si le dieu Janus nous protège comme il faut, p’têt ben qu’on aura le temps de vous en causer un de ces jours.
L’évocation de cet ouvrage n’est pas innocente ici. L’idéologie du roman d’espionnage au Fleuve Noir ne se distingue pas par sa nuance ni sa défense absolue d’un idéal libertaire, loin de là. On sort de ces lectures avec plus de convictions impérialistes que des idées démocratiques et les droits de l’homme y sont plutôt une vue de l’esprit. Quant à la place de la femme dans ce genre de littérature, chacun de nous a eu dans les mains les ignobles petites saloperies estampillées SAS (publiées par la concurrence, chez Plon) dont l’auteur fut d’ailleurs encensé récemment dans les colonnes de Libération. A toute cette littérature consternante pour ce qui concerne la dignité même de ceux qui la lisent sans le recul nécessaire, il fallait opposer un auteur quelque peu reposant : G.-J. Arnaud.
On se propose dans les temps à venir de chroniquer de temps à autre une série qui faisait partie de la collection Espionnage au Fleuve Noir et dont le héros, Serge Kovask, alias Le Commander, constitue une sorte de bain de fraîcheur dans le machisme et la violence ordinaire. A travers cette petites chronique, on se propose de suivre l’évolution, importante, du personnage et également de rendre hommage à un auteur populaire méconnu du grand public et dont on estime la production à plus de 350 titres.

The Tenancier Is Baque

A peine achevé le blogue Feuilles d’automne, voici que votre Tenancier chéri récidive. Que l’on vous explique : votre serviteur est en train d’affronter quelques tournants dans son existence et il a décidé de laisser certaines choses derrière lui. L’ancien blogue — qu'il laisse en consultation, bien sûr, hors de question de le supprimer ! — était surtout consacré au livre dans sa partie matérielle Cela finissait par devenir une contrainte désagréable que le Tenancier avait cru pouvoir contourner en créant quelques blogues parallèles, lui procurant ainsi un travail tellement supplémentaire qu’il s’est trouvé à un moment dans l’incapacité d’y faire face. Alors voilà, pouf pouf, on recommence ! Bientôt, quand on aura liquidé les affaires de la libraire (parce que là aussi, cela s’arrête), on arrivera à un rythme assez régulier dans la publication des billets. D’ailleurs, certains amis du précédent blogue seront dans celui-ci car on s’en voudrait d’abandonner l’esprit, les historiettes et les terribles vermotisations de cette engeance.